Elijah
Je sortis de la salle de bain, laissant Nohlan et Peython gérer cela à leur manière. Ils n'avaient pas besoin de moi pour lui tirer plus d'informations ; elle ne me faisait pas confiance et il y avait beaucoup de méfiance en elle à mon égard. Rester n'aurait fait que la mettre sur la défensive.
— Tu as un don pour faire parler les gens, camarade.
Liam devait être appuyé contre le mur juste en face de la porte. Rester en arrière ne lui plaisait pas du tout, mais Nohlan avait été suffisamment patient avec lui aujourd'hui. Liam n'était pas du genre à écouter en général, mais il lui arrivait d'être obéissant avec les personnes qu'il respectait. Nohlan en faisait partie. Dans une certaine mesure.
— Je n'y suis pour rien. Ses souvenirs vont lui revenir d'eux-mêmes et je ne pense pas que forcer les choses soit bon pour elle.
Amalia.
Ce prénom me laissait une saveur douce dans la bouche, mais avec une légère pointe d'acidité, me laissant une impression dérangeante sans que je sache vraiment pourquoi. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne se souvienne du reste.
C'était toujours une question de temps au final. Voilà bien une chose qui dépassait tout le monde sans faire aucune distinction.
— J'essaierai de ne pas oublier ce conseil avisé, camarade, railla Liam.
Si j'avais pu, j'aurais levé les yeux au ciel. Il y avait de vieilles habitudes qui ne partiraient jamais vraiment.
En bas, le bruit d'un verre brisé retentit. Je tiquai en entendant Khaleb jurer comme un charretier et Nayah éclater de rire.
C'était le jour de congé d'Evan aujourd'hui alors il n'y avait personne en bas pour surveiller les enfants.
Je descendis les marches en entraînant Liam avec moi.
— C'est pas possible, tu as deux mains gauches ou quoi ? cracha Aaron.
— Et toi la moitié d'un cerveau. C'est bon, on est à égalité là, non ? rétorqua Khaleb de mauvaise humeur.
Les années avaient beau passer, ils restaient deux grands enfants.
J'écartai le rideau et captai d'emblée les auras de chaque personne présentent dans la pièce.
Khaleb était agenouillé par terre, ramassant ce qu'il avait cassé et Aaron était debout à côté de lui. Nayah était encore assise sur le comptoir, ses pieds battant doucement l'air. Aucune trace d'Eryn, même si je savais qu'elle n'était pas très loin.
— Je me demande comment Dean arrive à supporter deux gamins pareils, dit Nayah, retenant difficilement son rire.
Je me le demandai aussi. Au quotidien, cela pouvait s'avérer très dur, j'en savais quelque chose. Mais Dean Campbell semblait apprécier d'avoir des loups avec un caractère très fort, voire même parfois un peu immature. Sa meute était sûrement une des plus saines de tout le pays. Et très peu de personnes auraient pu dire le contraire.
— Je crois qu'il y a du rangement à faire en réserve. Nayah tu peux te rendre utile toi aussi, dis-je.
— Bien sûr, Cyclope, tes désirs sont des ordres.
Je ne relevai pas le surnom qu'elle m'avait donné après avoir regardé X-men avec Eryn.
Liam rit doucement alors que tous disparaissaient derrière.
J'attrapai une coupe et la frottai un instant avec un chiffon propre.
— Indira a été incapable de trouver qui avait lancé le contrat. Tout a été soigneusement orchestré et si elle cherche trop profondément, elle risque d'attirer l'attention des mauvaises personnes.
Indira était une humaine tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, elle n'avait aucun pouvoir et évoluait dans l'ombre. Ainsi, elle pouvait se préserver de tout danger extérieur.
Elle était la meilleure dans son domaine : aucune information ne pouvait lui échapper. Quand on recherchait quelqu'un, c'était vers elle qu'on se tournait. C'était elle qui lançait certains contrats à la demande d'hommes très riches, mais pas toujours très malins. Depuis le début, elle travaillait en étroite collaboration avec Liam, Louis, Benjamin et Gajil.
