J'ai tellement mal à la tête. Pourquoi je suis sorti ? J'aurai juste pu m'endormir pour oublier non ? Non, je sais parfaitement pourquoi je suis sorti. Sauf que j'ai l'impression que je n'ai fait qu'empirer les choses. Astéria me trotte encore plus dans la tête alors que j'avais réussi à la mettre en arrière plan et mon cerveau a cessé la bataille contre mon coeur ; j'en veux à Emma.
Je préfère l'ignorer au café. Le temps que je me calme. Je ne voudrais pas lui dire des choses que je ne pense pas et que je regretterai. Heureusement elle respecte mon choix. Enfin elle me connaît, elle sait parfaitement que ça pourrait partir loin si elle tentait de forcer notre réconciliation.
Rana n'est pas encore là, c'est la première fois depuis que je vois quelqu'un d'autre tenir la caisse. C'est l'amie blonde d'Axelle qui se tient derrière le comptoir. Nos regards se croisent, je la salue d'un poli coup de tête et elle d'un sourire.
Je reste seul, dans mon coin. Je m'occupe des clients et je ne parle pas. Je ne sais pas si m'enfermer dans un mutisme est une bonne solution mais sur l'instant ça me semble la meilleure. Emma reste à distance, elle n'est pas blessé que je parle aux autres et non à elle et je peux me perdre tranquillement dans mes pensées.
Les clients reviennent petit à petit. Mais jamais ils ne reviendront aussi nombreux qu'ils l'étaient. Hélios a dépensé tant d'argent pour rénover l'endroit. Il doit être en colère. Si j'ai bien compris cette chaîne de café est un héritage familial qui lui tient à coeur, et il avait monté lui-même celui-ci en particulier. Émotionnellement, ça doit être dur. Il tient à cet endroit, il tient à ses employés. Il ne veut se séparer de rien, pourtant il va devoir le faire si les clients ne reviennent pas... Je me prépare déjà psychologiquement à être renvoyé. Dernier arrivé, premier parti. Ce serait logique.
Je prends une grande respiration de courage et je me lève pour aller prendre une nouvelle commande. Je reconnais l'une des jeunes femmes. Avec sa peau noire, sa coupe afro et son sourire charmeur c'est elle qui m'a fait totalement perdre la tête il n'y a pas si longtemps que ça. Je grimace. En me voyant, la jeune fille perd son sourire et grimace également. Je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit, instantanément elle demande sèchement :
« On pourrait avoir un autre serveur ou une autre serveuse s'il vous plaît ?
— Pas de problème. » Je réponds soulagé.
Je vais donc chercher un autre serveur.
Cette fille me fait penser au garçon d'hier. Ce pauvre homme que j'ai ramené au pied de mon immeuble pour finir par le repousser. Je ne me souviens à peine de son visage, juste de la chaleur de ses lèvres. Cette sensation de partage. D'être désiré. Ne penser à rien d'autre qu'au partenaire en face. Se vider l'esprit.
Mais malgré ce qu'Alia a pu croire, j'ai changé. J'ai arrêté de coucher à droite à gauche. J'ai un travail, que je vais certes perdre bientôt, mais pas par ma faute où celle de mon physique pour une fois. Je me suis repris en main. Presque totalement.
La journée passe et les clients défilent. Je ne peux m'empêcher de regarder Emma. Elle est triste, et rongée par la culpabilité. Je peux le voir rien qu'à son faux sourire qu'elle se force à porter. Et malgré la peine que j'ai de la voir dans cet état, je lui en veux beaucoup trop. Je ne peux pas m'approcher vers elle, la prendre dans mes bras, comme si de rien n'était. Ce n'est même pas une question d'ego. Pour elle je le mets de côté. Là c'est...plus que ça.
En partant elle tente tout de même un contact visuel. Je ne peux m'empêcher de lui sourire. Je la vois instantanément se détendre. Peut-être que finalement je lui en veux un peu moins qu'hier et c'est pour ça que mon cerveau a cessé le combat.
