Nous avions un cours collectif de sport. Le boss nous avait expliqué que les binômes n'étaient pas repartis au bol, mais selon une certaine logique. Les Traqueurs qui se servaient de leurs yeux, comme Derek, et ceux qui utilisaient les « visions », comme moi, étaient presque toujours ensemble, tandis que ceux de l'ouïe, de l'odorat et du sang, étaient repartis ensemble.
Pour plus de simplicité, Ric et James s'occuperaient des binômes des « yeux » tandis qu'Alexis et Gregory prendraient les autres. J'avoue que ça m'arrangeait bien, Derek et moi faisions partie de la catégorie « yeux » et Jay de la catégorie « sang », nous n'aurions donc pas les cours ensemble. Dans l'état actuel des choses, plus Jay serait loin de moi, mieux je me sentirais. Derek m'entraina dans la chambre pour nous changer et dit :
— On pourrait essayer de trouver des informations pendant ce cours !
— Ouais mais comment ?
— Je sais pas on verra sur le moment.
Décidément Derek était un contraste à lui tout seul. Quand il avait son caractère froid, il programmait absolument tout, mais quand il avait son caractère de « gentil », il partait en improvisation totale. Je me changeai et enfilai des baskets. Derek me rejoignit en habits de basketteur.
Dans la salle de sport, il fallait évidemment que Derek et moi soyons les derniers à arriver, quand les Traqueurs nous virent, ils eurent une mine dégoûtée vis à vis de Derek, l'agression à Aqua n'avait rien arrangé à la situation actuelle. James regarda Ric et dit :
— Tu veux faire ton speech ?
— Non vas-y toi.
— Bien alors, aujourd'hui on va travailler en binôme ! Donc normalement votre catégorie de Traqueurs est capable d'échanger des informations par les yeux et par les mouvements.
Je ne compris pas. Visiblement je n'étais pas toute seule, d'autres Traqueurs avaient eux aussi l'air d'être perdu, il fallut que l'un d'eux pose la question pour que James s'explique.
— Dans un binôme il y a celui qui voit l'aura des gens et tout ce qui ne fait pas partie de la « vision normale » et celui qui a des visions des événements du futur ou du passé. Celui qui peut voir les auras peut transmettre sa vision des choses à l'autre par le toucher. Avez-vous compris ?
Une approbation générale parcourut les rangs. D'après ces informations, je pouvais en déduire que mes visions concernant la femme aux cheveux bleus n'étaient pas normales.
Je n'avais cependant pas le temps de m'en soucier. Ric prit un binôme à part, Derek et moi, et James prit le reste du groupe. Ric nous expliqua d'abord une partie théorique, j'avoue que ce que James racontait semblait bien plus intéressant.
J'écoutais malgré tout attentivement Ric, quand soudainement, un couteau passa à quelques centimètres de la tête de l'Altéra blanc. C'était James, une de ses mains saignait et le liquide écarlate se répandait au sol en gouttant.
— Mais qu'est-ce que tu fiches, bon sang ! s'énerva Ric.
— Rien, j'ai reçu comme une décharge électrique et le coup est parti.
Ric fronça les sourcils tandis que James portait la blessure à ses lèvres pour enlever le sang, une goutte d'hémoglobine glissa le long de son menton.
J'eus un mouvement de recul, la mâchoire maculée de sang, James me faisait vraiment penser à un vampire. Ric reprit le cours et demanda à Derek de détailla le plus possible sa propre aura et ensuite de me l'envoyer par voie manuelle.
À la fin de ce cours, Derek et moi étions plus au moins capables de se transmettre nos visions. Mais Derek avait tout de même de la peine et je remarquai qu'il était plus pâle que d'habitude et qu'il avait quelques haut-le-cœur, pourvu qu'il ne vomisse pas maintenant, ça n'allait pas le faire.
Ric assura à mon ami que c'était assez normal d'être mal après une séance comme celle-ci parce que le Traqueur qui transmettait la vision utilisait beaucoup d'énergie. Ça s'atténuerait avec la pratique. L'Altéra blanc s'approcha de James et examina la blessure avant de dire :
— Ça va, elle n'est pas trop grave ! Il y a du désinfectant dans les vestiaires et...
— Non !
Le cri de James nous fit tous sursauter. Le jeune homme avait une expression indéchiffrable sur le visage. Ric soupira et fixa sévèrement son ami, comme un parent qui engueulait son enfant parce qu'il avait fait une connerie.
— James arrête de faire ton goss, ça va faire quatre ans que...
— J'ai dit non !
James saisit le poignard qu'il avait utilisé au début du cours et il enfonça la lame déjà sale dans sa paume avec une telle violence que le couteau traversa sa main, déchirant les tissus et les muscles. Des garçons se détournèrent et des filles durent quitter la salle. James arracha la lame dégoulinante de sang de sa paume et l'essuya sur son pull, la douleur se lisant sur son visage.