— Tout ce qu'elle a été capable de me dire c'est que la chasse était ouverte à tous. N'importe quel abruti peut se pointer ici et s'amuser à tirer dans le tas.
Un contrat comme cela ne s'était jamais vu.
Les Chasseurs opéraient entre eux, toujours. C'était ainsi que ça marchait. La plupart méprisaient les autres races, surtout les loups et les humains. Les premiers étaient à éradiquer de la surface de la Terre quand les deuxièmes étaient totalement inutiles. Et quand un contrat était lancé, seulement un nombre limité de Chasseurs pouvaient y prendre part.
Tout cela n'avait pas vraiment de sens. Rien n'avait changé, je le savais. Alors tout cela... tout cela me laissait perplexe. Et Liam semblait du même avis que moi. Le fait que les Chasseurs décident enfin de mettre fin à nos jours n'avait en soi rien de surprenant, comme il l'avait dit il y avait bien longtemps maintenant, Liam était un traitre aux yeux de son propre peuple et moi aussi. On ne laissait pas les traitres vivres. Il y avait trop de haine et de rancune dans le cœur des Chasseurs pour cela.
— Morts ou vifs, je présume ?
J'attrapai différents ingrédients. Dehors, le vent soufflait ; une tempête se préparait. Elle tombait presque toujours à la même époque, comme si tout était réglé.
— Nos camarades veulent notre tête, mais la récompense possède quelques zéros en plus si à réception nous sommes toujours en vie.
Oui, bien sûr.
Je souris. Cela n'avait rien de surprenant au final. J'avais vu ce qu'on faisait aux traîtres, j'avais vu la souffrance et la peine. Je l'avais ressenti comme si c'était moi à leur place.
— Je crois que... si on est loyal avec les gens, alors ils le seront aussi.
Les hurlements couvrirent ses paroles. L'odeur de sang flottait autour de moi, ainsi qu'une odeur putride. Celle de la mort, de la chair en décomposition. Il ne restait plus beaucoup de temps à ce Chasseur. Il était condamné et rien ne pourrait le sauver.
C'était ses propres frères qui étaient en train de le tuer, alors le sauver ? Il aurait fallu être fou, fou à lier.
Zarkan n'avait pas détourné une seule fois son regard du spectacle que nous avions devant les yeux.
C'était pour nous dissuader, pour nous faire comprendre l'importance des liens qui nous unissaient tous, moi y compris.
J'avais trahi une fois. Tout le monde le savait ici. J'étais déjà sur la corde raide.
— Tu crois sincèrement que c'est aussi simple ?
Je ne pouvais pas détourner mes yeux moi non plus.
La chair lacérée, la peau craquelée et le sang.
Le sang. Le sang.
— Pourquoi ça ne le serait pas, camarade ?
Il me regarda enfin. Il y avait parfois quelque chose de nostalgique en lui et alors, il ne me paraissait pas être la même personne.
Le Chasseur entravé et au seuil de la mort me regarda.
Ses yeux étaient fiévreux.
Ses yeux étaient fous.
Et c'est comme si soudain, j'étais la seule chose qu'il voyait. Il ouvrit la bouche. Le coup de son frère d'armes parti.
Le dernier.
— Tu apprendras que pour certaines personnes cela ne veut rien dire.
La lueur dans ses yeux s'éteignit. Il était libéré de toute cette souffrance. Son corps fut détaché et traîné là où il serait brûlé.
— Je serais toujours loyal envers la cause que j'ai décidé de défendre. Et toi ?
— Ils vont s'en prendre à Louis.
— Je sais, répondit doucement Liam. J'aurais pensé qu'avec le temps, ils innoveraient un peu, mais j'ai l'impression qu'ils font du sur place.
Je souris, me concentrant sur le dessert glacé que j'étais en train de concocter.
— Est-ce que tu aurais fait quelque chose pour les fâcher dernièrement ?
Liam était capable de tout quand il s'ennuyait.
