Je rangeai mon portable dans ma poche sous le regard inquiétant de Noona, une collègue un peu trop envahissante.
Pourvu qu'elle n'ait pas vu que j'étais en train de parler sur un site de cul.
Je me retournai vers le couloir du bus agité d'élèves, chahutant les uns avec les autres sans répit, avant de frapper dans mes mains lorsque le bus s'arrêta enfin devant le musée. Je me levai puis, accompagné de mon cadet prof d'histoire, j'expliquai rapidement la procédure de cette sortie scolaire.
J'écoutais parler ChungRa d'un air distrait, regardant par la fenêtre les autres bus se garant devant l'entrée du musée, pensant inéluctablement à tout ce qui s'était produit dernièrement.
Cela fait une semaine et un jour qu'il ne fait plus partie de mon quotidien, ça me fait mal, ça me brûle au point d'être sorti quelques soirs dans la semaine pour aller boire un verre. Je ne fais jamais ça, je n'ai jamais fait ça auparavant puisque je n'aime pas l'alcool. J'en avais juste besoin. Horriblement besoin.
Malgré tout, je compense son silence radio par Jimin....
Cette pensée me donne le tournis. C'est vraiment trop étrange de parler à un gamin plus jeune que moi, qui s'appelle comme lui. Je leur trouve des points communs parfois et j'ai l'impression que lui aussi a vécu des choses, dans ses relations amoureuses, qui font que tout n'est pas rose dans son cœur. Je le sens, lui aussi a le cœur brisé.
Le pire, c'est que maintenant je me suis mis à attendre une réponse de lui... Un signe de vie.
Ce qui est absurde car logiquement, je ne devrais pas rester là à me languir de lui ; seulement je ne le sais que trop bien, mon absence a dû créer chez lui de la rancœur et de la haine envers ma personne. C'est Chim qui me l'a expliqué -oui, j'ai donné un petit surnom à jipute.
Je sais très bien que plus j'attends et plus cela sera dur pour nous, mais à quoi bon.
Je me sens désorienté en sachant qu'il est loin de moi. Je me sens vide et exténué, tandis que mon corps subit les contrecoups de mes pensées, m'obligeant drôlement à devoir assumer un agissement passif. Jimin, qui lui est pourtant si vif, se condamnerait probablement cent fois pour me voir redevenir comme j'étais avant.
"-Gardez votre binôme et surtout ne vous lâchez pas. C'est compris ?
Bon, ceux que j'appelle iront avec moi."
J'en ai marre de devoir jouer au prof, je suis sûr qu'ils ont remarqué que depuis son absence, je n'étais plus le même. Mais à quoi bon, j'appelais juste des mômes casse-couilles en brandissant une main dans les airs pour qu'ils lèvent leurs têtes de leurs écrans une bonne fois pour toute, en plein milieu d'un mois de juillet.
Très vite, j'adoptai la posture d'une maman canard suivie par ses canetons, entrai dans le musée avec ma quinzaine d'élèves, puis suivis le guide.
Je n'écoutais pas, je regardais les tableaux complètement agacé en surveillant l'heure sur ma montre pour que ça passe plus vite.
J'ai pas envie d'être ici.
Je me dis que si Jimin était là, on aurait trouvé le moyen de s'éclipser pour s'embrasser dans le bus, ou dans une grande salle vide. Rien que d'y penser, ça me fait pétiller, prendre une vie mais de manière fictive.
Enroulant continuellement dans mon dos l'un des prospectus sur la visite en cours, je m'arrêtai dans une salle en lâchant complètement de vue le groupe que je surveillais avec Noona. Je m'attardai devant ce bloc de verre, renfermant un vase chinois gravé et détaillé de manière à ce que la beauté elle-même en soit jalouse. Mon regard s'entremêlait avec la lumière tamisée de cette immense pièce emplie d'œuvres d'art, tournoyant autour de cette porcelaine avant de relever le nez comme un enfant abonné, zieutant autour de moi pour voir où mon groupe était passé.
Ça doit vraiment recommencer ?
Ma mère m'a toujours dit que j'étais tête en l'air. Elle a raison, je suis toujours dans une autre dimension à la recherche de quelque chose de nouveau, d'attrayant, et le pire c'est que je fais ça sans m'en rendre compte.
Aujourd'hui était une sortie presque nationale, toutes les écoles basées sur Séoul et ses différents quartiers étaient de sortie. J'essayai de discerner entre les têtes brunes des visages familiers, avant de retrouver la classe dont j'avais la surveillance et me rapprochai, toujours distrait, d'eux. Je faisais taper la talonnette de ma chaussure, me mordais la langue, tournoyais sur un pied puis me figeai subitement.
Est-ce que j'ai bien entendu ?
Mes sourcils se froncèrent pendant que mes yeux à présent exorbités suivaient de près la silhouette que je pensais reconnaître entre mille. J'avais pourtant entendu son rire mélodieux, je l'avais même visualisé à ce moment.
Une pulsion cardiaque plus forte que les autres me fit transpirer.
Je balayais les différents groupes de classe autour de nous, commençant à à me rendre les mains moites, persuadé que j'avais bien entendu ce que j'avais cru entendre.
Noona me rappela à l'ordre m'obligeant à avancer et à quitter cette partie de l'exposition.
J'étais pourtant sûr d'avoir entendu son timbre de voix, juste derrière moi pendant que je scrutais les lamelles du parquet en bois rebiquant sous mon pied. Cela m'avait fait hoqueter de surprise, cela avait emballé mon cœur et j'avais finalement recherché autour de moi la source de cet affolement comme s'il était tout proche, alors qu'il ne l'était sûrement pas.
