J'entame mon quatrième week-end au Shot Me et je dois avouer que je m'y sens de plus en plus comme chez moi. Bien que je ne sois pas du même côté du comptoir qu'à l'époque où je venais régulièrement, je retrouve cette sensation de familiarité quand j'entre dans le bar. J'y ai mes repères, j'y retrouve les mêmes personnes et j'aime cette stabilité ainsi que ce qu'elle m'apporte. Je ne vais pas mentir, le rythme est soutenu et la combinaison avec mon autre travail devient compliquée mais je gagne suffisamment d'argent pour faire avancer mon projet, tout en ayant une ambiance de travail agréable, alors je ne vais pas me plaindre. En plus, j'ai été accueillie à bras ouverts et c'est un peu comme si je n'avais jamais vraiment arrêté de venir ici. La seule chose qui me manque, c'est Baptiste. Nous avons gardé contact mais entre mes horaires de travail et sa nouvelle copine, c'est vraiment devenu compliqué de nous voir. Nous arrivons tout de même à nous appeler ou du moins à nous écrire régulièrement pour savoir où en est l'autre. L'entretien qu'il avait passé s'est d'ailleurs bien déroulé. Il attend une réponse quant à son embauche et est très optimiste. En parallèle, il file le parfait amour avec Milie. Leur coup de foudre réciproque se confirme de jour en jour et je ne serais pas étonnée qu'ils emménagent ensemble d'ici peu de temps. En tout cas, je suis vraiment heureuse pour lui que tout lui sourit, il le mérite.
- Hey ! Je peux avoir une bière ?
Un client me tire de mes pensées.
- Désolée mais je ne sers pas, il faut voir avec les autres sur le devant du bar.
- Oh allez, ils sont tous occupés !
- Et non ! Encore une fois, je ne sers pas. Enfin sauf si tu veux un verre d'eau, lui répondis-je avec mon plus grand sourire hypocrite.
- L'eau ça fait rouiller !
On ne me l'avait jamais faite celle-là tiens... Dans les mauvais côtés de ce job, le principal est celui de devoir gérer la clientèle bien imbibée. A chaque soirée, je dois refouler gentiment des demandes de boissons et des personnes insistantes qui ne comprennent pas que non, c'est non. Malgré ça, je n'ai pas eu trop de soucis à m'en débarrasser jusqu'ici, et tant mieux. Sauf qu'il n'y a pas que ça...
Je m'arrête un moment pour regarder autour de moi tout en sachant très bien que même si j'essaye de ne rien laisser paraître, j'ai toujours espoir de voir Anthonin arriver. Lors de mon premier soir ici, j'avais été soulagée qu'il ne soit pas là, notamment à cause de notre dispute, mais aussi car c'était une pression en moins que je me mettais sur les épaules de le savoir dans les parages. Sauf que je commençais à mal vivre le fait qu'il me fuit de cette manière. Après avoir claqué la porte de chez moi, il s'est arrangé pour ne plus avoir à faire à moi directement et je commence à me dire qu'il regrette que je sois ici. Nadya m'a dit qu'elle devait aborder avec lui le fait qu'il devait revenir travailler avec l'équipe le week-end, mais je ne sais pas si elle l'a déjà fait ou non. Depuis notre conversation la semaine passée, elle ne m'en a pas reparlé et je sais que c'est parce qu'elle ne veut pas se retrouver mêlée à notre histoire, d'une manière ou d'une autre. Je comprends parfaitement, mais c'est vrai que j'aurais aimé savoir à quoi m'en tenir. La situation est d'ailleurs un non-dit au sein de l'équipe. Personne ne m'en a parlé mais j'ai déjà surpris des conversations sur le sujet. A priori, on ne m'en tient pour responsable, ou du moins on ne m'en tient pas rigueur. Malgré tout, ça me met mal à l'aise. J'aimerais régler cette histoire. Ok, si demain il n'est pas revenu, je l'appelle. Ou sinon je lui envoi juste un message pour commencer. C'est tout un art de se défiler, il ne faut pas croire que ce soit simple.
