Lundi après-midi, centre de Greenwich Village
« Alors, ce week-end ? demande Merry qui est assise en face de moi. »
Étrange ? Euphorique ? Montagnes russes ? Horrible puis agréable ?
« Mouvementé, finis-je par répondre, en articulant les syllabes.
— On se faisait un sang d'encre pour toi ! Nous avons été plus que surpris vendredi soir, informe Dave, qui porte sa tasse à ses lèvres, avec la plus grande des précautions. Elle doit être brûlante.
— Que s'est-il passé ? Merry pose sa main sur la mienne et la serre, s'écriant. Les médias couvrent l'affaire, mais les zones d'ombres sont immenses. Sharon a jeté un froid sur toute l'industrie du divertissement et de l'information ! Les actions en bourse de Mediatics ne cessent de dégringoler et j'ai cru comprendre que tout le monde s'impatiente d'entendre la plaidoirie de Caleb à la NBC. Merry se recule dans le fond de sa chaise et ajoute, amusée. Même Oprah en a parlé aujourd'hui ! J'ai eu droit à mon compte rendu journalier et à une pêche aux infos de la part de Maman, c'est te dire l'importance de cette histoire ! »
J'écoute les deux voix de mes amis avec distance. Tout ce qu'ils me disent m'effraie et j'ai bien peur que les histoires de triangles amoureux passionnent le public.
Surtout quand ils n'existent pas vraiment.
« Oh la la Olivia ! Tu deviens quelqu'un de populaire ! rugit Merry qui se balance comme une gamine sur sa chaise.
— Si tu savais, j'aimerais bien me passer de cette « popularité » fulgurante, j'exécute des guillemets avec mes doigts puis réagis aux regards perplexes de mes congénères, je vous assure, c'est assez dur à vivre. Autant ce week-end, cela ne s'est fait sentir que sur le web et sur mon téléphone, mais aujourd'hui... Je n'ai même pas pu accéder à mon bureau sans me faire harceler toutes les cinq secondes par des journalistes, des paparazzis et des collègues. Tous me voient comme la fille qui a couché et c'est très perturbant. »
Mes amis acquiescent en cœur d'un hochement de tête et tandis que l'un tapote ma main droite avec acharnement, l'autre ne cesse de piailler dans tous les sens. Cependant, ils veulent savoir l'histoire et je ne sais même pas si je suis capable d'en faire un résumé.
« Je comprends Liv', ça doit être compliqué, mais les Drôles de Dames font toujours dans le compliqué n'est-ce pas ? La jeune femme cligne difficilement de l'œil tandis que Dave et moi nous mettons à rire.
— Les Charlie's Angels sont trois chéries, nous ne sommes plus que deux malheureusement... Je me mordille le bout du doigt et pense à Dorothy. D'ailleurs, vous avez des nouvelles de Dory ? Vous avez bien passé Noël avec elle non ? »
Le visage de Dave se voile l'espace d'une fraction de seconde et lance un coup d'œil vers Merry qui lui répond en silence. Il se passe définitivement quelque chose.
« Je n'aime pas ce regard, qu'est-ce qu'il se passe ? Ma tête fait trajet entre eux alors que personne ne prend la parole. Merde, les gars, répondez-moi, je ne suis pas une inconnue quand même ! »
Finalement, c'est Dave qui me répond, calmement. Il appelle le serveur de la main puis dit :
« On pensait que tu étais au courant Liv'... Dorothy s'est rangée du côté de Sharon. Elle a fait passer une circulaire dans tous les services de Mediatics pour demander – non, obliger – le retrait de notre PDG et, par extension, le tien... Elle compte lancer une grève générale. »
Je reste muette et sonnée par ce que je viens d'apprendre. Ma tête bouge de gauche à droite rapidement.
« Elle profite de la déchéance personnelle et financière des Barnes ?
— C'est de bonne guerre d'après elle. Dory est de très mauvaise humeur en ce moment. Lorsqu'on a fêté Noël, samedi, elle n'a cessé de rabâcher toute sa haine sur ton petit copain. Comment te dire que l'on a un peu regretté que tu ne sois pas là...
— À un moment, alors qu'elle était bien bourrée, Dory nous a sorti des propos délirants sur toi, comme quoi elle était jalouse ou des trucs dans le genre. Merry se voûte sur sa chaise et regarde ses pieds. Elle aimerait être à ta place Olivia. »
Nous nous regardons sans rien dire alors que le petit serveur débarque à nos côtés, une petite tablette et un stylo dans la main.
« Que voulez-vous commander ? Le jeune homme a un fort accent texan et semble agacé. Ses yeux se posent sur moi et il fronce les sourcils. He, mais vous n'êtes pas la fille ?
— Je.. Je me ravise et balbutie quelques mots. Vous devez faire erreur.
— Mais si, mais si ! C'est vous ! On a parlé de vous chez Oprah et aux infos ! Il se tourne vers le bar et s'écrit vers le barman. He Tyler ! C'est la fille de tout à l'heure ! Il se repenche vers moi tandis que le reste de la salle s'axe sur notre table, intrigué. Alors ? C'est un bon coup c't étalon ? Bien monté ? Et sa femme ? Il pose sa main sur sa bouche et corrige. Oops, pardon, son ex-femme. »
En un mouvement, je me lève et me recule de ce garçonnet qui doit avoir 19 ans à tout casser. Mon souffle est coupé tandis que mes amis semblent à moitié surpris, à moitié excités. C'est Dave qui sort de sa transe en premier en poussant le serveur loin de moi, alors qu'il se rapprochait comme un prédateur et me balançant des phrases crues et dégradantes. Le propriétaire du café passe par-dessus le comptoir et attrape son employé qu'il amène dans une autre pièce. Merry vient à mes côtés en me prenant dans les bras alors que Dave et le dirigeant débarquent, l'un perdu, l'autre excédé. C'est ce dernier qui prend la parole en arrivant à ma hauteur.
« Je crois qu'il serait bon que vous partiez Mademoiselle. Vous devriez faire un peu plus attention à vos arrières maintenant. Mes yeux semblent sortir de leurs orbites et ma voix se fêle. Pour m'excuser, je vous offre votre repas.
— Je... Euh... »
Je n'ai pas le temps de répondre convenablement que l'on me pousse vers la sortie sous les flashs et les smartphones des adolescents et des adultes qui viennent d'assister à la scène. Je n'ai plus qu'à espérer que personne n'ait appelé des journalistes.
Dehors, je sens de la chaleur émaner de mes joues. J'ai l'impression d'être en sueur. Merry et Dave m'entourent alors que nous nous éloignons le plus rapidement du café. Plus loin, lorsque nous nous arrêtons enfin, j'entraperçois des hommes avec d'immenses appareils photo. Ils sont habillés en noir et je doute réellement que ce soient des touristes.
« Merry, Dave, il faut partir. On est suivi, j'indique du menton le petit attroupement.
— Merde, susurrent les deux dans leur coin. »
Merry interpelle immédiatement un taxi qui ne s'arrête pas puis un second avant d'avoir enfin un résultat avec le troisième qui passe. Nous montons tous à l'intérieur et Dave indique son adresse dans le quartier de Hell's Kitchen.
« C'est l'enfer... bredouille Merry.
— Voici le revers de la « célébrité » Merry... »
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Hell's Kitchen, Appartement de Dave Ingram
Dave s'affaire en cuisine, tandis que Merry feuillette les pages d'un magazine people datant de Mathusalem (février 2007 pour être plus précise, Britney Spears crâne rasé en couverture, en rébellion contre les chasseurs d'images compromettantes, l'affaire m'a profondément marquée) alors que je joue avec les coins du coussin élimé avec lequel je joue depuis la première fois que je suis venue ici, il y a quelques mois de cela. Après avoir préparé des tasses de thé, Dave déboule avec un immense plateau en bois foncé qui dépose sur la table basse qu'il libère de ces petites babioles d'un coup sûr de la main.
« Je pense qu'il faudrait éviter de parler de ce qui vient de se passer... fais-je, en attrapant la tasse la plus proche de moi.
— Mais c'est quand même grave d'en venir jusqu'à là ! Imagine si on n'avait pas été là ? beugle Merry, en agitant les bras dans tous les sens.
— Merry, calme-toi ! ordonne Dave. Olivia, j'aimerais savoir, c'est la première fois que ça arrive ? Sa voix se fait douce.
— Oui, dis-je, avec force. »
Je bois d'un trait ma boisson et repose aussi sec la tasse. Les deux personnes sursautent et restent interrogatives. Soudain, la sonnette de l'interphone résonne dans l'appartement. Merry se lève en replaçant sa tenue flamboyante et rejoint l'entrée.
Je crois discerner une voix masculine bien trop reconnaissable. Je jette un regard noir vers Dave qui hausse les épaules, blasé.
« Non, mais sérieusement ? je demande, sèchement.
— Pour l'instant, c'est le seul qui peut gérer la situation. Et puis c'est ton petit-ami, non ? »
Bah, à vrai dire, non, ce n'est pas mon petit-ami, et je suis plus un plan cul pour lui. Et puis je suis grande fille, quand même, je peux gérer ça toute seule !
« Olivia ? Caleb arrive dans le salon, talonné par notre petite Victoria Beckham nationale. Il s'assoit à mes côtés tout en gardant un espace respectable entre nous. Ne me dis pas ce que j'ai déjà entendu, je t'en supplie !
— Alors qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Je ne suis pas une gamine les gars, c'est peut-être la première fois et sans doute ce ne sera pas la dernière, mais je dois apprendre à me débrouiller seule. Ma voix s'est fait plus craquelée que je ne l'aurais voulu et une boule se forme dans ma trachée. Je hache alors, en m'enfonçant de plus en plus : Je... Peux... Me... Débrouiller... Seule... »
Et sans me rendre compte, je me retrouve entouré par les bras protecteurs de Caleb qui me tient contre lui, sous les yeux de mes amis. Chacun semble être tour à tour tristes et perturbés de me voir ainsi.
« Je crois qu'il faut que l'on parle Monsieur Barnes, dit solennellement Dave, les bras croisés contre son torse. »