Ce fut le froid et l'inconfort de ma position qui me tirèrent des brumes de l'inconscience. J'étais allongée sur des cailloux à l'intérieur d'une grotte, sûrement creusée dans la falaise.
Je frissonnai et me relevai, j'avais mal partout et mes habits étaient trempés. Je regardai autour de moi, cherchant quelque chose qui aurait pu expliquer comment je m'en étais sortie et comment j'avais atterri ici.
Les pierres s'entassaient sur le sol et de l'eau gouttait du plafond, l'atmosphère me rappelait les films d'horreur que j'avais pu voir. J'allais me tourner vers Derek pour lui demander où nous étions, mais je réalisai alors qu'il n'était pas vers moi. Quelle conne j'étais !!
Je paniquai. Est-ce que le jeune homme avait été emporté par les vagues et s'était noyé ? Ou s'en était-il sorti vivant ? Je criai son nom et l'écho me revint. J'avais envie de pleurer.
Je me décidai finalement à bouger, je peinai à avancer, mais je réussis à me traîner de quelques mètres. Je n'avais aucune assurance de retrouver Derek, je n'avais rien pour affirmer que mon coéquipier était en vie, et je craignais le pire.
Après avoir parcouru un mètre ou deux, je repérai du tissu. Un espoir s'insinua en moi et malgré l'endroit, je me mis à courir. Mais lorsque j'arrivai près du corps, je me rendis compte que ce n'était pas mon ami, mais plutôt un cadavre, enfin un squelette. Je criai et reculai en essayant de ne pas tomber. Je désespérai, Derek était sûrement mort noyé, je me retins cependant pour ne pas pleurer, par égard pour lui.
— Amy...
J'entendis un murmure qui m'appelait. Je tournai la tête de tous les côtés pour essayer de déterminer d'où il venait mais je ne trouvais rien.
Un nouveau murmure, et cette fois-ci, j'étais persuadée qu'il venait de derrière le gros rocher que je voyais devant moi. Au point où j'en étais autant vérifier s'il y avait quelqu'un. Je m'approchai à pas de loup et contournai prudemment le rocher. Ce fut alors que je le découvris.
— Derek !!
Le jeune homme était appuyé contre le rocher, la jambe droite tendue devant lui. Ses habits étaient trempés et ses cheveux bruns avaient viré au noir.
Une grimace était encrée sur son visage. Je m'assis à côté de lui et le serrai fort dans mes bras, il était en vie et c'était le plus important, nous restâmes un bon moment dans cette position, je ne savais pas quelle heure il était, j'avais perdu ma montre.
— Derek, il faut avancer, les démons ne sont peut-être pas loin ! dis-je en me relevant et en prenant sa main.
— Je ne peux pas...
La voix de Derek n'était qu'un murmure. Je me figeai, sa main toujours dans la mienne, je le regardai attentivement avant de poser la question fatidique :
— Pourquoi ?
— J'ai probablement une entorse à la cheville, je ne peux pas marcher...
Le jeune homme ne me regardait pas dans les yeux et après avoir retiré sa main, il retroussa l'ourlet de son pantalon pour me montrer l'état de sa cheville. Sa couleur était bleue nuancée de violet et très enflée.
J'entendis alors des bruits au fond de la grotte. Je m'aperçus alors que ce n'était pas une grotte mais que ça se prolongeait, et le bruit venait de là. Je ne savais pas pourquoi, mais mon instinct me dictait d'aller là-bas.
— Derek, il faut qu'on avance, insistai-je.
— Je ne peux pas marcher je te dis.
Je passai ma main autour de son buste et de l'autre je pris sa main gauche dans la mienne et l'aidai à se relever. Derek comprit mon intention et fit un effort pour se mettre debout, son visage était crispé par la douleur et l'effort.
Un pas après l'autre nous avançâmes dans le couloir sombre qui ressemblait à un boyau, les parois était recouvertes d'une substance à la couleur de la rouille, sûrement du sang séché. Les bruits continuèrent et devinrent plus forts. Soudainement, une petite fille apparut devant nous.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.
Je criai de peur, je ne m'attendais pas à une présence dans un endroit aussi sinistre. La petite fille, qui ne devait pas avoir plus de 12 ans, me regarda d'un air innocent et pencha la tête, attendant une réponse à sa question.
Je soutenais Derek du mieux que je pouvais, mais l'apparition soudaine de cette fille m'avait fait sursauté et j'avais reculé de quelques centimètres, j'espérais juste que je n'avais pas aggravé le cas de Derek.
— Vous êtes muets ? questionna la fillette.
— On est perdu, tu saurais où on est ? demanda Derek.
