Je ne respire plus vraiment. Est-ce dû au stress qui me tord le ventre, ou à cause du bustier que je porte qui me comprime les côtes ? Je ne sais pas vraiment en fait. Peut-être est-ce un mélange des deux.
J'observe mon reflet dans le miroir, ne me reconnais pas vraiment. Mes cheveux d'habitude lisses, sont réunis dans un chignon bouclé, qui dégage ma nuque et souligne mes épaules assez fines.
Inspire. Expire. Inspire. Expire.
Respire Elisa.
Je me laisse tomber sur le lit derrière moi et ferme les yeux, m'en fichant de froisser ma robe ou d'abimer ma coiffure. Je n'ai jamais ressenti autant de stress qu'en cet instant.
Je n'aime pas être le centre des attentions, mais là, je sais que je vais être celle que chaque invité va observer, juger, jauger surtout.
Depuis huit années qu'Alex et moi sommes ensemble, rares sont les personnes qui ont approuvé notre relation. Evidemment, qui peut croire qu'une femme comme moi, de classe moyenne, puisse réellement avoir des sentiments pour le riche entrepreneur qu'est mon fiancé ? Peu de personnes. Lorsque Alexandro m'a demandé en mariage, j'ai eu peur. Pas de mes sentiments, non, mais bien de ce qu'allaient encore raconter tous ces magazines people. Puis, je me suis dit, que je l'aimais sincèrement, qu'aucun autre homme ne pourrait avoir sa place dans mon cœur. Alors j'ai dit oui.
Cela fait un an maintenant, que nous organisons cette union. Six cents personnes sont conviées, dont nos amis proches, nos familles, mais aussi un tas de gens que je ne connais pas. Je pense qu'il s'agit d'entrepreneurs, du gratin de people qu'Alexandro connait.
—Elisa ?
La voix de Mélanie, ma meilleure amie –et patronne- retentit derrière la porte, coupant court à mes pensées.
—J'arrive !
Je me redresse en prenant soin de ne pas marcher sur les tulles qui trainent sur le parquet et lisse ma robe. Une dernière goulée d'air avant de me montrer, et j'y vais.
*******
Mon cœur palpite dans sa cage quand je me retrouve dans la limousine. A son bord, Mélanie qui essaye de me détendre en racontant des blagues pourries, ma mère qui pleure à chaque fois que nos regards se croisent, et Logan, le fils de Mélanie. A cinq ans, il est ravissant dans son petit costume et n'arrête pas de bouder en tirant son nœud papillon. Je resserre les doigts autour de la poignée tant je suis nerveuse. Pourquoi Alex ne pouvait-il pas un être un homme lambda ? On se serait alors mariés dans l'intimité, avec pour seuls invités nos proches.
—Tu es nerveuse ?
Je regarde Mélanie, lui tire la langue.
—Bien sûr que oui, soupiré-je.
Je ne sais même pas pourquoi j'ai envie de pleurer.
—T'es censée être souriante, heureuse, rayonnante, dit-elle en mimant de grands gestes. A moins que je n'aie raison depuis le début sur cette union ?
Je grimace, même si une part de moi est d'accord avec elle, mais elle ne sait pas vraiment tout le stress que j'ai eu lors des préparatifs, ni à quoi je suis ordonnée. En effet, mon beau-père, Paul Burn, tient à ce que ce mariage soit irréprochable. Il m'a bien fait comprendre qu'un seul faux pas ne serait pas toléré puisque des dizaines de photographes seront présents. Honnêtement, je n'ai jamais pu encadrer cet homme. Il n'a rien à voir avec son fils, qui lui, est plus aimable, beau, gentil et attentionné. Je me demande même ce que Danielle, la mère d'Alex, lui a trouvé à l'époque. Certes, ces temps-ci sont assez rudes avec Alexandro mais je mets cela sur le compte du mariage, de son boulot, de mon emménagement chez lui.
—On arrive !
Mélanie jubile, ma mère tape dans ses mains avec Logan et moi... Je vais vomir. J'en suis certaine.
Par la vitre fumée, je peux apercevoir deux ou trois personnes qui fument en bavardant, d'autres qui entrent dans l'église dont Alex, poussé par sa mère. Je ris en voyant ça. Il voulait sûrement rester, m'accueillir, mais Danielle est intransigeante sur les coutumes. C'est pour cela que cette nuit, j'ai dormi chez Mélanie, avec ma mère.
—Prête ?
Je hoche doucement la tête, même si j'ai envie de demander au chauffeur de me ramener chez moi. La porte s'ouvre, et j'attends que tout le monde soit descendu avant de sortir à mon tour. Le vent s'engouffre dans l'habitacle, faisant virevolter quelques- unes de mes mèches. Je saisis la main qui m'est tendue, frissonne à son contact et me hisse dehors.
—Ravissante.
Je relève la tête vers l'homme, qui me tient toujours la main et cesse de respirer quelques secondes. Ses yeux brillent tels deux émeraudes, et son sourire me charme. Il est beau, trop beau pour être réel.
—Euh... Merci.
—Je manque de politesse, veuillez m'en excuser, dit-il en frôlant le dos de ma main de sa bouche. Je suis Damien, Damien Burn.
Mon pouls s'emballe, mes jambes se mettent à trembler tandis que ma tête tourne.
C'est donc lui ? Damien ? Le frère d'Alex que je n'avais jamais vu ?
—Enchantée...
Consciente de ma main toujours logée dans la sienne, je la reprends en m'empourprant. Cet homme est déstabilisant, c'est incroyable.
Mélanie bondit entre nous, se présentant avec classe à Damien et je les regarde, de manière plus ou moins détachée quand ils font connaissance. Ils formeraient un joli couple. Lui, grand, musclé et des cheveux aussi noirs que les plumes d'un corbeau, et elle, blonde, mince, élancée.
—Je pense que je dois vous escorter jusqu'à la nef.
Je cligne plusieurs fois des yeux, tentant d'assimiler ce qu'il vient de me dire. M'accompagner jusqu'à la nef ? Et puis quoi encore ? Je croise les bras, essaie de chercher un renfort dans le regard de ma mère, en vain. Elle est subjuguée par l'homme qui se tient devant nous.
—Comment ça ? finis-je par demander.
Mélanie, ma mère et Logan s'éloignent pour ne rien rater de la cérémonie, quant à moi, je boude. Je ne veux pas aller avec lui ! Je ne le connais pas, puis son frère ne l'aime pas !
—Alexandro m'a dit que vous ne vouliez pas y aller au bras de notre père. C'est donc à moi que revient cet immense honneur.
Je lève les yeux au ciel. Evidemment. Comme si ce mec était le seul qui pouvait accomplir cette tâche.
J'avance vers l'église, Damien sur les talons. Cet homme représente un mystère pour moi, un peu comme un spectre, ou une légende. J'ai entendu parler de lui pendant huit années, en bien ou en mal, mais sans jamais le voir. C'est... Perturbant.
Je m'adosse contre le mur en prenant garde à ne pas salir ma robe et attends le signal pour entrer. Je ferme les yeux, tente de calmer mes palpitations cardiaques et ces tremblements incessants. Quand j'ouvre les yeux, Damien me fixe intensément. Son regard vert est incandescent. J'observe sa bouche ourlée, ses lèvres pleines qui doivent être un appel aux baisers pour un bon nombre de femmes. Quand il passe sa langue sur celle inférieure, mon souffle devient erratique.
—Si tu veux, je peux t'embarquer dans ma Mustang, dit-il d'une voix rauque. Plus de mariage, plus de stress. Juste toi et moi, Elisa.
Je déglutis difficilement avant de fixer mes yeux aux siens, brillants de malice.
—Ca ne va pas, non ?
Il rit, penchant légèrement sa tête en arrière. Sa pomme d'Adam ressort, me donne envie d'y glisser ma langue.
—Ca s'appelle de l'humour, déstresse.
J'esquisse un sourire, mais détourne tout de même la tête. Je suis mal à l'aise de penser à toutes ses choses alors qu'il n'est pas mon mari, que ce dernier m'attend justement dans l'église, et que je connais cet homme depuis seulement deux minutes quarante. Quand la musique retentit, je me redresse, et nous avançons.
∞
La salle est majestueuse, avec ses plafonds drapés, ses nombreuses tables rondes. La décoration y est simple, parfaitement comme j'aime : nappe blanche, rehaussée d'un centre de table argent et d'un vase comportant plusieurs orchidées blanches. Les discussions vont de bons trains entre les invités, à notre table aussi. Ma mère et Danielle parlent enfant, ce qui me fait grimacer. Je n'ai jamais voulu d'enfants. Et encore aujourd'hui, à vingt-six ans, je n'en ressens pas du tout l'envie. Alex lui, est de l'avis de sa mère : un avenir ne se conçoit pas sans assurer sa descendance. Mouais... Sauf que non. Je suis souvent prise avec mon boulot d'assistante, Alexandro aussi, les seuls moments qu'on a, autant en profiter. Je ne vois pas où nous pourrions caser un enfant. Je soupire, me tourne vers les hommes pour me mêler à un sujet moins chiant que les couches.
—Mais non, si on rachète cette entreprise, on va être obligé de revoir toute la comptabilité.
—Alex, grogne son père, à chaque rachat, ce sont des choses à prévoir, comme la restructuration du personnel.
Je roule des yeux, énervée qu'ils peuvent encore penser au travail le jour de notre mariage.
—Je vais prendre l'air, soufflé-je.
Alex me sourit, avant de déposer un bref baiser sur le coin de ma bouche.
—Tu te sens bien ?
—Oui, juste un peu chaud.
Il acquiesce et je me lève, avide d'air frais. Après tout, je ne vais pas lui dire que je m'emmerde, ce serait impoli et tout à fait déplacé. Je traverse la salle, souriant aux invités, remerciant ceux qui me félicitent. La porte fenêtre ne m'a jamais parue aussi lointaine qu'en cet instant.
Quand enfin je pose un pied à l'extérieur du château du Belvédère, je ne peux retenir un soupir de soulagement. J'ai la tête lourde, les oreilles qui bourdonnent à force d'être plongée dans ce brouhaha incessant. Je m'avance vers la balustrade, appuie mes bras dessus et regarde le parc qui s'étend à mes pieds. Malgré l'obscurité de la nuit, je le trouve magnifique. Quelques réverbères l'éclairent, faisant scintiller l'étang qui se trouvent dans le fond. Je frissonne, remonte le châle sur mes épaules et souris quand je vois Damien arriver vers moi. Après ce matin, je ne l'avais plus vu, je pensais même qu'il était parti. La lune qui reflète dans le ciel lui donne un air mystérieux, presque dangereux. Il est beau, et je suis certaine qu'il le sait et en joue auprès de la gent féminine.
Il monte les quelques marches séparant le parc du château et s'assoit à côté de moi.
—Tu as l'air de te marrer, dis-moi.
—Je m'amuse, oui. J'avais besoin d'une pause au calme.
Il sort son paquet de cigarettes de sa poche, s'en allume une.
—Donc, reprend-il, cela fait huit ans que tu supportes mon frère. Tu es une femme courageuse.
—Ecoute, le coupé-je en me redressant, si tu n'aimes pas ton frère, ce n'est pas mon problème, mais je ne te permets pas de déblatérer mon mari. Je suis sa femme.
Un sourire arrogant se dessine sur ses lèvres quand il saute de sa place, pour se placer face à moi. Il souffle sa fumée sur le côté, avant de fixer ses prunelles aux miennes.
—Tu penses juste que je ne l'aime pas ? Est-ce qu'il t'a dit pourquoi ?
Je me mords la lèvre, sentant le feu me monter aux joues. Il est beaucoup trop proche de moi, son parfum m'enveloppe, m'enivre.
—Non, finis-je par dire.
Non, parce qu'Alexandro refuse de parler de ça, du passé et de tout ce qui concerne son frère. Damien se penche vers moi, et je me paralyse. Mon cœur rate quelques battements avant de battre la chamade quand il replace une de mes boucles derrière mon oreille. Sa bouche n'est qu'à quelques petits millimètres de la mienne, me coupant le souffle.
—Demande-lui Elisa. Tu me comprendras. Par contre, je ne suis pas contre le fait de faire plus ample connaissance avec toi.
Un frisson parcourt mon échine quand de son doigt, il caresse mon épaule.
Mon souffle s'emballe, se hache à ce simple contact. Putain.
Je recule d'un pas, lui lance un regard noir alors qu'il sourit.
—Vous êtes assez grands pour parler, et ce, sans moi.
Je fais demi-tour, énervée. Mais pour qui se prend-il ? Il ne pensait quand même pas que j'allais lui dire oui, que nous devrions apprendre à nous connaitre ? J'entre dans la salle, croise le regard inquiet d'Alex. Bordel Elisa, tu ne peux pas gâcher ce jour. Je force un sourire médiocre, m'avance vers lui et lui tends la main en riant.
—Tu m'invites à danser ?
—Mais oui, dis-je en riant.
Ma bonne humeur refait surface quand il enlace nos mains, m'attirant contre lui.
Les invités cessent de parler, nous regardent nous diriger vers la piste de danse. Les flashs crépitent quand la musique d'Ed Sherran commence, que nous bougeons doucement.
—J'espère que tu es heureuse ce soir, me souffle Alex.
Je resserre mon bras autour de son épaule, respire son odeur rassurante. Damien est dans l'embrasure de la porte, nous regarde d'une façon méchante. Il avale le reste de son verre, le pose sur la commode à côté de lui et part.
—Oui, je suis très heureuse.