Un bruit de pas, puis un couinement. Un de nos nakamas sortit sur le pont, il était hilare au point que des larmes perlaient à ses yeux.
- C’est qui ? Qui a joué ce tour au cap’ ?
Je tournai la tête, un sourire satisfait sur les lèvres, et me remis à jouer aux cartes avec les autres comme si de rien n’était. Un de mes adversaires abattit ses cartes, et son singe descendit de son épaules pour récupérer les mises. J’avais perdu, mais en ce moment je me sentais victorieuse et je laissais un ricanement m’échapper. Je murmurai doucement.
- J’espère qu’ils ont pris une photo…
Je piochai de nouvelles cartes et levai les yeux vers mes camarades de jeu sans quitter mon sourire. L’un eût un éclat de rire.
- C’était quoi, cette fois ?
- Des glaçons.
- Ça fait un mois que vous vous taquinez mutuellement, vous en avez pas marre ?
- Non, c’est toujours aussi drôle.
Un rire général secoua mes compagnons, puis nous redevînmes sérieux et nous nous remîmes à miser. Je gagnai deux fois et perdis une fois. Autant dire que ma bourse était pleine. Après ma troisième victoire, j’empochai les berrys sous les grognements des autres joueurs. Je ne pus empêcher un sentiment triomphant de m’étreindre. Nous commencions chacun à tirer un nouveau jeu de cartes, mais l’arrivée fracassante de Yasopp nous fit stopper. J’haussai un sourcil face à son attitude.
Un journal en main, une bouteille ouverte dans l’autre, il trépignait de joie et riait aux éclats. Intriguée, je me tournai vers lui, à l’instar de mes camarades. Rockstar, qui jouait avec nous, posa ses cartes et se leva.
- Oï ! T’es saoul ?
- C’est un grand jour ! Devinez quoi, les gars ! Les Mugiwaras sont de retour !
- Quoi ?!
Rockstar lui arracha le journal des mains, les autres se précipitèrent vers le sniper. Bientôt, tout le Red Force fût mis au courant, Shanks était plus heureux que jamais et les autres commençaient déjà à organiser une énième fête.
- Il a fait un bout de chemin depuis East Blue, le p’tit !
- J’ai hâte de le revoir !
- On t’attend Luffy !
Un large sourire sur les lèvres, je les regardai s’extasier. Le journal annonçant le retour de l’équipage tant apprécié avait été tellement consulté qu’à présent il gisait au sol en lambeaux. Ils n’avaient pas été aussi enthousiastes depuis longtemps, et leur joie était contagieuse. Je ne connaissais pas Mugiwara no Luffy, ni son équipage, mais je participai à la joie collective. C’était important pour eux, donc pour moi aussi.
J’attrapai une choppe remplie d’alcool, mais j’eus à peine le temps d’en boire une gorgée que je fus interrompue. Un croassement avait retenti dans l’air, des plumes noires passèrent dans mon champ de vision et je sentis un poids léger se poser sur mon épaule. Je baissai ma choppe et levai la tête. Un sourire me fendit le visage alors que le corbeau nouveau-venu me pinçait gentiment l’oreille.
- Toi aussi, tu m’as manqué.
Je n’avais pas revu Sabo depuis la dernière fois, il y a presque deux ans. Mais fréquemment, depuis cette période, le même corbeau venait me rendre visite. Avec lui, il apportait toujours un morceau de papier. C’est ainsi qu’on communiquait, par lettre. Le révolutionnaire était très occupé et n’avait pas le temps de venir me rendre visite, mais dans ses écrits, il me racontait tout, et je lui rendais la pareille dans mes réponses. Quelquefois, j’avais même le droit à un petit mot griffonné à la hâte signé Koala.
Le volatile me tendit sa patte, et j’en détachai le rouleau de papier qui y était accroché. Alors que je commençai à déplier la lettre, je remarquai que l’atmosphère était devenue calme, étrangement calme. Je relevai la tête et regardai autour de moi. Il n’y avait plus un seul rire, une seule conversation, un seul bruit, un seul son, tous mes nakamas me fixaient avec un sourire collé aux lèvres.
- Dites donc, notre p’tite sœur a un soupirant ?
Je jetai un regard interrogateur à Lucky Roo, le pirate qui venait de parler. Il me répondit par un haussement d’épaules et un sourire dans le coin avant de croquer dans sa viande. Quelques rires se firent alors entendre, je soupirai, mi-exaspérée mi-amusée. Quels gamins ils faisaient, parfois.
- Vous êtes désespérants.
- Et fiers de l’être !
Ils se remirent à boire, l’ambiance fêtarde reprit rapidement le dessus. J’en profitai pour me faufiler et je m’éloignai d’eux pour rejoindre le pont situé à la poupe du navire. Une fois au calme et seule, je baissai la tête vers le papier, et je n’attendis pas plus pour le déplier totalement et commencer ma lecture.
Un grand sourire éclaira mon visage. Son écriture était soignée, et il avait signé, comme d’habitude.
En quelques lignes, Sabo me parlait de son petit frère, de Dragon et des révolutionnaires, de lui-même, et il déclarait s’être mis à la recherche du Mera Mera no mi, le fruit de son frère décédé. Il disait également qu’il commençait à avoir moins de travail en ce moment, et qu’il ne tarderait sûrement pas à venir me voir avec Koala.
Cette lettre me réchauffait le coeur. Il semblait bien se porter, malgré la quantité de travail dont il se plaignait. J’espérai surtout qu’il atteindra son objectif, et qu’il récupérera le fruit d’Ace.
Je levai la tête et contemplai l’océan. Il était calme ce jour-là, et le soleil brillait. Mon sourire s’agrandit. Cette journée était vraiment magnifique et porteuse de bonnes nouvelles. Un murmure m'échappa :
- À très bientôt, Sabo…
- Sabo ?
