« L'amour se mesure à ce que l'on accepte de lui sacrifier »
La harpie atterrit lourdement dans le parc de la demeure de la sirène. Elle replia ses ailes noires dans son dos. Un pas après l'autre, elle avança en direction de la maison, faisant crisser le gravier sous ses serres affutées. La nuit était bien avancée et l'aube ne tarderait pas. On devinait déjà les premières lueurs du matin se dessiner dans un ciel clair au-dessus de la ville. Il y avait fort à parier que la sirène dormait encore, d'un sommeil agité probablement, faits de cauchemars sur les guerres passées ou à venir. Tout en avançant, la créature leva son visage émacié en direction de la fenêtre de la chambre de Phoebe. La jeune femme s'y tenait debout, retenant un pan de rideau pour mieux voir ce qui se tramait dans son jardin. Quand elle remarqua que la créature l'avait vu, elle se recula précipitamment en lâchant le morceau de tissu. Shannon courut en direction de la porte d'entrée et reprit forme humaine en franchissant le seuil. Il était nu et sa venue contredirait la jeune femme qui ne comprendrait pas ce qui se passait. Levant le visage vers l'étage, il perçut les pas de panique de sa compagne, à la recherche d'une cachette pour échapper à la harpie. Elle ignorait peut-être que Shannon pouvait la sentir à des centaines de mètres, l'entendre tout aussi aisément, grâce à ses sens hyper développés. Sans faire grand cas de sa nudité, le jeune homme gravit l'escalier le menant à l'étage et tourna à l'angle du couloir qu'il traversa dans la longueur en direction de la chambre inoccupée. Phoebe était prévisible. Il n'y avait que dans la chambre de sa mère qu'elle se sentait en sécurité, comme dans un sanctuaire. Mais elle ne pouvait pas se cacher de lui.
Shannon abaissa doucement la clenche et ouvrit la porte qui grinça sur ses gonds. Il faisait sombre mais cela n'était pas un problème. Il ajusta sa vision nocturne et sonda la pièce à la recherche de la jeune femme. Il pouvait sentir l'odeur de son gel douche par-dessus sa fragrance naturelle qui l'enivrait plus que de raison. Il huma l'air en relevant le nez, tel un animal à l'affût d'une proie. Il pouvait presque entendre les mâchoires de la jeune femme claquer, tant elle était terrorisée. Son cœur se serra à l'idée de lui faire tant de mal, mais elle devait comprendre.
Il avança dans la pièce et referma la porte derrière lui. Il fit encore un pas en direction de la commode de l'autre côté du lit, près de la fenêtre d'où la lune basse déversait sa lueur faiblarde. Là, dans le coin entre le mur et la commode, se tenait recroquevillée une toute petite chose à peine vivante, au cœur palpitant, aux yeux de biche suppliant. Shannon s'avança vers Phoebe et, s'accroupissant près d'elle, lui tendit une main large, paume vers le haut, la gratifiant d'un léger sourire. La jeune femme trembla de plus belle et se recroquevilla un peu plus contre le mur, cherchant à s'y fondre pour disparaître.
—Phoebe, viens avec moi, commença le jeune homme d'une voix douce, se voulant rassurant. Nous devons partir. Tu n'es plus en sécurité ici.
— Qui es-tu ? Je pensais te connaître... tu es... tu es un des leurs. Répondit la sirène, au bord de la crise cardiaque.
— Oui. Enfin non. Je suis une harpie, c'est vrai, mais je ne suis pas de leur côté. Je ne l'ai jamais été. Je ne te veux aucun mal, Phoebe. Je t'aime et je ne les laisserai pas t'emmener, tenta-t-il d'argumenter.
Il était crucial que la jeune femme reprenne confiance en elle-même et en lui, pour qu'il puisse la protéger. Si les harpies débarquaient maintenant, il ne pourrait pas faire grand-chose.
— Je me rappelle, Shannon... J'ai retrouvé les souvenirs de ma mère, de mon peuple. Il y a tant d'images dans ma tête... je vais exploser, je n'en peux plus...
