Esquisses de vie

By Rajasvir

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Petit recueil d'instants de vie de personnages dont certains n'ont pas encore de roman. Un jour qui sait... ;) More

Le gardien des secrets.
Spin-off le gardien des secrets.
La lumière dorée
Le CEF (début des années 90)
le ravisseur
Cassien
Absolute
Gavin & Milo

Coeur couleur fusain

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By Rajasvir

— On peut fumer ?

Je fronçais les sourcils à cette question, écartant ce pronom dans lequel je ne désirai en rien être inclus.

— Non, c'est interdit. Et ma coloc ne veut pas, répondis-je.

Maximilien se retourna vers moi et je me liquéfiai sur place quand son attention me transperça.

— Elle est là ? demanda-t-il.

Les mains dans les poches de son blouson, il se tenait droit, au milieu du couloir qui desservait la minuscule entrée de notre logement étudiant. J'ignorais pourquoi mais un pressentiment me tenaillait. Celui selon lequel il risquait de ne pas faire ce que j'attendais de lui. Je me demandais pourquoi il avait accepté de perdre son temps avec moi.

— Non...

Je l'interrogeai du regard et ma question ne demeura pas longtemps en suspens quand il sortit ses mains de ses poches et en extirpa un paquet de cigarettes. Je voulus protester mais d'un geste qui trahissait l'expertise de nombreuses années de fumeur actif, il alluma sa cigarette et le briquet disparut de nouveau à l'intérieur du blouson.

— On fait ça où ? demanda-t-il avant d'expirer un nuage de fumée.

Je ne sus pourquoi, sa question déclencha une gêne en moi, si vive que je sentis mes joues me trahir. Il dut le voir car ses yeux ne me quittaient pas et un sombre sourire sardonique s'épanouit sur ses lèvres. Le simple fait d'évoquer ma chambre me donnait envie de bégayer si bien que c'est le plus naturellement du monde que je répondis :

— Dans le salon.
— 'kay.

Il maintenait sa cigarette et malgré le geste, je distinguai toujours son mystérieux sourire. S'il était indéniable que je le trouvai beau, quelque chose en lui me glaçait. Je n'aurai su dire quoi. Ce garçon m'envoyait bien trop de signes contradictoires. Sa voix chaude ne contrastait que trop bien avec ses attitudes marginales, et je me trouvai incapable de définir si ses sourires signifiaient pour lui un chaleureux accueil ou au contraire une glaciale moquerie silencieuse.

Il me suivit dans le salon et coinça sa cigarette entre ses lèvres pour retirer son manteau qu'il abandonna sur la première chaise venue. Puisqu'il inspectait le décor, je l'abandonnai là et battis en retraite dans ma chambre. Là, je respirai. Les deux mains à plat sur le bureau, mes yeux glissèrent sur le capharnaüm qui jonchait habituellement le bois. Je tardais toujours à nettoyer mes pinceaux si bien qu'ils demeuraient là, à tremper dans un verre à l'eau colorée comme des plantes étranges qui attendaient de grandir. Ma trousse de crayons de couleur s'était renversée et je dus farfouiller parmi eux pour retrouver mes crayons graphites et mes fusains dissimulés dessous. D'une main tremblante, j'ouvris le tiroir et en extirpai ma pochette de papier canson. Je tentai de calmer les assauts de mon cœur en caressant le grain du bout des doigts. Une fois dans mon monde, je savais que tout irait bien. Mais il s'agissait de passer ce moment ridiculement gênant où je devrais demander à Maximilien de bien vouloir se déshabiller, et ce pour la postérité de mon art.

Gênance fois mille, même.

