Je ne savais pas combien de temps j'étais restée dans ma chambre, prise entre sommeil et inconscience, mais à mon réveil, je ne ressentais que de légers picotements aux emplacements de mes blessures. Une main tenait toujours la mienne et des chuchotements entre deux personnes montant en ton m'avaient réveillée pour de bon.
- ... Rien mangé, pas dormi. Bon sang, reprends-toi !
- Marco a bien précisé que son état pouvait s'aggraver.
- Dans tous les cas, tu ne peux rien faire pour elle. Regarde-toi, tu es exténué. Si tu tiens à ce qu'on surveille, laisse-nous prendre le relais et va te reposer.
- Pas question, je tiens à le faire moi-même.
- Pitié, fermez-la...
Ces quelques mots m'avaient échappés dans un chuchotement. Je refermai les yeux en poussant un léger grognement. Un sentiment de soulagement m'envahit, j'arrivais à parler et même à voir, malgré le bandage qui bouchait la vue de mon œil en convalescence. La main me lâcha brusquement et un visage apparut dans mon champ de vision, et grâce à la lumière que dégageait ma lampe de chevet, j'arrivai à distinguer des yeux attentifs, trois cicatrices et des cheveux roux. Un sourire fendit mon visage. Shanks resta un instant interdit et bouche bée, puis il se redressa et détourna la tête.
- Elle est réveillée !
- Tu vois !
Beckmann se rapprocha. Il soupira d'irritation, puis me lança un sourire.
- Salut championne.
- Yo ! Je vous ai manqué ?
La nouvelle de mon réveil fit rapidement le tour du navire et je me retrouvai bientôt prise dans un grand chahut causé par mes nakamas. Il fallut que Shanks, Beckmann et Marco s'y mettent à trois pour que le calme revienne dans ma cabine. En tant que médecin, Marco interdit les visites avec une exception pour le capitaine et le second, qui avaient le droit de venir s'assurer de mon état. Shanks ne quitta pas mon chevet et je comprenais mieux maintenant pourquoi cela ennuyait mon mentor : son visage était creusé, ses yeux étaient comme éteints et de gros cernes les ornaient, ses cheveux tombaient lamentablement sur son front et une barbe de quelques jours tachetait ses joues. On aurait dit qu'il avait mis en pause sa vie dès que j'étais tombée dans l'inconscience.
- Shanks, va te reposer.
- Pas tant que tu ne seras pas guérie.
- Tu tiens vraiment à mourir ?
Shanks secoua négativement la tête et reprit ma main. Je soupirai. Je ne pouvais m'empêcher de culpabiliser face à son inquiétude, je m'en voulais de lui apporter tant de soucis. Si il continuait ainsi à dépérir, il allait y passer. Je profitai de l'arrivée de Marco pour lui demander d'un signe de tête d'emmener Shanks, et Marco dût finalement menacer de ne plus s'occuper de mes blessures pour contraindre le Yonko à partir se reposer.
- Une bonne chose de faite.
Marco soupira puis s'assit sur le bord de mon lit et défit les bandes médicales. Il inspecta mes plaies, les désinfecta puis changea les bandages.
- L'ensemble se cicatrise plutôt bien. Tu peux déjà reparler, je ne serai pas surpris que tu puisse bientôt retrouver une vue normale. Laisse quand même les bandages en place pour quelques jours et reste au lit.
- Compris. Merci.
- Ne me remercie pas, c'est mon devoir. Je dois te prévenir que tu risques tout de même de garder des cicatrices. Mais je ne pense pas que la cicatrice la plus profonde soit extérieure.
Je blêmis et perdis le peu d'entrain que j'avais retrouvé. J'étais en vie mais avec des séquelles. C'était tout ce qu'IL souhaitait. IL avait gagné, j'avais perdu. Je serrai les dents. Je n'imaginais pas, je ne voulais pas voir les marques qu'IL m'avait laissé. Son rire et son sourire restaient assez encrés dans ma tête comme ça.
- Tu veux en parler ?
Je ne croyais pas qu'il était du devoir d'un médecin de jouer le confident, mais le regard qu'il me lançait me suffit à comprendre qu'il voulait aider. Mais ses yeux trahissaient autre chose. Ils étaient rouges, comme marqués par de récents pleurs, et empreints d'une profonde tristesse et un désarroi sans borne qu'il tentait de refouler en se concentrant sur ma personne. Je me redressai sur mes avants-bras.
- Si toi tu me parles de ce qui ne va pas.
Il me lança un regard surpris, avant de sourire faiblement. Je fus la première à parler. Je lui racontai l'agression par Doflamingo en détails, et sans omettre l'intervention de mon père sans lequel j'aurai été tuée. Parler ainsi était difficile, non parce que j'avais honte, mais parce que je revoyais tout. Plusieurs fois, je dus faire des pauses pour extérioriser, mais ça me faisait du bien, j'avais l'impression que mon coeur se déchargeait d'un poids. A la fin de mon récit, je respirai profondément. Marco m'avait écouté tout du long sans me couper et en m'offrant un regard attentif. À présent, il plissait le front sous la réflexion.
- Tu ne sais pas pourquoi il aurait pu s'en prendre à toi ?
- Non, pas du tout. Et de ce que j'ai compris, ce n'était pas la première fois qu'il essayait.
- Étrange. Tu l'as dit à Shanks ?
- Non. Si je lui en parlais il serait capable d'un massacre.
Shanks avait toujours été très protecteur envers ses amis, je l'avais appris à mes dépens et c'est pour cette raison que je l'avais stoppé à Marineford. Il aurait été capable de relancer les hostilités seulement pour trouver mon agresseur et me venger. Il était impitoyable envers ceux qui s'en prenaient à ses nakamas. En somme, rien de bon ne serait sorti de cette histoire. Marco se gratta le sommet du crâne puis joignit les mains. Il semblait songeur mais finit par rire doucement.
- Tu as un sacré caractère mais tu gardes la tête froide, même dans les pires situations. Père t'aurait bien aimé.
- Père ?
- Barbe Blanche.
Mon interlocuteur me raconta tout en détails. Toute la bataille, l'agonie de l'Homme le plus fort du monde, puis sa mort ainsi que celle de Poings Ardents. Devant un récit si douloureux et la peine qu'avait Marco à la raconter, je ne pouvais qu'être horrifiée et partager la douleur du commandant. Avant qu'il ne proteste que je devais rester allongée, je me redressai totalement et vins le prendre dans mes bras. Cela me fendait le coeur de le voir ainsi, et je ne pouvais imaginer toute la douleur qu'ils pouvaient ressentir, lui, le reste de l'équipage et leurs alliés. Marco me rendit mon étreinte, avant de me forcer à me rallonger. Il souriait, les larmes aux yeux, et me remercia de mon empathie.
Quelques jours plus tard eurent lieu les funérailles de Portgas D. Ace et d'Edward Newgate. Contre l'avis de Marco, je m'étais levée et j'y avais assisté. Avec mes nakamas, je restai en retrait auprès du Red Force, laissant les pirates de Barbe Blanche se rassembler et se recueillir tous ensemble telle la famille qu'ils étaient. Shanks et Marco étaient en première ligne, juste devant les deux stèles ornées des attributs des deux grands pirates. Pas un mot, pas une parole, et le silence n'était pas pesant. Au contraire, il était respectueux et apaisant.
Un sentiment de dégoût m'avait envahi depuis le récit du Phénix, et ce sentiment s'était intensifié face aux deux tombes. Nous avions tous choisi cette vie de hors-la-Loi, Ace y compris, et nous devions en assumer les conséquences si l'on se faisait prendre. Mais la cruauté de Sakazuki n'en était en aucune façon excusable et dépassait les bornes, comme cette soif de sang poussant la Marine à continuer de se battre après avoir atteint ses objectifs. Cette façon d'agir avait au moins le mérite de me confirmer définitivement que la Marine était loin, très loin d'être Juste.
Le Roux et Marco avaient tourné les talons. Le Yonko commençait à remonter l'allée jusqu'à nous. Je me tournai vers le second de notre équipage. Il était stoïque et grave, une figure digne d'un enterrement. Il tourna les yeux vers moi, et ne voulant pas briser l'atmosphère de recueillement, je pris le soin de murmurer :
- Vous pouvez m'attendre cinq minutes ?
Il hocha la tête, puis eus un sourire. D'un coup d'épaule, il me poussa légèrement. J'eus un rire silencieux et le salua avant de quitter mon groupe. Je m'avançai dans l'allée et atteignis les tombes, devant lesquelles se trouvaient encore Marco. En m'entendant approcher, il releva la tête et me lança un rapide sourire, auquel je répondis.
- Ça va aller ?
- Oui, il le faudra bien.
Je croisai les bras, et me tournai vers les tombes. Je faisais face à celle d'Ace. Elle était légèrement plus petite que celle de son capitaine, mais pas moins surchargée de fleurs. Le chapeau et la dague du commandant étaient entreposées sur le haut de la stèle. J'eus un sourire. J'aurai aimé les connaître. Lui, et celui qu'il avait aimé comme un père.
- Tu comptes faire quoi, maintenant ?
- Je dois vaincre Teach.
Une telle détermination dans sa voix ne me laissa pas sans étonnement. De ce que j'avais compris, ce Marshall D. Teach était très dangereux, au point d'achever Barbe Blanche et lui voler son Fruit du Démon. Il était le seul jusqu'à ce jour qui avait absorbé deux Fruits du Démon sans en mourir, autant dire que ce n'était pas une menace à prendre à la légère. J'espérai que Marco savait ce qu'il faisait en voulant accomplir une telle chose. Un silence bref plana, puis nous nous retournâmes l'un vers l'autre. Il avait les mains posées sur sa taille et un sourire aux lèvres.
- T'en fais pas, j'essayerai de pas en mourir.
- T'as interêt. Si tu as besoin d'aide, n'aie pas peur d'appeler des renforts.
- J'y songerai. Et toi n'aie pas peur de ça.
Deux de ses doigts vinrent se poser sur les bandages de mon oeil gauche. Je restai un moment interdite et surprise, avant de sourire en hochant la tête, sans vraiment grande conviction.
- Tu devrais aller les rejoindre. Ils t'attendent tous.
Je jetai un coup d'oeil au Red Force, et ne pus retenir un sourire cette fois-ci plus franc. La plupart de mes nakamas étaient accoudés au bord, ils souriaient. Shanks était un peu plus en retrait, il semblait pensif. A quoi pouvait-il bien penser ? A la nouvelle ère qui se dessinait ? A son vieil ennemi Barbe Blanche ? Ou à ce gamin, Mugiwara no Luffy, qui était si cher à ses yeux ?
J'échangeai un dernier regard entendu avec Marco, et après l'avoir salué, je partis rejoindre mon équipage.
Une fois à bord et les voiles hissées, le calme redevint rapidement de la bonne humeur bruyante, et nous nous échangions nourriture et boissons autour de Shanks qui, à la demande générale, nous parlait de Barbe Blanche, l'Homme le plus fort du monde et rival du roi des pirates Gol D. Roger, ancien capitaine de notre capitaine.