— Je vais t'aider. Donne-moi ta main. Il faut partir. Maintenant ! la pressa-t-il. Mais Phoebe ne semblait pas décidée à bouger. Ou elle ne le pouvait pas. Elle reprit d'une voix suppliante, au bord des larmes.
— Je m'appelle Orëlaya, je suis princesse d'Atalantys. Je suis la clef qui mène à la cité engloutie. Je porte quelque chose en moi qui permet d'ouvrir le portail menant à Atalantys. On peut y accéder si on me tue et qu'on récupère ce qui se trouve dans mon corps.
— Je sais, ma belle. Mais ce n'est pas moi qu'il faut craindre. Je ne veux pas retourner à Atalantys, je n'y ai pas ma place. Les harpies ne sont plus les bienvenues...
— Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda-t-elle, soudain intéressée par cette partie de l'histoire qui demeurait cachée à sa mémoire. Shannon baissa la main qu'il tendait toujours à la jeune femme et s'assit devant elle dans ce coin sombre qui était devenu le lieu de leurs confidences. Il était toujours nu comme un ver, mais aucun des deux ne semblaient dérangés par cela.
— Je ne connais pas les détails, mais de ce que je sais, les harpies viendraient d'Atalantys, tout comme les sirènes. Nous sommes originaires du même peuple, de la surface, et je ne sais pas pourquoi, nous avons évolué différemment. Certains sont devenus des sirènes, d'autres des harpies. Et nous nous faisons la guerre depuis des millénaires. Mais ça n'a plus d'importance aujourd'hui. Tu dois rentrer chez toi. Tu dois vivre, Phoebe... ou Orëlaya, ou qui que tu sois. Si tu meurs, toute vie sur terre disparaîtra. Tu es la clef qui mène à Atalantys, et plus encore.
Shannon passa encore beaucoup de temps à raconter à Phoebe ce qu'il savait sur Atalantys, les sirènes et les harpies, sous l'oreille attentive de la jeune femme qui buvait ses paroles dans un silence religieux. Toute urgence de partir semblait avoir disparu dans l'esprit du jeune homme, remplacée par celle de mettre la jeune femme au courant de tout ce qu'il savait, afin qu'elle possède tous les éléments. Au fil des heures qui passaient, ils s'étaient levés pour aller se blottir ensemble sous la couette. Rassurée sur les désirs de son compagnon, la jeune femme ne le craignait pas et se sentait même rassurée dans ses bras. Ils finirent par ne plus parler pour s'embrasser et laisser leurs mains parler à leur place. Ils firent l'amour longuement avant de s'endormir enlacés, leurs âmes apaisées et repues, pour le moment.
*****
Il se passa plusieurs jours avant que Shannon n'ait des nouvelles de sa cousine. Phoebe avait remarqué l'inquiétude de son compagnon, et avait bien tenté de savoir ce qui le tracassait autant. Mais elle avait laissé tombée quand à sa troisième tentative, le regard du jeune homme était devenu noir de rage, déclenché par l'angoisse de la situation. Ils étaient dans la cuisine, se préparant un dîner en amoureux, plateau repas en prévision d'une soirée devant la télévision, quand le téléphone de Shannon sonna. La voix de Sage lui parvint lointaine, et rauque, alors que Phoebe rentrait en transe, les mains à plat sur le plan de travail, ses iris habituellement bleu devenus tellement clairs qu'ils en étaient translucides.
— Sage, je te rappelle, lâcha Shannon à la volée en reposant le téléphone sur la paillasse et se précipitant pour rattraper le corps de Phoebe qui s'effondrait. Elle reprit conscience à peine une seconde après, dans les bras de son compagnon au visage livide.
— Qu'as-tu vu ? demanda-t-il, visiblement inquiet.
La jeune femme lui sourit, navrée, et posa une main sur la joue rugueuse de la harpie.
— Ils sont là, dit-elle simplement.
