Affalée sur mon canapé, je profite de mon temps de repos avant de prendre mon service. Je ne pensais pas que ça pourrait arriver, pourtant je me suis faite au rythme de mes deux emplois. Le fait d'avoir une bonne partie du samedi et le dimanche complet de libre, me donne la sensation d'avoir quand même un week-end pour souffler. Le fait aussi que je ne subisse plus la pression d'André au magasin, couplé à la perfidie d'Alice, y contribue aussi. Je ne pète pas le feu mais j'ai tout de même du temps pour moi et j'ai même réussi à voir Baptiste et Milie le week-end dernier. Nous sommes allés au cinéma tous les trois, avant d'aller boire un soda en terrasse. Plus j'apprends à la connaître, plus je l'apprécie. Baptiste lui a raconté mes différents déboires et elle sait rester discrète là-dessus, tout en étant de bons conseils si le sujet vient à être abordé. De manière plus générale, nous avons des centres d'intérêts en commun et la discussion se construit très facilement.
Pour aujourd'hui, j'ai par contre eu envie de rester chez moi, à savourer un moment au calme, loin du tumulte de la foule. Entre mon travail la semaine, le bar le week-end, et mon quartier, je croise énormément de monde. Alors un moment de tranquilité me permet de me ressourcer. En pyjama avec un plaid sur les jambes, je dévore une romance contemporaine qu'on m'avait chaudement recommandé. Je ne connaissais pas encore l'autrice mais après une centaine de pages, j'accroche carrément à l'histoire. Un bip vient tenter d'interrompre ma lecture mais je décide de ne pas regarder tout de suite le contenu du sms. J'ai vraiment envie de connaître la suite concernant Dawn et Garrett !
Un nouveau son retentit depuis mon téléphone et je sursaute légèrement. Bien que je sois complètement happée par le roman, je sens que la lecture commence à tirer sur ma vue. Une pause est donc la bienvenue. Je me redresse et m'étire avant d'aller me chercher un verre d'eau dans la cuisine. L'eau fraîche me fait du bien et je me rends compte que j'avais vraiment soif. Je vérifie l'heure : 15h04. Parfait, j'ai encore du temps devant moi. Je retourne sur le canapé et attrape mon smartphone pour voir qui m'a écrit. Anthonin. Deux messages. Je suis assez surprise qu'il me contacte, il ne l'a jamais fait depuis que je travaille pour lui. J'ouvre les messages.
~ Anthonin : Salut ! Je me demandais si ça te dirait d'aller boire un verre avant de commencer le boulot. J'aimerais prendre un peu l'air pour changer !
~ Anthonin : Tu dois être occupée, tant pis. On se voit ce soir !
Un peu plus d'une heure sépare les deux sms. Il a peut-être pensé que je ne voulais pas le voir. Et à vrai dire, j'hésite franchement. A nouveau, il arrive à me surprendre. Il ne s'est rien passé de tendancieux entre nous depuis la fête de Janya et évidemment, nous n'en n'avons pas parlé non plus. A force, ça devient compliqué de savoir sur quel pied danser. Dans un sens, j'ai peur de me sentir mal à l'aise en me retrouvant seule avec lui. A l'extérieur du bar. Ce qui serait une grande première. Et en même temps, je suis aussi curieuse de voir ce que ça pourrait donner. J'ai pris la résolution de ne plus céder à mon attirance pour lui et ça serait l'occasion parfaite pour me mettre à l'épreuve. Voire pourquoi pas, pour percer l'abcès ? Je prends une grande inspiration et lui réponds.
~ Moi : Désolée, je viens seulement de voir tes messages. Bonne idée pour le verre ! Tu veux qu'on se rejoigne où et à quelle heure ?
Sa réponse est quasi immédiate, à croire qu'il attendait, son téléphone à la main.
~ Anthonin : Au Chat qui fume, à 16h00 ?
Ça ne me laisse plus beaucoup de temps pour me préparer, mais comme c'est à côté du bar, et donc de chez moi, le timing est tenable.
~ Moi : Ça marche !
~ Anthonin : A tout à l'heure.