Je reprends le travail, essayant de ne plus réfléchir à la situation pour le moment. Heureusement, le rythme s'accélère, ce qui ne me laisse pas vraiment le temps de penser à autre chose qu'à me rendre efficace pour l'équipe. J'enchaîne les allers-retours dans la salle pour aller récupérer les verres sur les tables mais la foule se fait de plus en plus compacte, ce qui me rend la tâche difficile. Je bouscule parfois quelqu'un et m'excuse au passage, bien qu'on ne m'entende probablement pas à cause de la musique. J'essaye désormais de ne pas renverser la pile de verres que je me suis confectionnée lorsqu'on me bouscule. Le haut de la pile menace sérieusement de tomber au sol mais je réussi à la rattraper de justesse.
- Désolé, j'étais venu t'aider mais un mec m'est rentré dedans.
Je lève la tête et vois Anthonin, devant moi. J'en reste bouche bée.
- Du coup ça a fait effet domino, continue-t-il avec un sourire en coin.
Je regarde autour de moi, ne sachant même plus où j'en suis.
- Allez, donne-moi ça, je te les ramène au bar, tu peux continuer ton tour de salle.
Il me prend les verres des mains sans attendre que je lui tende et lorsque ses mains frôlent les miennes, je ressens comme une décharge électrique qui me permet de sortir de ma torpeur.
- Euh... Merci ?
- Euh... De rien ?, se moque-t-il en rigolant.
Il me contourne pour se diriger vers le bar et je le vois poser la vaisselle à mon poste. Je cligne des yeux, pas sûre de ce qui vient de se dérouler, puis pars vers une autre table à nettoyer que j'avais repéré avant qu'Anthonin ne m'interrompe. J'ai l'impression d'avancer en mode automatique. Mon cerveau a complètement bugué.
Je retourne derrière le bar et Nadya m'emboîte le pas. Elle s'arrête et me demande si ça va. Apparemment, j'ai une tête bizarre.
- Rassure-moi, c'est bien Anthonin qui vient de débarquer ? Je n'invente rien ?
Elle se met à rire.
- Il n'est pas le fruit de ton imagination, t'inquiète ! Il s'est juste enfin décidé à venir.
Elle me tapote l'épaule et retourne de son côté du bar.
Tout va bien. Tout. va. bien.
- Tout va bien ?
Je sursaute et me retourne, faisant face à Anthonin.
- Il y a un soucis avec le lave-vaisselle ?
- Hein ?!
Il me montre de la main la machine derrière moi.
- Il a un soucis ? Tu le fixe depuis deux minutes.
- Ah euh. Ouais, non. Je...
Oula... Je respire un bon coup et reprends.
- Tout fonctionne, je m'y remets, désolée.
- Pas de problème, je vérifiais au cas où, me répond-il avec un grand sourire avant de retourner prendre des commandes.
Je m'y perds complètement. Je ne l'ai pas vu depuis un mois et maintenant il fait comme si de rien n'était ? C'est à n'y rien comprendre. Ou alors ce n'était pas à cause de moi qu'il ne venait plus le week-end. Il a l'air d'être complètement passé à autre chose et son attitude est franchement déstabilisante.
Le reste de la soirée se déroule dans un flou total. Je tente de me concentrer sur mes tâches mais je reviens sans cesse à Anthonin. Il me fait des sourires quand il me croise ou me parle, me demande du réapprovisionnement comme le font les autres. Bref, on pourrait croire qu'on s'est toujours parfaitement entendus.
A la fin du service, je vais prendre mes affaires au vestiaire, pressée de rentrer chez moi, et y retrouve le reste de l'équipe hormis Anthonin, qui est en train de finaliser la caisse. Je me nettoie les mains et les avant-bras avant de regarder mon portable. Baptiste m'a envoyé 3 messages. Je regarderai ça en rentrant.
- Tu es prête Marie ?, me demande Magnus.
- Oui, on peut y aller dans 2 minutes.
- Vous rentrez ensemble ?
Je relève la tête, Anthonin vient d'entrer dans la pièce et nous regarde tour à tour.
- Euh..., commençais-je.
- Oui, je la ramène jusqu'à chez elle chaque soir, continue Magnus. Pour être sûr qu'elle rentre sans problème étant donné qu'elle est à pieds.
Le silence est palpable.
- Ça ne te dérange pas, je suppose ?, conclut Magnus avec un ton de défi.
Anthonin sert les dents et je vois ses mâchoires se crisper. Je ne sais pas comment réagir à ça. D'un côté j'ai envie de dire à Magnus de ne pas en faire autant et de l'autre, voir comment Anthonin réagit est assez plaisant. Je fixe ce dernier, attendant sa réponse. Finalement, il se détend complètement.
