Voir Le Loup | D. ACADEMY - T...

By Epice_

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. Alexander Lehmann s'apprête à entrer à la D. Academy, une université séculaire connue d'une commu... More

Chapitre 01 - (1/2)
Chapitre 01 - (2/2)
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Chapitre 15 - (1/2)
Chapitre 15 - (2/2)

Chapitre 13 - (2/2)

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By Epice_

EDIT
Chapitre mis à jour/ Mai 2018.


Après avoir récupéré le peu d'affaires restées dans ma chambre d'hôpital, nous effectuons à pied le trajet jusqu'à mon dortoir. Derrière nous se dressent les bâtiments universitaires du premier cycle ainsi que leurs logements étudiants, six grands blocs presque cubiques, à l'aspect graniteux, couleur saumon.

On ne nous mélange pas. J'ai d'abord présumé que c'était comme la ségrégation lycée/collège, mais à la réflexion, cela me semble un peu absurde à la fac. D'autant plus qu'à cette heure de pause, un flux continu d'étudiants s'écoule vers le restaurant universitaire dédié aux deux premières années. Qu'ils ne mangent pas non plus avec les autres me laisse un sentiment de malaise.

Si tout avait suivi son cours normal, en ce moment, je serais noyé dans cette masse. Raison pour laquelle Engel pensait que nos routes, en tant que prof et étudiant, ne se seraient pas croisées avant un moment, puisqu'il n'officie pas dans cette zone. En attendant, moi non plus je ne risque pas de les rencontrer.

À vitesse d'homme, notre parcours durerait une bonne demi-heure. Ma nouvelle vélocité peut la réduire au sixième, mais Engel a choisi d'adopter une allure plus légère. D'après lui, je dois travailler ma mémoire visuelle. Je suis donc prié de graver dans mon cerveau tout ce que je vois. La consigne est un peu futile, dans le sens où je ferai mes études ici durant six ans. L'endroit finira par m'être familier. Que je le mémorise aujourd'hui ou demain, rien ne presse !

— C'est pour sortir les nouvelles connexions de ton cerveau de leur léthargie. Elles ont besoin de tous les stimuli possibles.

Je ne dirai pas que sa réponse n'est pas la bienvenue. Juste qu'elle pince un peu les cordes de mon agacement.

— Je crois qu'on ne t'a pas souvent dit que c'est inconvenant d'épier les pensées d'autrui. Pour ta gouverne, la norme veut qu'elles restent occultes tant que je n'ouvre pas la bouche. Si je ne les exprime pas d'une manière ou d'une autre, c'est que je n'attends pas forcément de réponse. Dis-toi qu'elles sont rhétoriques !

— Si tu crois être le premier à m'entretenir à ce sujet, grand bien te fasse, raille Engel.

Il ne semble pas vexé. Pourtant mon ton a été caustique. Je suppose qu'il s'est mangé tellement de réflexions de cet acabit qu'il en est devenu insensible.

— Rajoute une bonne pelletée de virulence la prochaine fois, si tu veux me la rendre indigeste.

C'est bien ce que je pensais. Il en faut désormais plus pour le faire frémir. Les seules remarques désobligeantes qu'il n'avale pas – ou plus –, sont celles portées sur son homosexualité.

— En fait, t'es lourd, Engel. Tu ne dois pas avoir beaucoup d'amis.

— Je n'appelle pas amitié un rapport admettant le moindre soupçon d'hypocrisie, renifle-t-il, dédaigneux. Quand bien même l'on se targue d'être le meilleur ami de quelqu'un, vient toujours un moment où l'on est fort aise qu'il n'entende pas nos véritables pensées à son égard.

— Encore heureux ! Ça doit être triste de ne faire confiance à personne, parce qu'on a un accès illimité à ses secrets.

La réplique d'Engel vient avec quelques secondes d'hésitation.

— Ce n'est pas illimité... Mon don n'est pas absolu. On peut s'en prémunir.

Puisque mon dragon y arrive, je lui demanderai le tuyau.