— Rien qui ne sorte de l'ordinaire si tu veux tout savoir. Je suis allé sortir deux trois loups d'une situation de merde et j'en ai profité pour saccager quelques planques.
Rien qui ne sorte de l'ordinaire effectivement. Tout cela cachait quelque chose. Une traque n'était pas lancée au hasard.
Jamais.
— J'ai dit à Louis de venir ici. Il devrait arriver dans quelques jours. Marina sera avec lui.
Louis n'était plus son seul point faible dorénavant.
— Pourquoi pas chez Benjamin ?
Liam attrapa un morceau de chocolat et l'engloutit sans attendre.
— Il est occupé.
— Et ?
Il y avait du bruit en haut. J'entendis Nohlan rire doucement.
Je savais que ce n'était pas seulement pour ça.
— Tu es trop perspicace pour un loup, camarade, dit Liam, un sourire dans la voix.
J'attrapai une cerise et la posai sur la chantilly. Le résultat ne devait pas être trop mal d'après moi.
— Et si... tout cela avait un rapport avec... ça ?
Son doigt effleura mon bandeau. Il se recula presque tout de suite. Eryn apparut, sa démarche souple et assurée reconnaissable entre toute.
— Tu n'as pas le droit ! Tu n'as pas le droit ! Elijah ! Elijah ! Tu ne peux pas faire ça. Égoïste ! Je te déteste... Je te déteste...
Elle frappa mon torse. Encore et encore, la folie couvant dans son si beau regard. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Elle n'était plus ma Lyssa.
Elle tendit alors le bras et essaya d'atteindre mon visage. Mes yeux.
— Tu n'es qu'un égoïste. Tu ne peux pas faire ça. Elijah ! ELIJAH !
Eryn se mit sur la pointe des pieds et sa joue frotta contre mon bras :
— C'est pour qui ? demanda-t-elle.
J'attrapai la coupe et passai de l'autre côté du comptoir. Je la déposais sur l'une des tables et revins sur mes pas.
— Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? m'enquis-je.
Elle y réfléchit sérieusement. Les escaliers craquèrent.
— Surprends-moi.
Elle se hissa un peu plus et m'embrassa sur la joue. Je sentais le regard de Liam sur moi. Et puis il détourna le regard :
— On promène la petite louve, Nohlan ?
Dans mon dos, Amalia grogna très légèrement.
Amalia
Ma louve était intenable. Je me raclais la gorge alors qu'Elijah semblait préparer un... un dessert. Oui, ça devait être ça. Je pris une longue inspiration, l'odeur me faisant saliver. J'avais encore faim.
Nohlan me poussa à m'asseoir sur une des chaises du bar. Je levai les yeux vers l'humaine qui y était assise, non pas sur une chaise, mais sur le comptoir lui-même. Je clignai des yeux, apercevant enfin tous ses tatouages. Ce... n'était pas une humaine... normale, visiblement. Son aura était chaude contre la mienne. J'avais toujours eu une capacité à sentir les auras des gens. Je m'en souvenais. Celle de Peython m'attirait beaucoup. Elle ressemblait à celle de ma mère. Ou du moins, du souvenir que j'en avais.
Liam m'observait attentivement. Les vêtements que je portais appartenaient à Eryn. La jeune femme se trouvait de l'autre côté du bar, frôlant l'humaine du bout de ses doigts. Elles échangèrent un regard complice avant de se tourner à nouveau vers moi. Je rougis un instant. Je ne me souvenais pas avoir vu beaucoup de filles se regarder comme ça... des couples oui... Ma louve sembla soupirer par mon manque d'observation. Ces deux femmes étaient liées. À n'en pas douter. Elijah termina le dessert qu'il préparait et le tendit à Eryn. Je retournai mon regard sur Nohlan qui m'observait.
_ Pardon, m'excusai-je en comprenant qu'il m'avait appelée plusieurs fois.
_ On est sûr que c'est son vrai prénom au moins ? remarqua Liam de son coin.
