Lunaire

By _--Moonchild--_

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Walter et Liesel Eisenmann. Le frère et la sœur, deux gamins détestables qui passent leur temps à se disputer... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32

Chapitre 19

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By _--Moonchild--_

Les heures qui avaient suivi le réveil de Liesel s'étaient vite écoulées. Elle avait passé la nuit à l'infirmerie, son frère adoptant la chaise près d'elle comme lit. Certes, ce n'était pas confortable, mais il avait tenu à rester près d'elle. De toute manière, il était parti à la hâte et n'avait pas de quoi trouver un endroit où dormir. Il avait vite piqué du nez, plus vite encore que la jeune femme. Sentant qu'elle n'allait pas dormir et morte d'ennui, elle avait récupéré le crayon de l'infirmier qui traînait sur la table de nuit et un bout de papier qui servait à caler le pied du meuble, se contorsionnant pour réussir à la récupérer sans tirer sur son abdomen. Elle commençait à réaliser à quel point il serait difficile de retrouver son agilité, mais elle comptait bien s'entraîner dur une fois que la plaie aurait bien cicatrisé. Elle avait enfin réussi à se hisser à un niveau correct, hors de question qu'une blessure compromette ses espoirs.

Elle dessina et écrivit longtemps, utilisant toute la surface disponible entre « urgent racheter bandages » et « doubler dose ». Son écriture désordonnée recouvrait parfois les mots qu'elle venait d'écrire, transformant ses pattes de mouche en charabia incompréhensible. Tant pis. Elle ne relirait jamais tout ça, surtout pas. C'était juste un moyen de se vider la tête, de déverser sa peine sans déranger personne. Les images imprimées dans sa tête étaient trop violentes, trop dérangeantes pour que qui que ce soit en supporte le récit. Jamais elle ne demanderait un tel effort à ses proches. Elles resteraient entre elle et ce morceau de papier à présent illisible, qu'elle froissa entre ses mains jusqu'à se laisser emporter par le sommeil, à l'heure où Cassiopée s'estompait.

Puis elle s'était réveillée, au son des voix de Walter et du médecin. Elle n'avait pas jugé bon d'ouvrir les yeux et s'était contentée d'écouter. Cette fois-ci, au moins, elle le faisait consciemment. Ça permettait au moins aux deux autres de parler sans crainte, de ne pas prendre de pincettes pour évoquer son état. Heureusement, le médecin avait l'air moins pessimiste que son frère en ce qui concernait la gravité de sa blessure. Elle réprima son sourire lorsqu'elle réalisa qu'elle pourrait sortir dès ce soir. Au moins, elle ne serait pas restée là trop longtemps... Les respirations plus ou moins bruyantes, les toux faiblardes et les grognements des malades et blessés autour d'elle auraient fini par la rendre dingue, si l'ennui ne l'avait pas terrassée avant.

Et puis, elle était sortie. Le couchant avait inondé le district, lui faisant voir les dégâts que la nuit lui avait masqués. Façades éventrées, un enchevêtrement de bois et de fer leur tenant lieu de tripes. Traces brunâtres mal effacées entre les pavés sales. Puanteur qui imprégnait chaque pas. La ville se mourait sous les éclairages rougeâtres, accablant de son agonie les rares passants, ses côtes brisées s'affaissant lentement sur ce qu'il lui restait de vie. Le soleil coquelicot sombra finalement au-delà du mur, volant à ses yeux ce spectacle flamboyant.

Elle avait enlacé son frère une dernière fois avant de rejoindre les autres. S'était faufilée dans la cour solennelle, sans un mot, sentant chacun de ses pas transpercer son abdomen. Ça lui rappelait une histoire horrible, celle d'une créature que chaque enjambée faisait souffrir pour une raison qu'elle avait oubliée, et qui finissait en écume. Sauf qu'elle n'avait rien reçu en échange de cette douleur, à part un trou béant à la place du cœur et une armée d'araignées grouillantes en guise de neurones.

Elle avait beau être en retard d'une bonne dizaine de minutes, elle ne perdit pas un mot de ce que le Major Erwin Smith avait encore à dire. Elle ne buvait pas ses paroles comme certains avaient l'air de le faire, surtout pas. Au contraire, elle examinait avec attention la moindre tournure, la moindre subtilité. Elle n'était pas suffisamment près pour que ses intonations la renseignent véritablement. Même si elle l'avait été, elle ne s'y serait pas fiée. Ces hommes là savaient comment parler à ceux qu'ils commandaient. C'était ce que Connie Senior avait fait depuis le haut du Mur, encourageant les cadets à donner leurs vies pour l'humanité. Elle ne se risquerait plus à écouter ce genre de discours. Elle se battait pour sa vie aussi. La jeter par la fenêtre pour une miette d'honneur ne servirait à rien ni à personne, pourquoi se laisserait-elle exalter par ces appels au sacrifice ? Si elle ne restait pas en vie, qui garantissait que d'autres prendraient la relève ? Chaque vie comptait, surtout au point où ils en étaient.