— Je n'ai jamais su lire les pensées de mon père, révèle-t-il.

Ça ne me surprend pas vraiment. Brawn Mirage est un dragon-Mage. Il doit connaître le « truc » pour ériger les barrières mentales.

— Jusqu'à mes sept ans, je croyais que ma mère parlait.

Là, je suis largué. Dois-je déduire l'inverse de cette assertion un peu saugrenue ?

— Elle ne m'a jamais parlé en langage de signes. Elle n'en avait pas besoin avec moi. Ni avec Père, d'ailleurs. Ma naïveté d'enfant et l'égocentrisme naturel qu'on a à cet âge m'ont longtemps laissé croire que c'était normal. Ce n'est que quand j'ai commencé à étudier son comportement vis-à-vis des autres que j'ai noté cette différence.

La mère d'Engel est muette. Sans doute malentendante aussi, pour ne pas dire sourde. En général, ces deux handicaps sont liés.

— Elle a une ouïe bien développée. Père m'a appris que c'est suite à un traumatisme, enfant, qu'elle a perdu l'usage de la parole.

L'info me bouleverse plus qu'elle ne devrait. Parce qu'à cet instant, le don que je jugeais agaçant il y a une minute, revêt les couleurs de la bénédiction. Son dragon m'a dit que c'est d'elle qu'il tient son nom, Crystal. Engel n'a jamais entendu la voix de sa maman – du moins, ce qu'elle aurait dû être –, mais il connait celle de son cœur. Ses pensées véritables. Autrement, l'essence même de sa voix ; de son amour maternel.

Est-elle dragonne ou femme-dragonne ? Elle pourrait aussi être une non-dragonne : une hybride aux gènes dragons inexpressifs qu'elle aurait transmis à son fils pour qu'il soit pur-sang. Je réalise soudain qu'Engel me fait des confidences. Son ton laisse sous-entendre qu'il s'en est rarement ouvert à quiconque. Pourquoi moi ?

— Est-elle rhétorique ? demande-t-il, sarcastique.

Je lui concède un sourire.

— Comment s'appelle-t-elle ?

C'est vrai, et en même temps très curieux, que j'ignore le prénom de l'épouse de Mirage, célébrité chez les dragons. À l'instar de son fils, elle doit être une chasse gardée. Le mystère autour de cette personne n'en devient que plus grand.

J'exclus le divorce des raisons pour lesquelles elle reste une parfaite inconnue. La possessivité dragonne rend cette notion presque absurde. Un dragon pur-sang ne se lie qu'une seule fois dans sa vie, et « jusqu'à ce que la mort vous sépare » n'a rien de métaphorique. Toute relation précédant des fiançailles, ou suivant le décès d'un partenaire, est de l'ordre du flirt.

— Coralyne, rétorque Engel.

La douceur de sa voix charrie toute la tendresse qu'il éprouve à son égard.

— La fille de la mer, dis-je dans un murmure.

J'ignore d'où cela me vient. Je sais que c'est d'origine grecque. Puis je me souviens d'héberger un dragon très ancien et à fortiori érudit. Il va être pratique pour les cours qui se rapporteront à l'histoire et sans doute aux langues.

— Profito-situationniste !

Je vais me gêner, tiens ! Surtout qu'à cet instant, le regard pétillant d'Engel m'indique que je marque des points. Certes, au dépens de Pyros, mais c'est chacun son tour. Lui aussi jouit des avantages que lui procure mon corps, à mon détriment. Non ; contre mon gré !

— Tu m'as dit que tu décortiquais les émotions. Mais plus ça va, plus j'ai l'impression que tu lis directement dans mon cerveau... ou dans mon « cœur », si je puis dire.

— Tu tiens cette explication de Crystal, nuance-t-il. Il a la fâcheuse manie de rapporter ses impressions à ma personne. Pour sa défense, dans la majorité des cas ça se révèle exact.

Je suis de plus en plus fasciné. Il y a quelques jours, j'ignorais que les pur-sang avaient cette dualité bien distincte. Sans Pyros, je n'aurais jamais appris ce qu'est l'Évolution.