Aujourd'hui, je suis de corvée nettoyage en compagnie d'Octave. La joie. Pourtant je suis heureux de rester avec lui. La vision qui me revient depuis hier m'intrigue. Je ne suis pas sûr que le visage que j'ai vu était le sien pourtant le sentiment persiste. Alors je compte bien profiter de ce moment pour éclairer mon esprit.
« Asher !
— Eh Myrtille ! Comment tu vas ?
— Très bien mais...et toi ? »
Je la regarde, interloqué par le ton utilisé.
« Eh bien avec Emma...
— Oh...
— Je ne veux pas être indiscrète pardon. Emma a déjà du le faire mais je te demande en personne. Samedi j'ai une répétition avec mon groupe, au lieu de te filer une démo ce serait plus sympa de nous voir en live.
— Ouais, je vais voir si je suis libre et je te dis. »
J'y serais allé avec grand plaisir si elle n'avait pas su...
« Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu faisais de la musique toi aussi ? »
Parce que c'est beaucoup trop personnel, beaucoup trop douloureux.
« ça fait longtemps que je n'en fais plus, je réponds simplement.
— Oh, c'est dommage, ça doit être pour ça qu'Emma semblait étonné que tu m'en ais parlé.
— Oui, ça doit être ça.
— Tu me tiens au courant pour Samedi ?
— Pas de problème. »
Je souris poliment mais tout mon être lui crie de refuser. Je ne veux pas y aller, je ne veux pas qu'elle mette d'autre personne au courant, je ne veux pas risquer qu'elle me demande de jouer quoi que ce soit...
« Les monstres ont un rendez-vous ? »
Myrtille perd son sourire et se crispe. Ses yeux s'emplissent de peur et de douleur. Et j'ai d'un coup envie de frapper cette petite merde d'Octave. Je me retourne vers lui, tentant de garder mon calme.
« Qu'est-ce que tu racontes comme connerie, encore ?
— Vous parliez de Samedi.
— ça te regarde ?
— Qu'est-ce que vous faites Samedi ? » Demande-t-il d'une voix mielleuse en m'ignorant.
Sans le savoir, Octave vient de me tendre une perche.
« Qu'est-ce que tu as fait, toi, hier ? »
Il perd son sourire mesquin instantanément. Il n'a réellement pas l'habitude qu'on l'attaque.
« Hier soir plus particulièrement, vers dix-neuf heures environ, peut-être vingt ? Tu devrais pouvoir me rafraîchir la mémoire ? »
Pendant qu'Octave est occupé avec moi, Myrtille en profite pour s'enfuir. Elle me salue timidement puis part du café à la hâte.
« Tu as perdu ta langue cher empereur ?
— Je ne sais pas de quoi tu me parles, hier soir j'étais chez moi. »
Il fait demi-tour et se dirige vers le placard où sont rangés les produits d'entretien ménagé. Je ne saurai pas déterminée si c'est un mauvais menteur ou s'il était vraiment sincère. Et je n'ai pas réussi à le déterminer de toute la soirée.
Toute la semaine j'ai été hanté par trois questions : Octave était-il oui ou non devant ce bar Dimanche ? Où est Rana ? Est-ce que je vais voir Myrtille et son groupe Samedi ?
J'ai appris que Rana était malade et Octave est rapidement passé au second plan, le weekend s'approchant dangereusement, mon esprit s'est concentré sur la répétition. Plus le temps passait, plus je me rendais compte que j'avais vraiment envie d'y assister. Alors j'ai tout de même demandé l'adresse «au cas où je réussisse à me libérer » et j'ai demandé à Hélios d'aménager mes horaires.
Alors je marche en direction du garage, en me disant que je pourrais faire demi-tour à tout moment. Personne ne saurait jamais que j'ai juste été lâche. Personne sauf moi. J'entends parfaitement Emma me dire que je regretterai beaucoup trop de ne pas y aller. Et si c'est juste une peur de jouer je n'aurai simplement qu'à refuser...
