Pour n'être qu'avec toi

By Severine75

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« Il y a des souffrances qui se hurlent seul dans la nuit, que personne ne pourra comprendre tellement elles... More

Avant-propos
prologue
1. Gabriel
2. Miles
3. Gabriel
4. Miles
5. Gabriel
6. Miles
7. Gabriel
8. Miles
9. Gabriel
10. Miles
11. Gabriel
12. Miles
13. Gabriel
14. Miles
15. Gabriel
16. Miles
17. Gabriel
19. Gabriel
20. Miles
21. Gabriel
22.1. Miles
22.2. Miles
23. Gabriel
24. Miles
25. Gabriel
26. Miles
27. Gabriel
28. Miles
29. Gabriel
Epilogue

18. Miles

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By Severine75

Après les terribles aveux de Gabriel, nous sommes restés un long moment dans les bras de l'autre.
Je n'ai pas osé bouger, voulant lui laisser l'initiative et, pour être tout à fait honnête, je crois que j'avais autant besoin que lui de cette étreinte. Son récit m'a bouleversé, faisant remonter dans le fond de la gorge ce goût amer qui m'était tant familier à une certaine époque, mais que j'avais fini par oublier. L'injustice de la situation, de ce qu'il a subi, mais aussi de cette fausse impression qu'il a d'être fautif, d'avoir mérité ça, me révoltent et me font replonger dans un passé douloureux.

Parce que non, personne ne mérite ça. Absolument personne.

Quelqu'un qui est victime de violences sexuelles est une victime avant tout. Peu importe les circonstances, la manière dont cela est arrivé, quels vêtements étaient portés à ce moment-là, la façon dont cette personne a pu se comporter, ce qu'elle a pu dire, ce qu'elle attendait ou était venue chercher à la base. Parce qu'à partir du moment où elle a dit non, elle devait être entendue et respectée. À partir du moment où on lui a ôté son libre arbitre en la droguant pour mieux la manipuler, elle ne peut être considérée comme responsable. Parce que l'on doit toujours avoir le choix. Elle ne peut-être de toute façon jamais au grand jamais considérée comme responsable, même si elle a toutes ses facultés.

Le non est sacré.

Personne n'a le droit de juger une victime ou jeter l'opprobre sur elle, car rien ne justifie un viol. C'est l'acte le plus vil, le plus bas, le plus grave qui soit. C'est briser, détruire, avilir une personne dans sa chair et dans son âme, c'est la salir à jamais la rabaissant au rang d'objet. C'est la nier, lui ôter toute dignité. C'est lui ôter sa confiance en elle et envers les autres, biaiser sa vision des autres, d'elle-même et de la vie en général. Noircir son passé, flouter son présent, obscurcir son avenir. Rien ne peut excuser un tel acte, rien ne peut l'adoucir ou le rendre acceptable.

Le sexe, même s'il n'est pas forcément pratiqué avec amour ou sentiment, doit rester un partage, un moment privilégié que l'on vit à deux dans l'intimité et dans le respect de l'autre et non un moyen de dominer ou de punir. Gabriel, comme ma sœur, n'ont certainement pas cherché ou mérité ce qui leur est arrivé. Suzie pensait être fautive, car il s'agissait de son petit ami. Elle n'était même pas certaine d'être vraiment une victime, qu'il s'agissait vraiment d'un viol. Il lui a fallu une longue thérapie et l'aboutissement du procès pour qu'elle en prenne conscience. Quand le juge a reconnu et condamné, elle a enfin admis la gravité de ce qui lui était arrivé et qu'elle avait le droit, elle aussi, à cette reconnaissance.

Tout le monde n'a pas cette chance.

Gabriel ne l'a pas eue.

Il a l'impression d'être fautif parce qu'il est sorti dans l'espoir de se trouver de la compagnie pour la nuit. Il pense avoir mérité son agression, car il s'est laissé séduire au départ et qu'il avait envie de se lâcher. Ce n'est pas le cas. Sa liberté de refuser l'acte, même au dernier moment, lui a été ôtée par la drogue qu'on lui a fait prendre sans son consentement. Il ne pouvait plus se défendre, il ne pouvait que subir.

Il n'est pas plus responsable que Suzie. Son agression n'en est pas moins grave parce qu'il avait envie de s'amuser un peu ce soir-là. Il avait le droit de dire non. Il avait le droit de choisir si oui ou non il voulait se laisser aller avec ce type. Agresseur qui n'était peut-être pas seul, ce qui rend encore plus glauque la situation, même s'il n'y a pas vraiment de hiérarchisation de l'horreur.

Le pire de tout reste qu'il ne se souvient pas.

Il n'a non seulement pas eu l'opportunité de porter plainte, de se faire soigner correctement, mais en plus il ne peut qu'imaginer ce qu'il s'est passé. Or, l'imagination est souvent pire que la réalité. Ça peut devenir de la torture psychologique. En gardant tout pour lui, il s'est isolé et a empêché son entourage de l'aider et de l'entourer correctement. Il s'est laissé ronger par la culpabilité et la honte. Il s'est condamné en se jugeant coupable de quelque chose qui pourtant n'est pas de son fait.

Pourtant, malgré tout, il est là, dans mes bras. Il m'a parlé. Il a suivi une thérapie. Il s'est battu pour s'en sortir. Il a poussé les portes d'AngelHope. Il a décidé de me faire confiance.
C'est la personne la plus forte que je connaisse.

— Gabriel? soufflé-je sans le lâcher.

— Oui ? demande-t-il sur le même ton.

— Tu voudrais te souvenir ? chuchoté-je.

— Je ne sais pas...

— Ne pas savoir peut être pire, tu ne crois pas ?

— Et savoir, détruire encore plus, non ?

— Je peux me montrer honnête ?

— Oui... c'est ce que j'attends de toi.

— D'accord. En fait, je pense que tout au fond de toi tu sais déjà ce qu'il s'est passé... sans doute pas dans les détails, mais tes cauchemars, c'est ton inconscient qui fait remonter les souvenirs. La drogue a sans doute anesthésié ton cerveau, mais c'est là et ça ne demande qu'à sortir.

— Tu penses que ça pourrait m'aider ?

— Oui. Je pense que ça pourrait te libérer et te guérir.

— J'ai peur...

— Je sais, mais je suis là. Je le serai toujours.

Il ne répond rien et me serre un peu plus fort contre lui. Je le laisse digérer mes paroles.

— D'accord, finit-il par lâcher. Je suis d'accord.

— Je t'enverrai des numéros de médecins sérieux qui pratiquent l'hypnose, si tu veux.

— Oui, merci.

Nous restons encore de longues minutes l'un contre l'autre. Puis, nous nous détachons doucement, parce qu'il en ressent le besoin. Il a les joues un peu rougies, tout comme ses yeux. Je suis persuadé que je dois être son exact reflet. Tandis que je me recule un peu pour lui rendre son espace, nos regards restent accrochés. Ses yeux ne me fuient pas malgré la situation qui pourrait être gênante.

Je me relève tout en douceur, maîtrisant chacun de mes gestes pour ne pas l'effrayer et m'assieds à ses côtés en laissant une distance que j'estime raisonnable. À ma plus grande surprise, il se rapproche. Nos genoux se frôlent, nous ne nous touchons plus, mais nous sommes proches. Je n'ai jamais autant ressenti la présence de quelqu'un à mes côtés.

Nous ne parlons pas. C'est inutile. Tout a été dit. Il faut juste que nous nous remettions un peu de nos émotions avant de reprendre la route et retourner chacun à nos vies respectives.

C'est ce que nous faisons une petite heure plus tard, après nous être salués. Pour la première fois depuis que je connais Gabriel, cette fois je n'ai pas peur de le perdre, de le voir reculer ou me fuir. Il a avancé aujourd'hui, tout comme moi et j'ai totalement conscience que nos destins sont désormais liés.

*

Je fais face à l'immeuble gris qui me surplombe. J'hésite. Ça fait tellement longtemps que je ne suis pas venu ici. Je n'en avais plus ressenti le besoin depuis un moment. Je soupire en passant une main dans mes cheveux. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, mais d'un autre côté, le récit de Gabriel me travaille beaucoup et j'ai besoin d'évacuer. Courir autour du parc n'est pas suffisant et je ne peux en parler à personne.