Je file sous la douche et prends le temps de me laver les cheveux, bien que j'ai prévu initialement de le faire demain. Je sais que ce n'est pas un rencard, mais j'ai tout de même envie de m'apprêter un minimum. Et laisser mes boucles s'exprimer est une première étape. Lavage de dents. Légère touche de maquillage. Place maintenant au choix de ma tenue. Il faut qu'elle reste adaptée pour ce soir mais cette fois, je ne vais pas privilégier le confort. Je dégotte un top avec un joli décolleté en dentelle et l'assortis de mon jean fétiche. J'évite de le mettre au bar pour qu'il ne soit pas abimé mais ce soir fera exception. J'ai besoin de me sentir bien.
Je finis de me préparer dans les temps, enfile mes baskets et attrape mon blouson ainsi que mon sac à dos en partant. Je commence à vraiment stresser d'aller retrouver Anthonin et, plus j'avance vers le bistrot, pire c'est. J'arrive avec deux minutes d'avance et me positionne devant l'entrée histoire qu'il ne me manque pas en arrivant. J'essaye d'avoir l'air serein mais je doute de ma performance. La porte s'ouvre derrière moi et j'entends quelqu'un m'interpeller.
- Marie ! Je suis déjà installé à l'intérieur.
Anthonin était donc déjà arrivé. Je le salue et lui emboîte le pas vers notre table.
- Qu'est ce que tu prends ?, me demande-t-il.
Je regarde le contenu de son verre et souris.
- Un jus de tomate, comme toi.
- Tu es sûre ?
- Oui, j'adore ça !
Il hèle le serveur pour lui passer commande puis reporte son attention sur moi.
- Merci d'être venue, commence-t-il.
- Merci à toi pour la proposition. J'étais en mode cocooning sur mon canapé mais un jus de tomates est le bienvenu.
Il me répond par un sourire tandis que le serveur m'apporte un verre et une bouteille, qu'il ouvre avant de la déposer devant moi. Je le remercie, verse le jus et ajoute un peu de sel de céleri pour l'agrémenter. Je me concentre sur ce que je fais, sous le regard fixe d'Anthonin.
- Alors... En quoi consiste ce mode cocooning ?, demande-t-il, curieux.
- Hum... Ça se résume assez simplement : un plaid et un bon livre.
Nous commençons alors à échanger sur nos lectures respectives. Lui est plutôt porté sur la fantasy et l'horreur, tandis que je préfère la romance et le fantastique. Après avoir défendu chacun nos auteurs préférés, il me donne quelques bonnes références à découvrir et je fais de même. Bien que j'aime rester dans les genres que je préfère, c'est toujours sympa de découvrir aussi d'autres univers, alors pourquoi pas !
- Dis-moi, Nadya a abordé rapidement le fait que tu cherchais un travail d'appoint mais elle ne m'a pas expliqué pourquoi. Tu m'en dis plus ?
- J'aimerais acheter une maison. J'adore habiter dans Paris mais là j'ai envie d'avoir plus de place ainsi qu'un petit extérieur, et je sais qu'en restant ici, je ne m'en tiendrai qu'au petit deux pièces, à cause des prix notamment. Donc j'ai commencé à regarder en banlieue proche ce qui pourrait me convenir. J'ai trouvé la ville, le type de maison mais reste la question de l'argent. J'ai un apport mais il n'est pas suffisant pour le crédit dont j'aurais besoin, donc j'essaye de mettre le plus possible d'argent de côté pour pouvoir regrouper la somme qu'il me manque. Et la solution la plus rapide et accessible était de me trouver un deuxième travail. J'en avais commencé un dans un magasin de chaussures du centre commercial mais le patron et sa nièce étaient exécrables et en plus il m'avait vendu un CDD renouvelable qu'il a décidé d'interrompre. Vu l'ambiance, je n'étais pas si triste que ça de partir de là-bas mais bon, j'avais besoin d'argent. Heureusement que j'ai pu intégrer l'équipe du Shot Me rapidement ! Ah et c'est au magasin que j'ai rencontré Baptiste d'ailleurs... Voilà, tu sais tout.
- Sacré projet effectivement ! Je comprends mieux. Il va te falloir combien de temps pour avoir la somme qu'il te faut du coup ?
- En mettant tout mon salaire du bar de côté, ainsi qu'une bonne partie de celui de mon autre boulot, il me reste encore quelques mois à ce rythme. En début d'année prochaine, ça devrait être bon je pense.
Il hoche la tête, songeur.
- Bon et toi, enchainais-je. Comment es-tu passé gérant ? Quand j'étais encore cliente, tu étais toujours au poste de barman.
- En fait, j'étais l'adjoint du gérant, mais de manière pas vraiment officiel. Il m'avait parlé du fait qu'il souhaitait ouvrir son propre bar et qu'il me voyait bien le remplacer à son poste. Du coup il m'a proposé de me former pendant quelques mois pour que je puisse prendre la main.
- C'est génial !, m'enthousiasmais-je.
- Oui, j'étais super content qu'il reconnaisse mon investissement au sein de l'équipe. Je t'avoue que c'était une grosse responsabilité, mais je ne regrette pas.
- Félicitations, tu le mérites. Tiens d'ailleurs, ajoutais-je en prenant mon verre, je propose que nous trinquions à ça !
- A nos projets qui se concrétisent, ajoute-t-il en faisant tinter son verre contre le mien.
Nous buvons chacun une gorgée et je le regarde à la dérobée. J'ai l'impression de découvrir une autre facette de sa personnalité. Je le trouve plus posé, plus calme et pas du tout sur la défensive. Je ne regrette pas d'être venue.
- Et du coup, c'est quoi la suite ?, continuais-je. Tu veux ouvrir ton propre bar aussi ?
- J'y pense beaucoup mais pour le moment, je ne me sens pas encore prêt pour ça. En fait, comme toi, je mets de l'argent de côté en attendant d'être sûr de ce que je vais faire. Mon boulot me plait donc pour l'instant, ça me convient comme ça.
Je hoche la tête, tout en buvant une nouvelle gorgée de jus.
- D'ailleurs, continue-t-il, je sais que Nadya voudrait ouvrir son propre bar, du coup je lui ai proposé de la former à la gérance, histoire de lui donner un coup de pouce à ma manière. C'est un super élément et ça serait une grosse perte pour l'équipe mais je préfère l'aider à avoir toutes les clés en main pour la suite.
- C'est vraiment gentil de ta part. Je sais qu'elle a ce projet depuis un moment, donc ton aide serait un vrai plus je suppose.
- Elle a tout de suite accepté, donc je pense que oui. Je lui donne de plus en plus de responsabilités et je vois qu'elle est faite pour ça.
J'acquiesce. Personnellement, je ne suis pas bonne juge sur ce point mais je lui fais confiance et sais qu'il ne dirait pas ça à la légère.
Un blanc s'installe et je ne sais pas comment reprendre la conversation. Une horloge derrière Anthonin m'indique qu'il nous reste encore 30 minutes avant de nous rendre au bar. Je sirote mon verre, cherchant désespérément quoi lui dire ou lui demander. Mais je n'ai jamais été douée pour improviser une conversation.
- Marie...
Il a rompu le silence mais son ton ne présage rien de bon pour la suite de sa phrase. Est-ce qu'il souhaite reparler de notre nuit ensemble ? Je tourne la tête vers lui.
- Ecoute...
Il se passe la main dans les cheveux puis dans la nuque. Il a l'air autant embêté que moi, cherchant ses mots.
- Je voulais te dire que... Enfin, je...
Il s'interrompt à nouveau et pousse un petit grognement de frustration. S'en est presque mignon de le voir ramer pour cracher le morceau. Il relève finalement la tête et se détend légèrement.
- Je... Je suis content que tu nous ai rejoint. Tu fais du bon travail, l'équipe t'apprécie et... Bref, tout roule. Tu peux rester au Shot Me autant de temps que tu le souhaites.
Il a tout dit d'une traite mais j'ai comme l'impression que ce n'était pas ça qu'il comptait me dire réellement.
- Merci, répondis-je simplement.
Il continue à me parler du bar en général, comment il a recruté Magnus par exemple mais aussi des évènements qui arrivent. Ils permettent de rythmer l'ambiance du bar au fil de l'année et je sais par expérience que ça donne envie aux clients de venir ou revenir. J'ai hâte de prendre part à tout ça ! Au moment de régler la note, il insiste pour m'inviter, sous prétexte que c'est lui qui m'a proposé de venir. Je finis par céder mais uniquement à la condition que ce soit moi qui paye la prochaine fois.
- Avec plaisir, me répond-il avec un grand sourire.
Il y aura donc une prochaine fois.
~
En effet, la semaine suivante, Anthonin m'a de nouveau proposé que nous allions boire un verre ensemble avant de commencer le travail le samedi. Du coup, la semaine d'après, c'est moi qui lui ai proposé. En vérité, j'en avais marre d'attendre derrière mon téléphone qu'il m'écrive alors j'avais pris les devants. Et il m'avait répondu immédiatement. Nous nous sommes retrouvés dans le même bistrot que les fois précédentes et nous occupions aussi la même table. Si ce rendez-vous devait devenir un rituel hebdomadaire, j'en serai la première heureuse. Nous parlons de tout et de rien. Du travail, de nos projets, de nos envies, de nos passions. Plus nous échangeons, plus j'apprends à le connaître et plus je me rends compte que la facette que j'avais connue à l'époque était loin de vraiment le représenter. Je le découvre passionné par différents domaines et loisirs, proche de sa famille et de ses amis, attentionné envers les personnes qui travaillent avec lui. Et au travers de ça, la relation que nous construisons est bien moins superficielle. J'ai l'impression d'avoir en face de moi une nouvelle personne et je ne regrette aucun moment passé avec lui au lieu d'être restée chez moi toute seule. La semaine dernière, nous nous étions rejoints à 15h30. Cette semaine à 15h00. D'ici peu, nous allions carrément déjeuner tous les deux. Et j'avais hâte d'y être.
- Ça te dit qu'on fasse autre chose la semaine prochaine ?
Je n'étais donc pas la seule à me projeter.
- Oui pourquoi pas. Tu as quelque chose en tête ?
- Il y a une exposition où j'aimerais beaucoup aller, du coup si ça te tente, on pourrait y aller ensemble.
- Super idée ! C'est une exposition sur quoi ?
- Tolkien. Je ne sais pas si tu vois qui c'est, me nargue-t-il.
Le rendez-vous est donc pris. J'en profite pour enchaîner sur la différence entre les romans et les films du Seigneur des anneaux et nous nous lançons ensuite dans un débat enflammé. Alors que nous dérivons vers le Hobbit, le portable d'Anthonin se met à sonner. Il le sort de sa poche.
- C'est Nadya.
A peine a-t-il décroché que je l'entends râler au bout du fil.
- On ne voudrait pas vous déranger hein, mais il est 18h30 ! Alors ramenez vos culs ici !, lance-t-elle avant de raccrocher sans attendre de réponse.
- Merde, je n'ai pas vu le temps passer.
- Moi non plus, avouais-je.
Nous nous dépêchons de régler la note et nous dirigeons vers le bar qui, heureusement, se trouve à deux minutes à pieds. Un silence s'installe mais sans vraiment de gêne. Pour ma part, je suis juste heureuse et me sens complètement apaisée. Pas besoin de plus de mots.
~
Comme je l'avais prédit, nous avons décidé de nous rejoindre encore plus tôt cette semaine-ci et c'est donc à 14h00 que j'arrive devant le musée. J'envoie un message à Anthonin pour lui dire que je suis arrivée mais n'ai pas de réponse en retour. Au bout de quinze minutes, je lui envoie un nouveau message. Toujours rien. Je commence à croire qu'il m'a oublié. A 14h35, je commence à en être persuadée. Je décide alors de l'appeler. Une sonnerie. Deux sonneries. Trois sonneries. Et alors que je m'apprêtais à raccrocher, une voix étouffée me répond.
- Allô ?
Super, je viens de le réveiller.
- C'est Marie. Tu es où ?
- Comment ça, je suis où ?
Sa voix est rauque et il n'a pas l'air d'avoir les idées claires. Ou alors c'est moi qui me suis trompée ?
- On ne devait pas aller voir l'expo Tolkien cet après-midi ?
