Ma tête me tourne alors que j'ai l'impression que mon corps est enveloppé dans du coton. Ou composé de coton, je ne sais pas vraiment. Et peu m'importe. L'anesthésiste m'avait prévenue que je pouvais me sentir bizarre au réveil. Je comprends mieux pourquoi, maintenant. Un mouvement sur ma droite m'interpelle mais je n'arrive pas à me tourner pour regarder qui est présent et je repars dans les vapes.
Me réveillant à nouveau, je me sens mieux. Plus alerte et moins cotonneux. Ma tête semble stable, cette fois-ci et je vois le sourire de mon petit-ami entrer dans mon champ de vision. J'aime tellement penser ça. Mon petit-ami. Une simple semaine que nous sommes ensemble et pourtant, il fait déjà de moi le plus heureux des hommes. On pensait attendre avant d'en parler à Alice mais c'est elle qui a mis les pieds dans le plat en nous demandant de nous marier pour avoir à nouveau un papa et une maman. Mais avec un deuxième papa à la place de la maman parce que c'est "carrément trop cool" d'après ses mots. Un amour, cet enfant. Alors, nous n'avons pas cherché à démentir et elle a sauté de joie. Youhou, un deuxième papa !
- Coucou, toi. Tu vas bien ?
- Bizarre.
Ma voix est un peu cassée mais il continue de sourire, glissant sa main dans mes cheveux.
- C'est normal. Ça va passer. Tu as mal quelque part ?
Je réfléchis, essayant de ressentir tout mon corps, de la pointe de mes cheveux jusqu'à mes doigts de pieds, avant de secouer négativement la tête.
- Non, je ne sens rien.
- Les anti-douleurs doivent faire encore effet. N'hésite pas à le dire si la douleur se réveille. Ok ?
Je n'hésite pas et hoche la tête, lui souriant. Je dois plutôt faire une grimace parce qu'il échappe un rire, m'indiquant de me reposer. Et mon corps semble assez d'accord avec cette idée parce que je rejoins à nouveau le monde de Morphée.
Quand je me réveille, encore, j'entends des voix discuter entre elles. L'une d'elle est celle grave d'Andy et l'autre est un peu plus aiguë.
- Dylan ?
- Hé, beau gosse. Ça va ? Ton beau militaire m'a dit que l'opération s'était bien passé. C'est une bonne nouvelle ça. D'ailleurs, sacrément sexy ton mec. Je comprends pourquoi t'as craqué ! Enfin. Je suis content de te voir en forme, ça fait plaisir.
- Dyl' ?
- Oui ?
- Tu parles trop.
Échappant un rire, Andrew m'aide à m'asseoir dans le lit avant de s'installer à côté de moi.
- Alors comme ça...
- C'est lui qui a décidé de choisir ce surnom.
- Et tu approuves ?
- Il est plutôt véridique.
- Effectivement.
Il m'adresse ce sourire magnifique qui me fait fondre avant de m'embrasser chastement. Une nouvelle conversation démarre entre nous trois et c'est l'un des meilleurs moments de ma vie. Dylan est un ami. Un bon ami. Un merveilleux ami. Il a énormément fait pour moi et je crois que je ne pourrais jamais assez le remercier. Il me dit qu'il le sait mais je crois qu'il ne pourra jamais saisir la portée qu'a pu avoir cette main tendue sur l'ensemble de ma vie. Il m'a tellement apporté. Et savoir qu'il s'entend aussi bien avec Andrew confirme le fait que j'ai fait le bon choix. Pour l'un comme pour l'autre. La conversation s'éternise jusqu'à ce qu'il s'excuse de nous quitter, devant rejoindre Lionel. À nouveau seul à seul, Andy me fait me décaler pour se glisser à côté de moi et je me love contre lui, écoutant son cœur qui bat. L'un de meilleurs sons du monde après sa voix.
Enfin débarrassé de cette affreuse tenue d'hôpital, je suis prêt à quitter l'enceinte du bâtiment. La cicatrisation se passe bien et les médecins ont décrété que je n'avais pas besoin de rester plus longtemps. Alors, le moment est venu de passer à la clôture d'un chapitre. Je sens que ça ne va pas être facile mais je dois le faire. Pour pouvoir avancer. Il le faut. Andrew est à mes côtés, me soutenant. Il sait l'importance de ce qu'il va suivre et il me prouve son soutien. Celui sans faille dont j'ai besoin pour affronter ma famille. Arrivé devant la porte de la chambre de Christopher, j'inspire un grand coup et assène mon poing. C'est mon père qui nous invite à entrer.
- Bonjour, Zachary.
- Papa.
C'est la première fois que je prononce ce mot depuis des années. Il ne me laisse pas insensible. Et je vois à son tressaillement et à son regard que ça ne le laisse pas insensible non plus. Il vacille mais se reprend. Christopher attire mon regard en se redressant et en prenant la parole, la reconnaissance transparaissant à travers son regard.