Je déglutis et embarquai mon support ainsi qu'un fusain après une longue inspiration tout cela pour me stopper sur le seuil de ma porte, à peine quelques mètres plus loin. Maximilien s'était rapproché de la fenêtre. Il ne m'avait guère attendu pour se débarrasser de son t-shirt si bien que mon attention se perdit bien malgré moi sur la musculature de son dos. Je trouvai étrange cette parcelle de lui, nue, comme un parchemin vierge. Alors que je peinai à comprendre le fouillis des émotions qui traversaient son visage, c'est débarrassé de ses vêtements qu'il apparaissait dans sa plus tendre contradiction. Accoudé à la fenêtre, il observait la vie grouillante du centre-ville, me laissant le loisir d'imprégner cet instant dans mes souvenirs. Incapable de graver ce tableau dans mes rétines, je sortis discrètement mon téléphone et immortalisai le moment. Peut-être plus tard aurais-je le courage d'y pencher mon âme d'artiste ?

Maximilien porta sa cigarette à ses lèvres. La peau de ses bras se couvrit de frissons tandis que l'air frais de ce mois de janvier s'enroulait autour de lui, mais il ne bougea pas pour autant. Sans émettre le moindre bruit, je traçai les contours de son corps avec mes yeux pour seul outil. J'examinai de loin chaque partie de lui qu'il daignait bien montrer. Ce nez busqué qui lui donnait tant de caractère, l'écarteur de son oreille droite, le grain de beauté logé sur la ligne de sa mâchoire et ceux qui formaient quelques lignes imaginaires sur ses bras. Il pencha la tête et de sa main libre, repoussa quelques mèches blondes sur l'arrière. Enfermé dans son silence, je comprenais pourquoi l'école avait tenté le partenariat avec lui. Immobile, il exprimait plus que lorsqu'il parlait. Mon attention coula le long de sa colonne vertébrale divinement entravée par ses trapèzes et ses grands dorsaux, et mon envie de le croquer au fusain se réveilla aussitôt. Sans vouloir le surprendre, je secouai légèrement mon support et le bruit des feuilles de canson attira son attention, l'amenant à se retourner. Je ne pus m'empêcher de rougir car je craignais qu'il n'ait compris que j'admirais ses formes depuis une bonne minute déjà, mais il ne dit rien. Il écrasa son mégot sur le rebord et referma la fenêtre, puis me transperça de nouveau de ses yeux marron. Il attendait visiblement que je parle mais si les lignes se bousculaient sur le bout de mes doigts, les mots s'asséchaient sur le bout de ma langue.

— Euh...
— Je dois me mettre où ?
— Ben...hm... à l'aise, répondis-je.

Maximilien haussa un sourcil et me jaugea. Et plus il me fixait, plus je me sentais ridicule, les joues en feu.

— Je dois retirer le bas ?

Les yeux rivés sur le parquet usé de l'appartement, je tentai de cacher ma surprise. Pourquoi se sentait-il obligé de me fixer pour me poser ce genre de questions ? On aurait dit qu'il ignorait jusqu'à la définition du mot pudeur.

— Comme tu veux... marmonnai-je, tirant une chaise à moi de manière tout à fait inutile puisque mon modèle lui-même n'avait pas encore trouvé place.
— Comment ça comme je veux ? C'est toi qui dessines, nan ? Tu veux dessiner quoi ?

Toi... Imbécile. Ton corps. Tes muscles. Ta peau. Tes sourires et tes ombres. J'aimerais que mes mains contiennent assez de talent pour espérer un jour rendre hommage à la vie.

— Bon alors, tu te décides ou on y passe la nuit ?
— Oui ! lâchai-je brusquement, davantage poussé par le stress que par l'envie.
— Oui quoi ?
— Tu peux... hm...

Dans ma main, mon fusain tremblait entre mes doigts. Je me décidai à relever la tête, conscient qu'il me faudrait bien le regarder de nouveau si je voulais calquer son corps sur mon papier, mais il ne me regardait déjà plus. Ses chaussures s'échouèrent en un bruit sourd au pied de mon canapé, et bientôt, le cliquetis de sa ceinture retentit. Il se débarrassait de son pantalon aussi facilement que je retirai mon manteau et j'étais de loin le plus gêné des deux.

— Tu veux dessiner quelle partie ? m'interrogea-t-il.