Elijah secoua doucement la tête pendant que Nohlan le fusillait du regard. Peython vint s'asseoir à mes côtés, soupirant. Je ne lui offrais même pas un regard. Nohlan retourna son attention sur moi et me reposa sa question :
_ Qu'aimerais-tu manger ?
Je regardai le visage détendu d'Eryn mangeant son dessert. Je me secouai doucement et répondis à Nohlan.
_ Peu importe, soufflai-je.
_ Tu aimes les hamburgers ? s'enquit-il.
Je le regardai, clignai des yeux. Hamburgers ? Je fis appel à toute ma mémoire disponible – ce qui n'était pas énorme malheureusement, et finit par secouer la tête. Eryn poussa un petit cri d'exclamation alors que sa compagne gémissait en se frappant le front.
_ Fais-lui en un immédiatement Nohlan ! s'exclama l'humaine.
_ Tu ne semblais pas reconnaître la douche non plus, reprit Peython. Peut-être vivais-tu dans une meute qui habitait dans les montagnes ?
_ Tes vêtements n'avaient pas l'air eux non plus de première fraicheur, ajouta Liam en venant s'accouder au bar à côté de Peython.
Je haussai mes épaules, ne sachant pas quoi répondre.
_ Je... je reconnais certaines choses, avouai-je. Mais je... j'ai l'impression de ne pas les avoir beaucoup utilisés. Je me souviens d'une douche, mais celle que j'avais était dehors et n'était pas aussi...
_ Sophistiquée ? tenta l'humaine.
_ Nayah, soupira Nohlan. Sois créative veux-tu ?
_ À vos ordres, chef, sourit-elle.
Nayah se tapota le menton, réfléchissant surement à un mot plus approprié. Eryn lui coupa la parole.
_ Perfectionnée ?
_ Voleuse ! s'exclama Nayah en plongeant son doigt dans... ce qui semblait être de la mousse blanche, onctueuse.
_ Hey !
Elles commencèrent à se battre, mais Nohlan siffla doucement et me pointa.
_ Invités signifie...
Les deux filles se regardèrent et haussèrent leurs épaules de concert.
_ Elijah ? fit Nohlan.
_ Manières, souffla le loup.
_ Exactement ! sourit l'autre. Pensez à vos manières, les filles !
Je regardai Elijah. Sentait-il quand on l'observait ? Sentait-il l'attention que lui portaient les gens ? Et ce croc... qu'avait-il fait pour ne serait-ce que le porter ? N'avait-il pas... honte ? Ma louve grogna doucement. Il ne m'avait pas adressé la parole depuis que je l'avais repoussé dans la salle de bain. Avais-je fait quelque chose de mal ? Même si je n'avais pas confiance, il m'avait... sauvée... J'étais censée lui en être reconnaissante, n'est-ce pas ?
Il releva la tête vers moi pendant que Nohlan lui demandait un ingrédient. Je me raclai la gorge et me détournai rapidement vers Peython qui semblait elle aussi regarder avec envie ce que préparait son compagnon. Je sursautai quand deux hommes sortirent de la cuisine, repoussant le rideau en riant. Des loups. Ma louve les observa attentivement. Pas de crocs. Ils étaient amicaux.
Nohlan me présenta rapidement à eux sans trop de détails, mais ils avaient dû entendre parler de moi comme la folle qui s'attaque aux gens qui l'ont sauvée. Je levai ma main et fis un geste pour les saluer. L'un marmonna quelque chose à l'autre qui leva les yeux au ciel. Je n'y fis pas attention et les regardai s'installer au bar, à côté de Nayah cette fois-ci. Ils se mirent à parler avec Eryn et elle.
Elijah semblait seconder Nohlan dans sa tâche à merveille. Il disparut dans la cuisine avec l'œuvre d'art. Surement pour la faire chauffer.
_ Je te donnerais une carte tout à l'heure, sourit Nohlan. Tu la regarderas et tu verras si certains noms de villes peuvent te remémorer des choses. D'accord ?
