Récits et Légendes d'Orebya

By BlackIceStone

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Ce que vous vous apprêtez à lire n'est pas une seule et unique histoire, mais un recueil de récits se déroula... More

Introduction
I.2 - La liche des glaces, Partie 2
I.3 - La liche des glaces, Partie 3

I.1 - La liche des glaces, Partie 1

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By BlackIceStone

Helgaïr est la ville de l'un des clans de la région de Fellmork. Ceux-ci, vivant dans des sortes de petites cités, presque des villages, sont généralement dirigés par un conseil de trois stratèges : ils guident leur peuple et nouent les pactes entre clans, pour tenter d'assurer leur survie dans cette région aussi chère à leurs yeux qu'hostile. En effet, Fellmork est un territoire très froid, constitué d'une alternance d'îles rocheuses et de blocs de glace. Les premières, à la végétation abondante ou gelée selon les saisons, sont les lieux d'habitats de la plupart des créatures vivant en Fellmork, certaines hostiles. À l'inverse, les seconds, énormes icebergs formé autour d'un cœur de pierre, sont aussi glacés qu'invivables. C'est dans ces contrées, à Helgaïr, que commence ce récit.

***​

L'aube se levait à peine sur la petite ville d'Helgaïr. Bâtie sur une île un peu plus basse que la surface, dans une sorte de renfoncement assimilable à une vallée, elle commençait tout juste à être éclairée par la lumière matinale. Ses maisons de bois et de chaume, arrangées en ruelles irrégulières, ne semblaient avoir pour seule protection que les trois tours carrées qui les dominaient. Épaisses et peu hautes, découpées dans un bois des plus solides, elles étaient chacune surplombée par une baliste enfermée dans une cage en acier, elle-même fondue en un maillage formant un dôme. Les lueurs sortant de leurs fenêtres trahissaient la présence de gardes, veillant jour et nuit sur la cité. C'était vers l'une de ces bâtisses que se dirigeait d'un pas déterminé un homme : enroulé dans sa grande cape bleu sombre, il portait une tenue de protection légère, ainsi que des armes reconnues comme redoutables dans cette région. Il avait la carrure d'un guerrier, la détermination d'un meneur, et ses grandes enjambées le portaient rapidement le long de la grande avenue de terre parsemées de pierres et de boue. Les insignes qu'il portait ne faisaient finalement que confirmer son appartenance au groupe des flarniens, les guerriers-gardiens, mages autant que soldats et chargés de défendre les cités en Fellmork.

En ouvrant brusquement la porte, l'homme fit sursauter un second flarnien, assis à moitié assoupi. Bien plus rond que le premier et rasé court, il portait le même style d'équipement, et semblait las d'une longue nuit de veille. En voyant entrer son compagnon, il se redressa soudainement et eut peur un instant, avant que ce dernier enlève son casque et ne dévoile à la lueur des torches ses traits sévères, mais tant adoucis près de ses proches. Son trait le plus distinctif était une balafre qui lui traversait le visage de part en part, souvenir d'un douloureux épisode de sa vie.

« Ah, Haldrick ! Toujours aussi rapide à venir prendre la relève, mon ami ! s'exclama, soulagé, le guerrier surpris aux portes du sommeil.
- Tu as l'air d'en avoir bien besoin, Grimvar, répondit gaiment Haldrick, en refermant la porte de la tour.
- Ah ça, oui... C'est toujours aussi ennuyant de garder les tours en ville, il s'y passe rien. Je préfère encore aller chasser les gobs avec toi, le taquina Grimvar, que passer la nuit à veiller comme ça.
- À propos des maraudeurs gobs, justement... Les tours de garde externes en ont encore aperçus rôder autour de l'île, s'inquiéta son ami en s'adossant au mur face à lui.
- Eux ils ont encore moyen de pas trop s'endormir, là-bas ! Je suis d'avis qu'ils nous volent tout mon travail, avec ces maudites tours, plaisanta-t-il, il ne se passe jamais rien au niveau de la ville.
- Tu en rirais un peu moins si toi aussi, tu avais une famille à défendre, et que ces maudites tours, justement, pouvaient les sauver d'une attaque imprévue, sourit Haldrick.
- Bah ! En tout cas, si on finit par agir, j'veux quand même venir chasser ces affreux. On suit leur trace, on trouve leur terrier et on fait tout cramer, et comme ça je serais plus le seul à m'assoupir la nuit.
- J'irai voir le stratège de guerre pour monter une petite expédition. Il y a peu de risques, il devrait me laisser faire sans trop de problèmes... D'autant que je suis bien vu de lui, je crois, s'amusa Haldrick.
- On dirait un bourgeois, pour parler ainsi, pas un...
- Silence ! l'interrompit brusquement Haldrick »