Je jette un coup d'œil sur mon portable pour regarder l'heure. Il est à peine 13 h 30, je ne sais même pas si elle est là. Je m'approche de la porte et repère son nom sur l'interphone. J'hésite, le doigt sur le bouton sans oser appuyer. Ça me fait bizarre... j'ai l'impression de repartir en arrière. Ça me fait peur. Je sais qu'elle m'a dit que je pourrais revenir quand je le voudrais, dès que j'en ressentirais le besoin, mais je ne pensais pas qu'un jour je le ferais vraiment.

Alors que je me décide enfin à appuyer, j'entends un doux raclement de gorge derrière moi qui attire mon attention. Je me retourne et fais face à la personne que j'étais précisément venu voir. La femme d'une cinquantaine d'années me regarde avec douceur, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Elle semble étonnée de me trouver devant sa porte, mais ne fait aucun commentaire. Elle me salue et ouvre la porte d'entrée avec ses clés. Je la suis en silence jusqu'à son cabinet. Elle salue sa secrétaire et lui demande à quelle heure est son prochain rendez-vous.

— 14 h 15, lui répond la jeune femme après avoir feuilleté un grand cahier.

— Merci, Shirley. Miles, nous avons donc une petite demi-heure, suivez-moi, ajoute-t-elle à mon attention avant de se diriger vers son bureau et d'en ouvrir la porte.

— Merci, réponds-je simplement en la suivant.

Elle ôte son manteau et le pose sur son porte-manteau avant de s'asseoir derrière son grand bureau en bois sombre. Je prends place sur le fauteuil en face d'elle et l'observe quelques secondes en silence. Elle n'a pas beaucoup changé depuis ces dernières années. Toujours ses yeux doux, son visage impassible, ses cheveux courts... c'est con, mais ça me rassure. Elle a toujours su être là pour moi, trouver les bons mots. C'est devenu un modèle en quelque sorte. C'est ce genre de psy que je veux être. À l'écoute et rassurant sans trop forcer les choses.

Comme à son habitude, elle attend patiemment que je me décide. Nous n'avons pas beaucoup de temps alors je débute mon récit. Je lui parle de l'association, de Gabriel nos entretiens qui glissent doucement, mais sûrement vers quelque chose d'autre, de fort, que je ne saurais expliquer. Je lui parle de son histoire, de ce que ça m'a fait de l'entendre, de mes réactions ensuite et surtout des cauchemars qui sont revenus.

Elle prend quelques notes, me pose quelques questions, puis, comme toujours, m'aide à analyser sans pour autant le faire à ma place.

Lorsque je sors de son cabinet, je me sens mieux, plus léger. J'ai pris conscience de certaines choses et ça me soulage. Elle m'a rassuré aussi, beaucoup. Même si je suis un professionnel, il est normal, selon elle, que je sois autant touché par ce qu'il m'a dit. De par mon histoire personnelle, mais aussi parce que je me suis attaché à lui, bien plus que j'ai bien voulu l'admettre jusqu'ici. Elle m'a fait réaliser à quel point il était devenu important, à quel point j'avais besoin de lui dans ma vie.

Ça m'a bouleversé.

Depuis ce qu'il s'est passé avec Suzie, je me suis jeté à corps perdu dans le travail sans m'accorder de temps pour moi. Je me suis interdit tout sentiment et toutes relations sérieuses. Ma sœur n'arrêtait pas de me dire que je me punissais en agissant ainsi. C'est sans doute vrai. Avec Gabriel, je n'ai rien contrôlé. J'ai laissé faire sans me poser de question, sans essayer d'analyser ou de poser des mots. Aujourd'hui, il ne se passe pas une minute sans que je pense à lui. Il s'est immiscé doucement, mais sûrement dans mon quotidien, embellissant ma vie comme personne ne l'avait fait avant.

Ses messages, le soir, me souhaitant bonne nuit, ceux du matin me souhaitant une bonne journée, ceux me demandant comment je vais, si ma journée n'est pas trop difficile, si ma thèse avance bien, entre tous ceux que nous nous échangeons pour parler de tout et de rien, me donnent de l'importance. J'ai l'impression de compter, de ne plus être seul.
Même si ça me fait peur, bon sang, que ça fait du bien !