Il l'aida à se relever et se rendirent ensemble dans le vestibule. Shannon ouvrit la porte de la maison et le couple assista à un spectacle peu commun. Sage était là, au milieu de la cour gravillonnée, les ailes et la tête basse, les épaules voûtées. A sa droite se tenait une autre Harpie un peu plus grande qui semblait la contrôler. Phoebe sut, grâce à ses nouvelles facultés qu'il s'agissait de Devon. Elle comprenait bien des choses à présent, sur ce qui s'était passé plus d'un an auparavant. Devon avait essayé de la tuer. Pourquoi n'avait-il pas été au bout, là était la question. Elle ne tenait pas vraiment à le savoir en réalité. De l'autre côté de Devon atterrit deux autres harpies, Phoebe reconnaissant Kristopher et Jocelyn dans leurs atours de créatures démoniaques. Rien ne l'étonnait plus vraiment. Elle serra ses doigts autour de ceux de Shannon qui soupira.
— Ils sont venus te chercher.
— Ils sont venus te tuer pour me prendre. Et me tuer ensuite selon un rituel ancien. Avoua calmement la sirène.
— Comment le sais-tu ? demanda le jeune homme, surpris.
—Je l'ai vu. Répondit-elle, sereine.
Devon poussa Sage en avant et s'adressa aux humains par des cris reconnaissables. Shannon n'eut aucun mal à le comprendre de par leur nature commune, mais il se demanda comme Phoebe pouvait le comprendre. Il allait commencer à traduire quand la jeune femme l'arrêta d'une main levée devant lui. Apparemment, elle comprenait parfaitement. Elle lâcha la main de Shannon qui ne put la retenir quand elle s'élança hors de la maison sur le perron. Elle s'arrêta en haut des marches de pierres et toisa le petit groupe de harpies menaçantes.
— Ne donne pas à d'autres la mission que tu dois accomplir, Devon. Viens me chercher toi-même. Et tue-moi, cette fois.
— Te tuer ? répliqua l'intéressé. Non... pas maintenant. Lui d'abord. Sage, à toi de jouer. Intima-t-il à la jeune harpie. Celle-ci se tordit le cou, penchant la tête sur le côté, comme pour lutter contre une douleur dans la nuque. Son visage déformé grimaçait de douleur, alors qu'elle luttait contre l'ordre qu'on lui donnait. TUE-LE ! MAINTENANT ! ordonna de nouveau Devon en la poussant en avant. Sage trébucha et Phoebe se prit de pitié pour la cousine de Shannon en proie à un dilemme atroce. Elle luttait de toutes ses forces pour ne pas obéir, mais son instinct si longtemps réprimé était fort et difficile à combattre. Elle fit un pas hésitant, puis un autre en direction de la maison. Devon sourit, satisfait. Sage continuait d'avancer ainsi, luttant toujours contre l'ordre donné, essayant de se griffer pour se tuer plutôt que de blesser ceux qu'elle aimait. Elle rejetait parfois la tête en arrière, son visage tuméfié, de chair en décomposition, tordu par la douleur que la désobéissance lui prodiguait.
— Vas-t'en... souffla-t-elle dans un gémissement à Phoebe en arrivant à sa hauteur. La jeune femme s'écarta pour la laisser passer, horrifiée par le spectacle auquel elle assistait. Elle ne pouvait rien faire et savait que Shannon pourrait se défendre. Celui-ci fit d'ailleurs un pas sur le perron, venant à la rencontre de sa cousine, un sourire triste sur les lèvres.
— Tu es plus forte que ça, Sage. Ne fais pas ça.
— Je ne... peux pas... résister.
— Bien sûr que si. Tu te débrouilles très bien. Continues à lutter. N'abandonne pas.
— Je n'y arr... arrive pas... je n'arrive pas à arrêter de... marcher... je vais te... blesser... vas-t'en et... emmène Orëlaya avec toi... je t'en prie...