De l'intérieur de la tour, on entendait faiblement quelques cris et bruits, non pas ceux, habituels, d'enfants jouant dans les rues, mais ceux des fracas d'un début de combat. Il fallut aux deux hommes un instant pour comprendre la situation, avant de se précipiter pour saisir un bouclier et sortir en courant. « À vos postes, on est attaqués ! » cria Grimvar aux soldats situés plus haut dans la tour, avant de se jeter dehors armes à la main.

En sortant, la guerre semblait déjà au cœur de la ville. De multiples monstres ayant l'apparence grossière d'une chimère mi-chauve-souris géante, mi-humaine, volaient dans le ciel et piquaient régulièrement vers le sol, tandis que les balistes au sommet des tours mettaient en branle leurs mécanismes pour leur permettre de pivoter sur leur socle et cibler leurs ennemis. Le puissant gong d'alerte se mis bientôt a retentir à travers la ville. Les cris les plus proches ne semblaient venir que de quelques rues plus loin. « Grimvar ! Prends toutes les troupes à la caserne, et défend l'est ! » ordonna Haldrick. Ce dernier se rua ensuite vers le centre de la ville, d'où des fracas provenaient. Dans le ciel, les explosions de feu provoquées par les tirs enchantés des balistes frappaient les monstres ailés et illuminaient les rues. L'un de ces monstres, qu'on nommait gargouilles, s'abattit les ailes déchirées par les flammes juste devant Haldrick, qui, dégainant sa hache, l'acheva au sol d'un coup sec.

Enfin, il arriva sur la grande place de la ville, le cœur de la cité. Les maisons silencieuses s'alignaient irrégulièrement en une vague forme circulaire autour d'un espace de terre et de boue. Au centre, le puits en pierre se tenait fièrement droit, entouré par des étals vides des commerçants. Cette zone habituellement animée et joyeuse était maintenant occupée : plusieurs individus, affublés d'armures et d'accoutrements sans logique aucune entre les pièces d'équipement, leur donnant un air presque aussi carnavalesque que terrible, étaient déjà occupés à tenter d'abattre les habitants au sortir de leurs maisons. Il n'y en avait qu'un petit nombre, épars, sans aucune organisation digne de soldats, et leur démarche chancelante allait de pair avec leurs mouvements hésitants. Haldrick partit sans hésiter à l'assaut, traversa la place en un instant et abattit sa hache dans le dos du premier d'entre eux à portée : enchantée, elle le gèlerait de l'intérieur et le tuerait sur le coup.

Mais la créature chancela, se redressa en se dégageant aisément de l'arme plantée dans son dos et se retourna. Eut-elle été intelligente, elle aurait pu apercevoir l'éclair d'horreur traversant les yeux du guerrier : cet opposant n'avait aucune chair sur les os, et n'était plus qu'un squelette déambulant, aux gestes maladroits et imprécis, recouvert non de peau, mais d'armure. Sa tête, réduite à un crâne sans visage, n'exprimait rien sinon la mort, et les cris de terreur des hommes courants alentour se répercutèrent dans l'âme du flarnien : ces êtres, c'était une légende, un conte à faire peur que l'on racontait aux enfants pour leur expliquer pourquoi personne ne vivait plus sur la surface même. C'étaient les habitants d'un monde terrible, des véritables enfers situés loin sous leurs pieds, dont les hommes se pensaient protégés par l'altitude. Et maintenant, les morts-vivants étaient venus jusqu'ici pour tuer son peuple.

