Sur le chemin de ma chambre, j'étais partagée entre mille émotions différentes : la nostalgie de retrouver les lieux comme je les avais quittés, la joie à l'idée d'y revenir, la peur que j'avais pu ressentir dans les escaliers qui m'y amenaient, l'appréhension quant à la réaction de mes colocataires et... l'agacement que Jeff pouvait éveiller en moi après une énième remarque agaçante.
- Je te jure que c'est ici que tu m'as supplié d'aller dans ma chambre, chuchote-t-il langoureusement à mon oreille ;
- Je te jure que depuis j'ai changé d'avis, arrêtes de me parler sale partisan de Chloé !
- C'est qui Chloé, ? demanda soudain Ellie, ne comprenant pas trop l'échange que nous entretenions Jeff et moi.
À vrai dire, elle n'en avait pas conscience mais elle la connaissait, simplement sous le nom de « pétasse aux cheveux rouges »...
- Sa copine !
- Personne !
Répondîmes Jeff et moi en choeur.
- Euh, ok.
La pauvre, je n'aurais pas aimé me retrouver à sa place... Elle était paumée, dans un internat dangereux et sa meilleure amie se chamaillait avec un pauvre con depuis près de vingt minutes. Je devais revoir mon comportement, c'était inadmissible.
Diego quant à lui, restait en retrait, silencieux. Jeff et lui ne s'étaient étonnement pas adressé la parole depuis qu'ils s'étaient réuni et je sentais que quelque chose clochait là dessous... Jeff avait-il vraiment cru les paroles que j'avais lancé sous le coup de la colère tout à l'heure ? Pensait-il que nous avions une relation ?
Il aurait été complètement idiot, c'était évident que je n'avais d'yeux que pour lui. Mais si c'était le cas, il ne fallait pas compter sur moi pour le détromper.
Diego s'en sortirait très bien et si mon ex – enfin, je ne sais pas trop s'il était – finissait par croire qu'il n'avait pas une vraie place dans mon cœur, c'était tant mieux.
- On est arrivé ! Lança Diego à la cantonade, brisant les disputes incessantes que je partageais avec son cousin et la torture d'Ellie.
On se tourna vers notre porte et je me rendis compte avec émotion que mes amies avaient laissé inscrit mon nom sur l'ardoise en craie accrochée face à nous. Peut-être qu'elles ne m'avaient pas oubliée, elles.
Mal à l'aise à l'idée de faire rentrer deux garçons et une fille qu'elles ne connaissaient pas dans la chambre sans permission, je toquai par précaution. Cependant, les filles devaient déjà être parties en cours parce que personne ne répondit.
- Merde, y a personne et j'ai pas les clés, comment on va...
Diego me coupa d'un geste, me poussant pour introduire la clé dans la serrure :
- Pendant qu'on t'attendait, Mme C nous a donné deux clés et deux emplois du temps, s'expliqua-t-il.
Eh bien, c'est que ma mère avait pensé à tout. Pourquoi est-ce que je n'arrivais pas à lui être reconnaissante ?
Peut-être parce qu'elle a fait tuer plus d'une centaine d'adolescents pour des raisons complètement égoïste ?
C'est vrai que dit comme ça...
- Super, marmonnai-je alors que la porte s'ouvrait sur la chambre que j'avais dû abandonner en vitesse six mois plus tôt.
Rien n'avait changé. Non pas que je m'étais imaginé qu'elles referaient toute la déco après mon départ mais là... mon lit était comme je l'avais laissé, les draps n'avaient pas été retirés et mon carnet – que je pensais avoir perdu depuis le temps – trônait toujours sur la petite table de chevet accrochée aux barreaux en bois qui entourait le matelas.
J'eus un pincement au cœur, qu'avaient-elles pu ressentir en apprenant que je les avais abandonnées ?
- Bon, je pose ça là, faut s'occuper du matelas, lança Diego, brisant le fil de mes pensées déprimantes.
- C'est parti ! Répliquai-je, me mettant au travail pour l'aider et repousser ces idées noires qui ne m'étaient d'aucune utilité.
Les deux heures qui suivirent furent concentrées à tenter de faire rentrer le lit d'Ellie sans pour autant empêcher tout passage vers la salle de bain ou vers les bureaux, ce qui se révéla ne pas être une mince affaire.
Après avoir décalé les armoires puis les bureaux de quelques centimètres, on finit par placer le matelas d'Ellie à moitié en dessous de celui de Sky en décidant qu'elle le rangerait pendant la journée le temps qu'on trouve une solution.
- Tu peux toujours venir dans ma chambre, me chuchota Jeff ;
- Non merci, les plans à trois ne m'intéressent pas.