- Pourquoi ça me dérangerait ? Vous faites comme vous voulez, répond-il avec un geste de la main.
Il se dirige vers son casier et fait mine d'y chercher quelque chose. Il se donne l'air détendu mais ne l'est clairement pas.
- Allez viens Marie, j'ai hâte qu'on aille prendre l'air ensemble.
Il passe son bras sur mes épaules et je le regarde en haussant un sourcil, question muette quant à son petit jeu. Il me répond d'un clin d'oeil et m'embarque vers la sortie. J'entends Nadya qui ricane, suivi du bruit d'une porte de casier qu'on claque. Il n'est pas si indifférent que ça tout compte fait.
~
Le lendemain soir, je trouve Anthonin derrière le bar mais fais comme si c'était normal et habituel pour moi de le voir là. Après avoir rangé ma veste et mon sac, je commence mon service normalement, tout en ne lui prêtant aucune attention.
- Marie, tu peux venir m'aider à la cave ?, me demande-t-il au bout de quelques minutes.
- Bien sûr, répondis-je avec un sourire, bien que j'aurais préféré qu'il s'adresse à quelqu'un d'autre.
Je le suis à travers le bar, puis dans les escaliers. Il pointe du doigt plusieurs cartons et m'explique qu'il faut les vider pour en mettre le contenu sur les étagères. Je m'exécute avec un hochement de tête. Après quelques minutes de silence uniquement interrompues par le bruit des bouteilles qui tintent, il prend la parole.
- Le boulot te plait ?
- Oui beaucoup. L'équipe est géniale et c'est vraiment sympa d'avoir l'ambiance du bar pour travailler.
- Tant mieux, je suis content que tu nous aies rejoint.
Je ne réponds pas sur le moment, mais finalement, c'est moi qui reprends la discussion.
- Merci de m'avoir embauchée, c'était une super opportunité pour moi.
- C'est normal. Tu avais besoin d'un travail et moi d'une nouvelle personne pour nous aider. Ça nous arrangeait tous les deux.
Je me sens un peu vexée par sa réponse, mais en même temps je ne peux pas lui en vouloir de garder ses distances.
- En plus je voulais quelqu'un qui connaisse le bar, donc tu étais la candidate idéale, reprend-il en capturant mon regard.
Je n'arrive pas à détourner les yeux et sens mon coeur se serrer. Malgré moi, le souvenir de ses lèvres contre les miennes refait surface et je commence à avoir le souffle court. La tension est palpable et je m'apprête à parler lorsqu'il coupe court et termine de vider le carton dont il s'occupait.
- Allez hop, ça c'est fait ! Il n'y en a pas d'autres, c'est bon ?
- Non, c'était les seuls, répondis-je dans un souffle en finissant de ranger.
- Parfait, on peut remonter.
Il passe à côté de moi et bien qu'il ne me touche pas, l'exiguïté de la pièce nous oblige à une proximité qui me donne des frissons. A nouveau, je lui emboîte le pas et nous retournons derrière le bar. Nadya m'interpelle en me voyant arriver.
- Ah Marie, je ne sais pas si Anthonin t'a dit mais on vient de recevoir quelques cartons de bouteilles. Tu peux t'en occuper maintenant ?
Anthonin répond avant que je n'ai pu le faire.
- C'est fait. On vient de s'en occuper.
Nadya nous regarde tour à tour.
- Vous venez de vider les cartons à deux ?
- Oui.
- Quatre cartons ? A deux ?, demande-t-elle, dubitative.
- C'est allé plus vite comme ça, répond-il nonchalamment en haussant les épaules, avant de se concentrer sur la découpe de citrons.
Nadya rigole en silence et je détourne le regard, sentant le rouge me monter aux joues. Maintenant qu'elle le dit, je me rends compte qu'effectivement on n'avait pas besoin d'être deux pour faire ça. J'espère qu'elle ne s'imagine pas qu'il s'est passé quelque chose. Parce qu'il ne s'est rien passé. A moins que ? Non, il faut que j'arrête de me faire des films.
~
- Surprise !
Je me retourne brusquement et découvre Baptiste derrière le comptoir.
- Baptiste !
Je contourne le bar pour le rejoindre dans une étreinte amicale. Après plusieurs semaines sans avoir pu le voir, je suis réellement heureuse qu'il soit ici ce soir.
- Tu aurais dû me dire que tu venais !
- Ça n'aurait plus été une surprise banane, rigole-t-il.