Le coup d'épée porté sur son bouclier le tira de sa position figée. Soudain pris d'une folie de destruction, il répondit par un terrible assaut, et brisa successivement le crâne de trois squelettes qui s'effondrèrent au sol, puis continua à se battre entre les étals, seul et à grands cris de rage contre les morts, les lacérant avec sa hache et ses sortilèges. Il mit tellement de fureur dans l'un d'entre eux qu'il gela sur place un revenant, avant qu'il ne s'effondre les os brisés par le froid. Bien vite, plusieurs hommes et femmes sortirent de leurs maisons l'arme à la main prendre part au combat. « En ligne avec moi, ordonna le gardien de la ville, et faites leur sauter la tête, qu'on les renvoie dans leur tombe ! ». S'ensuivit des passes d'armes d'une brutalité peu commune entre les deux camps, alors même que d'autres squelettes affluaient depuis différentes rues. Organisés derrière leur chef, les courageux volontaires l'aidèrent à progressivement vider la zone, au sacrifice, pour certains, de leur propre vie.

Malgré les quelques renforts adverses, la place principale finit par se vider, restant souillée des cadavres et du sang d'Helgaïr versé. Avec quelques entailles et coups, Haldrick était prêt à continuer à défendre sa ville plus loin dans les rues. Soudainement, il sentit une présence dans son dos : il se jeta au sol de côté, de justesse pour éviter une gargouille qui fondait sur lui. La femme juste derrière n'eut pas autant d'agilité et se fit arracher la tête par la créature qui reprit aussitôt son envol. Haldrick profita de cet instant pour saisir et armer son arbtria, sorte de petite arbalète dépourvue de la pièce métallique recourbée en forme d'arc, et composée d'un simple manche et d'un mécanisme de ressorts. À genoux au milieu de la poussière et du sang répandu, il cala son arme avec précision. Déjà, la gargouille redescendait en piqué sur lui, inconsciente du danger qu'elle courait. Alors, quelques mètres avant l'impact, il décocha son trait, d'une puissance telle qu'il pénétra entièrement dans son corps. Abattue d'un seul coup, elle chuta devant Haldrick qui, se relevant et contournant le cadavre, repartit aussitôt au combat défendre son clan, ses amis et surtout, sa famille.


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Les combats avaient enfin cessés. Il n'y avait plus de cadavres animés par des pulsions meurtrières, mais les rues d'Helgaïr étaient parsemées de corps sans vie. Des habitants passés au fil de l'épée s'entassaient pêle-mêle au milieu d'hommes surgis d'un autre temps et réanimés pour venir chercher leur fin dans le ciel, sous une pluie de coups de hache. Les survivants épars pensaient leurs blessures ou pleuraient leurs morts. La ville elle-même portait les stigmates du combat récent. Entourant les ruelles rougies de sang, les bâtiments portaient des traces d'un affrontement violent : les portes étaient enfoncées, les murs avaient subi des impacts de sortilèges et certains s'en étaient même écroulés. Un des quartiers avait été mis en feu par l'adversaire.

Haldrick marchait entre les morts, cherchant d'éventuels survivants à secourir, ou achever. Il avait défendu, à l'aide de combattants de fortune, le cœur de la cité contre l'invasion pendant que le gros des troupes de soldats reprenait les abords de la ville face au flot des troupes attaquantes. Retourné sur la place principale, il vit arriver son ami à la tête de soldats blessés voire estropiés.

« Grimvar, quel rapport de bataille, de ton côté ? l'interpella Haldrick
- Malheureusement, pas des très bonnes nouvelles. Ces enflures de morts-vivants ont pris la fuite alors même qu'ils semblaient nous écraser. Il leur reste beaucoup des leurs, et un nombre important de nos soldats sont tombés. Je n'en reviens toujours pas que ces saloperies... Que ces créatures d'la mort soient...
- Avons-nous la moindre idée de ce qu'ils voulaient ? l'interrompit Haldrick. Pourquoi sont-ils venus de si loin pour tuer et si soudainement se replier ? Ça n'a pas de sens !
- On n'a pas grand-chose. Ils ont incendié plusieurs maisons en bordure, mais rien pillé, et... par contre, hésita Grimvar, ils ont fait des prisonniers, au moins une vingtaine. C'est pas logique pour des créatures si stupides.
- Vous vous êtes battus près de chez moi... As-tu vu ma famille ? »

Grimvar se rapprocha alors de son ami, et, lui posant la main sur l'épaule, répondit doucement sur un ton de regret : « On a été débordés. J'ai envoyé des hommes sécuriser la zone, mais les maisons de ton quartier ont été touchées par les flammes. On n'a vu ta famille nulle part. J'ai peur... Qu'ils s'en soient pas tirés »

