Le lieutenant-colonel Caron...

By FrdricPreneyDeclercq

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Un colonel impérial sauvagement assassiné dans une auberge parisienne. Son secrétaire particulier, Achille Fl... More

Prologue
Chapitre 1
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16

Chapitre 2

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By FrdricPreneyDeclercq



Village de Maisons, proche de Paris, printemps 1822

     « Tudieu ! Sacrée bâtisse, mon capitaine », dit un quidam aux cheveux noirs mi-longs, élégamment vêtu, le corps sec, un visage agréable, quoique découpé du front au coin de la bouche par une cicatrice.

Dressé sur ses étriers, devant la grille d'un parc fleuri, ce cavalier observait un château style renaissance, dont le corps central était encadré d'ailes à pierres blanches qui se terminaient par deux pavillons carrés symétriques.

      « L'ancien castel de Lannes, aujourd'hui celui du député Laffitte, répondait Jean-Baptiste Dumoulin, tirant sur le mors de son cheval, à côté du balafré qui venait de se rasseoir sur sa selle.

- À voir tous ces fiacres devant l'entrée, y'a du monde d'invité, continuait celui-ci en caressant l'encolure humide de sa monture, une jument isabelle robuste et fringante.

- Tu vas découvrir un sacré pékin en la personne de Laffitte, mon cher Belle-Rose. Le bonhomme est riche à millions et le fait joliment savoir. Je ne compte plus les fêtes auxquelles j'ai participé, ici à Maisons, fêtes toutes aussi somptueuses les unes que les autres.

- Signe de faiblesse, mon capitaine !

- Que dis-tu ? s'étonna l'autre, fronçant les sourcils. Pourquoi faiblesse ?

- Signe d'un parvenu qui veut faire oublier d'où il vient.

- Mordious ! fit Dumoulin avec un franc éclat de rire. Tu n'es pas le seul à me le dire ; j'ai déjà entendu dire au moins quatre à cinq fois que mon bon Laffitte était un parvenu, un coucou dans le nid Perrégaux . Enfin je t'assure que le gaillard est sympathique, quoiqu'un peu trop orléaniste à mon goût, dommage ; mais il faut reconnaître que le banquier a grandement payé de sa bourse pour notre cause.

- Audaces fortuna juvat , commenta le dénommé Belle-Rose en ricanant. Oh ! Oh ! J'entends midi qui sonne au loin, ajouta-t-il en faisant avancer sa jument. Sans vous commander, entrons de suite dans la demeure de notre regretté Achille pour que je puisse découvrir ce sieur Laffitte qui a eu raison de nous convier, car je meurs de faim. Tarde venientibus ossa .

- Vive le glorieux Lannes et vive l'Empereur ! » murmura Jean-Baptiste, avant de donner à son tour un léger mouvement d'éperons.

      Leurs chevaux aux pas, les deux cavaliers franchirent les grilles ouvertes pour entrer dans le parc du château de Maisons. Tandis qu'il observait sommairement le personnel du banquier Laffitte qui accourait pour les accueillir, le capitaine Dumoulin se mâchonna l'intérieur des joues, car – effet inattendu – il se sentait d'un coup empli de sentiments et d'impressions contradictoires, c'est-à-dire heureux de revoir la société libérale et son contraire.

