L'armoire du passé

By PatriceLandry

2K 109 8

Trois adolescents entrent par effraction dans une demeure à l'abandon. L'arrivée imprévue d'un visiteur les p... More

Avertissement au lecteur de la part de l'auteur
Dédicace
Chapitre 1 - Trois intrus doivent se cacher
Chapitre 3 - Le monde du dehors
Chapitre 4 - La maison de Skin
Chapitre 5 - Une motocyclette et une corde de chanvre
Chapitre 6 - Une cabane dans le bois et son étrange résident
Chapitre 6 - Le réveil des naufragés
Chapitre 8 - Les mésaventures de Skin
Chapitre 9 - L'étau se resserre
Chapitre 10 - Le savoir de Gus
Chapitre 11 - Retour à la case départ

Chapitre 2 - Des changements bizarres

229 14 1
By PatriceLandry

«Il ne parle plus?» demanda Magané d’une voix tremblante.

            Skin poussa encore son coude dans le ventre de son confrère tandis que Trou-de-Pique luttait désespérément pour retenir ses éternuements.

            « Troud, quelle heure il est? »

            « Onze heures moins quart. Pour moi, il est reparti se coucher, le bonhomme. »

            Skin dit qu’il n’y avait rien de moins sûr. Il affirma qu’il était peut-être assis là, devant la porte de l’armoire et qu’il les attendait avec sa torche de gardien de sécurité.

            « La police s’en sert aussi pour assommer le monde, j’en ai eu l’expérience. »

            Magané demanda de quoi elle se servait, la police. Skin lui demanda de se taire si brusquement que le visage de Magané s’en trouva parsemé de gouttelettes de salive.

            « Bon! Ou bien on reste ici avec la pisse de Magané comme parfum ou bien ou prend le risque d’affronter le zouf avec son laser. Après tout on est trois... »

            « Peut-être qu’on devrait att... » se prononça Magané d’une voix chevrotante.

            « À deux, on pourra facilement le maîtriser, qu’est-ce que tu en penses, Troud? »

            « Et moi? » demanda Magané.

            « Toi, tu peux rester pour sécher ta culotte! Arrive, Troud : à go, on fonce! »

            Skin fit le décompte des chiffres à mi-voix, la main sur la poignée, puis cria GO!

            Il y avait de la lumière sous la porte fermée si bien que l’on voyait clairement qu’on avait enlevé des boîtes et des meubles. De plus, l’odeur de moisi et de poussière était à peine perceptible. Mais, ils étaient seuls, c’était déjà ça de rassurant.

            Skin intima à Trou-de-Pique d’avancer devant lui et de se diriger vers la porte. Ce dernier, penché vers l’avant pour éviter de se frapper la tête sur des objets qui n’étaient pourtant plus là, progressait lentement en regardant à gauche et à droite. Un étrange murmure leur parvenait. Aucun d’eux ne remarqua que le plancher ne craquait presque plus.

            « Et bien, on dirait que notre gardien est parti avec les meubles et les boîtes » dit Trou-de-Pique en relevant un peu la tête. « Combien de temps on est resté à respirer les odeurs de Magané, Skin? Deux ans? Ha, ha, ha! »

            « Je dirais plutôt cent ans... En tout cas, ça pue moins en dehors. Magané, arrive ici. Au pire, on pourrait avoir besoin de ton cerveau. »

            Les deux compères pouffèrent de rire. Le troisième avança la tête basse et la bouche en forme de coucher de soleil brumeux.

            « Vous risez toujours de moi. On sait bien, vous avez toujours eu des meilleures notes que moi. »

            Skin tapa l’épaule de Magané : « Troud, c’est le Einstein de nous tous. Moi, c’est mes muscles qui me donnent mes bonnes notes. Il n'y a pas un professeur qui ose me faire couler, hein, Troud? »

            Trou-de-Pique était rendu à la porte du grenier. Il leur fit signe de se taire. Une voix roulant ses « r » avec exagération montait jusqu’à eux comme dans un écho. Ils en perçurent quelques bribes qu’ils ne comprirent pas tout de suite.