—Shannon... ? fit Phoebe à quelques mètres, inquiète. Son regard allait de Sage aux trois Harpies qu'elle sentait impatientes d'agir. Il ne leur faudrait pas grand-chose pour passer à l'action et Phoebe aurait bien aimé vivre un peu plus longtemps. Si possible avec Shannon, et ses amis. Elle paniqua soudain en voyant un taxi se garer devant le portail d'entrée de la propriété. Captant son regard, Devon libéra Sage de son emprise qui tomba à genoux devant son cousin, et se tourna vers le portail en même temps que Kris et Jocelyn. Celle-ci cracha de rage et s'envola prestement pour atterrire de l'autre côté de la grille en fer forgée. Elle attrapa par le col les deux intrus surpris et les emmena avec elle dans les airs pour revenir dans l'enceinte de la propriété, en les balançant sans ménagement aux pieds de Kris. Le chauffeur de taxi était reparti en faisant crisser les pneus et Phoebe sentit son estomac se contracter. Les choses se compliquaient et un drame allait survenir avant la fin de la journée.
Kristopher attrapa Rafael par le cou dans une de ses mains griffues et le souleva de terre sans le moindre effort. Le jeune homme écarquillait les yeux, sans vraiment comprendre ce qui lui arrivait. Ses mains à la peau mate tentaient de desserrer les doigts de la créature pour respirer mais l'air lui manqua bientôt. Le chef des harpies dardait son regard sur la sirène, un sourire carnassier sur les lèvres.
— A toi de décider, déclara-t-il d'une voix forte, tenant Rafael à bout de bras. Tu viens avec nous et il vit... ou il meurt.
— Ne lui fait pas de mal, je t'en prie ! cria la jeune femme, désespérée.
—Phoebe... souffla Shannon. Ne bouge pas.
—Mais c'est... je ne peux pas rester là à regarder mes amis mourir. Dit-elle, la voix tremblante.
—Ne bouge pas, s'il te plait... fais-moi confiance.
A ses côtés, Sage semblait avoir pleinement retrouvée le contrôle d'elle-même et faisait demi-tour. Devon grimaça de colère et s'avança vers sa compagne d'un pas franc, bien décidé à lui mettre la raclée de sa vie. Sage s'élança plus rapidement et lui fonça dessus à une vitesse vertigineuse, décollant du sol de quelques mètres déployant ses ailes pour plus de vélocité. Leurs corps massifs se percutèrent provoquant un grondement sourd digne d'un coup de tonnerre. Devon atterrit sur ses pattes arrière devant les marches menant au perron. Sage s'écroula derrière lui dans une gerbe de graviers, s'empêtrant dans ses ailes. Le temps semblait s'être suspendu pendant un moment. Soudain Phoebe vit le sang former une marre sous le corps inerte de la jeune femme. Sa gorge se serra et une larme roula sur sa joue. Ce qu'elle avait vu commençait à s'accomplir. Aussitôt elle se tourna vers Shannon et se jeta sur lui pour l'empêcher d'y aller. Mais il avait plus de force qu'elle et il venait d'assister à la mort de celle qu'il considérait comme sa sœur.
Il bouscula la sirène sans ménagement qui se rattrapa au pilier de pierres derrière elle. Il s'élança sur le haut des marches et en atterrissant en bas de l'escalier de pierres, ce n'était plus un homme en jean et chemise déboutonnée qui se tenait devant Devon, mais une harpie enragée. Il déploya ses ailes noires de chaque côté et poussa un cri si puissant en direction des harpies que Phoebe se boucha les oreilles.
Kris relâcha Rafael, et Jocelyn libéra Holly, pour se concentrer sur Shannon. Les deux humains se remirent sur leurs pieds tant bien que mal et contournèrent la scène fantastique pour aller se réfugier dans la maison, sous les gestes frénétique d'invitation de Phoebe. Elle ne répondit pas à leurs questions, ferma la porte derrière eux et passa sa main sur la serrure. Une lueur bleutée se répandit sur la porte. La demeure était verrouillée et aucun être surnaturel ne pourrait y entrer tant qu'elle était en vie, ou qu'elle rompt le charme.