- Comment tu vas ? Ton futur travail ? Et Milie ?, enchainais-je, pressée d'avoir des nouvelles en direct.
- Et bien puisque tu poses la question, je tenais à vous présenter officiellement. Donc Marie, voici Milie.
Je me rends alors compte qu'elle se trouvait derrière moi. Apparemment, elle n'avait pas voulu nous interrompre dans nos retrouvailles.
- Oh, excuse-moi, m'empressais-je de lui dire. Je ne t'avais pas reconnue ! En tout cas je suis ravie de te rencontrer... officiellement.
- Pas de soucis, ne t'inquiète pas. Et moi aussi je suis contente de te rencontrer. Baptiste me parle régulièrement de toi.
Son sourire est franc et c'est comme si une aura de gentillesse l'enveloppait. Je l'aime déjà.
- Pareil avec toi !
- Bonsoir.
Anthonin s'est joint à nous et regarde Baptiste et Milie avec un sourire. Baptiste ne bouge pas, apparemment surpris par cette arrivée, et Milie assiste à ce moment de gêne intense.
- Je vous présente Anthonin. Le gérant du bar.
- Baptiste, répond celui-ci. Et voici Milie.
Il a la mâchoire serrée et je sens que s'il avait pu utiliser encore moins de mots, il l'aurait fait.
- Ah oui, l'ami de Marie. Je me souviens de toi, répond Anthonin qui ne se départit pas de son sourire. Je vous sers quoi ? C'est ma tournée, ajoute-t-il en passant derrière le bar.
Baptiste me lance un regard de biais puis se tourne vers Milie pour lui demander ce qu'elle souhaite commander. J'en profite alors pour retourner à mon poste et reprends mon rangement. Définitivement, Anthonin est toujours aussi déroutant. C'est le deuxième week-end où je travaille avec lui, et il est clair désormais que nous ne reparlerons jamais de ce qu'il s'est passé. Au départ, j'étais un peu embêtée de ne pas avoir pu mettre un vrai point final à tout ça, mais je reconnais volontiers que c'est agréable de travailler à ses côtés. Je sais aussi que c'est mieux comme ça alors je suis le mouvement et les échanges entre nous se font de manière naturelle. Encore un peu de temps et nous pourrions peut-être devenir amis.
- On va danser un peu. On repassera te voir tout à l'heure, me dit Baptiste avant de partir avec Milie vers le centre de la salle.
- Passez une bonne soirée !
Ça ne fait que quelques semaines qu'ils se connaissent mais le lien qui les unit est clair et net. Comme quoi le coup de foudre existe bel et bien. Alors pourquoi pas le grand amour ? Je soupire, mais pas de désespoir pour cette fois. Plutôt de satisfaction, grâce à toutes les choses positives qui se passent autour de moi en ce moment. J'aime voir tout aller dans le bon sens, ça me motive encore plus pour avancer. Et je reprends enfin espoir pour la suite.
~
Nouveau week-end et nouvelle ambiance. Une habituée, Janya, fête son anniversaire, ce qui fait que le bar est blindé. Il me semble même qu'ils ont dû refuser des personnes à l'entrée. Bien que j'ai déjà vu beaucoup de monde regroupé ici, là, c'est un tout autre niveau. Elle a rameuté un énorme groupe, entre les autres habitués et son entourage. Les boissons s'enchaînent et cette foule se presse pour entonner sa chanson préférée à l'unisson. C'est génial à voir et les regarder me donne une pêche d'enfer. J'ai d'ailleurs très envie de me joindre à eux.
- Tu t'en sors, c'est bon ?, me demande Anthonin.
- Oui, pas de soucis, j'arrive à tenir le rythme de leur débit, lui répondis-je en rigolant.
Il faut dire qu'en plus d'être nombreux, ils ont aussi une sacrée descente. Le chiffre d'affaire du soir va être très bon.
- Tant mieux ! Ça serait dommage que tu ne tienne pas... le shot, ajoute-t-il avec un sourire en coin.
Je le regarde, m'arrêtant un instant. La dernière fois qu'il a utilisé cette phrase, c'était chez moi. Pourtant là, il l'a dite comme on le faisait à l'époque, sans animosité, uniquement pour se taquiner.
- Tu ferais mieux de retourner bosser, tu as des gens assoiffés qui t'attendent !, lui dis-je en pointant du menton les clients au comptoir. Si tu te laisses trop distraire, c'est toi qui ne tiendras pas le shot.
Il me répond d'un sourire et retourne à son shaker.
- Tournée de shots pour le staff ! hurle Janya.
- C'est bien parce que c'est toi, rigole Anthonin.
Une des règles données à l'équipe est effectivement de ne pas boire pendant le service. Ça pourrait être tentant mais ça serait surtout contre-productif. Je le vois néanmoins aligner les verres de shots sur le bar.
- N'oublie pas Marie hein, lui rappelle Janya.
- Jamais.
Un simple mot et mon coeur manque un battement.
- On se pousse !, crie-t-il aux clients accoudés au bar pour pouvoir y verser une traînée d'alcool rejoignant la rangée de verres. A toi l'honneur !
Il tend le briquet à Janya qui ne se fait pas prier pour allumer le tout. Les flammes se répandent rapidement et sortent la salle des semi-ténèbres dans lesquels elle est plongée depuis quelques heures maintenant. Ça ne dure pas longtemps mais suffisamment pour donner un coup de fouet à l'ambiance déjà survoltée. Anthonin me tend alors un verre assorti d'un clin d'oeil. Nous nous fixons du regard et buvons l'alcool d'une traite sans rompre le contact. Je ne peux pas voir la couleur de ses yeux à cause de la pénombre mais je les devine facilement. Ce bleu que j'aime tant. Dans lequel je me perds à chaque fois. Il se rapproche doucement, et toujours en me fixant, me tend son verre.
- Tiens.
- Merci.
L'échange est vide de sens mais permet à l'un comme à l'autre de prolonger ce moment. Il suffirait qu'il se rapproche encore d'un pas pour être collé à moi. Je sentirais alors son souffle sur ma peau. Il n'aurait qu'un infime mouvement à faire pour pouvoir me toucher, passer sa main sur mon bras, remonter vers mon épaule, pour ensuite caresser ma joue. Il ne manquerait que quelques centimètres à nos lèvres pour se rejoindre, d'un seul mouvement, d'une envie brutale. Primaire. Je veux sentir ses lèvres sur les miennes. Et je sais qu'il pense à la même chose. Je sais aussi que nous ne devrions pas continuer mais à ce moment précis, mon coeur a demandé à ma raison d'aller se faire foutre. Anthonin se rapproche alors légèrement, juste ce qu'il faut pour que mon corps perçoive le sien. Et le réclame.
- Tu ne tiendrais pas le shot, me souffle-t-il.
- Toi non plus...
Ses yeux quittent les miens pour se fixer sur mes lèvres et je le vois qui avale avec difficulté. Anthonin amorce un mouvement pour se pencher vers moi lorsqu'un sifflement nous fait sursauter et nous retourner tous les deux.
- Anthonin, j'ai un soucis avec le terminal CB !, l'interpelle Nadya.
Il se retourne de nouveau vers moi mais la magie du moment est rompue.
- Tiens, tu peux regarder ?, insiste-t-elle en lui tendant la machine.
Il me regarde encore une seconde, prend le lecteur et part vers sa base pour chercher d'où vient le problème. Malgré moi, je le suis du regard.
- Meuf, redescend sur Terre, me dit Nadya en claquant des doigts devant mon visage.
Je sursaute à nouveau.
- Je sais que ce ne sont pas mes affaires mais je ne suis pas convaincue que ça soit une bonne idée que vous vous sautiez dessus en plein service.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, tentais-je en me donnant contenance en attrapant un gobelet pour le vider.
- C'est ça ouais, ricane-t-elle.
- Le terminal fonctionne parfaitement. C'est quoi le soucis exactement ?, demande Anthonin revenu vers nous.
- Ça devait provenir de la carte du client, merci.
Elle lui reprend la machine des mains et retourne à son poste. C'était donc une diversion. Anthonin me fixe à nouveau mais je n'ose pas relever la tête, déstabilisée par notre échange. Faisant mine d'être très occupée, je lui jette un regard rapide, feins un sourire et pointe le doigt vers le lave-vaisselle, lui signifiant que j'ai du travail. Il hoche la tête et repart de son côté. Lorsqu'il me tourne le dos, je respire enfin un bon coup. Non mais à quoi je pensais ?! Il ne doit plus rien se passer entre nous. Plus jamais. Sur le moment, j'en ai voulu à Nadya d'être intervenue mais tout compte fait, elle a eu raison. On ne peut pas se permettre une nouvelle fois de se confronter.