Sa voix était étranglée, et j'avais l'impression qu'il voulait pleurer, mais qu'il se retenait. La petite fille le regarda attentivement et sans dire un mot de plus, elle s'éloigna vers le fond de la grotte. Est-ce qu'on l'avait vexée ? Je ne savais pas, mais en tout cas, nous n'allions pas resté là comme des cons. Je fis signe à Derek d'avancer.
Après cinq minutes à suivre la fillette, nous arrivâmes dans une pièce circulaire. Le sol était dallé et un puit se tenait au centre, au plafond, des pierres précieuses scintillaient, je n'arrivais pas à dire ce que c'était comme pierres, mais leur lueur me rassura. Devant le puit, un vieil homme dormait. La petite fille le rejoignit et lui dit :
— Grand-père, on a de la visite !
Le vieil homme se réveilla et agita la main devant lui, comme s'il cherchait à chasser des mouches. Ses cheveux blancs coupés court brillaient sous la lumière des pierres et ses yeux étaient semblables à deux saphirs.
Il fixa sa petite-fille qui s'assit sur le sol en regardant Derek d'un air passionné, ce que mon partenaire ne semblait pas vraiment apprécier. Le vieil homme le remarqua et dit d'une voix philosophique :
— C'est la première fois qu'elle voit un homme en dehors de moi.
Derek haussa les sourcils et je sentis sa main se serrer autour de mes épaules. J'avais le sentiment que l'on pouvait faire confiance à cet homme et à cette petite fille. Mais comme mon acolyte ne semblait pas vouloir en placer une, je me résolus à parler pour nous deux.
— En fait, on faisait une...promenade, la falaise a cédé et on s'est retrouvé ici.
J'avais simplifié les choses au maximum. Cet homme n'avait pas besoin de savoir que l'on n'était qu'à moitié humain. Celui-ci leva les yeux au ciel et son regard saphir me transperça.
— Je sais qui vous êtes.
— Vous savez qu'on s'appelle Amy et Derek, et alors ? s'emporta mon partenaire.
— Vous êtes des Traqueurs.
Derek se tut immédiatement, il n'avait rien à répondre à ça. Mais comment ce vieillard savait-il ce que nous étions ? Comme s'il avait lu dans mes pensées, l'homme dit :
— Je suis un oracle, je sais tout de votre monde.
— Tout de chez tout ? demanda Derek sans ironie.
— Absolument tout.
Derek me regarda et je sus exactement ce qu'il comptait faire. Dans un sens j'étais pour, mais dans l'autre absolument pas, j'avais peur de la vérité. Cette fois-ci, ce fut moi qui resserrait ma main autour des côtes de Derek.
— Est-ce que vous connaissez la prophetia ? demanda-t-il.
— Arrêtez de prendre des détours, si vous voulez savoir qui est l'aigue-marine, c'est vous jeune homme.
Le silence tomba, sourd et oppressant. J'avais vu juste, Derek était bien le protagoniste de cette histoire ! Je le fixai car j'avouais qu'avec le choc, je craignais qu'il ne s'évanouisse. Et ce fut là que je la vis, l'émotion que Derek s'efforçait de cacher, c'était un mélange de détresse et de panique. Même lors de précédentes missions, jamais autant d'émotions n'étaient visibles alors qu'il s'était blessé méchamment plus d'une fois.
— Allons allons, ne vous mettez pas dans un état pareil jeune homme.
— Mais qui êtes-vous pour me parler comme ça ! On ne connaît rien de cette prophetia et vous débarquez pour nous dire : c'est de votre faute si une guerre va éclater !
Derek perdait tout son sang-froid, je ne l'avais jamais vu dans un pareil état de rage, mais je devais avouer qu'il avait raison à propos de cet homme. Mais celui-ci ne semblait pas trop apprécier le fait que Derek lui parle comme ça. Il regarda mon ami droit dans les yeux, le brun essaya de soutenir son regard, mais après quelques secondes, il baissa le regard. Derek ne se laissait jamais intimider, je ne comprenais vraiment plus rien.
— Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur cette prophetia ? demandai-je poliment.
— Hm, je ne connais pas son sens à vrai dire...
Je sentais que Derek allait craquer. Si sa cheville n'était pas dans un tel état, il aurait sûrement frappé l'homme. Le vieillard nous demanda de le rejoindre devant le puit, mais il remarqua alors la cheville de Derek.
— Qu'a votre cheville ?
— Rien ! répondit celui-ci de mauvaise foi.
Un nouveau regard froid du vieux et Derek baissa à nouveau la tête avant de répondre.
— Sûrement une entorse.
— Vous permettez que je regarde ?
Ce n'était pas une question mais un ordre. Derek n'eut pas d'autre choix que de lui montrer, sa cheville virait sur le violet et des traces de jaunes la marbrait.