Je décidai que j'étais, pour le moment, incapable de fixer son visage et encore moins son regard pendant de longues minutes, aussi optai-je pour cette partie de lui que je décortiquai déjà quelques minutes plus tôt.

— Le dos. J'ai besoin de m'entrainer pour le dos.
— 'kay.

Sans demander son reste, il prit place dans le canapé. A ma grande surprise, il ne se contenta pas d'une banale position assise et s'allongea sur le ventre, les bras croisés devant lui, la joue en appui dessus. Cette position ne favorisait en rien mon travail de musculature puisque, complètement détendu, le modèle ne bandait aucun muscle, cependant je n'avais guère l'habitude de travailler le corps de ce point de vue et ne me plaignit donc pas. Légèrement musclé, le corps de Maximilien, même au repos, présentait quelques formes avantageuses et mes yeux tracèrent les courbes de sa nuque, dégringolant le dos et l'arrondi de son fessier pour se perdre sur ses mollets. Ce ne fut qu'au bout de plusieurs secondes que je me rendis compte que je l'observais sans avoir effectué le moindre mouvement et Maximilien me fixait de ses yeux sombres. Aucun sourire ne traversait sa bouche pour une fois. Il se contentait de darder sur moi un air curieux, m'observant comme je l'observais et je me sentis soudain plus dénudé que lui. Je me grattai la tête et me dépêchai de prendre place. Les yeux fixés sur mon papier canson, je stressai à l'idée qu'il me fixe avec attention. Et comme si nous étions liés par la télépathie, sa voix s'éleva pour poser cette simple question.

— Je peux fermer les yeux ?

Je relevai la tête, surpris.

— J'ai pas beaucoup dormi cette nuit et si je reste allongé trop longtemps sans bouger, ça va être fatal...
— Bien sûr, déclarai-je. Tu peux même dormir. Tant que tu ne bouges pas, ça ne me pose pas de problème...

Au contraire. Ferme les yeux...

— Cool.

Il ne se fit pas prier et s'exécuta. Le soulagement m'envahit aussitôt. Je me retins de pousser un soupir et profitai qu'il ne me regardât pas pour observer à nouveau ses contours, d'un œil artistique cette fois. Pour la première fois, je remarquai une pointe encrée sur sa peau qui dépassait de son boxer. Sa hanche saillante abritait un tatouage que ma curiosité brulait de découvrir mais je ne voyais décemment pas comment lui demander cela. Je trouvai également dommage de me priver de la représentation des muscles fessiers mais je n'aurai su dire si c'était là les envies de mon fusain ou les divagations plus personnelles de mon âme.

— Hm... Maximilien ?
— Appelle-moi Maxie, par pitié. J'ai l'impression d'être le gosse de riches à la Geoffrey-Charles et Elisabeth Guenièvre, râla-t-il les paupières toujours closes.

Un rire m'échappa face à cette plaisanterie. J'en fus le premier surpris. Je ne m'attendais pas à ce que ce garçon d'apparence si taciturne puisse se montrer drôle.

— Est-ce que... repris-je incertain.

Je regrettai mes paroles et me stoppai là. Je ne pouvais même pas cacher mon visage entre mes mains ou derrière un pupitre. Et mon silence alerta mon modèle qui rouvrit un œil.

— Quoi ? demanda-t-il.
— Non, rien... je...

Il étudia mon air un quart de seconde à peine avant de fermer à nouveau les yeux. Je crus que mon malaise allait s'estomper mais mon cœur rata un battement quand Maxie déploya ses bras et tira sur l'élastique de son boxer noir. Il souleva ses hanches, le temps pour lui de glisser le tissu. Mes yeux s'accrochèrent à l'élastique et caressèrent l'arrondi de son postérieur en même temps que le coton. Il abandonna le sous-vêtement là, à la lisière de ses fesses, qui couvrait le galbe de l'intime sourire des plus généreuses formes de son dos. Et le fait que le vêtement fut repoussé sans toutefois entièrement disparaître donnait à l'ensemble une toute nouvelle note de douceur qui venait s'enliser à la surface des autres émotions, là où le sensuel seul avait échoué.