C'est aussi simple que ça.
Non ça n'a rien de simple !
Je suis devant sa maison et j'ai juste envie de faire demi-tour. Oui c'est ça, je vais faire demi-tour. Je ne vais pas entrer dans ce garage je vais retourner chez moi et tout...
« Asher ! »
...ira bien.
« Myrtille !
— Je commençais à croire que tu ne viendrais jamais ! S'exclama-t-elle.
— Je commençais à le croire aussi. »
Est-ce qu'elle guettait la fenêtre en attendant de me voir ou est-elle sorti au bon moment ? Je ne sais pas mais le résultat est le même, je ne peux pas faire marche arrière.
Elle me fait de grand signe pour que je la rejoigne à la porte puis me fait descendre dans le garage. Dans la pièce se trouvent trois garçons et toute une panoplie d'instrument.
Jonathan, Will et Paul sont trois amis d'enfance de Myrtille. Ils ont crée leur groupe pour une fête d'école puis ne se sont plus lâché et maintenant ils se retrouvent pendant leur temps libre pour faire des concerts et préparer leur premier EP.
Je m'assois sur le petit canapé en face d'eux en attendant qu'ils se préparent et jouent quelque chose. Je suis en peu perdu dans mes pensées quand l'un des garçons s'approche. Une tignasse blonde, extrêmement claire, presque blanche contrastant avec son teint métisse et un regard perçant marron se penchent vers moi, une guitare à la main. Ce garçon me dit clairement quelque chose.
« Joue nous quelque chose, sois sympa, me demande Will. »
Je sursaute.
« Non, moi j'joue pas, je sors rapidement en mâchant la moitié de mes mots.
— Pourquoi ? S'étonne-t-il visiblement déçu. Myrtille nous a dit que tu jouais.
— Myrtille raconte des conneries. Ça fait quatre ans que j'ai pas touché un seul instrument ! »
Et pourtant cette guitare me fait de l'oeil.
« Eh bien tu jouais ! Allez, fais nous un petit truc.
— ça fait quatre ans que j'ai pas joué un seul morceau, je suis forcément rouillé, et même pire, je ne dois pas me rappeler d'un seul accord.
— Ne sois pas pessimiste, c'est comme le vélo, ça s'oublie pas. T'as qu'à essayer quelque chose de basique. Tu peux essayer un Come as you are ? »
Je cède. L'instrument est trop proche de moi pour que je ne l'attrape pas. Et puis, Will à quelque chose dans la voix, dans le regard, de convaincant.
Evidemment que non, ce n'est pas comme le vélo. Pour sortir une mélodie potable j'ai du m'y reprendre un nombre incalculable.
« C'est une catastrophe, je soupire.
— Pour quelqu'un qui n'a pas touché une guitare depuis quatre ans, je trouve que ça t'es vraiment bien revenu, me répond Will encourageant.
— La prochaine fois que tu viens ici, je veux que tu nous joues une vraie mélodie ! S'écrie Myrtille.
— Je ne peux pas, je n'ai plus de guitare chez moi. »
Mensonge. Mais comment expliquer autrement que je ne compte pas retoucher une guitare ?
« Tu vas devoir revenir ici souvent pour t'entraîner, Myrtille va être franchement déçue. » S'exclame Jonathan.
Il a dans la voix un ton ironique et en jetant un coup d'oeil à Myrtille. Elle tente de cacher ses pommettes rouges et ses yeux écarquillés de honte. C'est honteux de me trouver mignon ? Ah bah merci bien Myrtille !
La pauvre, je fais semblant de ne rien avoir remarquer, pour ne pas l'embarrasser un peu plus.
Mais comment ne pas le remarquer quand ses potes rient sans se retenir.
Mes yeux sont attirés par le physique de Will. Je l'ai déjà vu quelques part. Les courbes de son visage me sont familières. Les arêtes fines de son nez. La rondeur de la forme de ses yeux. La profondeur et la malice de son regard marron. La douceur de sa mâchoire. L'épaisseur de ses lèvres.
Oui, je connais ce garçon, mais j'ai peur de lui poser la question. J'ai peur de savoir d'où je pourrais le connaître. Et peut-être que je me trompe en plus. Enfin, si on se connaît réellement je suis sûr qu'il viendra me le faire remarquer.
Dès que les garçons ont fini de rire, Myrtille leur demande de se mettre en place pour qu'ils commencent leur répétition. Aujourd'hui, Myrtille est au chant et à la guitare, Will s'occupe de la batterie, Jonathan la basse, et Paul accompagne Myrtille à la guitare.
Ils sont vraiment très bon. Et leur amitié se ressent dans leur musique. Ils s'éclatent quand ils jouent et c'est vraiment beau à voir. Tout n'est pas parfait, c'est une répétition, mais j'apprécie leur travail. C'est à la fois entraînant, rythmé et harmonieux. La voix de Myrtille à un petit quelque chose en plus et les coeurs faits par les garçons sont bien gérés.
« La prochaine fois on fera pas toutes ses erreurs, grogne Myrtille contre le groupe.
— Eh ! C'est une répétition les erreurs c'est normal ! Se plaint Paul.
— Pas celle qu'on a faites non.
— On avait un invité, on avait la pression, tente d'expliquer Will en me désignant.
— On va dire ça. »
Je salue le groupe et Myrtille me raccompagne dehors.
« Hésite pas à revenir quand tu veux. Et à revenir pour la prochaine répèt', me dit-elle timidement.
— Elle est quand ?
— Samedi prochain.
— Je vais voir si je peux me libérer, mais je viendrais avec plaisir ! »
Je repars le sourire aux lèvres et le baume au coeur. J'aurai regretté de ne pas être venu. Ça aurait été l'une des plus grosse erreur que j'aurai pu faire. Et finalement, je ne suis pas mort d'avoir retouché une guitare...
J'ai quelqu'un à aller voir avant de rentrer chez moi. Je regarde l'heure. C'est bon elle est rentrée, par contre c'est dommage Samaé doit être couchée. Je ne suis pas trop loin de son appartement, alors j'y arrive rapidement. Je monte jusqu'à la porte de son appartement sans sonner, à cette heure-ci la petite est forcément couchée.
Devant la porte j'hésite. J'ai peur qu'Emma m'en veuille à cause de ma scène qui, quand on y réfléchit, n'était pas réellement justifié. J'ai peur qu'elle me dise de repartir chez moi, qu'elle n'a pas envie de me voir. Mais je dois m'excuser, alors je frappe doucement.
J'attends. Presque une éternité dans ma tête. Mais je n'ais pas le temps de voir la porte s'ouvrir que quelque chose, quelqu'un, s'est jeté dans mes bras. Elle enfonce sa tête contre mon torse tandis que je passe mes mains derrière son dos et je la serre fort contre moi.
Sa chaleur, son odeur et tout son être m'a manqué. Une semaine sans elle c'est si long. Pourquoi j'ai été stupide comme ça ? Tout ça pour des mots que personne n'aurait pu interprété dans le bon sens à part elle, moi et Alia...
« Je suis tellement désolée, je l'entends murmurer.
— Non Emma c'est moi.
— J'ai été bête de lui dire ça !
— J'ai été bête de me mettre en colère pour ça...
— Non, non.
— Si. Allez, on en parle plus.
— Oh Asher tu m'as tellement manqué ! J'ai beaucoup trop besoin de toi.
— Moi aussi Emma. »
On entre dans son appartement, on s'installe et je lui raconte mon après-midi. Elle sourit, les yeux brillants, heureuse pour moi. Je la regarde, et j'imprime chacun de ses détails dans mon esprit. Je ne veux plus m'éloigner. Je ne veux plus me fâcher. Et je ne veux pas pouvoir l'oublier. Elle est mon sang, mon oxygène, ma seule famille !
Tu ne peux pas savoir à quel point, moi, j'ai besoin de toi. Tu m'es vital, Emma.