Gros blanc au bout du fil avant qu'il ne lâche un juron. J'entends des bruits étouffés suivi d'un gros boum.
- Anthonin ? Tout va bien ?
- Je suis désolé Marie, je ne me suis pas réveillé ! Non mais quel con !
Je suis partagée entre l'agacement et l'amusement, parce que si je ne me trompe pas, il en est tombé de son lit. Je m'apprête à lui répondre lorsque j'entends une voix derrière lui.
- Anthonin ? Qu'est ce qui se passe ?
J'en perds mes mots. Sans que je m'y attende, je me sens dévastée face à cette voix clairement féminine.
- Désolée... Je te dérange apparemment.
- Non, non ! Pas du tout ! J'arrive !, s'empresse-t-il d'ajouter.
- Laisse tomber, ce n'est pas grave.
Ma voix est blanche, sans expression. Et mon coeur se sert en entendant à nouveau cette voix lui demander ce qui se passe.
- Bien sûr que si c'est grave ! C'est moi qui t'avais proposé ça ! Tu as dû croire que je t'avais planté. J'arrive tout de suite, ne bouge pas.
J'ai les larmes aux yeux mais je les ravale tant bien que mal pour lui répondre.
- Je préfère rentrer chez moi. Je me sens fatiguée de toute façon. Il faut que je me repose avant le service de ce soir.
- Tu es sûre ? Je peux être là dans dix... Enfin plutôt vingt minutes.
- Oui, c'est mieux comme ça. Et puis tu as l'air... occupé de toute façon. Je te laisse, à ce soir.
- Mar...
Je raccroche avant qu'il n'ajoute un mot. Je me sens tellement bête de réagir comme ça. A quoi je m'attendais ? Je m'étais en plus jurée de ne plus rien espérer avec lui mais il faut croire que mon coeur n'en fait qu'à sa tête. Je ne lui en veux pas vraiment de ne pas s'être réveillé mais que ce soit à cause du fait qu'il avait quelqu'un dans son lit... Ça me met hors de moi. Je suis... jalouse. Et ça m'énerve encore plus. Je prends une grande inspiration et me dirige vers le métro.
Arrivée chez moi, je me change pour une tenue plus confortable et m'installe sur le canapé lorsque mon téléphone émet un bip. Je regarde et découvre sans surprise qu'Anthonin m'a envoyé un message. Sauf que je ne veux pas le lire. Pas maintenant. Pour le moment, je profite de la douleur de voir la vérité en face pour me forger une carapace. Une bonne grosse carapace bien épaisse. C'est ce que j'ai de mieux à faire.
-
Evidemment, je redoutais le moment d'arriver au bar mais n'ayant pas le choix, je passe les portes en affichant mon plus beau sourire.
- Salut tout le monde !
Magnus et Quentin, derrière le bar, me réponde d'un salut commun et retourne à leur rangement. Ils aiment bien organiser leur poste d'une certaine manière pour gagner en efficacité. En cas de grosse affluence, j'ai déjà pu constater que ça avait effectivement son importance.
Je me dirige vers le fond du bar, dans la pièce commune, afin d'y ranger mes affaires et y découvre Anthonin à moitié assis sur la table. Il se lève d'un bond en me voyant arriver, apparemment il m'attendait. En quelques pas, il se retrouve à côté de moi.
- Salut, lui dis-je avec un sourire que j'espère il croira sincère.
- Marie, je suis tellement désolé, vraiment.
Je vois à sa tête qu'il le pense réellement. Mais je ne peux pas m'empêcher de repenser à la raison de son absence au rendez-vous.
- Il n'y a pas de soucis, vraiment. J'ai pu me reposer comme ça, continuais-je, toujours en souriant.
- On peut reporter ça à la semaine prochaine ?, tente-t-il.
- Désolée mais j'ai déjà quelque chose de prévu, avec Baptiste et Milie.
Evidemment, c'est faux. Je dois bien les voir mais le dimanche.
- La semaine d'après alors, l'expo sera encore ouverte.
- Ça va dépendre de mon état de fatigue à ce moment là, répondis-je avec un air contrit.
- Je comprends oui.