— Chez lui, le processus est olfactif, explique Engel. Sans doute parce que les dragons peuvent aisément se passer de la vision. Chez moi, disons qu'il est plus « intellectuel ». De plus, le côté « humain » détermine facilement la nature des choses grâce à la vue et l'ouïe, plutôt que par l'odorat... Je présume, ajoute-t-il en haussant faiblement les épaules.

Son incertitude laisse sous-entendre que s'il a une apparence humanoïde, il n'en reste pas moins dissemblable des humains sur certains aspects.

— Par exemple, je reconnaitrai instinctivement un train que je ne vois pas, au bruit qu'il fait. Crystal se basera sur l'odeur du carburant, de la ferraille, et éventuellement de la fumée que produisent les étincelles dues aux frottements contre les rails. Avant même de songer à utiliser l'info que lui apportent ses oreilles. Contrairement à lui, il m'est plus facile de lire et d'entendre, que de sentir.

Cela s'applique donc aussi aux pensées des autres. Ce type est un puits d'insolite, et j'en redemande. Je sens que nos destins sont liés. En fait, j'en prends véritablement conscience à cet instant. Il m'est agréable de savoir que quoi qu'il arrive, nos routes ne se sépareront pas de sitôt.

Peut-être qu'en apprenant à le connaitre, j'en découvrirai plus sur mon dragon, et certainement sur moi. Qu'il soit mon prof ne m'a toujours pas dissuadé de le connaitre de façon plus intime. Et si je ne peux espérer en faire mon petit-ami, je peux devenir son ami. Un ami que je mettrai volontiers dans mon lit.

Notre premier baiser a été motivé par son envie de me faire vivre quelque chose de « renversant ». Je ne suis pas contre l'idée qu'il achève mon initiation sexuelle entre mâles. Bien que ce soit lui que j'aie envie de renverser dans mes draps et non l'inverse.

Engel remue la tête, consterné. Il doit se dire que je ne pense qu'à ça. Mais je parie qu'il ne pensait aussi qu'à ça, à dix-sept ans, quand son attention n'était pas sollicitée par un autre centre d'intérêt !

— Je n'ai pas eu le temps de me laisser distraire par « ça » jusqu'à mes vingt-cinq ans, révèle-t-il.

Il veut dire qu'à cet âge-là, il n'avait pas encore vu le loup ?! J'ai dû faire une drôle de tête – du genre « vingt-cinq ans et toujours puceau ?! » – pour qu'il se justifie :

— Ma formation était rigoureuse. Elle l'est devenue encore plus quand la prophétie a laissé sous-entendre que j'étais le Berger.

— La prophétie ?

Engel écarquille des yeux. Ça lui a échappé.

— Quelle prophétie ? demande Pyros, perplexe.

Là on est mal. Si même lui ignore qu'il y en a une, alors on est définitivement mal ! Je ne la sens pas du tout. En temps normal, les prophéties ne disent jamais rien qui vaille. Déjà parce que c'est un concentré d'irrationalisme. Ensuite, on n'en rencontre que dans les romans fantasy ou dans la mythologie.

Certes, pour les humains, notre existence relève du mythe fantastique, mais le dragon est une réalité. La prophétie n'a pas sa place dans l'existence dragonne au même titre que dans celle de l'humain !

J'étouffe la voix qui me dit que des peuples et des nations ont cru à des prophéties, et ces dernières ont modelé des pans entiers de l'histoire de l'humanité. Les textes sacrés regorgent de prophètes. On ne peut nier leur existence quand de nombreuses religions sont nées ou se basent sur leurs préceptes.

Et la religion est belle et bien une réalité, ce qui donne du poids et de la tangibilité à l'impact psychologique des prophéties. Or ce qui se rapporte au déisme avec une bonne dose de fanatisme figure parmi les plus grosses sources de conflits dans ce monde. C'est un fait, on détruit son prochain pour légitimer ses croyances spirituelles.

Quand prophétie s'en mêle, les emmerdes s'amènent. J'ai raison de penser que cette situation pue. Aussi me fais-je le perroquet de Pyros :

— Quelle prophétie ?

— L'endroit n'est pas approprié pour en discuter.

C'est soit une dérobade ou juste un report par précaution. Je me raccroche au fait qu'il ne m'oppose pas un refus catégorique.

— Où, alors ?

— Je te dirai où et déciderai de quand.

Je retiens un grommèlement et opte pour une attitude plus posée, à défaut de plus adulte.

— Pas si Pyros y trouve à redire.

Ce n'est pas une menace, je le préviens tout simplement. Sa grimace me donne raison. Sa voix ne peut prévaloir sur celle de mon dragon. Mais celui-ci n'a pas l'air très intéressé puisqu'il ne se manifeste pas. On ne peut même pas compter sur lui !

— Et tu crois à cette prophétie ?

— Les signes concordent, dit-il sans réelle conviction.

— Je t'aurais cru maitre de ton destin.

Il me lance une œillade, presque interrogateur, l'air de se demander s'il vient de chuter dans mon estime. Qu'il se rassure, j'ai déjà cessé de le mettre sur un piédestal. Le sourire en coin que cela lui inspire me donne envie de l'embrasser. Ce n'est pas de ma faute s'il est aussi craquant !

— L'expression « être maitre de son destin » est surfaite, réplique-t-il. Pendant un tiers de son existence, l'homme ne maitrise absolument rien de sa destinée, parce qu'il n'en a pas les capacités physiques, intellectuelles, et financières. Pourtant, ce tiers détermine une bonne partie de son avenir. C'est aussi valable pour nous. Ton dragon est la preuve qu'il est impossible d'avoir toutes les cartes de son destin en main.

Il marque un point. Je subis mon dragon, soi-disant parce que l'alignement des planètes le jour de ma naissance aurait fait de moi le parfait candidat dans lequel élire domicile. On ne va pas me faire croire que j'étais le seul homme-dragon à être né le 3 octobre de cette année-là !

Du coup, ma destinée ne dépendrait pas que de moi, mais aussi de Pyros. Sauf que c'est faux. En fait, elle a été déterminée des centaines de milliers d'années auparavant par un putain de rituel du Sommeil éternel qui a tourné court ! Repenser au rituel me fait tiquer.

— Crystal n'est pas une réincarnation, dis-je, songeur.

Dans ce cas, Engel n'est pas un Élu mais écope de la lourde tâche de trouver les cinq autres. De préférence, avant Raf'n. Ce qui m'échappe, c'est pourquoi il est le seul à en endosser la terrible responsabilité, si jeune, sachant que la survie de la dragonité entière dépend de sa réussite !

— Le Berger ne se réincarne pas. Son savoir s'hérite par la transmission, pas son essence. Il joue le rôle de gardien, de veilleur, de guide de ceux qui héritent de l'essence des Anciens.

Il m'a l'air de réciter un mantra. Mais ses propos ont plus de sens pour moi qu'ils ne l'auraient eu la veille.

— Et aussi... je descends de la lignée du tout premier « Berger », Khaldun. Même s'il n'a jamais écopé de ce « titre ». C'est le dragon-Mage qui a conduit le rituel de Sommeil. À l'époque, personne n'aurait pu penser qu'il faudrait un Berger. Il s'est avéré que notre charge, notre « fonction », se transmettait mieux avec un lien de sang.

Je savais qu'il y avait une raison pour laquelle le dragon à la balafre de mon songe ressemblait autant à Engel ! De fait, c'est l'inverse. Il est presque le portrait craché de son aïeul. Il me dévisage, sourcils froncés, l'air préoccupé. Pour être sûr d'avoir bien saisi, je récapitule :

— Seuls ceux qui se sont changés en pierre se réincarnent. Les six dragons du Cercle.

Le regard d'Engel se fait perçant.

— Je vois que les souvenirs de tes anciennes vies reviennent.