      Libéré depuis deux jours de la prison de la Conciergerie, après une condamnation ferme suite à sa participation à l'affaire des Petits-Pères , l'homme allait rencontrer des compagnons de luttes qu'il n'avait plus revus depuis l'échec de la conspiration de l'Est. Des complices qui n'avaient alors guère prisé son attitude à Belfort, car Jean-Baptiste était arrivé fort tard, bien après les évènements insurrectionnels. Tous ignoraient son duel avec le traître Bérard, farouche passe d'armes qui lui avait coûté une blessure à la cuisse et trois jours de fortes fièvres, obscures et délirantes . Comment donc se passeraient les retrouvailles, après une si longue absence ? Qui d'ailleurs allait-il revoir, car beaucoup de charbonniers avaient fui le territoire sacré, suite à la répression policière due aux conjurations ratées de Belfort, Strasbourg ou Saumur. Là-dessus, il sentit son ventre se tortiller, état désagréable qui confirmait qu'il n'aimait pas les situations fausses, nées d'incompréhensions ou de mauvais racontars. Foutu merdier ! jura-t-il en respirant profondément. Les paupières baissées, il laissa son esprit balayer le temps. Certes, juste avant sa condamnation de six semaines à la Conciergerie, il avait traversé une mauvaise passe, fait de mauvais choix – son duel avec le chef de bataillon Bérard, son démêlé musclé avec le lieutenant-colonel Dentzel ou encore la confiance aveugle placée en Berton – mais il avait été surtout desservi par la malchance. Ah ! Cruelle période, fulmina-t-il, car dorénavant il avait conscience qu'il était mésestimé par ses compagnons de lutte, alors qu'il n'avait qu'une parole, qu'il était un homme droit et fidèle, un brave. À cette pensée, l'officier eut un mouvement d'humeur. Ah ! Chienlit que ces trois derniers mois ! jura-t-il, le menton levé, cherchant à se ragaillardir. Il était à nouveau libre. Il était opérationnel ! À lui de s'imposer, à lui surtout de travailler encore et toujours à la chute des Bourbons et au retour du roi de Rome, le fils du grand homme. Rien ne devait le faire sortir de cette route. Sauf Marie peut-être, s'avoua-t-il, dévié de sa pensée première, aussitôt malheureux, le cœur empoigné. Marie, l'être qu'il désirait le plus au monde, la femme qu'il aimait, son amante une nouvelle fois disparue. La mère de sa fille. Que de questions sans réponse. Où était-elle aujourd'hui ? Était-elle tombée dans l'affreux piège de la comtesse de Tantale, cette terrible courtisane, cette louve ? Avait-elle cru à son abominable lettre ? Ce ridicule écrit ? Non, impossible ! Sur quoi, l'homme joignit les mains, comme s'il allait implorer Dieu de lui venir en aide. Mais pourquoi ce nouveau départ ? Cette disparition ? Pourquoi avoir abandonné sa demeure de Saumur ? Pourquoi ce silence ? Pas une lettre de sa part depuis leur dernière rencontre. Son adresse était toujours la même, rue du Sentier, elle y avait vécu. Des moments merveilleux... Jean-Baptiste fronça les sourcils, désespéré ; au fond de son âme, il avait un mauvais pressentiment : Marie était perdue, définitivement perdue. Foutre, non ! se promit-il en autodéfense, l'esprit colérique, après une poignée de secondes d'hébétude. Cette femme était sienne ; sa Marie, cette rose rouge, superbe, au milieu d'un champ de blé. Oui ! Il la retrouverait ! Dût-il renverser des montagnes ! Dût-il traverser un océan ! Il la retrouvera !

      "Capitaine, avez-vous nos cartons d'invités ? demanda Belle-Rose, après avoir discutaillé du haut de sa jument avec un majordome en livrée qui l'avait abordé, près du perron.

 - Bien sûr, ici !" tressaillit Jean-Baptiste sur sa selle, et, d'un mouvement souple, l'officier descendit de sa monture pour annoncer d'un ton ferme leurs titres respectifs : le capitaine Dumoulin, ex-officier d'ordonnance de l'Empereur, et son secrétaire, Louis Belle-Rose.

     Puis, presque sans un regard, après avoir présenté au maître d'hôtel en uniforme une invitation reliée par un ruban mauve, sortie de l'intérieur de sa redingote claire, il cédait les rênes de son cheval noir à un garçon d'écurie, aussitôt imité par son compagnon de route.