- Merci Zachary, pour la greffe. Tu m'as sauvé la vie. Je... Je te dois beaucoup. Demande-moi ce que tu veux, je le ferai.
C'est le moment ou jamais. C'est la perche parfaite pour se lancer à pieds joints dedans. Un regard vers Andy, qui acquiesce et je saute.
- Alors sortez de ma vie. Toi et papa. Je ne vous veux plus dans ma vie. Je ne veux plus jamais vous voir. Parce que vous m'avez brisé, en tout petits morceaux. Vous avez fait de ma vie un désastre. Je me noyais et, au lieu de me sortir de là, vous avez continué de m'appuyer sur la tête pour la maintenir sous l'eau. Oui, je n'ai jamais été aussi bon en tout que Christopher mais... Mais merde ! Je suis ton fils autant que lui et... Et rien. Je n'ai rien eu. Aujourd'hui, vous n'êtes plus ma famille. Vous n'avez plus rien à faire dans ma vie. Ma seule et unique famille, maintenant, c'est Andrew. Parce que oui, même si vous ne pouvez pas le concevoir entre deux hommes, on s'aime. Bien plus que vous ne pourrez sûrement jamais le comprendre. Après la mort de Maman, j'avais plus que jamais besoin de vous mais vous m'avez laissé sombrer. Maintenant, je dis stop. C'est fini. Tu feras ce que je veux, Chris ? Respecte ma demande. Je ne veux plus être appelé pour jouer le fils parfait que je ne suis pas à un gala. Je ne veux plus être appelé pour un dîner où je serai rabaissé. Tu peux me déshériter si tu le souhaites, papa, peu m'importe. J'ai un boulot, maintenant. Un vrai emploi. Dans un refuge pour animaux. Et j'ai la vie que je veux, désormais. Alors, respectez-moi.
J'ai mal. Chaque mot me brise mais je sens la véritable cicatrisation opérer derrière. Comme si la première couche s'ouvre et s'écaille pour libérer celle qui était dessous, devenue trop à l'étroit. Chaque mot m'allège un peu plus et me soulage. Je veux qu'ils comprennent et je crois que c'est chose faite. Maintenant, je vais pouvoir vivre ma véritable vie. Alors que je me retourne, m'apprêtant à quitter la pièce, je suis retenue par des mots de mon père.
- Zachary, mon fils, attends...
Ses paroles me clouent sur place et je n'arrive pas à bouger autrement que pour lui faire face. Que s'apprête-t-il à me dire ? Que dois-je craindre ? Je sens la main d'Andrew attraper la mienne pour me prouver, à nouveau, sa présence.
- Je ne suis pas à pardonner, je ne le pourrai jamais. Je t'ai fait beaucoup plus de mal que ce qu'un père ne devrait jamais infliger à son fils mais... Ne crois pas que je cherche à amoindrir mes actes, bien au contraire. Mais tu lui ressembles tellement. Tu ressembles tellement à ta défunte mère que je te vois bien trop à travers elle. Et à chacun de tes actes, j'avais l'impression que tu la dénigrais un peu plus. Que tu la salissais comme elle ne devait pas l'être. Parce qu'elle était une fleur délicate. Et tu es comme elle. Vous étiez tous les deux si délicat et je vous ai brisé tous les deux. J'ai dû tellement la décevoir en agissant ainsi. Je te demande pardon, Zachary. Mon fils, je voudrais pouvoir tout effacer mais ça ne sera jamais possible. Alors sache que nous allons respecter ta volonté. Mais jamais je ne te déshériterai. Tu resteras tout autant mon enfant que Christopher. Ta mère aurait été fière de toi, mon fils. Et je le suis aussi. Maintenant, va. Va vivre cette vie qui ne mérite que toi.
C'est au radar que je quitte la chambre, à moitié guidé par Andy. Mais, la porte est à peine passée et refermée derrière nous que je tombe au sol, rattrapé par ses bras puissants avant de m'y écraser. Les larmes dévalent mes joues alors que mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. Une douleur fulgurante me traverse, déchirant quelque chose en moi pour le faire renaître.
- Il... Il a dit que Maman aurait été fière de moi... Tu as entendu, Andrew ? Elle aurait été fière de moi...
- Et ton père l'est aussi, mon beau Zachary.
- Comment... Comment peut-il me dire ça maintenant ?
- Parce qu'il a failli perdre un fils et qu'il a pris conscience de tout ce qu'il avait fait de mal avec son autre enfant. Il respectera sa parole, j'en suis certain. Il n'est plus le monstre qu'il a été. Lui aussi à sa croix à porter et il commence seulement à entreprendre le chemin que tu viens d'achever.
Je ne sais pas quoi dire, pas quoi penser. Je sais juste que je reste là, pendant de longues minutes, vidant mon corps de toutes les larmes qu'il possède. Et au moment où je passe la porte de l'hôpital, je suis certain d'être un homme différent de celui qui y est entré. Merci pour ta libération, papa.