— Votre cheville est cassée, ce n'est pas juste une entorse.
— Eh ben nickel...
Derek soupira fortement et je voyais qu'il était désespéré. La petite fille rejeta ses longs cheveux argentés en arrière et regarda son grand-père en sautillant.
— Je peux le soigner ! S'il te plaît ! Laisse-moi l'aider !
Elle avait l'air vraiment enthousiaste, ce qui n'était pas le cas de Derek qui me lança un regard paniqué et plein d'espoir. L'homme approuva et la fillette se posta devant Derek, elle posa ses deux mains sur la cheville enflée de Derek.
Elle fut alors entourée d'un halo lumineux tellement éblouissant que je fermai les yeux, j'entendis malgré tout Derek crier de douleur à côté de moi, lorsque je les rouvris, je vis que le regard de mon partenaire était embué de larmes.
— Ça va ? m'inquiétai-je.
— Je l'ai guéri ! s'exclama la jeune fille.
— Les os de ta cheville se sont ressoudés, mais tu risques d'avoir encore mal quelques jours, déclara le grand-père.
Derek réussit juste à articuler un merci. Je le regardai serrer les dents. Nous n'étions pas vraiment avancés, cet homme nous avait juste dit que Derek était l'aigue-marine mais rien d'autre. J'allais l'interroger à nouveau dans l'espoir qu'il puisse tout de même nous éclairer sur certains points.
Mais je n'eus pas le temps d'ouvrir la bouche que l'homme me dit :
— Le puit répondra à tes questions.
— Quoi ?
Il me désigna le puit sur lequel la fillette était assis. Je ne compris pas pourquoi, mais je me penchai et soudainement, l'eau me happa. Je tombai encore et encore, avant d'atterrir malgré tout en douceur sur le sol, autour de moi des milliers de pierres variant du rose pâle au rose foncé m'entouraient.
Où étais-je encore tombée ? Je tournai sur moi-même pour essayer de découvrir ce fameux endroit, mais rien à part ces pierres roses n'était reconnaissable.
— Tu cherches quelque chose Amy ?
Une voix me posa cette question. Et je connaissais ce timbre mieux que personne, car c'était le mien ! Ma propre voix me parlait, je me retournai brusquement et tomba nez à nez avec moi-même, portant une robe blanche vaporeuse comme celle des déesses grecques de l'Antiquité.
— Qui es-tu ? demandai-je malgré tout.
— Eh bien, je suis un oracle subconscient.
— Pardon ?
Honnêtement ça me paraissait un peu absurde. Comment un oracle subconscient pourrait-elle répondre à mes questions ? Elle me confirma tout fois ce qu'elle m'avait dit. Et sans que je m'y attende, elle me dit :
— Ça avance avec Derek ?
— Quoi ?
— Ne fais pas l'innocente ! Je sais tout !
— Ah et qu'est-ce que tu sais exactement ? La provoquai-je.
Ça m'énervait les gens qui pensaient tout savoir alors qu'ils ne savaient rien Moi numéro deux se mit à rire à gorge déployée, lorsqu'elle fut calmée elle dit :
— Ne prends pas pour une idiote, il t'a offert des rubis ! Tu sais bien que cette pierre représente l'amour.
— Ouais mais ça ne prouve rien ! Enfin bon, je suppose que ce vieux monsieur ne m'a pas fait venir ici pour parler de ça !
— En effet, je suis là pour te parler de la prophetia.
Enfin. Enfin j'allais savoir pourquoi il y avait autant de mystère autour de ça. Elle me regarda et commença.
— Bon tu dois sûrement savoir que Derek est l'aigue-marine, honnêtement je suis étonnée que vous ne l'aillez pas trouvé plus vite, ses yeux sont de la même couleur que la pierre. Avec cette technique, tu peux déduire qui est la tourmaline rose.
Je réfléchis, si l'aigue-marine était Derek parce que ses yeux étaient bleus translucides, la tourmaline rose devait donc avoir les yeux roses, et je ne connaissais qu'une seule personne qui avait les yeux de cette couleur.
— Non ce n'est pas possible.
— Eh pourtant oui, c'est toi la tourmaline rose.
Cette phrase tomba comme une sentence. Ce n'était pas possible que ce soit moi, mais si c'était la vérité, ça expliquerait peut-être pourquoi j'avais été assignée en binôme avec Derek.
Mais au moins une chose était sûre c'était que maintenant je comprenais une partie de la prophetia. Lorsque Derek et moi nous rencontrerions, il y aurait une guerre. Voilà ce que j'avais compris, mais les derniers vers demeuraient incompréhensibles.
