La perception du temps sous terre était complètement déformée.
Combien de temps s'était-il passé depuis leur chute ? Trente minutes ? Deux heures ? Davantage ?
Depuis quand étaient-ils là, recroquevillés dans cette grotte ?
Harry sentait le bout de ses oreilles et ses doigts de pieds s'engourdir avec le froid. Un nuage de buée se formait à chacune de ses respirations, et il regrettait sérieusement de ne pas se souvenir du sortilège qu'utilisait Hermione pour invoquer un petit feu.
Il jetait régulièrement un œil à Malefoy pour surveiller son état. Celui-ci avait ramené ses genoux contre sa poitrine, sans doute pour se réchauffer. Il s'était enroulé dans sa cape, mais le tissu, bien léger, ne lui apportait pas la chaleur nécessaire.
Des tremblements le secouaient de temps à autre, et Harry était presque sûr d'entendre parfois ses dents claquer.
Harry se leva et sautilla sur place pour se réchauffer lui aussi. L'obscurité de la grotte devenait de plus en plus oppressante et il resserra sa cape doublée en laine autour de lui en se félicitant de l'avoir préféré à sa cape ordinaire.
Il fit quelques pas dans la grotte pour faire circuler le sang dans ses jambes. Il serait bien aller découvrir les tunnels qui leur faisaient face mais il éprouvait un soupçon de scrupule à laisser Malefoy seul dans cette cavité immense.
Il se demandait si le fait qu'il lui ait proposé son aide avait changé quelque chose.
Bien sûr, cela ne voulait pas dire qu'ils étaient amis, loin de là !
Il ne pouvait pas le supporter et c'était réciproque. Assurément.
Non. Ils ne deviendraient jamais amis. Malefoy était bien trop imbu de lui-même et arrogant.
Il n'était qu'un minable serpentard qui n'hésiterait pas à l'humilier à la première occasion. Comme toujours.
Pourquoi Diable lui avait-il proposé son aide ? Voir Malefoy dans cet état aurait du lui procurer un plaisir indicible. Mais justement, ses sentiments contradictoires le laissaient perplexe.
Le jeune homme lui faisait presque de la peine. Il était intrigué par cette fragilité et ses confidences à demi-mots. Fallait-il qu'il le laisse dans cette état ? Fallait-il le laisser devenir mangemort contre sa volonté ? Voulait-il réellement lui tendre la main ?
Qu'est-ce qui clochait chez lui ? Éprouvait-il vraiment l'envie de le sauver ? De l'aider ? Malefoy, son pire ennemi.
Il entendait déjà Ron lui reprocher de ne pas l'avoir laissé mourir dans cette grotte et il sourit tristement.
Il y avait bien quelque chose qui clochait chez lui. Il ne pouvait s'empêcher de trouver le serpentard arrogant et hautain dans ses attitudes, mais en ce lieu, ici et maintenant, il lui semblait que Malefoy avait tombé une partie du masque et que cette image qu'il s'était forgé aux yeux de tous s'était fissurée. Harry se surprit à penser que cette fragilité était touchante. Mais il balaya très vite cette pensée inconvenante et refit les cent pas dans la lueur de son Lumos.
Il savait que Malefoy avait reçu une mission du Seigneur des Ténèbres, il l'avait senti, déjà, quand lui, Hermione et Ron l'avaient croisé sur le chemin de Traverse. Il avait eu raison. Étonnamment il n'éprouvait aucun plaisir d'avoir vu juste.
Ce qui le tracassait à présent était la façon dont il allait pouvoir aider Malefoy.
Ne s'était-il pas enflammé en lui proposant cette aide ? Bien sûr, il avait tout de suite songé à Dumbledore et à l'Ordre du Phénix, mais étaient-ils prêts, eux, à venir en aide à un héritier des Malefoy ? Ron ne verrait-il pas, là, une trahison d'aider un Serpentard toujours prêt à l'insulter lui et sa famille ? Les Weasley seraient-ils d'accord pour faire table rase des conflits et d'accueillir le serpentard ? L'Ordre serait-il prêt à accorder sa confiance au jeune homme ?
Les questions se bousculaient dans sa tête et Harry se maudissait d'avoir parlé trop vite en proposant cette solution. Sur le coup, il lui avait semblé évident que Dumbledore le soutiendrait et encouragerait l'initiative de sauver quiconque souhaite se retourner contre Voldemort. Mais un doute s'insinuait à présent.
Et pourquoi, lui, avait-il été aussi sûr et déterminé ? Était-il, lui, prêt à l'aider ?
Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? se répétait-il. Mais sa conscience lui disait de suivre ses intuitions de la même façon insidieuse qu'elle lui avait susurré l'idée de rattraper le serpentard quand il tombait dans le trou.
.OoOoO.
- Arrête un peu de tourner comme un lion en cage ! Tu me stresses !
Harry sursauta. La voix rauque et basse de Drago avait brisé le silence, le sortant ainsi de ses réflexions.
Le serpentard était recroquevillé de côté, les genoux remontés sous son menton, son épaule valide contre la paroi. Harry ne voyait pas son expression ni s'il regardait dans sa direction. Il s'approcha un peu de lui et éclaira son visage de sa baguette.
Drago s'était enroulé dans sa cape, remonté jusqu'aux oreilles. Harry remarqua qu'il tremblotait et qu'il avait les lèvres bleues.
Le gryffondor défit sa cape en laine et vint s'asseoir contre le dos de Drago.
- Hé ! Qu'est-ce que tu fais là ?
Il la déplia en grand et se couvrit lui et Malefoy.
L'épaule et le bras d'Harry étaient contre le dos du serpentard, et il sentait les tremblements qui parcouraient le corps de Drago.
- Épargne-moi tes sarcasmes ! C'est pour la chaleur humaine...
Harry remua un peu pour trouver une bonne position en évitant - en vain - de frôler trop son camarade mais en se serrant suffisamment pour lui faire partager un peu de sa chaleur et celle de sa cape.
Quand il eût trouvé une position plutôt confortable, adossé à la paroi et collé à Malefoy, il sortit son bras de sous la cape et ralluma sa baguette.
Il jeta un œil à Drago. Il était à quelques centimètres de sa nuque mais ne voyait pas son visage.
- Je te rassure Malefoy, c'est pour la bonne cause !
- Je te crois Potter... tu as tellement peur que je crève de froid que tu te dévoues pour venir me réchauffer ! Quel noble geste !
- Je peux m'en aller si tu veux, dit-il en faisant mine de récupérer sa cape.
- Nan, c'est bon, grogna Drago. Il pivota légèrement de façon que leurs épaules se touchent et qu'une partie du dos de Drago soit appuyé à la paroi. Il pouvait ainsi mieux voir Harry.
- Reste.
- Ainsi le Serpentard dans son habitat naturel peut parfois être agréable.
- Uniquement pour obtenir quelque chose, dans notre cas : c'est uniquement pour la chaleur humaine, absolument rien d'autre.
- C'est noté, j'ai eu peur que la fièvre te rende sympathique....
- Pff, dans tes rêves...
Harry se surprit à esquisser un sourire. Après quelque secondes de silence, le Serpentard reprit :
- Merci Harry.
Entendre son prénom dans la bouche de Drago sonnait étrangement. Comme si une barrière intime avait été abattue.
- Y a pas de quoi.
- Tu n'étais pas obligé de faire ça...
- Mais je le fais.
- Tu es... étrange Potter, tu sais...
Harry ne put s'empêcher de rire.
- Étrange ?
- Je ne te comprends pas. Tu n'as aucun intérêt à faire ce que tu fais ? Tu n'en tireras rien de bien. Je ne comprends pas pourquoi... tu fais ça
- Tu veux dire te sauver la vie ? Je te l'ai déjà dit...
- Non, pourquoi tu t'obstines à être sympa avec moi ?
- Je sais pas vraiment... pour l'instant, ça ne me déplaît pas, pensa-t-il.
- Tu peux me sauver si tu veux et basta ! Depuis la première année, j'ai pas arrêté de te dire des choses horribles, je t'ai fait des coups vraiment lamentables, et rien ne t'oblige à faire ce que tu fais là...
- Faire quoi ? Partager ma cape avec toi ? Tu aurais fait de même, non ?
- Non, je pense pas...
- Ouais, je m'en doutais, dit-il en riant, ce qui provoqua un sursaut qui ressemblait à un rire chez Drago.
- Je le fais parce que j'ai envie de le faire. Ne te prends pas la tête Malefoy, j'attends rien en retour...
- De toute façon c'est trop tard, j'ai une dette envers toi maintenant, que tu le veuilles ou non, dit-il avec une pointe d'amertume.
- Je ne savais pas que tu fonctionnais comme ça...
Il haussa les épaules.
- Je te garantis pas que je ferais de mon mieux, mais j'essaierai...
Harry rit de bon cœur cette fois.
- Je crois bien que je me passerai de ton aide !
- Comme tu veux...
- Et tu disais donc que j'étais étrange...
- T'es resté bloqué sur ça ?
- Je sais pas comment le prendre... Étrange, comme un type bizarre ? c'est une insulte ou un compliment ?
Drago réfléchit deux secondes, il détourna la tête avant de baisser la voix.
- Tu n'es pas un type bizarre, tu es... quelqu'un de bien qui agit de façon étrange... et tu ne ressembles à personne d'autre...
- Et bien, je ne sais pas ce qui arrive au grand Drago Malefoy cette nuit, mais je suis plutôt flatté...
Drago tourna son visage vers lui et Harry croisa son regard.
- Mais je n'aurais pas du te dire ça ! Qu'est ce que tu vas croire ?! Va pas te faire de films entre nous hein ?!
Les joues d'Harry s'empourprèrent et il baragouina.
- Non... je... non, non... c'est pas ce que je voulais dire ! Ce n'est évidemment pas ce que je voulais dire !
Drago le regardait un sourcil relevé et un sourire sarcastique au bord des lèvres.
- Tant mieux ! Enfin il vaut mieux que ce soit clair ! Ce n'est pas que je n'apprécie pas ta « chaleur humaine » Potter mais ça s'arrête là entre nous.
Harry avait senti une bouffée de chaleur lui monter aux oreilles dont il ne comprenait pas bien l'origine.
- T'inquiète, j'ai bien compris ! Pas d'soucis ! Puis de toute façon, on est sensés se détester n'est-ce pas ?! Dit-il pour se redonner de la contenance.
- Oui, on est sensés... mais là, vois-tu le contexte est pas vraiment favorable je trouve, c'est juste ça qui pose problème, le contexte...
- Oui, le contexte, ça doit être ça...
- Dès qu'on sera dehors tout reviendra comme avant, t'inquiète pas Potter !
Et à ce moment-là, Harry sentit une petite pointe au cœur. Tout redeviendra comme avant ? Il dut se rendre à l'évidence qu'il aimait cette « pause » dans leurs disputes et leurs confrontations. Il n'avait pas vraiment hâte que tout redevienne comme avant. Il eut alors honte de souhaiter intérieurement que les secours mettent le plus de temps possible pour les retrouver.