Je dis ça parce que cela m'est arrivé plus d'une fois. Lorsque je faisais les courses ou bien lorsque je marchais dans les couloirs. L'impression de voir le sommet de son crâne ou d'entendre sa voix ; alors qu'il n'était pas là, jamais là.
Je poussai un lâche soupir avant de m'assoir sur l'un des bancs de la pièce, exposant alors des œuvres picturales sur tous les murs bleus qu'elle possédait.
C'était sombre, un peu plus que la salle précédente. La clim' était d'ailleurs un peu trop forte à mon goût, j'en profitai pour croiser les bras en arquant mes jambes le temps de fermer les yeux.
Je respirais calmement, me persuadant que je me montais la tête à cause du manque que j'avais, celui de son odeur, de son regard, de sa démarche, de sa prestance.
"-Eh Jimin lâche-la des yeux ! T'es en surchauffe ou quoi ? T'as besoin que je t'aide ?
-Mais ta gueule Lisa... J'y peux rien si elle porte des jupes trop courtes moi !"
Mes paupières se soulevèrent lentement, redécouvrant la pièce dans laquelle j'étais, je tournai la tête paisiblement pour observer faiblement les deux élèves, bras croisés face au mur sur ma gauche, à côté de l'entrée de la salle.
Une petite brune à côté d'un petit roux. Un dos fin à côté d'un large dos taillé en V. De fines jambes à côté de jambes musclées. Ils se regardaient, contemplaient le tableau devant eux en riant sur le taux de testostérone élevé du jeune garçon. J'écoutais calmement, un peu plus précisément avant de me lever et de me diriger vers eux. Ils n'étaient pas de ma classe, pas de mon école, mais je jurerais entre mille qu'un des deux élèves était bien ma propriété.
Plus que quelques pas avant de découvrir si ce roux était bien Jimin.
Mais si c'était Jimin, pourquoi était-il roux ?
Pourquoi était-il là ?
Question stupide, c'est une sortie académique.
J'avais les jambes qui flageolaient ainsi que le front qui s'humidifiait. J'avais le pas tremblant et la gorge en feu, dans quelques secondes, j'allais être fixé. J'attendais ça depuis une semaine et un jour, huit jours pour être exact. Huit jours que j'attendais de le voir. Qu'est-ce que j'allais faire... Lui dire ?
J'étais arrivé juste à côté d'eux. Je m'arrêtai, statique. Je commençai à m'intéresser faussement à l'œuvre d'art, attendant que l'un d'entre eux tourne la tête vers moi. J'étais à côté de la fille qui visiblement était trop occupée à murmurer à l'oreille du rouquin. J'orientai doucement la tête vers elle en la penchant un peu plus en avant, les bras toujours dans mon dos en train de torturer ce prospectus au-dessus de mes reins. Un coup d'œil furtif et j'allais être fixé.
Bon sang.
Il est encore plus radieux que lorsque je l'avais en cours. Son arête nasale prolonge tellement bien son sourire qui s'écarte sur son visage, ses yeux grouillent de vie. Je fis un pas de plus pour qu'il me distingue ; à ce même moment, je toussai légèrement, histoire de me faire enfin remarquer.
J'attendais de voir du coin de l'œil s'il me voyait, et le silence dans lequel il avait visiblement terré sa voix me laissa comprendre qu'il me regardait. Je penchai un peu plus la tête vers lui, la tournai puis lui souris harmonieusement.
Qu'est-ce qu'il est beau.
Il ne parlait plus, n'écoutait même plus sa camarade de classe. Il me regardait juste dans les yeux jusqu'à ce que la brune s'aperçoive qu'il était entièrement captivé par moi ; il baissa la tête, le rouge aux joues, une expression choquée et déroutée sur le visage, avant de sortir son téléphone de sa poche.
"-Lisa tu veux bien te taire et dégager ? Je dois appeler une pute.
-T'es sérieux Jimin ?
-Oui.
-On avait dit quoi ? Que tu devais arrêter d'appeler mes salopes d'amies des putes. dit-elle en riant, pendant qu'il lui répondait en souriant
-Allez bouge."
Ils ont l'air de bien s'entendre et d'être proches, vu la proximité dont ils font preuve tous les deux.
Ladite Lisa se retourna puis repartit -me décrochant un sourire au passage-, avant que Jimin ne repose dans sa poche son portable en déglutissant bruyamment. Je toussai encore, histoire d'animer le débat, est-ce qu'il compte prendre la parole ?
"-Comment tu vas ? demandai-je sans lui décrocher un regard, quel con je fais
-Bien. Et toi ? repondit mon ancien élève sur un ton sec
-Pas trop..."
À mes mots, il orienta son regard larmoyant vers moi.
Non, ne me dites pas qu'il va pleurer à cause de moi... Je ne veux pas.
"-Et pourquoi ça ? me demanda-t-il du tac au tac, regardant à nouveau le tableau
-Parce que mon bébé me manque. Et que j'ai besoin de l'avoir dans les bras, et de l'embrasser ainsi que de prendre soin de lui.
-Encore ? Tu me considères encore comme ton bébé ? fit-il d'un air moqueur
-T'as cinq minutes pour me rejoindre aux toilettes Jimin. Sinon, je viendrai te chercher de force, je débarquerai chez toi en enfonçant la porte, je tournai la tête vers lui, et le mot porte peut autant être au sens figuré qu'au sens littéral."
Je me retirai, laissant seulement derrière moi le bruit de mes talonnettes rebondir entre ces quatre murs, puis me dirigeai vers le groupe de classe avec Noona. Je l'informai rapidement que je comptais m'absenter aux toilettes, puis repartis en direction de celles de l'étage, lançant des regards électriques à Jimin qui n'avait manifestement toujours pas changé de place.
Faites qu'il vienne me voir.
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Hehe (: