La remise de l’espion n’avait quasiment rien changé au moral de l’équipage, comme si il ne s’agissait que d’une chose banale. Shanks ne semblait pas plus touché que ça, ce qui ne m’étonnait pas de sa part. Tant que les coups en traître de ses ennemis ne nous touchaient pas directement, il n’y prêtait pas attention et continuait sa quête de liberté le coeur léger.
Le Red Force avait rapidement quitté le rivage et naviguait depuis déjà quelques temps. Lorsque j’avais demandé à Shanks notre nouvelle destination, il avait haussé les épaules, un sourire aux lèvres, en disant que ça allait me plaire.
Aujourd’hui, c’était encore une grande journée à la suite du journal annonçant la démission de Doflamingo des rangs des Shichibukai et surtout l’alliance de Luffy avec un autre pirate de sa génération, Trafalgar Law. Il y avait également l’annonce d’une autre alliance de pirates, dont Kid et Killer faisaient partie, et c’est sur celle-ci que nous avions débattu un moment. Kid était loin d’être totalement idiot mais il était têtu. Malgré sa cuisante défaite, il allait retenter de vaincre notre capitaine.
- Il a du cran, ce gamin !
- Mais on l’attendra de pied ferme.
- Il perdra son autre bras !
Après l’éclat de rire général qui suivit aux fanfaronnades, le journal fût abandonné sur le pont et chacun retourna à ses occupations. Ils formaient tous des petits groupes, de travail ou de jeu, et l’unique pirate que je voyais seul était Beckman.
Il était appuyé nonchalamment contre le bastingage, ses cheveux et sa cape secoués par un léger courant d’air, cigarette en main. D’un geste de la main, je refusai l’offre d’un de mes nakamas de me joindre à son groupe et je m’avançai vers notre second.
Je vins m’installer à ses côtés. Il me jeta un rapide regard, et je crus voir un léger sourire sur ses lèvres. Je m’assis sur le bord du bateau en laissant échapper un soupir d'aise, puis je tournai la tête dans sa direction alors qu’il recrachait de la fumée.
- Tu restes trop souvent dans ton coin tout seul.
- J’ai besoin de beaucoup réfléchir.
- Réfléchir à quoi ?
- À comment je vais pouvoir vous stopper dans vos conneries, Shanks et toi.
Je savais qu’il s’agissait d’une plaisanterie mais il l’avait dit avec tellement de sérieux que j’eus un léger doute. Il laissa échapper un grognement amusé et tira sur sa cigarette en me faisant un clin d’oeil. J’eus un sourire, puis je tournai la tête vers l’horizon.
- Tu sais où on va ?
- Ouais.
- Et j’imagine que tu ne vas pas me le dire.
- Effectivement. Ordre du capitaine, c’est la surprise. Sois patiente.
Je soupirai, mécontente. À force de ‘’surprise’’, je commençai réellement à être curieuse. J’avais demandé à plusieurs de mes camarades, mais aucun ne savait. Où allions-nous pour que seulement Shanks et Beckman soient au courant ? Je savais que le rouquin avait des caprices mais là, c’était fort.
Beckman se tourna dans ma direction et rit franchement. Je gonflai les joues dans une attitude boudeuse. Toujours en s'esclaffant, sa main libre vint rapidement m'ébouriffer les cheveux dans un geste affectueux, puis il éteignit sa cigarette et s'éloigna. Je redressai la tête.
- Beckman ?
- Hm ?
Il se stoppa et se retourna, m’interrogeant du regard. Je descendis du rebord et m’avançai. J’avais totalement délaissé mon attitude boudeuse pour un visage grave.
Il y a maintenant plusieurs semaines de cela, en plein entraînement, j'avais décidé de tester certaines capacités que mon fruit du Démon, et ce, sans prévenir mon mentor. Ça avait été une mauvaise, très mauvaise idée. Heureusement, je n'avais eu que quelques côtes fracturées et une hémorragie interne, mais si Beckman ne s'en était pas aperçu à temps, je serai sûrement morte à l'heure qu'il était.
Je me suis rapidement remise de cette mésaventure, mais depuis, Beckman n'avait plus voulu parler combat avec moi hormis pour me donner quelques conseils avant de combattre en situation réelle. Il ne m'entraînait plus. Il était toujours aussi amical, mais il se faisait évasif dès que je tentais d'aborder le sujet. Je l'avais donc laissé tranquille un moment, en espérant que la tension entre nous deux s'estompe, mais plus le temps passait, plus j'avais l'impression que rien n'allait s'arranger.
Autant être franc l'un envers l'autre. Nous étions tous les deux face à face, et alors que le reste de l'équipage était en quartier libre, c'était le moment d'aborder le sujet qui fâchait.
J'inspirai rapidement en le regardant droit dans les yeux.
- Je comprends que tu puisses être en colère depuis la dernière fois. Si tu ne veux plus continuer, autant que tu me le dises tout de suite.
- Tu ne veux plus de moi comme mentor ?
Il cligna des yeux, les sourcils froncés. Un moment, je crus qu'il était en colère, mais il se mit à sourire. Un grand sourire franc. Il posa sa main sur mon épaule.
- Tu te débarrasseras pas si facilement de moi, championne.
Je le dévisageai un moment, interdite. J'étais surprise, et me rendre compte qu'il passait enfin l'éponge me comblait de bonheur tout en alourdissant mon sentiment de culpabilité. Je n'avais pu m'empêcher de me tracasser, depuis la dernière fois. Je savais que Beckman voulait seulement m'aider et que c'est parce qu'il tenait à moi qu'il avait fait preuve de rancune, parce que si je l'avais prévenu je n'aurais pas risqué de me faire tuer.
Le visage de Beckman se refit sérieux. Il m'attrapa par les deux épaules de sorte que je lui fasse face. Ses yeux gris transpercèrent les miens comme si il cherchait à m'atteindre dans mon âme.
- La prochaine fois que tu fais un truc pareil, je veux être prévenu, compris ?
J'hochai frénétiquement la tête. Beckman était si autoritaire, j'avais la drôle impression d'être un enfant réprimandé par son père. D'une certaine façon, ma sensation était normale, j'étais en tort après tout.
- Une dernière chose. N'utilises plus jamais cette technique, à part si tu n'as pas d'autre choix.
- C'est promis.
J'accompagnais ma promesse d'un mouvement de tête. Même si je ressentai la gravité et la solennité de mes paroles, j'étais soulagée. C'était agréable d'enfin mettre les choses en ordre. Je n'aimais pas être en de mauvais termes avec lui.
Le quinquagénaire finit par me lâcher. Un sourire en coin était apparut sur son visage, et il me donna un rapide coup de coude dans les côtes. Rien de bien méchant, juste de quoi me taquiner.
- Fillette.
J'écarquillai les yeux un instant, avant de sourire à mon tour. Je croisais les bras dans une attitude provocatrice. C'était reparti.
- Fossile.
- Je vais te faire morfler.
- Tu dis ça à chaque fois.
- Et à chaque fois je tiens parole.
On éclata de rire, mais le rire finit rapidement sur un coup de poing donné par le second. Je l'évitai à temps, et revins à la charge. Finalement, nous enchaînions coup sur coup en faisant de tout le navire notre terrain d'entraînement. Le combat dériva sur l’entièreté du pont principal, nos nakamas nous rejoignirent et nous encourageaient, ou simplement riaient. Beckman ne me faisait pas de cadeau et je ne lui en faisais pas non plus. Je réussis à lui faire mordre la poussière, mais le combat se termina rapidement lorsqu’il dût venir me secourir de la noyade après un coup un peu trop fort. Comme il l’avait promis, il m’avait fait morfler. J’éclatai de rire, me promettant de prendre un jour ma revanche.
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Le lendemain.
Enfin. Après un mystère sans fin, le duel contre Beckman et entre autre une bataille navale contre un bateau de la Marine, nous foulions une terre ferme. Nous avions laissé le Red Force amarré à la plage et nous nous étions enfoncé dans l’île en suivant notre capitaine. Certains grognaient, d’autres étaient occupés à vanter notre dernière bataille et d’autres encore, comme Beckman et moi, marchaient en silence.
Nous finîmes par arriver sur place, là où Shanks voulait tellement aller en conservant le secret. Je levai les yeux, et je ne pus retenir une expression de stupeur. Je restai immobile sur place, bouche-bée, tandis que mes nakamas continuaient leur route.
Nous étions dans un village, un village qui ressemblait presque exactement au village dans lequel j’avais grandi. Il s’agissait d’une immense plaine située entre d’énormes rochers et constituées de nombreuses petites collines, avec quelques maisons et quelques enclos éparpillés sur l’herbe. Des enfants jouaient avec d’énormes animaux que je n’avais encore jamais vu, mais lorsque je remarquai les expressions ahuries ou effrayées des habitants, mon enthousiasme redescendit. Ils avaient peur. Je leur lançai un sourire, espérant ainsi les mettre à l’aise, avant d’accélérer le pas pour rejoindre mon équipage. Ils s’étaient tous stoppés, et une voix distincte semblait tenter de rassurer les villageois.
- Vous ne craignez rien, ce sont des amis. Ayez confiance.
- Mais, Marco-san ! Tu es sûr ? Ce sont des pirates !
... Marco-san ?