            « L’arrmée du générral Einseinhowerr a prrogrressé, a rrapporrté un corrrespondant de la BBC. Parr ailleurrs, des trroupes allemandes ont été obligées de rrebrrousser chemin à la frrontièrre frrançaise et italienne où des rrésistants aurraient effectué des rraids surrprrises. Le prrésident Churrchill... »

            « Le zouf écoute une vieille émission de télé. »

            « La télé? Il n’y avait pas de télé quand on est entré ici. Pour moi, c’est une radio. » répliqua Trou-de-Pique en essuyant son nez du revers d’une main. « Mes allergies à la poussière se calment, on dirait. »

            Magané écoutait avec attention la voix du commentateur. Il fit remarquer qu’il avait une drôle d’intonation :

            « Pourquoi qu’il roule ses « r » de même? Il parle comme mon oncle Clermont. C’était pas mon vrai oncle; c’était celui de mon père. Il a été à la guerre, à ce qu’il paraît. »

            « Mais on s’en fout de ton oncle, Magané. Il y a des tas de gens qui roulent leurs « r ». Ma prof de philofolie roule ses « r » et bégaie en plus. » souligna Trou-de-Pique en poussant Skin du coude.

            « Ouais, Prof Mes-boules. » fit Skin en plaquant ses mains devant lui pour mimer une poitrine exagérément généreuse.

            Magané se cacha les yeux avec les mains.

            « Arrêtez-donc de toujours parler de sexe. On dirait que vous ne pensez qu’à ça! »

            « Ok, Magané, on va parler de Télétubbies. Tu vas peut-être ban... »

            La voix du commentateur diminua. Une forte quinte de toux couvrit la musique de Benny Goodman qui venait de prendre la relève.

            « Germaine! » cria une voix qui n’était pas celle de Clément. « Germaine, pour l’amour du Ciel, où as-tu mis mes cigares? »

            Une autre voix, plus proche des trois intrus, maugréa quelques jurons et on entendit le bruit d’un pas lourd directement en dessous d’eux.

            « Médéric, avec la toux grasse que tu as, tu mérites d’aller en enfer si tu touches encore un de ces bâtons empoisonnés! »

            « Mais, ma chérie (il toussa encore), sais-tu que j’ai payé une fortune pour les obtenir? On est en pleine guerre, je te ferai remarquer. Et puis, qui t’a raconté que les cigares étaient du poison? C’est toi-même qui n’arrête pas de me dire que si ça goûte bon, c’est pas du poison! Je veux mes cigares tout de suite! »

            L’escalier grinça sous le pas pesant et visiblement enragé de la femme. L’homme maugréa encore plus.

            « Tu les veux tes maudits cigares, Médéric Viateur Joseph Mercier? Les voilà! »

            « Mes cigares! Tu es folle! Tu viens de jeter quarante piastres dans le foyer! »

« Respire la fumée, ça te fera ça de gagné. Je m’en vais chez Simone. J’espère seulement que quand je vais revenir que tu seras de meilleure humeur. »

La porte claqua. L’homme marmonnait puis criait simultanément.

« C’est ça, va te sauver chez ta fille chérie. Une autre belle greluche que celle-là! Seigneur, je vais partir. Je vais m’en aller d’ici. »

Le son de la radio augmenta puis les récriminations de l’homme se firent distants.

« C’était quoi, ça, Troud? »

Trou-de-Pique se retourna vers Skin et haussa les épaules. On pouvait lire dans ses yeux un semblant de panique. Magané se rongeait les ongles en essayant de se remémorer les paroles d’une prière qui ressemblèrent beaucoup plus à une chanson des Pieds-Verts, le groupe de l’heure.

« Bon, il faut qu’on sorte d’ici au plus sacrant. Ça commence à ressembler à un film de peur. Je suis fatigué. Troud, t’as des idées? »

« Skin, on ne peut pas passer par l’escalier. Clément, ou je ne sais pas trop qui, va nous entendre. Il doit être dans le salon, c’est juste devant la porte d’entrée. À moins que tu ne veuilles tenter un sprint. S’il réussit à nous rattraper, on sera au moins trois pour l’assommer. »

« Bon, c’est rendu que je compte dans vos niaiseries? J’aurai donc dû rester chez moi... » marmonna Magané.

« C’est pas bête, Troud » fit Skin, ignorant le commentaire de Magané. « Mais je propose de descendre à l’étage d’en dessous et d’examiner si on ne pourrait pas passer par une fenêtre. Si Clément voit Magané, il va sûrement le reconnaître et on va se faire planter par la police avant d’avoir atteint le Bar Vénus. Qu’est-ce que t’en dis? »

« Mais ce n’est pas Clément qui... » commenta Magané, le doigt en l’air. Mais encore une fois, on l’ignora.

Trou-de-Pique signifia d’un simple acquiescement que l’idée de Skin avait du sens et ils ouvrirent lentement la porte du grenier.

En bas de l’escalier, la porte était ouverte. Il flottait dans la cage d’escalier une odeur de fleurs fraîchement coupées. La tapisserie qui ornait les murs de la descente n’était plus défraîchie ou à moitié déchirée. Aucun fil d’araignée ne recouvrait le plafond.

« Je n’ai pourtant pas rêvé... » chuchota Trou-de-Pique en passant ses mains sur le mur.

Les marches ne grinçaient presque plus. Sur le palier du premier étage, ils se retrouvèrent devant un étrange décor. Près de la rampe, où il n’y avait que poussière, crottes de souris et antiques toiles d’araignées quelques minutes plus tôt, se trouvait un secrétaire en bois. On y retrouvait plusieurs liasses de papiers, une gigantesque machine à écrire que Skin avait déjà vu dans une vente de garage des petits vieux Bernier, une lampe du genre Art Nouveau, avec des perles et des pierres brillantes qui pendaient de l’abat-jour. Skin empocha un briquet en or et un ouvre-lettre en argent. Sur leur droite, là où ils avaient vu une pièce grise et vide à leur arrivée, ils purent admirer une chambre luxueusement décorée. Sur le lit à baldaquin, une épaisse couette blanche et des dentelles noires et blanches créaient des arabesques étourdissantes.

« C’est quoi l’idée, Troud. Tu as vu comme moi qu’il n’y avait rien là, tantôt? Et toi, Magané? Tu as vu ça, tantôt? »

Magané fit une moue à la lippe tremblante :

« Ben, c’était pas allumé, je pense pas que... »

Une autre quinte de toux les stoppa net sur le pas de la porte de la chambre. Une chaise fut tirée, crissant bruyamment sur le plancher de bois. L’homme se racla la gorge et on l’entendit ouvrir des tiroirs. Un verre cogna sur un autre. Un bouchon de métal tomba sur le plancher.

« À ta santé, mon vieux! » fit l’homme en soupirant. « Autant boire pour oublier cette vieille chipie. Avoir su, je me serais marié avec la Patenaude. Au moins, elle, elle a su garder ses courbes de jeunesse et sa bonne humeur. »

« La Patenaude? Il parle de ma mère, lui? » geigna Skin en bandant ses muscles.

« Calme-toi, Skin. Il y a au moins trois familles Patenaude à St-Bernadet. Il ne doit pas parler de ta mère, c’est certain. »

« Ouais. Sauf que la mère à Skin est la seule qui n’a pas des grosses fesses. » souligna Magané en riant.

Trou-de-Pique et Skin se retournèrent pour observer Magané qui grattait son crâne ébouriffé.

« Je dis ça comme ça. Peut-être que Clément a pas les même critères de beauté que nous autres. »

« Ça c’est sûr, Magané. T’as vraiment un don, tu le sais? »

« Ah, oui? Euh... Merci. »

« ...Un don pour nous faire suer, c’est certain. »

Magané leur montra un de ses doigts et entra dans la chambre sans s’occuper des deux autres qui riaient en silence en se tapant sur les épaules.

Un immense bouquet de fleurs trônait sur la commode. Une multitude d’accessoires de beauté éparpillés sur la table de maquillage semblaient sortis tout droit d’un film des années quarante. Magané passa un doigt sur le miroir cerclé d’argent sculpté, sur le verre des bouteilles de parfum, les peignes en ivoire, les boîtiers de fards et les chapeaux à plumes qui décoraient cet ensemble surréaliste.

Sur les murs, sortie tout droit du Moyen-Âge, une tapisserie représentant une chasse au renard avec des chevaux musclés et une verdure flamboyante jurait avec le reste de la décoration. Magané se glissa près du lit et porta un énorme corset sous son nez.

« Regarde-le, on dirait qu’il a retrouvé sa mère. Si c’est pas triste à voir. Tu veux un kleenex, Magané? »

Il les ignorait. Il passait chacune des dentelles sous le nez en retenant ses larmes.

« On s’en va. Ça pue la richesse ici-dedans. »

« Skin, attends. C’est pas normal tout ça. On dirait qu’on nous a joué un tour. Cette chambre n’était pas là tantôt. Le meuble dans le couloir. Les odeurs. Tout. Je n’aime pas ça. On dirait qu’on est dans un film en noir et blanc mais en couleurs. »

Magané releva son nez, les yeux embués :

« Voyons, Trou-de-Pique. Tu te contredis. C’est en noir et blanc ou bien c’est en couleurs? »

Skin lui fit signe de se taire. Il en avait assez entendu. Il devait y avoir une explication à tout ceci. Ce n’est pas parce qu’une maison a l’air abandonnée qu’elle l’est vraiment. Ils devaient avoir passé devant cette chambre, ou même devant le meuble sans l’avoir vu. Après tout, il faisait noir et ils étaient énervés. Rien de plus simple. L’important était de sortir d’ici au plus vite pour s’éviter davantage d’ennuis.

« Trouvons une sortie de secours et on reparlera dehors. J’ai trop peur que le zouf nous retrouve. Troud, regarde dans la pièce à gauche, toi, vérifie si on peut pas sauter de la fenêtre de la chambre de la bonne femme. Moi, je vais aller voir ce qui se cache derrière cette porte et on se retrouve ici dans deux minutes. Et pas de bruit, entendu? »

Ils acquiescèrent et se séparèrent en silence. Trou-de-Pique entra dans l’autre chambre, visiblement celle de l’homme. On y percevait une odeur de cigare imprégnée dans les draps et les rideaux. Jetant un bref regard sur le bureau, il trouva quelques pièces de monnaie qu’il empocha en souriant. Il vit quelques billets et ne les reconnut pas tout de suite. Il les froissa sommairement et les fourra dans sa poche en fredonnant un air à la Mission Impossible. Il commençait à vraiment s’amuser. Il ouvrit un tiroir et en sortit des caleçons comme en portait son grand-père, il y a des siècles. Il trouva des bretelles et des boutons de manchettes dorés. Ces derniers rejoignirent les autres trésors dans sa poche. Sur le miroir, il vit des photographies en noir et blanc d’édifices qu’il reconnaissait : Le théâtre, le restaurant des Guévremont, le poste d’essence sous une bannière qu’il ne connaissait pas, et d’autres édifices de la rue principale. Il y avait là des cartons d’affaires au nom du notaire, l’ancien propriétaire de la maison dans laquelle ils s’étaient introduits : « Maître Médéric V. Mercier, Notaire ». Trou-de-Pique se sentit encore moins rassuré en glissant quelques cartons dans sa poche. C’était bien le nom que la bonne femme avait déclamé si vertement. Et pourtant, le vieux notaire avait levé les pattes une bonne dizaine d’années auparavant.

Il écarta le rideau et jugea que cette sortie était trop dangereuse pour la santé de ses jambes. Il s’en retourna au centre de la maison.

Magané, de son côté, eut de la difficulté à laisser les dessous de la dame. Il plia soigneusement le plus odorant de tous et le glissa derrière lui, sous son chandail. Il ouvrit une penderie qui débordait de vêtements luxueux, de boas et de plumes exotiques, de chapeaux bizarres et de souliers qui ressemblaient à des bottillons de l’armée, si on oubliait le talon légèrement surélevé. Il se retourna pour aller vers la fenêtre lorsqu’il vit une forme vaguement familière : une cage d’oiseau recouverte d’un carré de soie orné d’oiseaux stylisés très colorés. Il caressa longuement le tissu et le souleva avec délicatesse. Son visage près des barreaux de la cage, il vit un énorme bec s’élancer vers lui. Il étouffa de justesse un cri, avec les poings fermés sur la bouche. Le tissu retomba sur la cage mais derrière, un battement d’ailes le souleva de nouveau ce qui le fit tomber sur le tapis. Un perroquet bleu se mit à parler :

« À l’attaque. À l’attaque. Les Boches arrivent. Les Boches attaquent! »

Magané se précipita vers le carré de soie et tenta désespérément de le remettre en place. Mais le battement d’ailes de l’oiseau l’en empêchait.