— Qu'est-ce qui va se passer ? demandai-je.
— Ben une guerre va éclater, dit-elle étonnée.
— Oui mais pourquoi ?
— À cause de l'amour.
Je crus avoir mal compris. Une guerre allait éclater à cause de l'amour, et ce, lorsque Derek et moi allions nous rencontrer.
— Ça veut dire qu'elle va bientôt commencer !
— Oui, je n'en sais pas plus, tu vas bientôt retourner vers ton partenaire.
Je hochai de la tête d'un air entendu, j'essayai de graver tous les détails de cette rencontre dans ma mémoire, il fallait que j'en parle à Derek, sans évoquer ce que cet oracle subconscient m'avait suggéré.
J'étais de retour dans la grotte, mais pas où le puit se trouvait, ni à l'endroit où Derek s'était cassé la cheville. D'ailleurs en parlant de ça, pourrait-on m'expliquer comme il avait fait ?
— Ah te voilà de retour !
Je me retournai et tombai nez à nez avec le vieil homme. Sans un mot, il commença à marcher le long d'un couloir qui venait d'apparaitre, ou que je n'avais peut-être pas remarqué avant. Derek était appuyé contre une paroi et ne bougea pas, j'en déduisis que sa cheville devait toujours lui faire mal.
Durant un instant qui sembla durer une éternité, je restai plantée sur place et regardai Derek en pensant à ce que ce soi-disant oracle subconscient m'avait dit. Elle avait sous-entendu que j'aimais Derek, sûrement pas !
Pourtant, ce grand brun aux yeux bleus translucides ne me laissait pas indifférente, il était très beau et intelligent par dessus tout, mais un point me contrariait, c'était son humeur imprévisible.
— Amy ?
La voix de Derek stoppa mes pensées, il me fixait d'un air doux, ce qui était assez rare. Je secouai vivement la tête et l'aidai à avancer. Après avoir traversé ce couloir qui sembla durer un temps infini, un rayon de lumière apparut, ce qui me signala la sortie de ce cauchemar.
— Avant que vous ne partiez, la pomme de vie que vous avez trouvée est une fausse jeune homme.
L'homme s'adressa à Derek dont le visage se décomposa sous le choc. Une minute, est-ce que c'était à cause de ça qu'il avait une cheville cassée ? Vu sa tête c'était sûrement la bonne raison. Je montai l'escalier creusé dans la roche aussi vite que je pouvais. Il fallait qu'on retourne le plus rapidement possible au Domus Lucis.
Enfin nous étions dans notre chambre commune. J'étais tellement soulagée que j'avais envie de pleurer. À côté de moi, Derek s'était littéralement laissé tomber sur le canapé et avait grimacé, j'imagine que sa cheville devait toujours lui faire mal. De mon côté, j'avais été dans la salle de bains et j'y étais toujours.
Après avoir passé un bon moment dans l'eau froide, glacée même, j'avais besoin de me réchauffer et de réfléchir. Cet oracle subconscient m'avait dit que j'étais amoureuse de Derek, mais je ne savais pas si elle essayait de me déstabiliser ou si c'était vrai.
J'avoue cependant que lorsque Derek m'avait embrassée au bourg, j'avais aimé. Ce sentiment d'incertitude était tout bonnement affreux. Qu'est-ce que j'étais censé faire?
Je vis alors que la fumée montait autour de moi, il serait peut-être temps de sortir de là. J'enroulai une serviette dans mes cheveux et mis un peignoir avant de rejoindre le salon. J'y vis alors Derek, couché sur le canapé et paisiblement endormi.
Il était si fatigué que ça ? Je ne savais pas, mais en tout cas je devais aller dire à Ric ce qui s'était passé. Mais en voyant le visage de Derek si calme, je n'eus pas le cœur de le réveiller et le laissai dormir.
— Quoi ?
— Oui, notre mission était de niveau 5, répétai-je devant l'air choqué de Ric.
— Montre-moi ça.
Je lui tendis le papier qu'il saisit d'une main tremblante. Il le lut en diagonale en essayant de masquer son trouble. Lorsqu'il eut fini, il me dit :
— Je vais régler ça avec Gregory, merci de m'avoir prévenu.
Il me planta là, comme une gourde. Durant tout le repas, j'avais réfléchis à ce que cette oracle subconscient m'avait dit, sauf que Jay n'arrêtait pas de me fixer et je n'arrivai pas à me concentrer.
Je pensais à Derek sur son canapé, et je me demandai s'il dormait toujours. Et effectivement oui, quand je retournai dans la chambre, il n'avait pas bougé d'un millimètre. Je ne voulais pas le réveiller et je lui apporta une couverture, avant d'aller me coucher.