*****
Shannon se tenait debout au milieu des trois harpies qui formaient un cercle et tournaient autour de lui. Il posait son regard noir sur chacune d'entre elles, tour à tour, tournant sa tête par-dessus son épaule pour ne jamais les quitter du regard quand l'une d'elle passait dans son dos. Il tenait ses bras squelettiques terminés par des griffes vénéneuses, de chaque côté de son corps, genoux pliés, prêt à s'envoler au besoin. Il était en colère et il était terrifié parce qu'il ne s'était jamais battu de sa vie, qu'il n'avait jamais chassé et que les rares fois où il s'était transformé c'était pour sauver sa vie, ou veiller sur Phoebe. Il n'avait de Harpie que l'apparence et se demandait bien pourquoi il avait eu le malheur de naître ainsi et non un simple humain. Tout ce qu'il voulait c'était d'être normal, et vivre une vie normale avec la femme qu'il aimait. Avoir des enfants et les regarder grandir.
Son regard fut soudain attiré par un mouvement près de la maison. Phoebe était en train de descendre les marches et gardait Devon en respect grâce à un pouvoir qu'elle venait sans doute de se découvrir. Elle avait créé un bouclier grâce à l'eau puisé dans le lac à côté de la maison. Devon s'attaquait à cet écran qui reflétait les lumières du soir tombant. Trop concentré sur la scène Shannon ne vit pas arriver la masse sur sa droite. Kristopher se jeta sur lui et l'emmena dans sa chute, dans un plaquage digne d'un joueur de rugby. Ils atterrirent tous les deux, s'emmêlant ailes, pattes et griffes dans un balai de muscles et de sang, alors que Jocelyn venait en renfort à Devon pour attraper Phoebe.
—Tu ne pourras pas nous échapper ma jolie, tu sais ça ?
—Je vous résisterai aussi longtemps que je le pourrai.
—C'est ça... parce que tu penses que ton petit copain pourra venir à ta rescousse, hein ? Laisse-moi te dire une chose ma belle. Shannon ne viendra pas. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'il est faible. Il a toujours refusé sa nature profonde, il s'est battu contre ses instincts.
—Sage aussi était faible, c'est ça, Devon, hein ? Et tu l'as tué parce qu'elle te résistait. Alors tu vas me tuer aussi, parce que tu ne supportes pas qu'une femme te résiste.
—Je vais te tuer parce qu'en toi réside la...
—La clef pour Atalantys, je sais. Tu ne sais même pas quelle partie de moi il te faut. Comment sais-tu si c'est mon cœur, mon œil, ou mes empreintes qu'il te faut ? Et s'il fallait que je sois en vie pour que ça fonctionne ? Si tu me tues, peut-être ne retourneras-tu jamais à Atalantys. Comment être sûr que tu ne mourras pas en allant là-bas, hm ? Si certains ont muté en sirène pour pouvoir y vivre, et d'autres en harpie bannies à jamais, c'est qu'il y a une raison, tu ne crois pas ?
—Assez parlé ! s'écria Jocelyn qui perdait patience. Tu mourras ce soir ou demain, mais tu vas venir avec nous, et tu mourras, tôt ou tard !
Elle s'élança d'un bond et traversa le bouclier d'eau, profitant de ce que la sirène était déconcentrée pour l'attaquer. Devon s'envola à son tour et allait rejoindre Jocelyn quand il reçut une pierre dans la tête. Secouant la tête pour retrouver ses esprits, il se tourna dans la direction d'où venait la pierre et vit Shannon debout dans l'allée près d'un jardin zen entouré de caillasses de taille moyenne. Il s'élança vers Devon, échappant de peu à une nouvelle prise de Kristopher qui se relevait après un combat apparemment plus difficile qu'il ne le pensait. Tout air cynique et amusé avait disparu de son visage et son cri puissant retentit dans toute la cour quand il cria en direction des deux autres harpies.
— Attrapez-les et apportez-moi leur tête ou je vous couperai la vôtre, espèces d'incapables !
Devon réceptionna Shannon entre ses bras et ils allèrent s'écraser contre la façade de la maison. Ils se battirent ainsi pendant de longues minutes, se griffant, s'envoyant des coups de pattes, de poings et d'ailes au point de se blesser sérieusement.