                                                                                         ---

       Une demi-heure plus tard, rafraîchis et parfumés, Jean-Baptiste et Belle-Rose piétinaient à l'intérieur du château de Maisons, au milieu de la galerie du premier étage, parmi maints invités qui se saluaient de brefs mouvements de têtes. Au fond de la salle, un orchestre d'une douzaine de musiciens, vêtus de couleurs criardes, jouait un air classique, vif et gai. Curieux et affamés, les visiteurs s'avançaient vers un buffet somptueux, nappé de blanc, qui proposait des plats variés et une extraordinaire pyramide de fruits exotiques. Sur la gauche, une équipe de serviteurs avec perruque blanche et costume d'or, debout ou accroupis devant des vasques emplies de glace, débouchaient des bouteilles de champagne ou de vins liquoreux, tandis que d'autres présentaient sur des plateaux d'argent, flûtes et verres aux convives qui s'entassaient autour d'eux.

     « Une coupe, mon capitaine ? » demanda Belle-Rose, qui, sans attendre la réponse, partit remplir sa mission désaltérante.

    Jean-Baptiste le regarda s'éloigner, avant d'observer l'assistance colorée qui l'entourait, criante et riante. Il n'y voyait que des visages inconnus. Demi-surprise, il n'y avait aucune trace d'un Fabvier et d'un Dentzel, ses compagnons de lutte, ou bien encore d'un Lafayette et d'un Voyer d'Argenson, les ténors du parti des indépendants. Signalons que ce jour-là, il y avait grand monde dans cette longue galerie qui conduisait vers ce qui avait été la chambre royale du château de Maisons.

     Soudain, l'ancien officier repéra sur sa droite un cercle de jeunes hommes élégants, les gestes un brin stupides qui enveloppait une déité brune, coiffée court à la Titus, en robe de soie bleue embellie de dentelles, qui menait la danse, joyeuse et engageante. Indiscret, Dumoulin avança de quelques pas, tendant le cou, avant de tressauter, car il venait de reconnaître la comtesse de Tantale, son ancienne maîtresse.

     « Mordious ! Elle ! Elle ici ? Vivante ! » se parla-t-il, les yeux arrondis, et un frisson désagréable lui parcourut le dos.

    Dans un réflexe, il fit un pas en arrière, cherchant à fuir, à se cacher derrière quelques larges épaules qui l'entouraient, à ne surtout pas se faire voir de cette « terrible » femme qu'il jugeait capable de tout, séduisante et dangereuse. Les tempes battantes, il eut alors l'idée de quitter la réception et galoper jusqu'à Paris, disparaître, pour se protéger d'un hypothétique face-à-face qui d'avance le terrifiait. Ah ! Pourquoi n'ai-je pas imaginé qu'elle pourrait être ici ? songea-t-il dans un mélange de fureur et d'anxiété. Mordious ! Quel sot ! N'était-ce pas ici où nous nous étions rencontrés, ici où elle m'avait piégé en m'offrant sa croupe ? Ici où elle espionne son monde ? En une fraction de seconde, Jean-Baptiste revit cette soirée où il avait sombré dans les bras de la terrifiante Messaline, l'agent de la duchesse de Berry, et les conséquences qui avaient suivi, la faillite de l'enlèvement du roi de Rome, la trahison de Camille, sa vieille gouvernante, et surtout l'invraisemblable scénario qui avait abîmé ses retrouvailles avec Marie, brisé leur vie nouvelle. Je devrais la tuer, se dit-il en serrant le poing de rage, l'œil fixé sur l'arrière du crâne de son ex-maîtresse qu'il apercevait épisodiquement, mais il se relâcha, conscient que quelque chose en lui l'en empêcherait, quelque chose qu'il ne s'expliquait pas ou qu'il refusait de voir, comme un reste d'affection pour cette femme qu'il avait serrée dans ses bras, qu'il avait désirée.

   « Pfft ! Capitaine, vous en faites une tête, dit Belle-Rose de retour, et il lui tendit en vain une coupe de champagne. C'est la présence de votre marquise qui vous fait cet effet-là ? ajouta-t-il avec un sourire affable.

- Tu l'as reconnue ? réagit Dumoulin, le regard sombre. Abruti ! jura-t-il. Tu savais...qu'elle était là ? Tu l'avais vue, et tu ne m'as pas prévenu ?

- Dès que je suis entré dans la pièce, mon capitaine, fit l'autre en hochant la tête avec un air idiot. Mais... C'est que... Que vous dire ? Tenere lupum auribus ! Enfin j'savais bien que vous alliez l'apercevoir à un moment de la soirée.

- Tu m'agaces avec tes foutus locutions de jésuite », susurra Jean-Baptiste avec un geste d'humeur, car il cherchait un défouloir.

     Puis, sans prévenir, il abandonna son comparse et s'éloigna à l'opposé de la salle, vers une fenêtre, se glissant entre les invités, les yeux mi-clos, où il parut rassembler ses idées. Ah ! La Comtesse ici ! se répétait-il hagard. Comment faire ? Que faire ? L'affronter, ne plus attendre, ce serait la solution. Si je cherche à l'éviter toute la soirée, je vais devenir fou... Mordious ! Elle est toujours aussi belle... Je n'arrive même plus à la haïr, cette vipère. Ainsi elle a survécu à sa blessure. C'est bien, c'est mieux... Dire qu'elle m'a sauvé la mise avec son église des Petits-Pères. Où serais-je aujourd'hui ? En fuite, à l'étranger sûrement... Enfin il ne faut pas que j'oublie qu'elle a brisé le cœur et l'âme de Marie. Et ça, elle devra payer, elle devra me le payer. Vengeance ! Oui, vengeance ! Terrible vengeance !

     Jean-Baptiste se figea, bouche bée. Depuis l'opposé de la vaste salle, deux yeux noirs l'observaient à travers la multitude, deux prunelles brillantes et emplies de passion. Instinctivement, avant la moindre pensée, le capitaine Dumoulin sourit en guise de réponse, presque fier, avant d'effectuer un semblant de révérence. Foutre ! Et re-foutre ! se reprenait-il aussitôt mi-effrayé, mi-furieux, un seul regard de cette garce, et voilà que je lui offre un visage avenant et conquis. Et sa respiration devint vive, car, sans atermoiement, abandonnant sa cour de jeunes galants incrédules, la comtesse de Tantale traversait avec élégance la piste de danse pour rejoindre Jean-Baptiste, les joues d'un coup écarlates.

    « Bonjour, mon amour, lui dit-elle, à peine auprès de lui, charmeuse, avec un œil toujours luisant qui cachait à peine un bonheur intérieur.

- Comtesse, fit l'officier avec un mouvement de tête, tandis que lucide, il sentait qu'il perdait déjà pied devant cette beauté presque parfaite.

- Mon Dieu ! J'attendais ce moment depuis ce matin, ajoutait-elle d'un timbre enjoué, presque chantant. Depuis que l'on m'a confirmé votre libération...

- Vous m'espionniez encore et toujours, répondit le capitaine Dumoulin avec un sourire sans joie, et, victime de leurs souvenirs communs, travaillé par une voix intérieure, il se dit en soliloque qu'il ne prisait pas la scène qu'il était en train de vivre, parce qu'il craignait le moindre avenir au côté de cette femme superbe, digne descendante d'une Marion de Lorme ou d'une Ninon de Lenclos.

- Je veille sur l'amour de ma vie, dit la Comtesse, lui offrant un regard empli de tendresse.

- Mordious ! Cessez ce jeu, je vous prie, madame, réagit l'homme avec un mouvement de recul. Oubliez-vous ce que nous avons vécu ? Ce que vous m'avez fait ?