— Concrètement, ce ne sont pas les miennes. (Rendons à Pyros ce qui est à Pyros.) Et je t'ai dit que ça ne m'apparait pas comme des réminiscences, mais en songe. Pour être précis, je rêve, ou plutôt ne cauchemarde que de sa première vie.

Or d'après Engel, je devrais aussi me souvenir des suivantes. Des 193 précédentes existences séparant Pyros de ma personne. Je doute qu'un cerveau humain eusse tenu le rythme...

— Tu rêves de la vie de Pyros ? s'étonne Engel.

Il ne m'avait de toute évidence pas compris, la première fois que je le lui ai révélé. Ou alors il a fait ses propres assomptions ; ce qui arrive quand on s'est farci le chou de connaissances théoriques et que la réalité sur le terrain ne colle pas avec le manuel.

— Tu ne m'a jamais précisé qu'il s'agissait de la vie de ton dragon, assène-t-il avec un brin de sécheresse.

Faut toujours qu'il ait raison !

— Quoi, c'est inhabituel ?

— En général, son hôte n'arrive jamais là, dit-il, pensif. Enfin, la majorité des hôtes ne sont jamais remonté jusqu'à l'originel. Ils n'en ont pas besoin parce que... Comment te l'expliquer... De ce que je sais, les réminiscences se font à rebours. L'Élu a d'abord accès à la mémoire de son prédécesseur. Et de là, il peut plonger un peu plus profondément dans le passé. Sauf qu'il n'a pas besoin d'arriver jusqu'à la mémoire de l'Ancien pour saisir l'ampleur de la menace de l'autre. Le fait est qu'il y a tellement eu de réincarnations, qu'au bout des 20 dernières vies antérieures, l'hôte arrive à saturation. De toute façon, il est déjà investi de son sacerdoce bien avant.

Sauf que moi, j'ai inversé le processus. Je n'ai pas commencé par les souvenirs du 194ème vaisseau de Pyros, ni de l'antépénultième, ni même du tout premier avatar, mais par ceux de Pyros lui-même. Que voulez-vous, l'exception qui confirme la règle est ma nouvelle philosophie !

— Je vais me renseigner, dit finalement Engel. Passé ce buisson, je te prie de garder le silence jusqu'à destination.

L'instruction me laisse perplexe.

— Pourquoi ?

— Je vais nous couvrir d'invisibilité.

Je ne suis même pas surpris qu'il en soit capable. Toutefois, je suis curieux du pourquoi.

— Pourquoi ?

Le regard d'Engel aurait pu tuer. Sûrement que je l'agace...

— C'est toi qui vois. Si tu as envie de débarquer dans ton dortoir à midi, en pyjama sous une blouse d'interne, avec aux pieds des sandales crocs que tu trouves si peu fashion, je ne t'en empêcherai pas. Les apparences font la loi dans ce milieu. Je n'y ai que rarement évolué en tant que pensionnaire, mais ça a suffi à ce j'en prenne la mesure.

— Pourquoi n'y as-tu été que rarement ?

Est-ce en lien avec le fait qu'il ait grandi reclus dans une société secrète, consacrant ses journées à perfectionner ses dons ? Du doigt, Engel me montre le buisson. Il est derrière nous. Merde ! Me voilà contraint de jouer au « Roi du silence » comme un gosse. C'est franchement chiant ! Ça ne leur aurait rien coûté de me rapporter ma valise dans ma chambre au Centre de santé ! On aurait évité ce cinéma.

Un petit chemin de cailloux blancs nous mène à l'entrée d'un long tunnel végétal. Il est bordé d'arbres au fut large et aux branches noueuses, solidement entremêlées. La lumière du soleil filtre à peine. Difficile de se croire en Irlande, avec ce genre de formation luxuriante.

La sauvagerie de la nature m'inspire un étrange sentiment de quiétude. Mes sens sont comme engourdis, étouffés, mais reste fonctionnels. Me vient la pensée intrigante d'avoir plongé dans une autre dimension. La sensation sur ma peau se fait familière. Je ressens plus fortement la magie à cet endroit ; une surcharge énergétique qui me change de la perception diffuse et continue d'émanations de geia auxquelles mes cellules se sont habituées en vingt-quatre heures.

