Émission TV
Je tremble comme la première fois que je faisais mon discours sur la planète. Ma planète. La Terre quoi. Je suis installée à la table, le regard braqué à la caméra principale. Les spots de lumière m'aveugle et je distingue à peine qui est où. Enfin, ils arrivent à baisser la luminosité et je perçois Éric à ma droite et Paul à ma gauche. Il n'arrête pas de bouger, trouvant une bonne position. Les jumelles sont à côtés en bout de table et Clémence se retrouve à côté de Mr Trembay, donc au milieu. Je suis à une place près du président puisqu'il est à la gauche de Éric.
Le temps que la pub passe, on attend tous avec impatience -ou pas- de pouvoir parler de ce maléfique président, Mr Only. Paul, ne faisant que bouger, commence à m'agacer. Je me tourne sur ma chaise et le dévisage.
- Tu vas arrêter oui ?
Il me dévisage à son tour, incrédule.
- Je fais ce que je veux, réplique-t-il. Je flippe moi.
- Plus tu feras ça, moins ça te donnera envie de parler devant des millier de gens.
- Merci de me le rappeler.
Il se remet à gigoter et je lève les yeux au ciel, le laissant ressembler à un asticot dans son bocal.
J'arrive à voir Éric qui reste impassible face aux caméras. Il lis et relis sa feuille comme si il n'arrivait pas à retenir ce qu'il avait à dire. Il est fort et intelligent, il n'a pas de raison d'avoir peur. Pourtant, il en a le droit. C'est un fait humain. Mais je ne m'empêche pas de poser ma main sur la sienne. Pourquoi ? Il est un mélange de Bruno et de Alex. Il a la même tête que Alex mais les même mimiques que Bruno. Certes, Bruno est moins barricadé que lui, mais c'est un mélange.
- Qu'est ce que tu fais ? s'étonne-t-il en sentant ma petite main.
- J'ai peur moi aussi.
Il est plus âgé que moi, alors j'en profite comme excuse.
- Oh tu sais, t'as pas besoin d'avoir peur.
- Pas besoin ? Mais c'est plus fort que nous !
- Nous ?
- Oui, toi aussi, ça se voit.
- Je sais. N'empêche, tu ne peux pas reconnaître qu'on ne va pas parler devant un millier de personnes !
Si je le reconnais et j'en ai la trouille. Bruno est de l'autre côté de Paul. J'aurai aimé qu'il soit à côté de moi. Comme si mon vœux avait traversé l'esprit du cameraman, il fait signe à Bruno et Paul de changer de place.
- Pourquoi ? grogne Paul.
- Tu es plus grand et ça ne va pas que tu sois entre deux jeunes. Changez.
J'entends Bruno soupirer de bonheur en s'installant à mon côté. Quand Paul s'installe, il s'arrête enfin de gigoter, comme heureux d'être en bout de table.
Je soupir et lâche la main de Éric pour regarder Bruno de profil : il a l'air tout aussi stressé que moi. Mais il le montre moins que moi mais vu que je le connais bien, et ben, je le vois.
Je me mets à paniquer encore plus quand le cameraman lève la main et nous montre qu'il ne nous reste que cinq secondes.
Quatre...
Trois...
Deux...
Un...
La voix de la pub diminue et tout devient silencieux pendant un tiers de secondes avant qu'une dame sur le côté ne se mette à parler d'une voix calme.
- Nous vous interrompons pour un flash spécial du gouvernement des ados. Nous nous retrouvons avec sept enfants et Mr Thomas Trembay, le président de Kepzo, une ville qui tiens sur une île de l'Amérique. Mr Trembay, ajoute-t-elle en se tournant vers notre président, pourquoi faire venir sept enfants pour un flash d'information ?
Je sais qu'elle fait semblant puisqu'elle sait de quoi nous parlerons. Mais elle devait poser la question au publique, au monde entier. Un écran bleu s'allume soudain dans le fond de la salle, montrant des barres. Je sais à quoi elle sert puisque on nous l'a expliqué. Elle sert à entendre le son de chacune des personnes de chaque pays d'Amérique. On peut voir le nom des pays en haut pour chaque barre.
- Nous sommes ici pour parler de quelqu'un d'important et qui nous mettrait en péril, répond calmement Mr Trembay.
- Qui exactement ?
- Mr Only, le président des États-Unis.
Les barres sur l'écran bleu des États-Unis se mettent à bouger. Des protestations et des chuchotements me parviennent de l'écran. Que vont-ils en penser ? Je prends peur. Et si on se retournait contre nous pour protéger Mr Only ?
- Mr Only ? répète la présentatrice. Pourquoi dites-vous qu'il nous mettrait en péril ?
- Tout d'abord, je vais vous dire notre programme qui se fera en trois temps, donc en trois jours, réponds Mr Trembay une nouvelle fois. Tout d'abord, nous parlerons de Mr Only -donc de son identité-, ensuite nous dirons ce qu'il compte faire et comment, et enfin, ses préoccupations et le sondage.
« Le sondage ». Ce sera la partie la plus importante. Ou sûrement la partie du dévoilement.