— Désolé du désinfectant ne suffira pas, dit-il.
Je crus pendant un bref instant que Ric allait vraiment le frapper, mais heureusement et comme par hasard, son téléphone sonna et il fut obligé de rejoindre le boss pour une urgence. James enroula sa main dans un fin mouchoir qui fut très vite imbibé de sang.
— Il serait bien que vous utilisiez les douches de la salle ! conclut James.
Il se dirigea vers la sortie quand un élève l'interrompit, il ne savait pas où se trouvaient les vestiaires. James se figea littéralement sur place, j'avais l'impression que la température s'était refroidie.
Il n'avait pas trop le choix, et après avoir repris ses esprits, il se dirigea vers la porte du fond. Il entra et et indiqua à l'élève le chemin à prendre, mais celui-ci demanda au jeune Altéra s'il pouvait faire visiter les locaux.
James avait l'air au plus mal, il inspira fortement et se força à avancer dans le couloir. Malgré le fait qu'il n'ait pas fait grand chose à part se blesser rageusement durant ce cours de sport, l'Altéra violet transpirait. Une fine couche de sueur recouvrait son visage, même si ici, il faisait passablement frais.
Le jeune homme présentait les locaux d'une voix de robot et quand il posa la main sur la poignée de la dernière porte du couloir, elle se mit à trembler. Il était figé comme une statue de glace.
— M. Roddart ?
James ouvrit la porte et laissa passer les élèves avant lui. Il fut à peine rentré que la porte se referma derrière lui et son comportement devint de plus en plus bizarre.
Je ne saurais pas comment l'expliquer, mais en regardant James, j'avais l'impression de le voir des années plus tôt. Le jeune homme se mit à trembler de tout son corps, il porta la main à son cou et essaya d'éloigner le col de sa peau, il semblait s'étouffer à cause de sa respiration saccadée.
J'échangeai un regard avec Derek et certains Traqueurs qui ne comprenaient pas, une horrible sensation de déjà vu me fit frissonner. Un Traqueur eut le courage de poser sa main sur le bras de James, et la réaction, qui se fit immédiate, n'était pas celle à laquelle je m'attendais. James se dégagea rapidement, les larmes aux yeux.
— Ne me fais pas de mal, s'il te plaît.
James s'appuya contre le mur à côté de la porte et entoura sa tête de ses mains. Il pleurait silencieusement. Je ne comprenais plus rien, lui qui en général faisait attention à avoir l'air digne et sans faiblesse, se laissait totalement aller.
En tout cas, je compris au moins une chose, il faisait une crise d'angoisse ! Je demandai à une fille à côté de moi d'aller chercher soit Ric soit Alexis, trop choquée elle s'exécuta sans discuter.
Quand Ric arriva, il avait l'air contrarié qu'on l'ait dérangé, mais quand il vit James, sa colère fut remplacée par l'inquiétude. Il s'approcha de James et s'agenouilla devant lui. Il lui dit quelque chose, mais voyant que ça ne faisait rien, il assomma son ami pour que celui-ci s'évanouisse. Radical comme solution ! Le blanc avertit Alexis et attendit qu'il vienne.
Alexis était surchargé de travail, mais s'occupa tout de même de cette histoire, il sortit du vestiaire avec James. Ric allait les suivre quand un Traqueur lui bloqua le passage et dit :
— Désolé, mais on a besoin d'explications, alors racontez nous le pourquoi du comment et on vous laisse passer !
— Ce n'est pas à moi de vous raconter ça ! se défendit Ric.
— Alors vous ne sortez pas !
Ric soupira et dit finalement :
— Lorsque James et moi avons fait notre stage au Domus Lucis, nous étions les meilleurs de la volée. L'un des autres Altéras a pris James en grippe. À un cours de sport, James s'est forcément embrouillé avec cet élève, celui-ci a attendu que James soit seul dans les douches pour l'agresser et le laisser à moitié mort. Je l'ai trouvé quelques minutes plus tard, et il est resté plusieurs jours dans le coma.
Ric s'interrompit et passa une main dans ses cheveux pour se donner contenance. Il écarta le Traqueur de son chemin et partit sûrement rejoindre James à l'infirmerie.
Si je m'étais attendue à ça... Je comprenais mieux pourquoi James avait été réticent à revenir ici. Mais alors, la cicatrice que nous avions aperçue qui traversait tout l'abdomen du violet, venait-elle de là ?
Une chose était sûre, c'était que quand la petite elfe nous avait dit que les Altéras avaient un passé plutôt sombre, elle avait raison, parce qu'entre James et Alexis, il y avait peu de lumière...
Un peu sous le choc, je laissai Derek me reconduire à notre chambre. Nous avions appris au moins quelque chose durant ce cours, mais rien qui puisse nous aider avec cette histoire de taupe et de prophetia.
Dans la chambre, Derek me laissa prendre la salle de bains en premier. J'étais un peu sonnée par ce que nous venions d'apprendre et l'eau chaude me fit du bien. Dans la pièce commune, j'entendis Derek jurer comme un charretier. Qu'est-ce qui se passait encore ? Je passai un peignoir et rejoignis le brun.
— Pourquoi tu jures pareillement ? demandai-Je.
— Eh bien lis ça et tu verras.
Derek me tendit un ouvrage au sujet des pierres précieuses. Il était ouvert sur la page de la tourmaline rose, et voilà ce qui y était dit :
-soulage la ménopause
-calme étourdissements et vertiges
-favorise l'amour et le désir
-inspire la paix et la sagesse
-supprime les émotions négatives et crises de panique
-encourage l'épanouissement
En quoi toutes ces choses pourraient nous aider à comprendre la prophetia ? Je ne m'attardai pas plus sur ces vertus et passa à celles de l'aigue-marine.
-apaise les angoisses
-renforce l'amour naissant
-purifie les chakras
-renforce le système immunitaire
-apaise les nausées
-favorise la communication, la tendresse, et développe la sensibilité
-....
Ça ne nous aidait pas non plus, cette pierre aussi servait à être calme et bien. J'arrivais donc à la conclusion suivante : comment deux pierres qui sont censées apporter le calme et la paix, peuvent-elles déclencher une guerre ?
L'idée de décortiquer ce mystère pour essayer de le comprendre n'avait absolument pas fonctionné et ça me faisait rager. J'abandonnais ! Derek ferma les yeux et je regardai ses doigts qui tapotaient sur son omoplate, il réfléchissait.
Laissant mon regard vagabonder, je remarquai alors un papier affiché sur le meuble à côté de la porte, je réussis à le lire depuis ici. Il annonçait que aujourd'hui, c'était la fête nationale anglaise, ce que j'avais complètement oublié, et que ce soir il y aurait une petite soirée. Décidément, ils aimaient bien faire la fête ici !
— T'as vu, il y a une petite fête ce soir ! dis-je à Derek.
— Oui et ?
Je n'osais pas lui demander d'y aller avec moi ! Et je crois que j'ai légèrement oublié de le dire, mais le 24 Avril, c'est-à-dire demain, c'était mon anniversaire !
J'espérais fortement ne pas l'avoir dit à Jay parce que vu notre relation ces temps, je n'étais pas sûr que cet événement arrange les choses. Je restai silencieuse et Derek releva la tête devant ce silence inattendu.
— Ça ne va pas ? demanda-t-il.
— Si si !
Le grand brun n'avait pas du tout l'air convaincu mais tant pis. Je ne lui devais rien et à Jay non plus. Je refermai le livre sur les pierres précieuses et le rendis à Derek.
Je me couchai sur l'un des canapés et fixai le plafond, avant de pousser un profond soupir. Qu'est-ce que je devais faire à propos des garçons ? Je pensais savoir une chose, c'était que Jay et moi, ça ne pourrait jamais fonctionner, il était trop possessif et un peu agressif.
Derek se leva et se planta devant moi, il me regarda et dit :
— Amy, tu veux aller à cette fête ? demanda-t-il.
— Euh... oui mais... mais...
Le simple fait que Derek me demande ça me mettait dans tous mes états. Je détourna mon regard vers la feuille et remarquai que l'on n'était pas obligé d'aller à la fête, et qu'on pouvait plutôt visiter le bourg de Lux, mais ça ne changeait quand même pas le problème.
Derek prit la feuille et la lut en vitesse. Son regard sans émotion se posa sur moi, c'était toujours déconcertant, même si je commençais à bien connaître mon ami, je ne m'étais toujours pas habitué à cette passivité.
— Je te propose un compromis, commença-t-il, on ne va pas à cette soirée, mais on va se promener dans le bourg de Lux. Ça te va ?
— Oui !
Je n'aurais jamais pensé qu'il me proposerait une telle chose, mais je me réjouissais vraiment de passer cette soirée avec lui. Restait une ombre, Jay. J'étais à peu près sûre qu'il allait me demander de venir au bal avec lui, pour se faire pardonner, mais c'était hors de question.
J'avais pris conscience que nous avions brûlé des étapes lui et moi, tout était allé beaucoup trop vite. Le peu de sentiments qu'ils me restaient pour lui avaient disparu lorsqu'il était devenu presque violent hier.
Mais tous les Traqueurs devaient se présenter à la petite soirée pour que le boss puisse donner des informations cruciales sur les prochains jours qui, à mon avis, n'allaient pas être de tout repos.