Phoebe quant à elle était totalement enveloppée d'une bulle d'eau gigantesque avec Jocelyn qu'elle tentait de noyer. La harpie essayait de toucher la jeune femme de ses griffes pour l'empoisonner mais ses mouvements étaient ralentis par l'eau et Phoebe se reculait un peu plus à chaque mouvement, ses cheveux devenus totalement dorés flottant au gré de ses mouvements. Quand Jocelyn commença à manquer d'air, elle s'attaqua, paniquée, à la paroi aqueuse pour en sortir. Sans succès. Son corps tressauta plusieurs fois, sa gueule rejeta des bulles d'air que ses poumons ne pouvaient plus retenir, ses yeux écarquillés semblaient appeler son amant à l'aide. Celui-ci ne fit que la regarder à travers le rideau d'eau, impassible. Il la vit rendre son dernier souffle, son corps décharné se laissant couler au fond de la bulle pour finalement le pénétrer sans effort et s'écrouler, trempée sur les graviers de l'allée. Kris tourna alors son regard vers la sirène qui était en train de se transformer. Ses jambes semblaient se souder entre elles et sa peau se couvrait d'écailles luisantes aux couleurs miroitantes. Ses yeux prirent la même couleur et elle ne supportait plus le contact du tissu de sa chemise sur ses épaules. Elle l'ôta prestement libérant son corps des derniers artifices qui la rendaient humaines un peu plus tôt. Kris sourit carnassier, ravi du spectacle qu'offrait le corps nu de la sirène enfin révélée. Il semblait content de lui et Orëlaya se sentit soudain mal à l'aise. Kris fit un pas dans sa direction et leva une main griffue dans sa direction. La sirène se pensait protégée, bien à l'abri dans sa bulle, dans son élément. Mais la harpie avança dangereusement ses griffes en direction de la bulle et, sans que la sirène ne comprenne comment, les griffes transpercèrent le bouclier d'eau sans le moindre effort. Surprise, elle se laissa attraper sans se débattre. Kris l'attrapa, comme il l'avait fait avec Rafael un peu plus tôt et serra la gorge de la sirène sans ménagement. La bulle d'eau éclata, déversant son contenu dans l'allée. La queue de la créature marine tomba mollement sur les graviers. Le visage de la princesse commençait à devenir violet, dû au manque d'oxygène.
Kris perçut le cri de désespoir de Shannon au loin et sourit de plus belle, satisfait. Il allait enfin obtenir ce qu'il était venu chercher, ce pourquoi il était là depuis tant d'années. Il baissa le regard vers la poitrine de la sirène bientôt évanouie et vit, à travers la peau tellement pâle qu'on voyait presque au travers, le cœur palpitant de la créature. Il n'avait qu'à tendre la main, enfoncer ses griffes dans la chair, écarter les côtes et arracher l'organe de vie. Il était sur le point de le faire quand un grand fracas retentit sur sa droite. La porte de la maison venait de voler en éclat. Une créature aux multiples tentacules en sortit, collant ses ventouses sur tout ce qui était à sa portée. Un tentacule énorme s'abattit sur Devon qui était sur le point de trancher la gorge de Shannon, lui sauvant la vie. Le chef des harpies était désormais seul face au kraken et la rage l'emporta. Il relâcha la princesse Atalante, son corps s'écrasant mollement au sol. La harpie s'envola haut dans le ciel et dans un puissant cri, elle se laissa tomber en piqué sur le kraken. Soudain une gueule géante apparu au centre des tentacules et s'éleva à la rencontre de la harpie imposante.
Elle n'en fit qu'une bouchée, faisant craquer les os sous ses dents puissantes.
Holly sortit en courant de la maison, un couteau de cuisine dans une main, une passoire retournée dans l'autre, et poussant un cri de rage digne des plus grandes guerrières. Le spectacle était ridicule mais personne n'était là pour en rire. Elle jeta ses ustensiles inutiles en voyant le corps de son meilleur ami inerte près de la fontaine au centre de l'allée. Shannon était redevenu humain et était nu sur les graviers, son corps meurtri en plusieurs endroits, se vidant de son sang. Son visage était déjà devenu si pâle que la jeune femme prit peur. Elle appela les urgences ne sachant trop quoi faire.
Un peu plus loin, le kraken souleva délicatement la sirène avec un tentacule et la porta jusqu'au lac. Le corps flotta un moment sans vie, puis soudain la créature cracha et toussa, reprenant son souffle. