Je bâille devant mon écran de travail. Il est environ 7 heures du matin et je viens d'arriver dans les locaux de Mediatics, les cernes à peine couverts par les trois couches de correcteur que j'ai appliqué à la va-vite ce matin. Mes poches foncées sont aussi grosses que deux semi-remorques en plein chemin pour une livraison Edimbourg-Plymouth.
Les quelques heures de sommeil perturbées se font sentir. Après le carnage d'hier, je n'ai cessé de me repasser l'image de la dispute puis celle de la porte d'entrée en boucle, défaite et honteuse. Et le pire, c'est que je n'étais même pas bourrée quand tout ça est arrivé. J'étais en pleine fonction, mes neurones étaient tous là au rapport, mais personne ne m'a retenue. Absolument aucune partie de mon cerveau n'a lancé le signal d'alarme ultime, le célèbre « STOP, tu fais n'importe quoi » qui luit au centre du poste de contrôle interne, à côté du bouton « C'est l'heure d'aller faire une pause en-cas ».
Mais avant de débarquer ici, j'ai fait un petit tour au seul endroit qui peut me fournir quelques forces pour tenir. J'ai cité, le Starbucks.
En pénétrant dans les lieux où le café torréfié embaume généralement toute la pièce, j'ai cherché du regard mon Hashtag qui devait être de retour de vacances avec Ester, la cousine, dans le Kansas. Il était bien là, en train de réinstaller des tasses plus colorées les unes que les autres sur une grande étagère en bois avec des fixations en métal. De mon point de vue, je ne pouvais voir que son dos recouvert par un t-shirt blanc basique et son petit tablier vert forêt estampillé du logo de la marque d'envergure internationale.
Il n'y avait que quelques personnes, toutes sur leurs ordinateurs dernier cri, soit dans des tenues conventionnelles de travail de bureau, soit habillées comme des gérants de start up avec la panoplie du trentenaire rejetant son âge, s'imaginant encore jeune premier sur le parvis de l'université, le diplôme à la main, l'avenir dans l'autre. Bref, les clients usuels du matin.
À pas de loup, je me suis approchée, puis, accoudée au comptoir, j'ai effectué le sifflement le plus sonore et strident dans son dos.
« Alors ? On revient de voyage et on n'appelle même pas Liv' ? J'ai souri de plus belle quand Ashton a sursauté et effectué une rotation vers moi. Je commence à me prendre mal là.
— Liv' ! Il se penche au-dessus du comptoir, les bras en arc. Tu avais raison...
— Oh Ash'... Tu savais que c'était voué à l'échec dès le début avec elle, c'est ta cousine, aussi éloignée soit-elle. Ai-je fait, en lui donnant une accolade.
— Je suis déçu de m'être fait berner... Ester... J'aurais aimé ne pas avoir eu à la voir et même à la rencontrer. »
La mine déconfite de mon ami m'a fendu le cœur.
« Tu as besoin d'en parler ? On s'assoit dans un coin si tu veux.
— Je te prépare ta boisson et celle de la team puis j'arrive dans quelques mouvements rapides. »
Plus tard, le temps de quelques battements de cils, j'ai reçu ma tasse brûlante et un bundle de boissons de tout type dans un présentoir en carton. Hashtag s'est assis en face de moi, la mine figée dans une humeur mauvaise.
« Je t'écoute, ai-je finalement déclaré.
— Cette Ester... Elle était si belle, mais ce n'était qu'une surface... Elle m'a rendu complètement dingue, j'étais prêt à tout pour elle.
— Tu n'exagères pas un peu la situation ?
— Si tu savais ce que l'amour peut faire et ce qu'elle est, toutes les hyperboles du monde ne peuvent la décrire, a-t-il prononcé, en tirant son col.
— Mais cette Ester, qu'a-t-elle fait pour te mener jusqu'à là ? »
J'ai porté mon chocolat chaud aux lèvres des deux mains, me les brûlant presque. Quant à Ashton, il s'était retiré dans le fond de sa chaise.
« Elle m'a fait tourner en bourrique durant tout le séjour. Mes parents ont été plus qu'exécrables et mon frère, Trevor Jr, n'a pas manqué de rappeler à toute ma famille au moment du dîner de Noël mon statut d'éternel puceau sans compagne. Je ne te raconte pas l'hilarité générale de la tablée et surtout celle d'Ester dont j'ai cherché du réconfort. Plus tard dans la soirée, je l'ai vu chauffer un ami de mon frère qui assistait à notre petite sauterie sans rien payer. À un moment, elle m'a jeté un coup d'œil moqueur et a rejoint la chambre avec son plan du soir.
— Mais elle semblait pendue à tes lèvres la dernière fois ! Je ne comprends pas !
— Oh oh, tu ne sais pas le pire ! Ce n'est pas son coup d'essai ! La demoiselle se joue de son physique pour attirer les hommes dans ses filets. Une vraie sirène ! Elle n'est qu'un mensonge...
— Ashton... Je suis désolée, mais étrangement, je me sens un peu soulagée. Cette fille n'était pas pour toi.
— Tu sais Liv', j'espère que tu ne feras pas la même erreur que moi... Ne te laisse pas avoir par un joli minois et un compte en banque, ce sont les pires démons. »
Je me souviens avoir dégluti en reposant ma tasse vide.