- Nous allons faire les présentations, ajoute Mr Trembay et levant une main vers les jumelles. Mesdemoiselles Mathilde et Sophie Martin, des jumelles de Californie !
Des acclamations fusent de toutes parts des spectateurs, les plus fortes chez les Californiens. Un sourire étire les lèvres des jumelles.
- Clémence Fugin, de Sidney !
De nouvelles acclamations. Clémence fait coucou de sa main, un sourire rentré collé au visage. Je me demande soudain comment elles peuvent être si connues puis je me rappelle soudain qu'ils font parties du gouvernement des ados. Éric est présenté à son tour. Lorsque je m'attends à être présentée, ils passent à Bruno puis à Paul. Font-ils exprès de ne pas me montrer ? Si oui, je pense comprendre pourquoi.
Je me renfrogne, déçue.
- Et enfin, celle que vous attendez tous, Cébren Audier !
Je relève la tête en entendant mon nom. Des acclamations de toutes parts fusent, de tous les pays, plus gros que tous les autres. Je ne sais pas quoi faire ou dire, trop émue. Ils me connaissent, la petite fille qu'ils ont vus il y a deux ans en ayant courageusement parler de leur planète. Sa planète. C'est à dire, moi. Je souris le plus longtemps possible en essayant d'entendre ma famille hurlant mon nom, mais je ne les entends dans ce brouhaha. Quand le silence se fait, Mr Trembay décolle son papier de un centimètre de la table et commence à lire à haute voix :
- Mr Only, président des États-Unis, 43 ans, dictateur à vie.
Des protestations se font entendre et je peux même entendre « dictateur ?! N'importe quoi ! » ou même « Il a raison ! ». Certains sont contre, surtout ceux des États-Unis, mais la plupart ont l'air d'être peut convaincu.
- Je laisse maintenant la parole à mes chers coéquipiers.
Sophie prend la parole :
- Mr Only a une famille mais à divorcer avec sa femme, Laurence Only, anciennement Watson. Elle a quitté son mari pour se faire plus petite car Only n'était pas quelqu'un d'honnête.
- Oui, enchaîne sa sœur, Mathilde. Il va beaucoup au club gaga -vous voyez de quoi je parle- et se bourre d'argents. Il ne veut pas admettre qui il est vraiment.
La caméra tourne et se braque sur moi. C'est à moi. Je me lance sous les acclamations :
- Il se sert des autres comme esclaves, comme si nous étions ses animaux. Il n'a rien à faire de son pays, ce qui compte pour lui, c'est l'argent. Il souhaite juste son bonheur et ne pense qu'à lui. C'est bien vous qui vous occupez de votre ville hein ? Mr Only vous laisse faire tout le boulot. Tout ce que vous avez à faire pour lui, c'est balayer les mauvais. Qu'est ce qu'il fait quand il est chez lui ? Vous y penser ?
- Bien sûr que non, enchaîne Bruno. Mais bien sûr, quand c'est lui que l'on provoque, il doit tuer pour vivre. Est-ce qu'un vrai président ferait ça ? Un vrai prend soin de son pays, l'aide dans les mauvais cas. Mais changeons de sujet. Mr Only vous cache sûrement des choses.
J'admire Bruno en écoutant son discours. Il a l'air bien plus réaliste que le miens... Reste concentrée !
- Hope ?
- Ne me regarde pas. Concentre toi !
Je détourne tout de même le regard sur la gauche et voit Hope, les yeux pétillants.
- Fais attention à toi, me supplie-t-il.
- Ne pars pas !
- Pourquoi je partirai ?
Un regain d'énergie s'empare de moi. Hope reste là pour me surveiller, m'écouter. Il s'assoit paisiblement et écoute.
- ... Il est de mauvais augure, il faut changer !
Je n'ai entendu que la dernière phrase de mon meilleur ami que c'est Paul qui prend la parole.
- Mr Only doit s'en aller. Il est quelqu'un de mauvaise grâce et n'a aucune responsabilité. Il est un danger pour nous tous. Un monstre.
En entendant ce mot, je repense à Hope. Je pensais que lui était un monstre. Mais pas du tout. Il est avec moi, dans mon camp.
- Sa fille, Julie, a passé ses vacances avec lui. Ils se sont disputés pour quelque chose qui nous importe. Elle a dix-sept ans et s'est trouvé l'amour de sa vie. Mais avec un père comme Mr Only, ce n'est pas gagné. Nous ne l'avons jamais retrouvée. Vous faites la coïncidence ?
Je me rends compte de la haine que porte Paul envers Mr Only. Il est comme à l'attaque, prêt à bondir. Éric parle à son tour.
Quand il a finit son discours, les barres se mettent à bouger de haut en bas, des acclamations, des protestations, des pour, des contres... Ma tête va finir par exploser.
Mais quand tout le monde se tait et que la présentatrice TV se remet à parler, j'entends Papa murmurer :
- Elle est courageuse. Elle peut continuer.
Et la barre ne se relève plus. Papa l'a vraiment dit. Je suis touchée et déstabilisée en même temps, lui qui me voit sans doute à la télé. Sans aucun doute. Pourtant, cela vient vraiment du cœur ?