- Taisez-vous et donnez-moi plutôt votre bras, cher Jean-Baptiste, chuchota-t-elle en s'emparant de sa main, après un geste moqueur. Et allons de ce pas remercier notre hôte, il a si galamment répondu à ma demande. Je crois qu'il est dans le salon Hercule.

- Votre demande ? interrogea l'officier, le front barré par une ride, tandis que le couple se faufilait à travers une foule d'invités de plus en plus nombreuse, toujours aussi gaie et bruyante.

- De vous avoir convié ce soir ici-même, mon amour, répondit la dame avec malice. Pour que je vous revois enfin...

- Ainsi c'est vous qui... ?

- Apprenez que l'on vous avait un peu oublié, grand bêta, ironisa-t-elle. Le tort ne vient que de vous même, ajouta-t-elle avec un signe réprobateur.

- Vous ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé ? grommela-t-il, le regard perdu vers le plafond, se souvenant en aparté de sa surprise lorsqu'il avait reçu l'invitation du banquier Laffitte, le lendemain de sa libération de la Conciergerie. Je suis un niais, je suis un crétin, marmonna-t-il à mi-voix, cherchant un qualificatif précis à son encontre.

- Un romantique, mon amour, dit la comtesse de Tantale avec affection.

- Cessez, je vous prie, de me parler comme vous le faites, réagit-il, un brin agressif. Nous ne sommes plus rien l'un pour l'autre, nous...

- Croyez-vous que les choses soient si simples, monsieur ? coupa la jeune femme soudain effrayante de noirceur, s'écartant quelque peu de son compagnon. Non, lui précisa-t-elle lentement, appuyant sur chaque syllabe, je vous ai offert mes faveurs. Votre vie en a été à jamais changée. Ne l'oubliez jamais ! Jamais !

- Vous m'effrayez une nouvelle fois, avoua l'homme qui sentait s'accélérer le battement de son pouls, et il essaya de se libérer de son ancienne amante, mais la main de celle-ci se serra un peu plus fort sur son avant-bras, l'emprisonnant.

- Vous pensez toujours à l'autre, n'est-ce pas ? lui demanda-t-elle sèchement.

- L'autre ? fit-il, le regard mauvais. Elle a un nom ! Marie. Bien sûr, madame ! Elle est mon...

- Chut ! Pas un mot de plus, cher amour, coupa la dame d'un ton étrange, tendant ses fines narines, geste infime, mais qui l'embellit d'avantage. Ne ternissez pas nos retrouvailles, je vous en prie, dit-elle d'une voix tremblotante, malgré elle. J'en étais si heureuse...

- Je ne peux vous refuser ce service, madame, chuchota l'homme presque attendri, convaincu dorénavant qu'une nouvelle querelle entre eux deux serait superflue. Et je vous dois ma liberté d'aujourd'hui, dit-il reconnaissant, songeant au stratagème de l'église des Petits-Pères qui avait évité que l'on soupçonnât sa participation à l'insurrection du général Berton.

- Savez-vous, continuait-t-elle en l'entraînant à gauche, vers un salon ouvert, que j'étais excitée comme pour un premier rendez-vous à l'idée de vous revoir aujourd'hui ? Mon Dieu ! Que m'avez-vous fait ? ajouta-t-elle, lui jetant un regard passionné.

- Vous ne m'étonnez guère, madame, répondit insolemment Jean-Baptiste avec un léger sourire. Cette beauté m'aime toujours à la folie, pensa-t-il, impudent et fier.

- N'êtes-vous donc pas heureux de me revoir ?

- J'avoue que je suis satisfait de vous savoir en vie, après cette vilaine blessure.

- Enfin vous m'avouez que vous vous êtes inquiété.

 - Bien sûr...

- Ainsi donc vous m'aimez, souffla-t-elle en secouant la tête d'un air de béatitude.

- Cessez ceci, madame ! réagit-il, simulant l'agacement.

- Vous souvenez vous de notre première rencontre ? continuait la Comtesse, le regard droit, perdue dans ses souvenirs.

- Comment voulez-vous que je puisse oublier ce jour-là, cette nuit...

- Cela a été un merveilleux moment, persista la jeune femme. Là-haut, dit-elle avec un geste du menton. Notre chambre... Elle doit être inoccupée. Croyez-vous que nous pourrions ?

- Nous pourrions ? fit Jean-Baptiste avec surprise. Quoi ? Vous seriez prête à... Non ? Je ne puis vous croire ! Après tout ce qui s'est passé entre nous ! Après tant d'animosité, de lutte...

- Nous pourrions juste y jeter un coup d'œil, dit-elle, le ton cassant. Un simple pèlerinage. Mais à quoi avez-vous pensé ? ajouta-t-elle, jouant l'étonnement. À m'honorer peut-être ? Oh ! Oh ! Oh ! Pour cela mon ami, il vous faudra de la patience et beaucoup de talent, trop peut-être ! Monsieur, je vous dois des rivières de larmes.

- Je ne vous crois pas.

- Vous ai-je jamais menti ?

- Vous m'avez trahi.

- Vous, vous m'avez trahie ! accusa la dame avec violence. Vous m'avez conquise, mentie, puis trompée. Je vous aimais. Vous m'avez humiliée ! Vous m'avez caché, puis imposé une rivale.

- Votre vengeance, madame, dit l'officier en serrant les dents, a été d'une bassesse...

- Je vous aimais, je vous aime, alors pour vous garder rien qu'à moi, j'ai dû la vaincre. C'est l'histoire de la vie, mon cher. Vaincs, si tu ne veux pas être vaincu.

- Triste personne !

- Vous, vous êtes une triste personne, mon amour ! Si vous aimiez tant cette madame de Monlivo, pourquoi vous êtes-vous glissé entre mes cuisses ? Et pas qu'une fois, je vous le rappelle. Est-ce donc cela aimer pour vous ? Répondez-moi, je vous prie, gentil petit étalon !

- Mordious ! Vous êtes abominable, jura Jean-Baptiste en faisant un grand effort pour parler avec calme.

- La vérité vous blesse, n'est-ce pas ?

- Bien sûr, madame.

- Vous avouez ? Je confesse que j'en suis surprise, sourit la dame. Ainsi votre conscience vous torture ?

- Clôturons ce sujet, je vous en conjure, nous en avons que trop parlé, annonça le capitaine Dumoulin, moitié lassé, moitié fâché. Profitons plutôt de cette réception pour nous amuser. Notre débat n'apportera plus rien, ne croyez-vous pas ?

- Bien sûr, et que souhaitez-vous, mon grand et tendre amour ?

- C'est-à-dire ?

- Que je reste avec vous ou que je retourne vers mon sérail de jeunes galants qui là-bas piaffe d'impatience ?

- Vous êtes trop belle pour ces pauvres damoiseaux. Je vous prie – que dis-je ? – je vous implore de rester avec moi.

- Vous m'aimez, monsieur ! s'écria la Comtesse, l'air triomphant. J'en suis certaine maintenant, d'ailleurs en ai-je un jour douté ?

- Non, madame, je ne vous aime point. Et vous ne le savez que trop bien.

- Si, monsieur, vous m'aimez, vous verrez, bientôt vous me supplierez, vous ramperez devant moi, malade et malheureux, mais je vous l'ai dit, il vous faudra beaucoup de talent, trop sans doute pour me reconquérir.

- Vous me distrayez, fit l'homme avec un mouvement d'épaules.

- J'embellis votre vie précaire de Bonapartiste, renchérit-elle pince sans rire.

- Bien sûr, pauvre petite espionne royaliste, rétorqua Jean-Baptiste persifleur. Allez, ajouta-t-il en l'entraînant affectueusement, rejoignons notre bon ami Laffitte pour le remercier d'avoir provoqué nos retrouvailles. Je l'aperçois là-bas, au milieu de ce groupe d'invités... »

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