« Boches, on attaque! Croooooooa! À l’attaque! » poursuivait le perroquet.

Trou-de-Pique passa la tête dans la chambre et vit Magané qui tentait de faire taire l’oiseau en plaçant son doigt devant sa bouche.

« Qu’est-ce que tu fais? Tu veux nous faire découvrir? »

Magané était sur le point de s’évanouir. Le perroquet, voyant le nouveau venu, se tut un moment puis reprit de plus belle :

« C’est l’armée! On attaque! Croooooaaaaa! »

Il y eut des grognements à l’étage en dessous. L’homme se dirigeait au pied de l’escalier :

« Tu vas la fermer, oui? Espèce de macaque à plumes! Tu mériterais que je te fasse rôtir à la broche. La ferme ou je te plume, sale oiseau de malheur! »

« À l’attaque! »

« La ferme! »

« Tu as entendu ton papa, arrête de miauler. » supplia Magané à mi-voix, les doigts croisés.

Le perroquet pencha sa tête vers la droite, s’arrêta net, puis la pencha vers la gauche, comme s’il prenait le temps de mieux observer Magané.

« Papa, crooooaaaaa, papa! »

Magané reposa la toile sur la cage tandis que le perroquet murmurait « papa » en se grignotant une patte. Le silence revenu, Magané se promit à l’avenir, de ne pas toucher aux choses qu’il ne connaissait pas ou mettre son doigt où il ne fallait pas. Promesse qu’il ne tint pas, bien entendu.

« Et alors? » demanda Trou-de-Pique en entrant dans la pièce. « On peut s’enfuir par ici? »

Magané pointa la fenêtre tout en s’asseyant sur le matelas et bégaya :

« Je... Je sais pas. Ça… Ça doit... »

« Magané, tu es vraiment une nullité de première classe. Je gage que si tu avais été aux commandes du Titanic, le bateau n’aurait pas coulé... Il aurait explosé! »

Trou-de-Pique se dirigea vers la fenêtre et jugea qu’il y avait une possibilité de se glisser le long du toit. Le seul problème était que leur chute se terminerait devant la fenêtre du salon où se trouvait l’homme.

« Allons voir Skin » dit-il en accrochant la manche de Magané.

Skin avait pénétré dans le bureau et, après avoir vu que la fenêtre ne pouvait être utilisée pour sortir de la maison, fouillait dans la paperasse de l’homme. La plus importante découverte se trouvait entre ses mains lorsque les deux compères entrèrent pour lui faire part de leur découverte :

« Regarde ça, Troud. C’est vraiment bizarre. »

Troud prit les papiers des mains de son ami d’enfance. C’était un journal La Patrie, édition du 19 juin 1943.

« Wow, mon père en a dans le sous-sol. Il a ramassé ça chez Pépé Vermette quand il est mort. On dirait que ça vient d’être imprimé. Ça sent même pas le vieux. »

« Troud, on est quelle date aujourd’hui? »

Magané regarda sa montre digitale et dit : « 19 juin »

Troud acquiesça et regarda le journal une deuxième fois.

« Quelle année, tu penses? »

« Voyons Skin, on est en l’an 2000. Tu le sais bien. On a été défoncer la Société des Alcools avec Bif et Stool! »

Skin soupira. Il regarda ses compagnons et reprit le journal des mains de Trou-de-Pique.

« Bon, il faut qu’on sorte d’ici. » dit-il en pliant soigneusement le journal pour le glisser dans la poche intérieure de sa veste de cuir. « Quand je commence à badtripper royalement, il est temps qu’on décampe. »

Ils se glissèrent donc dans la chambre de la femme et ouvrirent la fenêtre sans faire de bruit.

« Magané, à toi l’honneur. »

« Pourquoi moi? Pourquoi pas Troud? »

« Arrête de poser des questions stupides, Magané. Si on t’offre de ficher le camp d’ici le premier, tu te plains; le dernier, tu te plains aussi. Qu’est-ce que tu cherches au juste? Une claque sur la gueule? Tu as tellement insisté pour venir avec nous autres, tu passes en premier. »

Magané enjamba le bord de la fenêtre et jeta un dernier coup d’œil à ses amis avant de s’assurer une meilleure prise sur la corniche qui chapeautait la fenêtre du salon.

Ils l’entendirent chuter et se plaindre mais il était sain et sauf. Trou-de-Pique fit signe à Skin de passer qui retourna l’invitation. Connaissant le caractère irascible de son ami, Trou-de-Pique obtempéra et passa la fenêtre à son tour. Il glissa sans bruit jusqu’au bord de la corniche et Magané, qui avait repris contenance, tendit les bras quand les jambes de Trou-de-Pique arrivèrent à sa hauteur. Ses cheveux longs s’en trouvèrent fortement éprouvés quand la semelle de la botte de cuir se déposa sur son épaule déjà endolorie.

« Fait attention, Troud, tu vas m’achever... »

« Enlève-toi de mes jambes, Magané. Je suis capable de m’arranger tout seul. »

Obéissant jusqu’au bout des ongles, Magané recula de trois pas mais Trou-de-Pique ne s’attendait pas à être si rapidement déséquilibré. Il tomba face première dans le bosquet de roses, évitant de peu une branche particulièrement coriace et épineuse dans son œil gauche.

« Tu le fais vraiment exprès ou quoi? » s’exclama-t-il en se relevant brusquement.

« Tassez-vous, c’est mon tour » fit Skin à mi-voix. « Vous règlerez vos affaires quand on sera de retour à la cabane. »

Trou-de-Pique et Magané s’éloignèrent de la fenêtre du salon mais sans desserrer les poings sur leurs collets.

Skin tomba sur ses jambes et frotta ses mains :

« On décampe avant que le zouf se décide à vérifier pourquoi il y a tant de bruits dans sa cabane à onze heures le soir. »

Ils traversèrent le terrain au trot et Trou-de-Pique n’arrêtait pas de retourner pour regarder la maison.

« Les gars, il y a quelque chose que je ne comprends pas. » dit-il en s’arrêtant sous un saule pleureur, à l’abri de la lumière du portique. « Regardez bien la maison. On dirait qu’elle vient d’être construite. Je connais assez ce coin perdu pour dire que cette cabane était en ruine quand on est entré dedans. »

Skin regarda la maison et sortit le journal. Trou-de-Pique secoua la tête et craqua ses jointures :

« On est dans la schnoutte, les gars. Soit qu’on en a manqué un bout, soit qu’il est arrivé quelque chose de pas trop catholique pendant qu’on était dans l’armoire. »

Skin approuva. Seul Magané se grattait le derrière du crâne en regardant la maison.

« Je ne comprends pas ce que vous dites. Pour moi, la maison est pareille. »

Skin entraîna Trou-de-Pique derrière le tronc et lui chuchota à l’oreille :

« Il faut faire quelque chose avec Magané. Soit qu’on lui épargne nos idées, soit qu’on lui explique. Mais si on lui explique... »

« C’est quoi que vous faites, là? Vous parlez encore dans mon dos. J’aime pas ça. »

« ...ça va être long... très long... Trop long. »

Continue Reading

You'll Also Like

91.5K 14.9K 78
Le Capitaine Arsène Flamingo, un personnage charismatique et un chouia narcissique, dirige son vaisseau dans des aventures toujours plus absurdes et...
153K 3.8K 133
Selem Aleykoum tous le monde j'espère que vous allez bien El Hamdoulilah donc dans cette chronique je vais vous raconter l'histoire de Hanaa moi qui...
21.4M 1.2M 128
Élisabeth a tout pour être heureuse.Mais cela n'est qu'apparence. Depuis sa naissance elle baigne dans un milieu prisé jusqu'au jour où elle se retro...
132K 2.9K 54
Tout aller bien jusqu'à ce que ... je déménage et que nos chemins se croisent . Entre l'amour et la jalousie il n'y a que un pas . L'histoire se fini...