Je hochai la tête. Son aura à lui était chaude et compacte. Elle imposait le respect et l'ordre. Je ne pus m'empêcher de soupirer de soulagement quand Elijah posa l'assiette devant moi, toujours sans un mot. Ma louve n'y fit pas attention, mais moi si. Elle était captivée par l'énorme sandwich qui se trouvait sous nos yeux.
_ Savoure, sourit Nayah.
_ Ai-je droit aux mêmes faveurs ? minauda Peython en battant des cils vers Nohlan.
Ce dernier lui fit un clin d'œil alors qu'elle riait.
_ Je te fais ça, répondit Nohlan en se remettant au travail.
Ils devaient communiquer par la pensée. Les couples pouvaient faire ça, non ? Je ne sus si je devais prendre le sandwich avec les mains ou avec les couverts qu'Elijah avait glissé sur le côté. Il dut comprendre mon dilemme, car il retira discrètement les couverts en me mettant une serviette à la place. Il faisait tous ces gestes comme s'il nous voyait. C'en était... perturbant.
Quelques minutes plus tard, je léchai mes doigts, ayant presque un goût de trop peu dans la bouche. Rouvrant les yeux, je découvris un verre d'eau devant moi. Je regardai Elijah qui continuait d'essuyer des verres, aider par Eryn.
Les deux garçons de tout à l'heure servaient à présent les gens qui entraient et sortaient au gré de leur repas. Je ne savais pas quelle heure il était, mais vu la nuit qui tombait un peu plus et la pluie qui s'abattait sur les fenêtres du bar, nous étions le soir. Nohlan était parti en cuisine alors que Peython servait au bar.
_ Veux-tu quelque chose d'autre ? fit Eryn.
Je secouai doucement la tête, c'était déjà bien trop. Ils m'offraient tellement de choses alors qu'ils ne me connaissaient pas.
_ Merci beaucoup, soufflai-je en regardant mes mains.
_ Y a pas de quoi, sourit Eryn en retour. Amène ton assiette à Nohlan, il te dira où trouver la carte.
Je hochai la tête et sautai à bas de ma chaise. Je pris mon assiette et consciencieusement, allais retrouver Nohlan à l'arrière.
_ Est-ce que tu sais laver la vaisselle Amalia ? me demanda-t-il alors qu'il préparait des assiettes.
Je hochai la tête, prête à les aider. Je... ça ne devait pas être si compliqué que ça.
_ Je sais aussi cuisinier... je... je crois, soufflai-je.
_ Quand il y aura un peu moins de monde, tu m'aideras aux fourneaux. En attendant, aide-moi à faire la vaisselle. Sinon, les gens mangeront bientôt dans des assiettes en carton.
Je souris et m'avançai vers le lavabo qui débordait presque. Nohlan me fit remarquer qu'il y avait un lave-vaisselle pour les petits objets, comme les assiettes et les couverts, mais que les grosses gamelles nécessitaient un passage en plonge ! Concentrée dans ma tâche, je ne vis pas les heures passées.
Bientôt, je fus aux côtés de Nohlan, coupant des légumes. Alors que j'allais doucement, soudain ma prise sur le couteau se raffermit. Je fis pivoter le poivron dans une meilleure position et mon couteau le dépiauta et le découpa en quelques secondes avec des gestes précis. Le bruit du couteau avait figé Nohlan qui m'observait avec de grands yeux. Il déposa une carotte sur ma planche en souriant. Je tournai le légume dans le bon sens et la coupai, tout aussi rapidement.
_ Aurais-tu été un chef dans une autre vie Amalia ? rit Nohlan, me tendant une tomate.
Je la pris dans ma main et la soupesai. Ma louve prit le contrôle. Alors que je clignai des yeux, je vis la tomate, épinglée au mur par le couteau. Mon jet avait été... parfait. Nohlan s'était immobilisé, son loup était présent. Aux aguets face à mes gestes. Je ne bougeai plus moi non plus. Mes mains tremblaient légèrement.
_ Un chef sait faire ça ? soufflai-je.
