Triste est la mer

By bleulivide

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La solitude est un état, et un sentiment. L'état est un isolement parfois voulu. Le sentiment est une vague d... More

I
I (suite)
II
II (fin)

II - suite

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By bleulivide

La nuit noire était de retour.
Le silence était morose, terne, il enveloppait leur peau, caressait leur visage. Triste était la mer, triste était le ciel. Un vent violent s'était levé. On pouvait entendre des courants d'air. Les murs, le plancher sifflaient. Rose regardait toujours dehors. La lune était cachée par des nuages sombres et épais. Aucune étoile dans le ciel. Elle soupira et termina son verre. Le temps se dégradait, c'était signe que la nature était en colère. Que le Monde était à bout, qu'il pleurait, hurlait de rage. Rose ne pouvait pas supporter toute cette haine, toute l'acrimonie de ces voix qui se soulevaient et qui blessaient toutes choses, personnes qui les entendaient. Des tremblements prirent Rose. Elle se resservit avec hâte. Son verre manqua de valser et de tomber. Mais elle le rattrapa et but. Après quelques gorgées son tressaillement s'atténua pour finalement ne plus exister le temps de quelques minutes. Noah la regardait, elle non. Il avait vu son état changer, être perturbé par le temps qui s'était obscurci. Sa respiration était rapide, lourde, elle avait des sueurs froides, et l'expression de son visage était apeurée. Il sentait l'horreur dans chacun de ses mouvements, de ses regards, de ses sourires nerveux. Noah n'osa pas lui demander ce qu'il se passait, il ne voulait pas la perturber ou encore pire, l'effrayer. Il voyait en elle une personne fragile, à fleur de peau. Elle ressentait tout, et tout la détruisait. Il analysait chaque chose qu'elle faisait et comparait avec ce qu'on pouvait appeler la "norme". Un rien pouvait nous toucher. Quant à elle, ce rien pouvait l'emplir de désespoir, de chagrin. Sa douleur était celle d'une écorchée vive. Il restait comme cela, à la contempler dans ce silence hurlant.

L'heure sonna. Il était 22 heures.
Elle fumait une cigarette, ses tremblements s'étaient accentués. Il n'y avait plus de vin et dehors il y avait toujours cette colère qui l'éraflait. Elle éteignit sa cigarette violemment dans le cendrier, alla commander un dernier verre de vin, et paya l'addition. Lorsque Noah entendit cela, il se leva en vitesse pour l'empêcher de payer. C'était trop tard. Il lui demanda pour quelles raisons avait-elle payé.

- Pour une raison qui est simple: la fois dernière vous avez payé pour nous deux. Il est naturel que j'en fasse de même, dit-elle.

Elle se rassit.
Il soupira, elle aussi. La vieille dame revint avec la commande, et déposa le verra avec un sourire triste. Elle avait de la peine pour Rose qui vit ce sourire. Un frisson la parcourut, elle crut reconnaître celui de sa mère. Rose le lui rendit, et ses larmes montèrent aux yeux. Elle se sentait misérable, et seule. Terriblement seule. Sa gorge se noua, elle était essoufflée. Les mains tremblantes, Rose prit son verre de vin et but une gorgée, puis une deuxième et enfin, une troisième. Tout son corps se calma. Ses yeux se posèrent sur Noah, et rencontrèrent les siens. Il sursauta. Il était surpris de croiser ses yeux. Il détourna le regard, gêné. Il le porta vers le dehors, et dit.

- Nous aurons une nuit agitée.

Elle le regardait toujours.
Silence, et elle ajoute.

- La nuit est calme, c'est le monde qui est agité.

Elle reprit son verre et l'approcha de ses lèvres. Elle fit comme d'habitude pour calmer chaque tremblement. Mais cette fois-ci, elle le regardait. Auparavant, elle se contentait de voir la mer, le ciel, le monde. Elle essayait de voir ces yeux qui l'avaient tant troublée. Rose ne voyait pas leur couleur, alors elle lui demanda de tourner son visage dans sa direction et de la regarder, dans les yeux. Il hésita, son cœur fit un bond. Avant qu'il puisse s'en rendre compte, ses yeux la regardaient déjà. Il se sentait rougir, ses joues son cou étaient en feu. Il se demanda si cela se voyait, si elle le voyait rougir. Noé n'avait pas réellement entendu ce qu'elle avait dit.

- Vos yeux, ils me rappellent la mer.

Cette phrase le frôla, son visage l'avait ébranlé. Il la fixait du regard, il était comme impressionné par cette jeune femme qui se tenait devant lui. Sa beauté était un mouvement pur, et doux. Sa douceur nonchalante avait touché Noah, elle était comme un nuage qui se promène dans le ciel ou encore, comme une pétale de fleur de cerisier qui valse avec le vent et qui se dépose sur le sol. C'est la vieille dame qui le sortit de ses pensées, elle dit.