Je me sens vivant.

Enfin !

C'est sur cette dernière touche optimiste que je reprends ma voiture pour me rendre au centre où je travaille.

*

Assis sur un banc du petit parc vers chez moi, j'attends patiemment Gabriel. Hier, il m'a appelé et m'a proposé de nous voir, car il voulait me présenter Elijah. J'ai bien évidemment accepté, étonné par sa demande, mais fier de ses progrès qui sont vraiment fulgurants. Nous avons mis un moment, par contre, pour trouver où ça se ferait. Il était évident que nous n'irions ni chez lui ni chez moi, car trop intime. Il ne voulait pas aller à AngelHope, car ce n'est pas un endroit où il voulait voir son meilleur ami. Nous avons pensé au lieu où il a fait ses photos, mais c'était bien trop loin.

J'ai en définitive proposé ce parc, car il n'est ni trop grand, ni trop petit. Il n'y a jamais foule sans que ce soit non plus trop isolé et plus important, c'est un endroit totalement neutre. Ça me paraissait être parfait sans compter qu'il est très agréable et paisible. Après une petite hésitation, il a finalement accepté. Je lui ai donc donné l'adresse et nous avons convenu d'une heure de rendez-vous en fin de journée, après le travail d'Elijah et le mien.

Me voilà donc à les attendre, battant nerveusement le rythme de la musique qui joue dans mon casque avec ma jambe.

Je dois avouer que mine de rien, j'ai un peu la pression de rencontrer son meilleur ami. C'est sans doute stupide, car je n'ai rien à prouver, mais c'est plus fort que moi. Je sais quels liens il a tissés avec lui et quelle importance il a pour lui. C'est une nouvelle marque de confiance qu'il me fait et puis... plaire au meilleur ami c'est important, non ? En tout cas, ça l'est pour moi.

Il ne faut pas longtemps avant que Gabriel n'arrive, accompagné d'un grand type métissé, plutôt beau garçon. Vraiment beau garçon. Inexplicablement, je sens mon ventre se tordre désagréablement. Quand je réalise ce que je viens de ressentir sans pouvoir le contrôler, je me gifle mentalement. Je ne reconnais plus mes réactions. Je n'ai aucun droit de réagir de cette façon... c'est totalement inapproprié et déplacé. Je ferme les yeux une seconde pour me reprendre avant d'arrêter la musique, ôter mon casque et me relever pour les accueillir. Mes yeux se posent sur Gabriel qui, pour l'instant, a encore la tête baissée.

Pour la première fois depuis que je le côtoie, je remarque sa silhouette élancée, malgré le fait qu'il la cache derrière des vêtements trop grands pour lui. Pour la première fois, je me surprends à le trouver beau, malgré ses cheveux trop longs qui cachent son visage, malgré ses manches qu'il tient nerveusement dans ses longues mains, malgré sa posture un peu repliée. C'est à cet instant que je remarque la distance qu'il a mise entre Elijah et lui. Une distance qu'il n'y a jamais eu entre lui et moi, même au début.

Ça me rend fier.

Sans doute attiré par mon regard sur lui, il relève la tête vers moi. Il esquisse un sourire qui fait accélérer les battements de mon cœur. Je le lui rends et nos pupilles restent accrochées jusqu'à ce qu'il s'arrête devant moi. Ses yeux ont une clarté renversante et ses joues légèrement teintées de rose lui donnent un je ne sais quoi qui le rend attendrissant. Aucun mot n'a encore été échangé, mais presque tout a été dit dans la communion de nos silences.

— Salut... souffle-t-il en s'approchant de moi doucement tandis qu'Elijah s'est arrêté un peu en retrait de nous.

Il s'approche de nouveau et me surprend en glissant quelques secondes sa main dans la mienne. Je sens ma peau chauffer au contact de la sienne avant qu'il ne me relâche et que je me sente vide de nouveau.

— Salut, réponds-je dans un murmure incertain, totalement renversé par son geste.

Il se recule en souriant toujours et se tourne vers Elijah.

— Je te présente Miles, Miles voici Elijah, mon meilleur ami, énonce-t-il d'une voix douce, légèrement tremblante.