— Ça te va comme ça ?

Incapable de prononcer une réponse intelligible, je me contentai d'un vague « hm hm ». Je ne sus si je l'imaginais ou non mais il me sembla apercevoir le sourire de Maxie baigner son visage d'une langueur attendrissante. Cette vision ne dura toutefois qu'une seconde à peine avant qu'il ne retrouvât un visage neutre. Je m'étonnais de la facilité avec laquelle il appréhendait mes demandes. Je ne terminai aucune de mes phrases et pourtant il comprenait ce que j'attendais de lui. Je crus bien que ce garçon me fascinait.

Je me mis alors à croquer ses contours et laissait mes mains plus que mon cœur, communiquer avec mes yeux. Je ne me sentais jamais si réel que lorsque le temps prenait fin sous mon regard attentionné. Etrangement, c'est dans ces poses de quelques minutes, quelques heures, quelques instants volés à une vie, que je prenais la pleine mesure de la beauté de la nature. Je ne réfléchissais plus à mes émotions, perdu dans la complexité du rendu que je cherchais. Noyé dans ma concentration, ma contemplation prit fin et le corps de Maximilien redevint un amas de chair, de muscles et d'os. Je ne me souciai plus des émotions trahies par mon visage, pas plus que je ne savais s'il me regardait ou s'il gardait réellement les paupières closes pendant l'entièreté de l'exercice. Crispé les premières minutes, j'appris à me détendre. Je travaillais, rien de plus. Je m'entrainais et Maximilien repartirait avec un billet de plus dans les poches. Je n'avais pas à être gêné. Il ne s'agissait pas de la première fois où je me servais d'un modèle nu comme support, et d'ailleurs l'anatomie de Maxie n'avait plus aucun secret pour moi. Du moins, physiquement car je me souvenais précisément de la première fois où je l'avais aperçu, assis sur l'estrade muni d'une simple serviette, et qui attendait que les élèves prennent place pour le dessiner sous toutes ses formes. Mais quelque part, ce garçon me fascinait bel et bien. Nu, il m'avait semblé plus complexe, plus imperturbable que lorsqu'il se trouvait habillé. Pratiquement plus sûr de lui. Je cherchais encore à comprendre cela. La plupart des modèles, même les plus habitués, ne se sentaient jamais aussi conquérants. Mais ce blond la témoignait d'une force invisible sur laquelle je n'aurais su mettre de nom.

Je baissai les yeux sur mon esquisse de lui et tentai d'écraser ma déception. Jamais mes mains ne sauraient lui rendre justice. Si mes yeux se montraient capables d'appréhender les proportions et les ombres, je ne me focalisais que sur les défauts que mes doigts et mon fusain ne savaient palier.

— Eh Kamil ?

Je quittai mon canson pour relever la tête vers lui.

— C'est Camill.
— Ouais. Je voulais te demander...

Je m'amusais de constater qu'il conservait ses paupières closes pour me parler. J'ignorais si la position était réellement confortable sur ce canapé, mais force était de lui reconnaître une patience et un calme des plus bienvenus pour un exercice comme le mien.

— Oui ? l'invitai-je à continuer.
— T'es gay ?

Mon fusain manqua de traverser la feuille de long en large et je me forçai à poser le crayon avant que la mine ne traçât quelques malheureux traits. Mon rythme cardiaque grimpa en flèche. Il n'y avait pourtant aucune raison car mon modèle avait posé cette question sur le même ton de celui qui venait de me demander l'heure. Pour autant, je ne m'habituais jamais à ce sujet, encore moins à l'oral. Et encore moins avec un presque parfait inconnu.

—Non, mentis-je délibérément.

J'essayai de conserver un visage neutre mais mon ton de voix n'aurait trompé personne et ma main tremblait plus qu'elle ne l'aurait dû. J'étais incapable de dessiner à nouveau.

— 'kay, répondit simplement le garçon.

Il semblait se ficher pas mal de ma réponse et je me demandai tout à coup quelle aurait été sa réaction si je lui avais répondu que je ne faisais que supposer ma sexualité, bien incapable de me fixer sur l'échelle si vaste de l'orientation. Si j'étais celui de mes amis à avoir vu le plus de corps nu, j'étais cependant le seul à n'en avoir encore touché aucun.

— Pourquoi ?

La question m'échappa et je gardai délibérément la tête baissée sur la feuille, bien trop longtemps pour que cela fût naturel car on aurait dit que je pouvais aisément me passer de modèle. Je ne voulais simplement pas croiser son regard.

— Parce que jamais personne ne m'a regardé comme tu le fais.

La brulante honnêteté de sa réponse me laissa sans voix. La mine à plat sur son corps de papier, je me forçai à redresser la tête. Je ne rencontrai pas ses yeux marron. Je ne sus déterminer si j'en fus soulagé ou si je n'en retirai qu'une étrange frustration.

— Je suis désolé, dis-je. Être modèle n'est clairement pas un métier facile. Vous êtes nombreux à nous dire que c'est effrayant de se sentir dévisagé comme ça, décortiqué comme un vulgaire objet de nature morte... Mais ce n'est pas...
— Je parlais pas de ça... Crois-moi, t'es pas le premier qui...
— Camill ? lança la voix de ma colocataire.

Je me raidis sur place. Lisa n'était pas censée rentrer si tôt. Elle m'avait assuré se rendre à une fête avec ses amis, aussi, c'est l'air déconfit qu'elle me trouva alors que je tentai de garder mon calme.

— Ben qu'est-ce que tu... Wahou ! Quel cul !

Je fermai un instant les yeux, priant Dieu s'il existait, de bien vouloir m'épargner cette situation trop longtemps.

— Merci, répondit stoïquement Maxie.

Un sourire animait pourtant ses lèvres et je ne pus m'empêcher de secrètement jalouser ma coloc. Elle ne se privait jamais d'exposer ses pensées, ce que j'étais tout bonnement incapable de faire.

— De rien. Vivre avec un étudiant en art c'est vraiment le pied. Je recommande ! lança-t-elle, guillerette, alors qu'elle s'était tournée vers moi. Désolée, je ne fais que passer. Je prends mes chaussures plates et je file !

Sur ces mots, elle disparut dans sa chambre et je l'entendis fouiller le bas de son placard et sans doute jeter quelques couvercles de boites de chaussures derrière elle, le temps de trouver la bonne paire.

— Voilà. Je ne pense pas rentrer cette nuit. Si jamais ton modèle en a marre du canapé, il peut toujours squatter mon lit, ça ne me dérange aaaaaaaabsolument pas. Bonne fin d'aprem ! s'exclama-t-elle sans même attendre de réponse.

Je ne dirais pas non au fait qu'il squatte le mien aussi mais je mourrai cent fois avant qu'il ne le sache.

Je me mordis les lèvres pour ne pas rire malgré moi. La main perdue dans mes cheveux châtains, je me grattai le cuir chevelu, incapable de relancer la conversation, quand la porte claqua derrière elle. La tornade Lisa venait de disparaître, et avec elle l'apparente fragilité des lieux.

Ce n'est que lorsque je croisai à nouveau le regard de Maximilien que je me souvins de sa phrase.

« Tu n'es pas le premier qui... »

Qui quoi ? m'interrogeai-je malgré moi.

Je faisais partie du groupe d'élèves qui avait dessiné Maximilien pour son tout premier jour en tant que modèle. Il savait que je n'étais pas le premier élève à le voir dans le plus simple appareil. Alors le premier qui quoi ? Comme s'il entendait mes turbulentes pensées, le coin de ses lèvres remua et vint se jucher plus haut sur sa joue. Son sourire me donnait furieusement envie de me cacher derrière ma feuille de canson. En lieu et place, mes iris clairs finirent par capter une tache d'ombre que je n'avais pas regardée depuis. La pointe d'encre du tatouage avait laissé place à ce qui s'apparentait à une fleur de lotus. D'un abord presque celtique en son creux, les pétales se muaient lentement en des contours plus délicats, presque féminins. La fleur épousait l'ose de sa hanche et quelques tiges semblaient chercher à s'attacher à sa peau.

— Tu ne dessines plus ?

Je sursautai presque. Accaparé par ma contemplation, je me retins à grand peine de rougir face à ce que je prenais pour une pure provocation.

— Si, bien sûr...

D'une main malhabile, je repris mon crayon et m'efforçai de retrouver ma concentration. En réalité je maudissais Lisa de nous avoir interrompus.

Je n'étais pas le premier qui quoi ? Qui le voyait nu...en dehors d'un groupe de travail ? Je n'étais pas le premier homme ? Etait-ce ce qu'il essayait de me dire ? Je déglutis, dans l'incapacité de fixer mon attention. Le regard de Maximilien posé sur moi ne m'y aidait pas non plus.

— Est-ce que tu peux... Te remettre comme tu étais ? demandai-je.
— Je n'ai pas bougé de place, rétorqua-t-il.
— Je veux dire... fermer les yeux.
— Tu me mates comme jamais on m'a maté mais je peux pas te regarder cinq secondes ? se moqua-t-il, la bouche à demi dissimulée derrière son biceps.

Mes joues chauffèrent de plus belle. Il touchait là un point sensible. Mais il ignorait bien que je luttais contre cela chaque jour. Ou plutôt, sans penser à un quelconque combat intérieur, je cherchais tout simplement à comprendre. Me comprendre. Qui étais-je ? Qu'aimais-je ? Aimais-je la beauté du corps des femmes ou davantage celui des hommes ? Et au-delà du regard, étais-je prêt à franchir la barrière si abstraite de la vue pour me consacrer à celle du toucher ? J'étais perdu, et l'âme échauffée de Maximilien ne m'aidait guère à y voir clair.

— Ça n'a rien à voir, me défendis-je. Je suis bien obligé de t'observer si je veux pouvoir tracer tes contours.

Je m'enfonçai dans ma mauvaise foi et quittai ses yeux amusés pour me replonger dans mon dessin. Et alors que ma main tentait vainement de m'emmener dans les recoins de mon imagination d'artiste, la voix de Maxie m'y propulsa avec une force qui me coupa le souffle.

— Moi aussi je peux tracer des contours.

A peine eut-il prononcé ces mots qu'il se tut. Les yeux de nouveau fermé, m'invitant à ne pas le questionner, il me laissa sans voix, surpris, le cœur battant. Je n'étais pas connu pour mon excellente mémorisation des visages, en revanche je me souvenais parfaitement de l'une des phrases de présentation de Maximilien lorsque le professeur l'avait annoncé pour notre cours.

« Je vous admire. En dehors d'écrire, je suis incapable d'utiliser le moindre crayon pour dessiner ».

Tout à coup, ces derniers mots s'accrochèrent à moi et l'ombre de ses insinuations s'étira sur mes secrets.

Si tu sais à peine te servir d'un crayon... avec quoi veux-tu tracer des contours ?

Lentement, mes iris remontèrent jusqu'à lui. Et quand son corps presque nu oblitéra de nouveau ma vision... je compris. Je compris à quel point mon imagination pouvait se montrer plus précise encore que mon sens de la vue. Je compris que bien que je n'étais certain de rien, ma peau réclamait la sienne plus encore que mes graphites réclamaient leur papier. Et surtout, je compris bien trop tard mon erreur. A présent que j'avais fait rentrer ce garçon dans ma vie... je sentais que plus rien ne serait comme avant. Cette idée me grisait autant qu'elle m'effrayait. Et c'est sur ces légères pensées que ma main s'envola de nouveau. Il me plaisait de songer que c'est nu que Maximilien prenait vie sous mes mains. 

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