Toute cette voûte de verdure en est imprégnée. Il nous faut franchir ce tunnel de branchages, de racines et de feuilles pour enfin pénétrer dans le campus du deuxième cycle. En accédant à la lumière, j'ai le souffle court, comme après un sprint. Ce passage m'a l'air de plus en plus étrange. Je parierais presque qu'il m'a arraché quelque chose...

— Un droit de passage, m'apprend Pyros. C'est un point de péage. Il empêche toute créature non munie de passe-droit, d'entrer sur le domaine des dragons. Ceci dit, les animaux peuvent aller et venir à leur guise, s'ils ne sont pas accompagnés d'un maître qui n'est pas le bienvenu.

Il s'agit donc d'une porte vers un univers dissimulé aux humains. Pour ces derniers, ce serait un passage « surnaturel ». Mon esprit en est vite détourné par le paysage qui s'offre à ma vue. Cette fois je confirme, j'ai carrément atterri dans une autre dimension !

— Tu es toujours dans la réalité, s'en amuse Pyros. À la seule différence que les Mages gardiens de Draken'heim en ont légèrement altéré l'espace. Je dois toutefois reconnaitre que je ne m'attendais pas à ce genre d'architecture. C'est encore plus gigantesque qu'à l'époque.

Pour lui aussi, c'est sa première fois à la D. Academy. Elle n'existait pas encore du temps de sa 194ème réincarnation, qui date d'il y a près de 6000 ans. L'université est moitié moins vieille.

— L'Académie est récente en effet. Du moins, à mon échelle. Mais ce lieu est bien plus séculaire que tu ne le crois. Il est presque aussi vieux que la nouvelle Draken'heim, celle qu'a gouvernée Valdr, le successeur de Raf'n.

Ici, les bâtiments sont gris et cylindriques. Pas le gris-béton triste et lourd, mais un gris métallisé, donnant à l'architecture un aspect légèrement futuriste. Il semblerait que ce visuel avant-gardiste soit une constance. Est-ce aussi le cas des autres D. Academies ?

Ça n'a rien à voir avec l'idée que l'on se fait d'une institution trimillénaire, utilisant les ruines d'une très vieille société viking en trompe-l'œil. On croirait voir des silos d'une mini-cité tirée d'un roman de science-fiction. Le plus haut sommet m'évoque la tour Montparnasse, visitée à l'occasion d'un séjour à Paris. Certains bâtiments sont reliés entre eux par des arches et des ponts suspendus à un câblage quasi-invisible de loin. À cette distance, ils paraissent flotter.

Lorsque le regard perce à travers ces gigantesques cylindres de béton, de métal et de verre, il découvre un autre paysage, plus en adéquation avec le site géographique. De vieilles constructions de pierre encastrées dans le relief montagneux, l'entrée de grottes partiellement dissimulées par une abondante végétation, et des cryptes donnant sur l'océan, à en juger par l'atmosphère iodée et les embruns salins que captent mes sens.

Encore une fois, comment dissimulent-ils cela aux yeux et aux satellites humains ? Magie dragonne, certes, mais comment fonctionne-t-elle ? En apprendrai-je les arcanes, ou est-ce réservé à la caste des dragons-Mages ?

Inexorablement, les silos se rapprochent. Ma chambre aussi. Ça ne m'avait pas manqué, cette bonne vieille habitude d'être introduit en catimini. On a beau dire « pour mieux vivre, vivons caché » – comme s'échine à l'appliquer le règne dragon –, cette partie de cache-cache avec ma propre espèce ne m'enchante pas des masses.

Évidemment, si je parle, je ruine le sort qui nous dérobe au regard d'autrui. Excepté des autres Mages, je présume. Avec toutes ces aptitudes fantastiques, ces derniers sont vraiment la catégorie au-dessus... Non que je les envie, mais j'ai toujours éprouvé de la fascination pour leur caste. Et à présent que j'en côtoie un, je suis privé de parole.

C'est ma veine !

-§-


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