Je me retournai, surprise. Un homme à la peau bronzée et aux cheveux blancs en bataille se tenait derrière moi. On le connaissait depuis peu, il s’agissait d’un naufragé qu’on avait recueilli et qui nous aidait à bord le temps qu’on le ramène chez lui. Il s’appelait Tao Kane, si je me souvenais bien.
Je rangeai rapidement la lettre dans la poche de mon manteau. Le corbeau sur mon épaule émit un léger croassement, presque un grognement. Les traits de Kane s’affaissèrent, il baissa les yeux et recula de quelques pas. Je haussai un sourcil. J’étais si intimidante que ça ? Je tâchai d’adopter un ton posé mais ferme.
- Oui, Sabo. Pourquoi ?
- Sabo, de l’armée révolutionnaire ?
- Et alors ?
Il rit nerveusement en se grattant l’arrière de la tête, puis il s’éloigna précipitamment, mais au lieu de retourner vers le pont principal et vers la fête, il s’engouffra par la porte menant à la salle à manger. Il était très mauvais acteur, et par les regards fuyants qu’il avait jeté autour de lui, il avait éveillé ma méfiance. Qu’est ce qu’il pouvait bien trafiquer ?
J’attrapai délicatement le corbeau entre mes mains et le posai sur le bord du bateau.
- Attends-moi ici, d’accord ?
L’oiseau croassa. J’eus un rire. Quelquefois, j’avais vraiment l’impression qu’il me comprenait.
Après lui avoir donné une rapide caresse, je m’avançai et contournai la fête sans me faire voir pour rejoindre la salle à manger. Je refermai la porte derrière moi lentement. Après avoir pris une grande inspiration, je me concentrai sur mon Haki de l’Observation.
Plus loin. Dans la réserve.
Je traversai la salle à manger et la cuisine dans le silence le plus total. Par réflexe, j’avais posé une main sur l’un de mes saï. Alors que j’approchai de la réserve, j’entendis de plus en plus nettement deux voix parler avec animation. Je me stoppai. D’un doigt, j’entrouvris la porte. La lumière était allumée, et je pouvais voir Kane, de dos et tremblant, parler à un établi jonché de nourriture.
- J-je vous ai dis tout ce que je savais !
- Ta mission consistait à nous livrer des informations sur le capitaine, pas sur les amourettes d’une fillette.
- Mais l’armée révolutionnaire, je pensais que…
- L’armée révolutionnaire ne l’intéresse pas. Si tu veux faire tes preuves, obéis aux ordres correctement.
Je sentis mon corps se raidir. Un Den Den Mushi était sûrement posé sur l’établi. Et la voix grave qui en provenait… Elle m’était familière, et ce que j’avais appris sur son propriétaire durant ces dernières années ne signifiait rien de bon. Mes doigts se resserrèrent autour de mon arme. J’avais maintenant une certitude : Shanks n’allait pas être très content en apprenant tout ça.
J’ouvris la porte en grand. Kane esquissa un pas pour se retourner, mais je fus trop rapide pour lui. Je lui assénai un coup de poing à l’arrière de la tête, et il s’écroula au sol.
- Kane ? Il y a du bruit de ton côté. Qu’est ce qu’il se passe ?
J’avais vu juste. Un escargophone rose reposait entre les différents fruits et légumes. J’attrapai le combiné en regardant l’escargot droit dans les yeux. Je savais parfaitement qui se trouvait à l’autre bout et je n'avais pas peur de lui parler franchement.
- Kane est indisponible pour le moment. Si tu comptes le récupérer avant qu’on fasse cracher à ce novice tout ce qu’il sait sur ton maître, tu devrais te dépêcher de venir le chercher.
Un long silence se fit. Je tirai un sourire en coin. Il n’avait jamais été facile d’anticiper la façon de réagir de ce reptile, mais je pensais qu’il devait bien se maudire d’avoir envoyé un si mauvais espion. Le silence finit par se rompre, et mon interlocuteur prononça une seule parole :
- Où ?
- Je te recontacterai bientôt pour les détails. En attendant, je te laisse avec ta conscience. À très bientôt, "Contre-Amiral". Gatcha.
J’avais raccroché sans lui avoir laissé le temps d’ajouter quoi que ce soit et je délaissai rapidement le Den Den Mushi pour attacher notre "naufragé" à l’aide de cordes suspendues dans un coin de la réserve. Une fois cela fait, j’éteignis la lumière, fermai la porte et quittai la remise sans me retourner. J’étais à la fois en colère qu’on se soit laissé duper aussi facilement, mais j’étais également satisfaite que Kane n’aie réussi à avoir aucune information compromettante sur nous. Le sort était inversé et à présent, nous avions l’avantage, mais seulement parce que nous avions eu de la chance. Je rejoignis rapidement le pont, sur lequel mes nakamas faisaient encore la fête. Je n’avais plus le coeur à sourire et partager leur joie, j’étais trop concentrée sur ce qu’il venait de se passer. Je me frayai un chemin parmi l’équipage.
Connaissant Shanks, il devait déjà être totalement saoul à l’heure qu’il est, autant dire qu'il n'était pas dans un bon état d’esprit pour parler sérieusement. Il fallait que je trouve quelqu’un de lucide.
Je commençai à chercher Beckman dans la masse que formait les pirates, et dès que je le vis, je m’empressai de m'avancer vers lui. Il était entouré de quelques camarades et buvait avec eux, mais en me voyant approcher, son rire s’évapora. D’un seul regard, il avait compris. Il posa sa choppe et quitta son groupe pour me rejoindre, un air sérieux peint sur son visage.
- Qu’est ce qu’il se passe ?
- Kaido nous a fait un cadeau.