- Vous pouvez rester si vous le voulez. Le vent est violent dehors. Apparemment c'est une tempête. Voulez-vous du café pour tenir la nuit? Elle sera longue.

Rose lui sourit pour dire que oui.
Noah dit.

- Alors deux cafés, j'aimerais le mien avec un peu de lait, s'il vous plaît.

Rose ajouta.

- Et un peu de whisky dans le mien, s'il vous plaît.

La vieille dame s'en alla préparer leur commande, avec le sourire aux lèvres. Rose lui demanda, pendant sa préparation, quel livre elle lisait.

- Le vieil homme et la mer d'Ernest Hemingway. Ce livre à le don de me faire pleurer, dit-elle.

En les servant, elle ajouta.

- Il y a des livres qui sont écrits pour nous, comme si l'écrivain avait pensé que cette histoire, cette tournure des phrases nous plairaient. C'est prétentieux de dire cela, mais selon moi, il y a des âmes qui se plaisent, et qui s'enlacent. Et avec la littérature l'étreinte perdure, même si nous avons déjà lu le livre. Elle est là. C'est tout.

Rose la regardait et était étonnée de cette réflexion. Elle remercia la vieille dame, d'une voix douce et chaleureuse, que Noé n'avait jamais entendu. Il avait vu les réactions de Rose, elle était comme fascinée par la barmaid. Comme si elle lui rappelait quelqu'un de cher a ses yeux. Elle avait déjà commencé à boire son café, il la suivit quelques secondes après. Il leva ses yeux vers elle. Il fit un léger bond, presque imperceptible. Elle le regardait déjà, d'un regard vide.

Ils avaient fini leur consommation. Rose avait demandé une nouvelle bouteille de vin, pour faire passer le temps. En buvant son verre elle dit.

- La nuit est d'un terrible silence ce soir. La mer, elle, est dans un profond désespoir. Comme vous.

Elle se redressa et écouta la pluie.
La fumée de sa cigarette valsait avec les courants d'air, parfois elle disparaissait presque instantanément. Noah rétorqua.

- Pourquoi dites-vous que je suis dans un profond désespoir?

Elle ne l'avait pas écouté, elle continuait de regarder le dehors.

- Regardez la pluie. N'avez-vous pas l'impression que c'est le ciel qui se déchire ? Je me demande si, les nuages ne sont pas une allégorie de la tristesse, qui se déverse et qui grise l'âme.

Elle termina sa cigarette avant d'ajouter.

- Chaque goutte de pluie qui tombe est une note. J'ai l'impression d'écouter une chanson triste.

Tous deux adoraient la pluie. Alors, ils laissèrent le silence revenir pour l'écouter pendant plusieurs minutes. La vieille dame rejoignit ce calme, et fit la même chose. Le bruit des vagues se mélangeait à celui de la pluie.
Noah avait fermé les yeux, il se laissait bercer par ce qu'il y avait dehors. Chacun de ses membres, de ses muscles était détendu. Son âme était, pendant quelques instants, en paix et non plus torturée par ce qui l'habitait. Les battements de son cœur se confondaient avec ce qu'il entendait. Silence, battement, vague, gouttes, silence, battement, vague, gouttes, silence, vague, gouttes. Chacune de ces choses tombaient en même temps, et provoquait en lui une joie qu'il n'avait jamais connue. Ses émotions étaient comme bousculées par tout cela. Il y eût un bruit, comme un cri, qui résonna dans sa tête. Il sortit de son expérience en sursautant. Il regarda autour de lui. Il était toujours dans le bar, Rose était en face de lui, elle avait le visage tourné vers la mer. La vieille dame était dans son coin, les yeux fermés. L'heure, se disait-il, qu'elle heure est-il? 00h47. Le temps filait lentement. Il se ressaisit. Il demanda à Rose une cigarette. Elle le regarda, étonnée.

- Vous fumez? dit-elle.

- De temps à autre, lui répondît-il.

Elle lui en donna une. Il l'alluma.
Il toussa un peu au début, puis reprit rapidement l'habitude. Rose le regardait, et dit.

- Vous ressemblez à un personnage de roman, avec vos yeux, et cette manière de fumer. J'ai l'impression de lire une description touchante, d'une personne seule.

Il ne savait pas quoi répondre, ce compliment était comme sorti de nul part. Il crut que c'était une hallucination auditive. Mais le sourire de Rose l'avait convaincu.

- Qui êtes-vous? lui demanda-t-il.

Elle fut surprise par sa question. Cela se voyait avec ses yeux, qui s'étaient brusquement agrandis. Elle répondit.

- Je n'ai jamais su, je n'ai jamais réussi à me rencontrer.

Des tremblements refirent surface, alors elle but son verre de vin. Rapidement puis calmement. Elle s'effrayait, et parler d'elle était quelque chose qui lui faisait ressentir de l'effroi. Elle se resservit un autre verre, le but tout aussitôt et ajouta.

- Vous savez, en chaque être humain il y a quelque chose qui nous effraie. Pour certaines personnes cette chose est liée à un manque de confiance en soi, ou encore à une peur maladive d'être seule ou du futur, des autres également. Pour d'autres c'est parfois eux-mêmes, ils ne se connaissent tellement pas qu'ils se sentent étrangers, comme si leur corps et leur âme n'étaient pas en harmonie. Qu'ils étaient comme deux inconnus qui ne peuvent pas communiquer. Leur solitude est une déchirure incurable.

Elle arrêta sa pensée par cette phrase. Le mot "incurable" l'avait frappée. Elle détourna le regard et regarda ce qu'il se passait dehors.

Quelques minutes étaient passées après son petit monologue. Mais sa tristesse était toujours aussi grande, son corps était abattu par quelque chose d'innommable. Il y a parfois des moments dans votre vie, où vous ressentez quelque chose. Votre voix est éraillée par cette vague qui vous traverse et vous submerge. Un frisson parcourt votre peau, elle est comme touchée par un froid qui n'existe que dans votre esprit. Dans ces moments-là, la nuit est longue, son silence est assourdissant, son air, lourd. Lorsque votre regard se porte sur une ville illuminée, ou encore un ciel étoilé. Votre solitude devient de plus en plus grande. Le fait de regarder ce qu'il se passe vous fait souffrir, un effondrement se produit. Tout ce qui existe vous blesse, et tout ce qui n'existe plus vous déchire. Rose ressentait cette émotion qui était presque palpable. Le vide à côté était plus plaisant, la solitude plus joyeuse. Ses idées étaient affolées par ce qu'il se passait, ses tremblements avaient repris. Et même l'alcool léger ou les cigarettes ne faisaient plus d'effet. Rose demanda un verre de whisky.

- Sans glaçon, s'il vous plaît, dit-elle.

Noah la regardait et détournait le visage lorsque le visage de Rose se dirigeait vers le sien. Leurs regards manquaient de se rencontrer. Il lui vint l'idée de lui parler mais sa voix était comme étouffée par la peur. La vieille dame apporta la commande de Rose. Elle but son verre, d'une traite. Sa gorge brûlait, son estomac se réchauffait, ses tremblements se calmèrent. Un haut-le-cœur la prit. Elle manqua de vomir mais se ressaisit à temps.

- Les vagues sont tristes, comme la pluie et les nuages. Elles sont seules, et tristes, dit-elle.

Noah voulu lui dire "comme vous", mais sa rien ne sorti de sa bouche.

- Il vient dans la vie où nous sommes comme elles. Où la solitude et la tristesse détruit notre vie. Le bonheur est quelque chose que l'on croit connaître, toucher. Et puis vient ce jour, je crois oui. Il arrive, comme une vague. Gigantesque et effrayante. Elle est là et nous submerge. Tout en nous est déboussolé. L'anéantissement est tellement immense. Ce mot fait peur "anéantissement", le mot "néant" est horrible à entendre. Il signifie rien. Et lors de ce moment oui, nous ne sommes rien. Il y a alors cet effroi, cette horreur qui s'instaure en nous. On pourrait l'appeler par tous les noms: spleen, blues, cafard, dépression. Je crois qu'aucun de ces mots ne réussiraient à traduire ce que nous ressentons. Les vagues, elles, la décrivent bien. Je les vois, comme vous et moi. Tristes. 

Elle alluma une cigarette. La fumée était blanche, opaque, livide. Elle frôlait le visage de Rose, qui continua son monologue. Un silence d'abord. Puis.

- Nous entendons chaque battement de cœur, comme une symphonie inachevée, bancale, boiteuse. Le rythme est irrégulier. Certains d'entre eux sont forts et puissants, d'autres inaudibles. Le cœur agonise, c'est une période où le corps est en état de choc et où l'esprit ne suit plus. Depuis ce jour, j'ai peur.

Elle avait prononcé ces mots "j'ai peur". Des larmes montèrent et coulèrent. Elle s'effondra comme un mur s'effondre, lamentablement. La vieille dame avait entendu ces mots et alla à la rencontre de Rose. Elle lui serra la main. Ce geste banal avait bouleversé Rose. Elles restèrent cinq minutes comme cela. Après la mort d'une vague la vieille dame s'en alla, et la laissa reprendre ses esprits. Dire certains mots est quelque chose d'atterrant, lorsque la voix les prononce, lorsque les mots meurent en même temps que la voix. Un voile se dissipe et nous montre l'atrocité. Ne pas les dire c'est comme ne pas les connaître.
Rose releva la tête, dans son regard sa tristesse était là.

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