Je vois qu'il est déçu mais j'ai besoin de mettre un peu de distance entre nous. Je me suis trop rapprochée de lui et j'en paye les conséquences.
- Tu peux y inviter quelqu'un d'autre sinon. Ça ne me pose pas de problème si tu préfère y aller avec ta copine par exemple, continuais-je, toujours avec ce même sourire placardé sur le visage.
- Ma copine ?
- Oui, je l'ai entendu derrière toi tout à l'heure. Je comprendrais très bien que tu souhaites y aller avec elle.
Il me fixe un moment, avant d'ajouter brusquement.
- Non non, ce n'est pas ma copine !
- Euh... Du coup ça serait l'occasion de...
- Ah Anthonin, tu es là !
Nadya vient d'entrer dans la pièce, nous interrompant. Elle nous jauge avant de continuer.
- J'aurais besoin que tu m'expliques quelque chose sur les bons de commande.
- Oui bien sûr lui répond-il avant de se tourner vers moi. On en reparle tout à l'heure.
Je les regarde partir et encore une fois, je me sens soulagée par l'intervention de Nadya. Elle est arrivée à point nommé.
Il est presque 2h00 du matin lorsque je prends une petite pause, profitant d'une accalmie. Il y a toujours un creux dans la consommation des clients à cette heure là étant donné qu'une partie de la clientèle est partie pour ne pas manquer les derniers métros. Celle-ci sera par contre remplacée d'ici peu par une nouvelle clientèle qui aura justement pris les derniers métros pour rallier le bar. Je me dirige vers mon casier, en quête de quoi me nettoyer le bras droit. On m'a renversé un peu d'alcool dessus tout à l'heure et depuis il est poisseux. J'étais tellement dans le jus que je n'ai pas pu le nettoyer tout de suite.
- Ça va ?
Anthonin vient d'entrer dans la pièce avant de refermer la porte derrière lui, nous isolant plus ou moins du bar. Bien que la pièce soit insonorisée, elle ne l'est pas suffisamment pour que la musique et le bruit de la foule n'arrive pas jusqu'ici.
- Oui oui, j'avais juste besoin de nettoyer ça. Je retourne à mon poste dans deux minutes.
- Prends ton temps.
Tandis que je fais mine de me concentrer sur ma tâche, je le vois du coin de l'oeil qui a l'air d'hésiter. Finalement, il se jette à l'eau.
- Je voulais que tu saches que je tiens vraiment à aller voir l'exposition avec toi. La personne que tu as entendu ce matin, c'est Manon. Une amie à moi.
Je me retourne vers lui.
- Tu n'as pas à te justifier.
- Je tiens à ce que tu le saches. Elle m'a appelé alors que je sortais du Shot Me, pour savoir si elle pouvait dormir chez moi parce qu'elle avait trop bu pour pouvoir rentrer chez elle. Je lui ai laissé mon lit et j'ai dormi sur le canapé. Je l'ai réveillé en tombant par terre donc elle est venue voir si tout allait bien.
- Ok.
Le soulagement m'envahit, mais je fais tout pour ne pas le montrer.
- Du coup... Tu as vraiment quelque chose de prévu avec Baptiste samedi prochain ?
Je réfléchis rapidement à quoi lui répondre. Je pourrais lui dire que je vais voir avec lui pour décaler ce qu'on a de prévu mais je me dis aussi que ça ne me ferait pas de mal de ne pas le voir pour une fois. Moi qui souhaitais que nous nous voyions chaque semaine, voilà que je rétropédalais. Un peu perdue, je me laisse une porte de sortie.
- Oui oui. Mais je vais voir avec lui s'il est disponible dimanche sinon.
Voilà qui me faisait gagner du temps pour réfléchir à tout ça plus sereinement. Il faut que je fasse le point et que je m'y tienne. Soit j'arrête de le voir en-dehors du cadre professionnel, soit je profite de ces moments ensemble mais uniquement à titre amical. Restait juste à savoir si j'arriverais à m'en tenir à ça. Juste de l'amitié. Car à chaque fois que je pense y être arrivée, il me fait perdre mes moyens.
- Super !
Il affiche un grand sourire.
- Je suis content que le malentendu soit dissipé.
Je dois avouer que moi aussi.