_ Que se passe-t-il ? fit Elijah en repoussant le rideau.
Nohlan s'avança vers la poutre dans laquelle j'avais tiré. Peython entra à son tour et fronça ses sourcils en voyant Nohlan retirer le couteau du bois et balancer la tomate à la poubelle.
_ Il semblerait qu'Amalia possède des habilités avec les couteaux.
_ Douée en armes blanches hein ? fit la voix de Liam.
Je sursautai en le voyant repousser le rideau.
_ Liam s'il te plaît, souffla Peython.
Je sentais mon cœur battre aux creux de ma poitrine. Il battait à un rythme régulier, mais je savais qu'il avait ralenti lorsque j'avais eu ce geste. Comme si je savais ce que je faisais. Comme si... comme si j'étais habituée à être calme quand je tenais une arme. Je déglutis regardant mes mains. Inévitablement mon regard fut attiré par les chiffres sur mon bras.
_ Faites attention à ce que vos têtes ne se transforment pas en tomate, ricana Liam en repartant.
Je relevai mon regard sur Nohlan, Peython et Elijah.
Que voyaient-ils à présent ? Une folle ? Une meurtrière?
Cherchant une échappatoire, je me tournai de nouveau vers le fourneau. Prenant un couteau plus petit et inoffensif je me remis à couper les légumes, essayant de me faire oublier pendant un moment. Nohlan revint sans crainte vers moi, me posant même quelques questions. Peython et Elijah repartirent devant, mais je savais qu'ils parlaient de moi.
Alors que la fin de soirée arrivait, je me tournai vers Nohlan qui finissait de ranger les assiettes et les couverts que je lui tendais.
_ Je suis désolée, murmurai-je. Pour tout à l'heure. Je ne m'attendais pas à... ça.
_ Nous non plus, fit Nohlan. Ça ne veut pas dire que tu dois t'excuser. Tu n'es pas la première que l'on récupère après avoir fait un séjour... dans les Dédales, m'avoua-t-il finalement. Je... comprends le fait que tu réapprennes à... vivre. Tout ne sera pas rose, Amalia. On n'arrive pas dans les Dédales par hasard.
_ Tu penses qu'on m'a punie ? soufflai-je, le cœur dans la gorge.
Il se figea et cessa de ranger. Il me prit l'assiette et le torchon des mains et les posa sur le plan de travail. Il me tira derrière lui et me força à m'asseoir à la petite table. Il alla farfouiller dans un meuble et revint. Il déplia la carte en grand sur la table et me pointa une ville.
_ C'est là où nous sommes, dit-il.
_ Et c'est là où tu dois aller, compris ? grogna-t-il.
Je hochai la tête, sachant très où je devais aller. Pourquoi je devais y aller. Et comment je devais y aller. Après tout, il me l'avait assez répété. Même dans une autre vie, j'aurais pu lui fournir toutes les coordonnées qu'il m'indiquait.
_ Je sais tout ça, marmonnai-je.
_ Amalia...
_ Amalia ? Tu es toujours avec moi ? souffla Nohlan.
Sa main s'agitait devant mon regard. Je hochai la tête et regardai son doigt. Il traça un cercle.
_ C'est le périmètre que couvrent les Dédales.
Elijah apparut et se pencha par-dessus l'épaule de Nohlan en s'y appuyant.
_ Je t'ai trouvé là, dit-il en pointant un endroit.
Nohlan poussa le doigt d'Elijah sur le côté.
_ Je dirais plus vers ici. Compte tenu du temps que tu as mis à revenir, souffla Nohlan.
_ Comment fait-tout pour indiquer un endroit sur une carte alors que tu ne...
Je m'arrêtai dans ma phrase en voyant l'expression de Nohlan. Je détournai mon regard, essayant de ne pas rougir.
_ Je connais cette carte par cœur, fit Elijah. Posée sur cette table, c'est encore plus facile. J'ai mes repères.
Je relevai mon regard sur lui. Je pinçai les lèvres.