« Je saurais m'en souvenir, ai-je fini par répondre, platement.
— Et toi ? Ce week-end ?
— Je suppose que tout le monde a vu les news, même dans le Kansas. Il a hoché la tête en guise de réponse. Ce n'est pas vraiment la joie actuellement. De plus, je me suis engueulée avec lui hier.
— Ah. Il a détourné le regard un instant. Mais, chérie, as-tu couché avec lui ? »
À mon tour, j'ai regardé dans un autre coin, en espérant disparaître. Surpris, il s'est penché vers moi, les yeux ronds.
« Sérieux ? Tu l'as vraiment sauté ? Silence. Oh merde.
— S'il te plaît, garde le silence sur cette petite affaire, j'aimerais que cela ne s'ébruite pas. Déjà de tout le monde croit que j'ai ruiné le mariage d'un des plus « beaux » couples de la jet-set new-yorkaise, je n'aimerais vraiment pas cela ne se vérifie.
— Alors là... Je ne m'y attendais pas ! Toi qui le trouvais si horrible il y a encore une semaine ! Qu'est-ce qui a bien pu se passer aussi ?
— Disons que nous avons dû affronter quelques petites épreuves qu'il s'est créées tout seul. Et moi, en bonne poire, je suis tombée dans le panneau.
— Et après t'avoir enfilé en brochette, vous vous êtes disputés ?
— C'est un peu plus compliqué que ça. Hier, les choses se sont accélérées. Des paparazzis m'ont suivie alors que j'étais avec Merry et Dave.
— Ces derniers sont au courant ?
— Un peu mon neveu ! Sharon et Dorothy l'ont assez mauvaise et veulent tout faire pour pourrir la vie de Caleb et, par extension, la mienne. Sauf que je ne veux et ne peux me laisser faire. Nous sommes quatre et bientôt six à être ensembles contre ces deux fléaux.
— Six ? Excuse-moi Liv', j'ai beau compter tout le monde, Caleb, Merry, Dave, toi et moi, cela ne fait que cinq personnes.
— Bien, on arrive au plus compliqué de l'histoire et je compte surtout pour te taire. Promets-le-moi.
— Je te le promets Olivia, a-t-il ajouté sur un ton solennel.
— Tu te souviens de mon amie qui avait disparu ?
— Une Riley, je crois... Ne me dis pas qu'elle est revenue ! Tout le monde la croyait morte ! Il a crié et des clients se sont retournés, mécontents.
— Chut ! ai-je murmuré. Elle est ici, à Brooklyn, elle se terre dans un coin et peut passer à l'attaque dès que possible. Cela fait six personnes dans la confidence.
— Okay, je comprends, mais quel est mon rôle dans l'affaire ?
— Toi ? Quelques amis et proches collaborateurs de Mediatics passent encore ici pour venir chercher leurs plats ou boissons. Certains ont leur nouveau PDG en ligne de mire et sont prêts à rejoindre les rangs du parti adverse. Je te demande de tendre l'oreille pour savoir si des paroles sont faites.
— Je suis un peu un espion ? Genre James Bond ? Mais où est ma James Bond Girl ? Et mon costume classe avec la panoplie de voitures plus sexy les unes que les autres ? C'est si excitant ! Je commence quand ? Il a ri de bon cœur et son visage endeuillé de sa relation avortée avec Ester a disparu.
— Tu t'y crois un peu trop mon garçon ! Dès que je quitte le café, tout commence. Envoie-moi un message dès qu'il y a une information qui te paraît nécessaire. Je me suis levée en prenant les gobelets qui ont un peu refroidi puis ai rejoint l'entrée. À plus tard ! »
J'ai poussé les portes puis monté les étages de Mediatics pour arriver, toujours épuisée par ma nuit, à ma place. Je passe mes doigts froids sur les poches de mes yeux, dans un énième espoir qu'elles disparaissent comme par magie.
Sur l'horloge analogique, il est presque 7 heures et demie. Plus qu'une heure pour préparer les dernières finitions de la conférence. Hier soir, j'ai écrit deux versions du discours rédempteur de Caleb. Un dont le politiquement correct est tellement présent que l'on peut l'apercevoir à 5 kilomètres à la ronde, et un autre, plus libérateur pour ma part, un peu plus drôle aussi, mais qui s'adresserait plus facilement à la population. J'hésite très franchement à lui refiler le second, rien que pour voir la réaction des journalistes dans la salle.
7 heures trente à la montre, il est temps de lancer la maison. J'attrape le téléphone fixe, compose le numéro du directeur commercial puis le porte à mon oreille, avec une pointe de dégoût.
« Bonjour Monsieur Kowalski, ici Olivia Lawford, on m'a informée que vous étiez présent, Monsieur Barnes n'est pas encore arrivé, pouvez-vous vous présenter à son bureau pour parler de sa prise de parole ? demandé-je, froide.
— Évidemment, attendez-moi, Mademoiselle Lawford. Fait-il en raccrochant brusquement. »
Goujat va. Je rejoins, perchée sur mes talons de 9 centimètres, le bureau de Caleb, replace quelques dossiers laissés en pêle-mêle et défroisse ma jupe. Une nouvelle journée de travail commence, malheureusement.