Quand tout fut rangé et déballé, Diego marmonna je ne sais quoi pour nous faire comprendre qu'il devait annoncer aux professeurs qu'il était de retour et tenter de restaurer sa couverture sous peine d'une mort certaine.
Jeff ne se retourna même pas quand celui-ci quitta la pièce. Merde. Il y avait vraiment un problème entre ces deux-là. Et je doutais que ce soit à cause moi, tout simplement parce que je doutais que Jeff éprouve le moindre sentiment pour moi. C'était un playboy, ça avait mis du temps à rentrer mais j'avais compris maintenant. Et je n'avais été qu'une parmi tant d'autres.
- Bon, on fait quoi maintenant ? Demanda Ellie, brisant le silence qui s'était installé après le départ de l'agent.
- On va en cours miss Paris, répondit Jeff en lui décochant un clin d'oeil.
Ce fut avec horreur que je vis les joues d'Ellie prendre une légère teinte rosée alors que ses lèvres s'étiraient en un sourire radieux.
Ja... Ja... Jalousie.
Même pas vrai !
- Euh... mais comment savoir en quoi on a cours ? Reprit mon amie.
Je me penchai sur son matelas pour attraper les emplois du temps que Diego avait laissés et me concentrai dessus pour lui répondre. Avec agacement, je compris que ma mère ne nous avait pas mis dans les mêmes classes.
Autrement dit, Ellie allait se retrouver toute seule pour son premier jour de cours. Super. Je me raclai la gorge, cherchant un moyen plus doux pour lui annoncer la nouvelle, malheureusement je n'en trouvais pas. Comme aurait dit mon père « parfois, il est préférable d'arracher le pansement d'un coup » :
- Ellie, tu vas aller en histoire, moi je serais en maths.
Silence.
Je n'osais même pas lever les yeux. Je me sentais nulle, c'est moi qui avais insisté pour qu'elle vienne et je la laissais en plan dès sa première journée. Bravo Avri !
- Super, allons-y ! faudra juste que tu m'expliques où on se retrouve pour le déjeuner ! S'exclama-t-elle en me dépassant.
Je clignai des yeux, sans comprendre cette réaction à l'opposé de celle que j'imaginais. C'est seulement quand j'entendis la porte d'entrée s'ouvrir que je pivotai pour croiser son regard plus serein que jamais.
- Bon, on y va ? Renchérit-elle en me tenant la porte.
Jeff, lui, n'avait pas hésité et m'attendait déjà de l'autre côté. Apparemment, il n'y avait que moi que l'attitude d'Ellie choquait. Étrange.
- Euh, mais... ça te dérange pas de commencer toute seule ? Repris-je, mal à l'aise d'enfoncer le couteau dans la plaie ;
- Bah, honnêtement c'est pas ce que je préfère, mais c'est pas de ta faute donc je vois pas à quoi ça servirait de me plaindre, répondit-elle gentiment.
C'est vrai que dit comme ça.
- Ok, allons-y.
Je passai l'encadrement et verrouillai la chambre sans plus hésiter, après avoir attrapé mon sac de cours où j'avais fourré mon emploi du temps. Je tendis le double des clés à Ellie qui les empocha.
Le trajet dura peu. Je montrai à mon amie où se trouvait le réfectoire, point de rendez-vous et l'accompagnait jusqu'à sa salle. Là, me rappelant mon premier jour ici aussi, j'imitai nostalgiquement Sky en frappant à sa place pour lui éviter toute source d'angoisse et je décidai même de rentrer avec elle dans la classe pour expliquer au prof qui elle était et pourquoi nous étions en retard.
Quand la porte s'ouvrit, j'aperçus avec soulagement Sky au fond de la salle, assise à côté de Kelly. Super !
Des exclamations résonnèrent alors que les élèves réalisaient qui se trouvait dans leur classe après une disparition de six mois suite à des possibles tendances pyromanes. Et oui ! Avril Taylor, la folle dingue qui revenait de son séjour en prison, ou en hôpital psychiatrique, au choix !
J'ignorai les réactions disproportionnées et me présentai à l'enseignant – bien qu'il doive déjà me connaître de réputation – ainsi qu'Ellie, lui expliquant les raisons de notre arrivée remarquée. Il entreprit de parler ensuite à mon amie du programme et j'en profitai pour traverser la salle, retrouver mes colocataires qui s'étaient toutes deux fendues de sourires idiots.
- AVRIL ! Lança Sky alors que j'arrivais dans leur rangée.
Je n'eus pas le temps de faire trois pas qu'elle se leva pour me sauter dans les bras. Vacillante, je m'appuyai à la table pour ne pas perdre l'équilibre.
- On a cru que t'étais morte... reprit-elle plus bas cette fois ;
- Mais je suis vivante, rétorquai-je sur un ton qui se voulait rassurant.
Elle me serra encore plus fort dans ses bras frêles. Kelly quant à elle, continuait de sourire béatement.
- Bon les filles, je suis de retour dans notre chambre et je vous raconte tout à midi, mais en attendant, vous pouvez veiller sur Ellie ? Elle vient de Paris, c'est ma meilleure amie...
- Aucun problème ! S'exclama Kelly qui se mit dès lors à faire de grands signes à Ellie pour qu'elle vienne s'asseoir à la place libre juste derrière elle. Mon angoisse chuta d'un coup. Je savais que mon amie était entre de bonnes mains.
- Bon, j'ai cours aussi et je crois que maintenant toute l'attention est concentrée sur nous donc... commençai-je alors même que le prof se raclait bruyamment la gorge pour signifier que le cours allait reprendre et que ma présence était de trop.
J'allais m'éloigner quand Sky me retint et ajouta d'une voix basse et tendue qui ne lui ressemblait pas :
- Juste, pourquoi t'es avec Jeff ?
- Je sais pas, il me suit comme mon ombre depuis que je suis arrivée, répondis-je, tirant sur mon bras pour me libérer, consciente qu'à présent, tous les regards étaient braqués sur nous.
Cependant, et contre toute attente, l'emprise de Sky se renforça autour de mon coude :
- C'est que... reprit-elle gênée, il est redevenu comme avant et... Chloé...
Ah, c'était donc ça ! Je ne lui laissai pas le temps de finir, comprenant clairement ce qu'elle essayait tant bien que mal de m'annoncer :
- Je les ai vu s'embrasser, je suis pas là pour lui et dès qu'on sort, je m'en débarrasse, t'inquiètes pas pour moi Blondy !
Elle sourit faiblement en entendant ce surnom que je lui avais attribué l'année précédente mais ses traits restèrent tirés.
- Fais quand même attention à toi Avri, conclut-elle en me lâchant enfin.
J'acquiesçai vigoureusement puis traversai la salle, la tête haute, feignant une assurance qui me faisait défaut.
- C'est pas trop tôt ! Déclara le prof d'un ton sec alors que je le saluai poliment.
Je fermai la porte à la volée et m'appuyai dessus, comme si le poids du regard des autres m'avait épuisée. Malheureusement, je n'eus pas vraiment le temps de m'en remettre car Jeff reprit aussitôt :
- On va en maths ?
- Comment ça « on » ?
- Oh... lança Jeff d'une voix faussement gênée, je ne te l'ai pas dit ? On est dans le même cours !
Je grognai et lui tournai le dos pour partir à ma salle. Pourquoi le monde s'acharnait toujours contre moi ? Qu'est-ce qui pouvait m'arriver de pire, là, tout-de-suite ?
Je sais, je n'aurais jamais dû poser cette question. Parce qu'évidemment, quand je toquai à la porte de ma... pardon, notre classe, je découvris que Dean et Chloé assistaient au cours avec nous.
Nouvelles exclamations de la part des élèves que je fis encore mine d'ignorer alors que j'expliquais au prof ma situation. Tandis que je parlais, je vis Jeff filer droit à sa place pour... retrouver Chloé, qui pris le temps de l'embrasser puisque le prof avait le dos tourné.
Non, à cet instant je ne ressentis rien. Pas de tristesse, pas de trahison, pas de dégoût. Je ne ressentis rien non plus quand Jeff pris le temps de lui rendre son baiser. Je n'eus pas non plus une soudaine envie de vomir en me rappelant que quelques minutes plus tôt, c'était moi qui me trouvais à sa place.
- Dean Brewer, c'est gentil.
La fin de la phrase me ramena à la réalité comme si on m'avait collé une gifle.
- Quoi ? Croassai-je ;
- M. Brewer a gentiment proposé de vous prêter ses cours pour rattraper le semestre dernier. Vous devriez le rejoindre pour ne pas être complètement désorientée pendant mon cours.
Je vis, horrifiée, que Dean tapotait la place vide à côté de lui tout en me souriant. C'est bon ! Je savais ce qu'il y avait de pire que d'être collée à un ex qui vous faisait des avances : voir cet ex roucouler avec sa nouvelle conquête – soit dit en passant, votre pire ennemie – pendant que vous vous faisiez menacer à mort par un psychopathe qui rêvait de la façon dont il vous tuerait chaque matin avant le p'tit déj. Super.