À ces mots, Haldrick sentit son cœur bondir. Il se mit à courir à en perdre haleine vers son fragile foyer, sans doute perdu entre des torrents de feu. Dans la rage du combat, il pensait défendre sa famille des envahisseurs, mais il avait maintenant l'impression d'avoir abandonné aux morts-vivants sa femme, son fils et sa fille. Il traversa en instant la cité, manquant plusieurs fois d'être percuté et piétinant sans s'en soucier les restes squelettiques au sol. Déjà, en approchant de chez lui, il voyait la fumée s'élever de partout, tandis que ses semblables s'affairaient à désespérément éteindre les incendies dévorant leurs habitations. La charpente de sa propre demeure était déjà en proie à des flammes qui commençaient à lécher les murs, le toit se réduisant peu à peu en cendres.

Sans perdre un instant, Haldrick passa la porte. L'intérieur, alternant entre semi-pénombre et brasiers ardents, sentait la mort et baignait dans une température difficilement soutenable. Le guerrier hurla le nom de sa femme à travers la maison, puis celui de ses enfants, il courut de pièce en pièce, criant et basculant dans la panique, sautant par-dessus les meubles en feu, mais il ne put trouver aucune trace ni de son aimée Bealda, ni de ses précieux enfants Elryna et Sighvat. Arrivant dans la chambre qu'il avait partagée de si longues années avec sa femme, toutes leurs possessions communes se réduisaient progressivement en cendres, tous leurs souvenirs s'envolaient, et seul restait encore le lit qui, vision horrifique, était taché de sang. La chaleur eut raison des larmes coulant sur les joues d'Haldrick, avant que d'un pas beaucoup plus lourd, il fît marche arrière, sans se préoccuper du danger l'entourant.

Autour de lui, tout partait en fumée. Et puis, il entendit ce bruit... Un grognement assourdi par la cloison, venant de la chambre qu'il avait construite pour Sighvat, son plus jeune enfant. Il saisit brusquement sa hache et s'en approcha, à pas prudents. Il y eut encore un bruit de raclement et d'éclaboussement, accompagné de sons plus répugnants. Étouffant dans la chaleur, Haldrick jeta un sort qui maintiendrait temporairement une couche gelée à la surface de sa peau, puis fit un pas dans la pièce.

Et il aperçut soudainement l'origine des grognements : devant lui se tenait de dos et accroupit une créature humanoïde décharnée, à la peau lisse et grisâtre sous laquelle saillaient ses os déformés, et nue comme une bête. Elle se repaissait bruyamment dans les entrailles déchirées de Sighvat, dont le corps assassiné gisait à ses pieds. Haldrick se figea, plongé dans l'horreur : devant lui se tenait un être mort longtemps auparavant, mais se mouvant encore pour cause de sorcellerie ou de malédiction. Et il plongeait ses longues griffes et ses crocs acérés dans le corps, lui sans vie, de son fils, son dernier-né tuée avant même sa quinzième année.

La goule tourna brusquement son visage ensanglanté vers Haldrick. La bouche et le corps dégoulinants de sang, des boyaux entre ses mains, elle tenta vainement de se jeter vers le guerrier, la gueule ouverte et les crocs tendus, mais celui-ci répondit d'un mouvement de hache et la décapita sur le coup. Alors, plein de fureur, il s'acharna, frappa encore et encore sur l'immonde cadavre, résolu à le découper en d'infimes morceaux. Enfermé dans une sphère de folie et de détresse, son monde se résuma pendant ces courts instants à abattre sa hache répétitivement, peu importe les projections d'os et de membres. La poutre en feu s'effondrant derrière lui le rappela à la réalité lorsqu'il se releva, le visage maculé de larmes et de sang.

Voyant alors le corps mutilé de son enfant, il décida de lui rendre les derniers hommages au milieu même du brasier. Sa peau gelée fondant subitement, il jeta autour de lui un puissant enchantement d'aura glacée, repoussant les flammes infernales d'un sort, puis pris délicatement les restes de son fils et les déposa dans son lit. Les souvenirs de son dernier vol dans les cieux avec lui, de la dernière soirée où ils chantaient encore joyeusement ensemble, l'assaillirent violemment. Incapable de tenir encore longtemps son aura de froid aussi bien que la vision sanguinolente, il l'enveloppa de sa couverture, puis murmura : « Adieu, Sighvat, et puisses-tu avoir eu ta part de bonheur avec nous ». Puis il sortit d'un pas lent, alors même que les planches sous ses pieds s'effondraient, fermant la porte de la chambre comme s'il souhaitait à son fils de passer une agréable nuit. Seulement, celle-ci serait éternelle.


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Grimvar retrouva Haldrick agenouillé devant son ancienne demeure. Il n'avait pas cherché à combattre le feu et, au milieu des habitations partiellement sauvées par l'eau ou les sorts de froid, la sienne n'était plus qu'un tas de poutres noires allongées dans la cendre. La tête baissée et la barbe roussie, il restait désespérément immobile au milieu de la ruelle. Grimvar s'approcha doucement, et posa un genou à terre à côté de son plus proche ami.

« Je suis désolé, murmura-t-il, la gorge serrée. On aurait dû faire mieux, on aurait dû...
- Non. Tu as bien défendu Helgaïr, répliqua son ami, la voie vacillante. Ils étaient trop puissants, suffisamment pour nous prendre par surprise... Même chez nous. »

Ils restèrent de longs instants en silence, ruminant les reproches qu'ils s'adressaient à eux-mêmes, perdus dans une étrange contemplation des ruines. Le soleil courut jusque haut dans le ciel avant que leurs pensées se focalisèrent sur la véritable cause de la mort de Sighvat et de la détresse d'Haldrick. Alors Grimvar posa sa main sur le bras du guerrier : « Viens, ressaisis-toi. Il reste peut-être encore de l'espoir pour Bealda et Elryna. »

À ces mots, le flarnien releva la tête. Il se rendait compte à quel point était terrible son erreur de s'enfermer dans sa tristesse, alors que le reste de sa famille était sûrement encore en vie et qu'il désirait plus que tout au monde les sauver. Il se redressa, les membres endoloris. « Allons voir le stratège » répliqua-t-il d'une voix beaucoup plus déterminée.

***

Sur la grande place, de nombreux habitants et soldats s'agitaient devant le Keral, le grand et long bâtiment de bois central de la ville où les trois stratèges dirigeaient, avaient leurs quartiers et donnaient réceptions et fêtes. Orné de sculptures grossièrement taillées et décoré des armoiries du clan, il dominait la foule. Les stratèges étaient au milieu de celle-ci, donnant les ordres pour organiser la ville, restaurer les défenses, loger les familles sans toit, et faire un bilan de l'état général. Tout le monde s'agitait dans tous les sens et les questions fusaient, chacun cherchant de l'aide pour régler ses propres problèmes. Haldrick fendit la foule, et, ignorant Grimvar qui tentait de calmer sa colère soudaine, il se planta au milieu du cercle, juste devant le stratège de guerre, et interpella son chef aussi bien que son peuple : « Et pour les prisonniers ? Allons-nous les sauver tout de suite, ou attendons-nous qu'ils reviennent nous tuer sous forme de cadavres ambulants ? »

Un grand silence tomba. Face au déversement de violence et de cruauté des morts-vivants, personne n'avait osé formuler la pensée que les otages puissent encore être vivants, et tous en faisaient déjà le deuil. Mais que l'un des flarniens vienne aborder la question, passée sous silence, devant les stratèges ranima un espoir chez beaucoup, tout comme un désir de vengeance. Cependant, il était clair pour le stratège interpellé que l'entreprise était vouée à l'échec : « À l'heure qu'il est, ils ont déjà rejoint les morts. Si nous nous précipitons, nous sommes tous condamnés. Nous enverrons cependant des messagers demander des renforts à nos alliés, et ensemble, nous pourrons éliminer cette menace, et venger nos défunts. Mais aujourd'hui, ça serait un pur suicide ». Un murmure d'approbation parcourut la foule tandis qu'Haldrick bouillonnait : le stratège avait l'autorité absolue quant à de telles décisions, surtout en des temps d'urgence, et aucun homme n'avait de pouvoir pour contester publiquement ses décisions : il était intouchable.

Sous le coup d'une impulsion soudaine, Haldrick lui décocha un coup au visage tel qu'il le fit chuter. Un cri de surprise parcouru la foule : un tel acte relevait du sacrilège. Le stratège de guerre, cependant, était aussi un guerrier et ne fut pas déstabilisé longtemps. Il se releva et se jeta sur le traître, lui rendant coup sur coup, dans un déferlement de violence rarement vu à l'encontre d'un homme de sa position. Ils se roulèrent dans la poussière encore quelques instants avec que la garde rapprochée du stratège réussit à fendre la masse d'individus et se saisir d'Haldrick. On l'immobilisa, on le frappa, et on le força à se mettre à genoux devant son nouvel adversaire. Le stratège de guerre se releva, le nez en sang et le visage cherchant à dissimuler une colère subite.

« Haldrick ! Qu'as-tu fait ? Je ne saurais exprimer combien ton comportement me déçoit, s'écria-t-il, encadré par les deux autres dirigeants de la cité. Tu es l'un de nos Flarnien, voué à la défense de notre peuple, pas à semer des dissensions internes. On m'a fait part aujourd'hui de tes exploits héroïques, et que vois-je ? Un traître, qui n'hésite pas à s'attaquer à l'un représentants élus par notre peuple, par ton peuple ! Tu n'es pas le seul à avoir beaucoup perdu, ta douleur est également présente chez chacun de nous. Nous n'avons pas le temps ni l'envie de condamner l'un des nôtres en un si triste jour, et tu as trop longtemps été fidèle à Helgaïr. Je t'offre gracieusement mon pardon, et je te conjure de plutôt utiliser tes forces pour reconstruire notre cité. Mais tu seras sûrement jugé au sein de ton ordre par tes compagnons. J'ose espérer qu'ils te conduiront à avoir un comportement plus raisonnable à l'avenir. »

Puis il lança aux soldats : « Emmenez le voir les Flarniens ! », avant de retourner, avec les autres stratèges, s'occuper du peuple. Haldrick garda le silence, intérieurement brisé, sous le regard inquiet de Grimvar. Sans l'aide de son peuple, il ne pouvait pas agir.

​***​

Le guerrier fut accompagné par deux gardes, au milieu de la lente procession constituée de la douzaine d'autres Flarniens d'Helgaïr. Il traîna du pied durant tout le trajet, aussi silencieux que ses compagnons, jusqu'à un lieu familier situé à l'extérieur de la ville : c'était le terrain où s'entraînait et se réunissait son ordre. La terre avait tant été foulée qu'il n'y avait plus d'herbe tout autour de la bâtisse en bois. Celle-ci servait de petite armurerie et d'entrepôt de stockage, bien que les objets de valeurs étaient gardés en ville. Les rochers alentours portaient des impacts violents de sortilèges, et les mannequins et cibles dévoilaient d'évidentes traces d'usure. À cause de la nature dangereuse et imprévisible des combats et sortilèges, ce lieu était à l'écart de la ville : des sorts dégénéraient souvent, spécifiquement ceux des plus jeunes n'ayant pas achevé leur formation.

Les Flarniens s'assirent sur des rondins disposés en cercle, dans une sorte de parodie de grandes tables de pierre autour desquelles se réunissaient, selon les légendes, les grands seigneurs d'antan. Les gardes conduisirent Haldrick au milieu du conseil improvisé, et s'en furent aussitôt sur un ordre de Grimvar. Un silence lourd de tension tomba et sembla s'éterniser, pendant que chacun cherchait à évaluer la situation intérieurement. Au centre, l'accusé restait immobile, dans l'attente d'un jugement sévère. Puis enfin, une femme brisa le silence :

« Ce soir, les stratèges se réuniront comme à leur habitude. Si tu prends le pouvoir, on te suivra, Haldrick. Nous sommes conscients que c'est un acte de trahison qui brise tous les serments que nous, Flarniens, nous sommes engagés à respecter, mais la situation l'exige.
- On a envoyé des éclaireurs suivre les morts-vivants, continue Grimvar, et la situation est pire que ce qu'on croyait. Une bonne partie de ceux qu'on avait cru morts sont en réalité prisonniers. De plus, ils ont pris le contrôle du temple de Koljkorak, et massacré tous les sages qui y vivaient. On peut pas se permettre de perdre du temps, et les stratèges sont trop peureux, ils font la honte de notre peuple et se ridiculisent face à nos ancêtres héroïques. On doit agir. Tu dois prendre les armes avec nous.
- Ainsi, articula lentement Haldrick, c'est un acte de traîtrise pire encore que vous voulez que je réalise ?
- Oui. Dans deux heures, on prend notre destin en main. »

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