Je me demande une seconde depuis quand je suis capable de remarquer ce genre de détail et si Elijah aussi a ressenti son émotion ou si je suis le seul. Ce dernier me regarde comme s'il venait de voir un fantôme. Je crois qu'il ne s'attendait pas plus que moi à ce que Gabriel me touche avec autant de spontanéité.

— Bonjour, finit-il par me saluer en clignant des yeux comme pour se remettre les idées en place. Content d'enfin faire ta connaissance.

Il me tend la main que je lui serre avec fermeté. Gabriel observe notre geste en silence, les sourcils légèrement froncés.

— Enchanté aussi, répliqué-je avec un sourire sincère.

Je me tourne vers le bouclé.

— Tu veux qu'on aille marcher un peu ? lui proposé-je en me reculant d'un pas pour ne pas empiéter dans sa zone de confort.

— Si ça ne te dérange pas, je préférerais qu'on se trouve un banc pour s'asseoir tranquillement.

— Je comprends. On peut aller un peu plus loin si tu veux, il y a un marchand ambulant qui vend des boissons chaudes, dont un grand choix de thé, on pourrait en prendre un. Il y a pas mal de bancs par là-bas, dont des très grands.

— Tu as l'air de bien connaître ce parc, remarque Gabriel en regardant un peu autour de lui.

J'ai bien conscience que le fait de se retrouver dans un endroit qui lui est inconnu doit être un peu stressant pour lui.

— Je viens courir ici quand... quand j'ai besoin de faire le vide, là.

Je désigne ma tempe du doigt.

— Alors, thé ?

Il sourit à la proposition et hoche la tête. Je reporte mon attention sur Elijah qui pour l'instant nous observe en silence sans trop oser participer.

— Tu aimes le thé ? le questionné-je pour l'intégrer à notre discussion et vu le sourire qu'il me fait, il semble apprécier le geste.

— Oui, mais j'avoue que je préfère le café.

— Le café qu'il vend est très réputé, paraît-il. Je n'en bois jamais, mais mes amis en sont friands. Allez, suivez-moi, je vous invite, ajouté-je en me dirigeant vers l'allée principale.

— Tu n'es pas obligé, objecte-t-il en m'emboîtant le pas.

— Ça me fait plaisir, remarqué-je en haussant les épaules.

Nous repérons rapidement le marchand et un grand banc non loin, qui se trouve sous un grand arbre. Gabriel s'y dirige et s'y installe bientôt imité par Elijah qui s'assoit à l'autre bout.

— Un café alors ? Demandé-je au métis qui acquiesce en me précisant qu'il ne veut pas de sucre. Gabriel...
J'hésite une seconde avant de me pencher vers lui avec précaution pour lui murmurer à l'oreille.

— Où veux-tu partir aujourd'hui ?

Je me redresse doucement et le regarde une seconde. Ses joues ont de nouveau pris une jolie teinte rosée, mais il ne se recule pas.

— Au Népal ? souffle-t-il avec un sourire qui fait ressortir ses fossettes et qui me serre le ventre sans que je puisse le contrôler.

— Je vais voir ce que je peux faire.

Je les laisse et me dirige vers le camion ambulant. Je regarde la carte qui est effectivement bien fournie et trouve rapidement ce qu'il nous faut. Je commande et paye les consommations puis rejoins les deux amis qui parlent tranquillement. Une fois de plus, l'espace qu'ils ont mis entre eux me frappe. Je sais pourtant que Gabriel est vraiment attaché à son meilleur ami, mais il ne lui fait pas assez confiance pour le laisser l'approcher. Ça prendra du temps, j'imagine, mais du coup ses gestes envers moi prennent encore plus de valeur. Je tends son gobelet à Elijah qui s'en saisit en me remerciant, puis à Gabriel avant de m'installer entre eux, à égale distance l'un de l'autre.

— Il s'agit d'un thé qui se nomme Kuwapani Makalu Tippy, expliqué-je en humant la bonne odeur qui émane de mon gobelet. Il y avait noté qu'il s'agit d'un thé d'été aux notes fruitées, boisées et épicées. J'espère qu'il te plaira.

Il ne me répond pas, se contentant de tremper ses lèvres dans le liquide ambré.

— Il est délicieux.

Nous dégustons d'abord nos boissons en silence puis, peu à peu, une discussion s'installe. Elijah est une personne vraiment agréable et simple. Il ne se prend pas la tête et je ressens à travers ses mots à quel point il apprécie Gabriel. Ce dernier parle peu, mais participe quand même, ce qui me fait plaisir. Il reste discret, mais présent et tout ce qui m'importe, c'est qu'il ne se sente pas mis de côté. Nous abordons tout un tas de sujets tous aussi divers que variés. Tout y passe, le sport, la musique, les voitures...

Bientôt, je sens le genou du bouclé s'appuyer contre le mien. Je sens mon pouls s'accélérer un peu en sentant sa chaleur contre moi. J'appuie légèrement ma jambe pour lui montrer que je l'ai senti, mais n'insiste pas trop pour ne pas le faire fuir. Le geste n'échappe pas à Elijah qui cependant ne fait aucune réflexion ou aucune allusion. Cependant, son sourire à mon attention en dit long. Je crois qu'il réalise tout comme moi ce qui est en train de se passer. Car mine de rien, à son rythme, Gabriel change, évolue et fait des progrès énormes. Il se déleste du poids qu'il avait sur ses épaules et qui lui pesait bien trop. Il n'est pas encore guéri, mais il n'en est pas loin.

Le soleil commence à décliner peu à peu dans l'horizon. Il est donc temps pour nous de rentrer. Je sais que Gabriel ne sera pas à l'aise en pleine nuit, dehors. Nous nous levons tout en continuant à discuter joyeusement et nous marchons tranquillement jusque vers l'entrée. Au milieu des deux amis, il me faut quelques secondes pour réaliser que c'est bien la main de Gabriel que je sens attraper doucement la mienne. Une fois de plus, je le laisse faire, je m'adapte à son rythme, mais mon sourire ne veut plus quitter mon visage. Je me sens bien.

Devant le portail de l'entrée, Elijah me salue chaleureusement. Je suis très heureux d'avoir pu le rencontrer et j'espère vraiment que nous nous reverrons. C'est une personne bien et compréhensive, psychologue à sa manière et totalement à l'aise dans ses baskets. Tandis que Gabriel s'approche de moi, le métis se détourne de nous et se concentre sur son téléphone. Une manière de nous laisser un peu de tranquillité.

— Merci pour ce moment, c'était vraiment sympa, murmure-t-il avec un doux sourire aux lèvres, les yeux brillants comme jamais je ne les ai vus briller jusqu'à aujourd'hui.

— Merci à toi. Je suis content d'avoir pu rencontrer ton meilleur ami.

Il hoche la tête et sans me laisser le temps de vraiment réaliser, il se penche vers moi et dépose délicatement ses lèvres sur ma joue, me laissant une impression de brûlure sur la peau. J'en ai le souffle coupé. Mon cœur rate un battement avant de s'emballer comme un fou. Le contact, bien que fugace, me retourne totalement.

Je cligne des yeux et lorsque je reviens un peu à moi, Gabriel et Elijah sont déjà au coin de la rue. Le bouclé se retourne une dernière fois pour me faire un geste de la main auquel je réponds et je réalise.

Il m'a touché la main.

Il m'a touché le genou avec le sien.

Il a entremêlé nos doigts alors que nous marchions.

Il m'a embrassé la joue.

J'ai tellement du mal à y croire... Gabriel a tellement changé. Je suis tellement fier de lui.
C'est un ange que la vie a rattrapé bien trop vite. Elle l'a brisé, elle l'a sali, mais il a su se relever, envers et contre tout, et avancer. Il a trouvé la force d'aller de l'avant. D'abord seul, puis avec Elijah, puis avec les bénévoles et les patients de l'association, puis avec Laura et maintenant avec moi.

Oui, je suis fier de lui, je l'admire et j'espère du plus profond de moi qu'il trouvera encore les ressources nécessaires en lui pour franchir la dernière étape qu'il lui reste. La plus importante pour lui, mais aussi la plus difficile.

Affronter.

Affronter son passé pour mieux guérir...

Définitivement.

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