Mais les mots du Major, elle devait l'avouer, avaient quelque chose de différent. Sans doute parce qu'il ne laissait pas les cadets se voiler la face. Quatre-vingt-dix pourcents des effectifs décimés en quatre ans, voilà les chiffres qu'il avançait. Pourquoi diable décourageait-il ainsi les volontés ? Ça n'avait absolument aucun sens. Nul doute qu'après un tel discours, seul Eren et ses deux sous-fifres prendraient la peine de le suivre, personne de sensé n'irait se mettre au service d'une cause qui les tuerait presque à coup sûr. Et pourtant... Peu importe comment elle réfléchissait, elle sentait qu'il y avait quelque chose de logique derrière le discours parfaitement contrôlé de l'homme qui leur faisait face. Il cherchait à provoquer une réaction, comme un chien de chasse débusque un oiseau. Une question vint s'ajouter aux tourments de la jeune femme. Quel oiseau ? Que pouvait-il chercher au milieu d'une bande de gamins à peine remis de ce qu'ils venaient de subir ? Pourquoi semblait-il les pousser à la fuite ? Pour voir qui serait assez timbré pour rester ? Pour se constituer une unité de gens qui ne sourcilleraient pas lorsqu'il leur ordonnerait de mourir ? Elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus, mais se promit d'y réfléchir plus amplement lorsque ce discours s'achèverait enfin.

« Ce sera tout. » finit par lâcher le Major. « Ceux d'entre vous qui souhaitent intégrer un autre corps d'armée peuvent disposer. »

Les courants d'air qui frôlèrent Liesel ne l'étonnèrent guère. Ce qui la déstabilisait nettement plus, c'était la sensation d'avoir les pieds ancrés dans le sol alors que le monde autour d'elle semblait se dérober. Elle était à la dernière ligne. S'éclipser ne risquait pas de lui causer de honte, puisqu'aucun de ceux qui avaient le cran de rester ne regardait en arrière. Mais ce n'était pas le groupe qui la faisait rester. C'était la voix, dans un coin de sa tête, qui lui disait d'aller chercher toujours plus loin. Comprendre le monde et ses monstres, une bonne fois pour toutes. Alors elle resta. Malgré la douleur qui lui vrillait l'abdomen, elle se tint droite, les yeux clos. Si elle les ouvrait pour se trouver seule dans cette cour, avec seulement le Major et les trois timbrés, ainsi soit-il. Elle prenait cette décision seule. Pas pour son grand-père, pas pour sa famille, pas pour Marco, pas pour l'humanité. Pour elle, elle et personne d'autre.

« Vous qui êtes restés, êtes-vous prêts à mourir sur un simple ordre ? » finit par demander la voix du Major.

Compte là-dessus, songea Liesel en ouvrant les yeux. Elle constata vite qu'ils étaient bien plus de quatre à être restés. Devant elle, plusieurs silhouettes se dessinaient. Bertholdt. Ymir, Christa. Sasha et Connie, ce qui était plutôt étonnant de son point de vue. La présence la plus surprenante était certainement celle de Jean. D'ailleurs, Liesel ne perdit pas de temps à essayer de comprendre. Ce qui la préoccupait nettement plus, c'était le fait que Reiner soit là. Lorsqu'elle y repensa, ça n'avait rien d'étonnant. Le Major promettait la reconquête du Mur Maria, faire partie de ces opérations lui permettrait de s'approcher de chez lui... Même s'il devait y laisser sa peau, il aurait au moins effleuré l'espoir de rentrer un jour. Une chance qu'elle n'aurait sans doute jamais. Ses espoirs à elle reposaient bien plus loin.

« Pas moi, chef. » fit une voix qu'elle n'identifia pas. Elle remercia mentalement son propriétaire d'avoir osé ouvrir la bouche, heureuse de constater qu'elle n'avait pas atterri au milieu d'une bande d'inconscients dénuée de tout sens critique.

« Bon... J'aime l'air que vous arborez. Lâcha le Major. À compter de cet instant, vous êtes des membres du Bataillon d'exploration. Loué soit votre courage. Sur le cœur ! »

Liesel replia son poing contre son cœur dans un geste lent. Un sourire léger trouva son chemin jusqu'à ses lèvres. Elle venait de décider, de son plein gré, de replonger en enfer dans un mois, et pourtant, elle se sentait à sa place. Comme libérée d'un poids immense. Elle se donnait enfin les moyens de voir les étoiles de l'autre côté du ciel.

Elle se faufila vers l'avant une fois que le Major eut terminé de s'adresser à eux. Elle avait des gens à retrouver, et ça ne pouvait pas attendre.

« Je n'arrive pas à savoir si tu veux casser la gueule du Major ou juste avoir l'air viril, mais tu vas t'exploser les mâchoires et les dents avec si tu restes aussi crispé. » Murmura-t-elle une fois arrivée près de Reiner, un sourire amusé au coin des lèvres.

