L'angoisse monte à mesure que nous approchons de l'appartement. J'ai un doute, normalement rien de compromettant n'y traîne mais je crois avoir imprimé des rapports il y a peu. J'espère, je prie pour avoir tort. Mon bâtiment est à peine plus moderne que le sien, un jour je penserai à déménager. Ce truc est un pavé de béton, parc à étudiants qui se répartissent dans les studios minuscules.
— Ça doit être un peu en désordre, je n'ai pas vraiment pris le temps de faire le ménage.
Mieux vaut la prévenir avant, il doit traîner une montagne de tee-shirts sales quelque part. Serein, presque, un soupçon stressé voire carrément paniqué, je déverrouille la porte de mon studio et m'écarte pour laisser entrer miss42 puis je la suis à l'intérieur. C'est moins pire que ce que je pensais, tout est rangé, mis à part quelques vêtements qui traînent au sol. La cuisinette est propre, la vaisselle rangée, tout est en ordre. Oui tout est vraiment parfait, à part Sean dans mon lit avec un autre mec. Ils ont mis de la musique, forte, pourquoi tout le monde écoute-t-il Elton John ? Et sont trop occupés pour nous avoir entendus entrer. La scène se passe de commentaires, je vais brûler les draps. Que Sean pionce chez moi ok, mais qu'il répande ses fluides sur mon lit non. J'avance pour éteindre la musique mais Aliénor me tire par le bras et me montre la porte. Elle me fait un sourire et tend la main vers eux, du genre « laissons-les tranquilles ». Mais je secoue la tête, j'apprécie Sean mais j'ai besoin de ma douche. La salle de bains est juste à l'entrée du studio sur notre droite, j'y entraîne miss42 et ferme doucement la porte derrière nous. Aliénor pose une main sur sa bouche et s'interdit de rigoler.
— Je suis vraiment désolée pour ton ami, chuchote-t-elle, c'est bien le mec que j'avais croisé au bar, non ?
J'acquiesce, c'est cet imbécile de Sean. La musique résonne toujours et le concert de grognements ne s'est pas interrompu, ils n'ont même pas capté notre présence.
— Mince, gémit ma miss42 en constatant l'étroitesse de la pièce, on ne va pas rester ici, qu'allons-nous faire ? Oh je me sens mal pour lui, il va être terriblement mal à l'aise.
— J'espère bien qu'il le sera. As-tu seulement songé à moi ? Il faut que je nettoie mes yeux à l'acide pour ôter cette image de mon pote baisant dans mon lit.
Miss42 rit, rabaisse le couvercle des toilettes puis s'y assoit, toujours le sourire aux lèvres. Elle me répète qu'elle se sent mal pour ce pauvre Sean et déclare que nous n'aurions jamais dû entrer.
— Pourquoi ? C'est chez moi ! Je ne sais pas cet abruti aurait au moins pu mettre une cravate sur la poignée au lieu de se désaper et d'éparpiller ses fringues dans mon studio !
Miss42 me supplie de baisser d'un ton, elle n'est pas prête à faire face à Sean, pas encore.
— D'accord, restons là, discutons, et occupons-nous, je ne vois qu'une chose à faire...
— Te faire rattraper un mois de cours ? me demande miss42, ou mieux encore m'expliquer comment tu en es venu à m'oublier. Je ne pensais pas être aussi facile à oublier.
La colère revient, elle ne hausse pas le ton mais l'agacement s'entend à l'intonation. Je ne sais toujours pas quoi lui répondre, j'espérais un peu de répit et une solution miracle pendant que je serais sous la douche.
— Je pensais plutôt aller prendre ma douche en fait.
— Tu te moques de moi ?
— Quoi ? As-tu peur de ne pouvoir te réfréner en me voyant nu ?
Elle fronce les sourcils mais j'embraye et en rajoute une couche, elle me paraissait plus civilisée que cela, comme quoi elle cache bien son jeu.
— Sean va t'entendre, rétorque-t-elle.
Elle change de sujet maos le rougissement de ses joues est révélateur.
— Tant mieux, on pourra peut-être sortir.
J'enlève ma veste, indifférent à ses protestations, et fais de même avec mon tee-shirt que je lui jette au visage. Miss42 grimace de dégoût, et, tout plein de sueur qu'il puisse être, replie précautionneusement le vêtement. Ce truc n'a jamais été aussi bien plié. Mes lacets dénoués, je m'attaque au retrait des chaussures, suivies par le pantalon. Miss42 se détourne, pudique. L'étant tout de même un peu moi aussi, je n'ôte mon caleçon qu'une fois dans la douche.
— Si tu veux me rejoindre n'hésite pas, on sera serrés par contre.
Je n'écoute pas la réponse et tourne le robinet. L'eau jaillit, froide puis brûlante. Depuis combien de temps n'ai-je pas senti la chaleur de l'eau ruisselant sur mon corps ? La vitre semi-opaque se couvre de bué et nous sépare un peu plus. Je ne distingue que les formes harmonieuses de miss42 mais c'est suffisant pour l'imaginer. Je ne plaisantais qu'à moitié en l'invitant à me rejoindre. Elle a cet effet sur moi, elle me donne envie de rester près d'elle, de profiter de sa chaleur, d'être irradié par son sourire. Sean ne réagit pas, il doit penser que c'est le voisin.
— Je suis vraiment désolé Aliénor.
— Tu as dit quelque chose ?
Miss42 se rapproche, je réitère mes excuses. Je lui raconte tout, conscient que rien n'excuse mon oublie. J'ai juste bossé H24 pendant un mois, immergé dans mon code.
— Voilà, tu sais que tu sors avec un nerd qui réussit à tout foutre en l'air parce qu'il vit dans son code.
J'ai l'air sacrément stupide, le dire à voix haute met en exergue ce ridicule. Je pose mon front sur la vitre ainsi qu'une main. A part m'excuser d'être moi je ne sais pas quoi faire. Mais je sais que je ne pourrai pas changer, jamais. Miss42 pose sa main de l'autre côté de la vite et mime ma position. Je veux qu'elle me pardonne.
— Ça t'arrive souvent ?
— Ouais, régulièrement.
— Mais c'est dangereux tu sais ? Un moment je me suis demandé s'il ne t'était pas arrivé quelque chose. Si l'un de tes collègues de promo ne t'avait pas vu en cours de cryptage de je ne sais quoi, j'aurais fini par appeler la police.
Je souris, elle n'imagine pas à quel point elle a raison.
— Lors de ma première année seul ici, je lançais la boîte, on avait un client, un prof avait parlé de moi à l'un de ses potes qui bosse dans le domaine de la défense. Le gars était très intéressé mais mon algo ne faisait pas exactement ce qu'il voulait. Bon l'adaptation a été simple mais le jour où on a déployé le truc j'ai eu une idée, le gars a dit un truc sur les failles dans les réseaux sécurisés et j'ai eu comme une révélation sur la solution. Bref j'ai codé pendant des semaines, ici, assis par terre. J'ai tout lâché : mes cours, mes portes, je répondais même plus à Sean, la nourriture vint à manquer dans les placards mais je m'en foutais. J'avais cette idée, ce fichu algo que je n'arrivais pas à implémenter. Même mon corps lâchait mais je m'en foutais, tant que le cerveau fonctionnait. Je faisais des blackout et quand je me réveillais je recommençais à bosser. Ma mère s'est inquiétée et je ne la rappelais pas, elle a débarqué, m'a vu, m'a embarqué à l'hôpital. Deux semaines d'internement et un mal fou à les convaincre de me laisser sortir. Ma mère m'a menacé de me faire mettre sous tutelle, heureusement Jena est apparue à ce moment-là. Elle est chargée, en plus du reste, de faire en sorte que je ne rechute pas. Elle me force à manger et tout le bazar.
— Jena ?
— Mon assistante.
— Elle a le même nom qu'une femme que j'ai rencontrée, peu importe.
Parce que tu as déjà rencontré ma Jena. Il faut vraiment que je fasse gaffe.
— Voilà, tu sais de quoi je suis capable. Tout ça pour un algorithme.
Qui m'a rapporté et me rapporte encore des millions. La sécurité des réseaux d'entreprise est un marché très lucratif.
Miss42 ne dit plus rien, moi non plus, il n'y a que le bruit de l'eau entre nous, même plus de musique d'ailleurs.
— James ?! C'est toi ? crie Sean à travers la porte. Qu'est-ce que tu fais là ?
— J'habite ici !
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Merci d'avoir lu ce chapitre !
Axel.