Ce dernier sembla surpris de sa présence et tourna la tête vers elle. Lorsqu'il croisa ses yeux, un seul mot lui vint. Merde. Il était, peu à peu, en train de comprendre les conséquences de sa décision. Elle vivante, il aurait toujours ce pincement au cœur. Elle était l'allégorie de sa faiblesse, la preuve qu'il n'était qu'un bon à rien incapable de prendre une vie sans se cacher derrière un titan ou ses camarades.

« Et toi tu vas finir les tripes à l'air... finit-il par murmurer. T'es pas censée être à l'infirmerie ?

- Je vais bien. Se contenta-t-elle de répondre.

- Tu as un trou dans le ventre, ce serait plus prudent de rester allongée.

- Tout le monde a des trous et personne n'en meurt. Sauf le Major, qui a dû mettre un peu trop de balais dans le sien pour être en bonne santé. » Lâcha-t-elle en levant les yeux au ciel.

Il réprima un rire et passa une main fatiguée sur son visage. Il n'allait jamais réussir à garder son sérieux, si elle continuait à avoir ce genre de réflexions.

« Sérieusement, t'as failli crever et tu trouves rien de mieux à faire que penser au cul des gens ?

- Dit-il en matant celui de Christa. Répliqua-t-elle.

- Tu devrais aller dormir. Soupira-t-il d'un air mi-amusé, mi-exaspéré.

- J'ai dormi trois jours, j'ai eu ma dose de sommeil pour une semaine. Tu ne vas pas te débarrasser aussi facilement de moi. »

Elle leva vers lui un regard attentif. Dédramatiser sa situation, c'était fait. Maintenant qu'il ne s'inquiétait plus autant pour elle, elle allait pouvoir s'assurer que lui allait bien. Ce dont elle commençait sérieusement à douter, étant donné ses traits tirés.

« Toi, par contre, tu as l'air au bout du rouleau... » remarqua-t-elle, sa voix s'adoucissant de manière significative.

Il acquiesça imperceptiblement. Trois jours à collecter les cadavres de ses victimes, à surveiller les autres de peur qu'ils ne gaffent, à se demander si lui-même n'avait pas fait une terrible erreur. Trois jours où il s'endormait guerrier et se réveillait soldat, pour rebasculer dès qu'il voyait un nouveau corps.

« Les derniers jours ont été... Éprouvants pour les nerfs. finit-il par admettre.

- Désolée de ne pas avoir été là. Même si je n'aurais pas servi à grand-chose, ça aurait allégé un tout petit peu la charge de tout le monde.

- Tu vas vraiment t'excuser d'avoir été blessée ? Christa, sors de ce corps. »

Elle leva les yeux au ciel.

« C'est ça, moque-toi... J'aurais juste aimé être utile, au lieu de végéter sur un lit d'infirmerie. »

Sentant bien qu'elle avait de la peine, il ébouriffa légèrement ses cheveux.

« T'en fais pas, Lizzie. Tout le monde a des moments de faiblesse, et survivre à ta blessure t'a déjà demandé beaucoup d'efforts. Personne ne t'en voudra de ne pas avoir pu aider. »

Le surnom la fit sourire, et elle leva à nouveau les yeux vers lui. Elle se sentait nettement mieux maintenant qu'il était à ses côtés. Elle n'avait pas besoin de penser à toutes les choses possibles et imaginables pour éloigner son esprit de Trost, le regarder suffisait. Elle avait de la chance, songea-t-elle, distraite par ses yeux dorés. Elle s'était longtemps demandé comment une telle couleur était possible, avant de réaliser que ça n'avait aucune importance. C'était juste quelque chose de beau, perdu au milieu des cendres. Si elle commençait à se poser des questions, elle n'aurait plus le temps de les contempler. 

« Merci. Finit-elle par murmurer. Pour le rideau, pour tout ce que tu as fait pour moi avant, pour mon frère, pour maintenant... Pour tout. J'ai l'impression que je ne pourrai jamais assez te remercier. 

- Je connais une excellente manière de me remercier : arrêter de t'en vouloir et aller dormir.» Dit-il avec un petit sourire. 

Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais la referma bien vite. Il l'avait eue, plus rien à répliquer.

«T'as gagné, Braun. soupira-t-elle finalement. Mais c'est du chantage affectif. Ma vengeance sera terrible.»

Il la regarda partir, un sourire imperceptible au coin des lèvres. Bertholdt soupira légèrement, posant une main sur l'avant-bras de son ami. 

« Hé, Reiner... Tu te souviens, pas vrai ? » murmura-t-il dans un souffle, le regard inquiet. 

Il resta confus quelques secondes, les sourcils froncés, avant que son regard ne se porte à nouveau vers la petite silhouette qui s'éloignait dans la nuit. Elle avait tellement plus que cela à lui faire payer... Et sa vengeance, comme elle le disait si bien, serait certainement la plus douloureuse de toutes. 

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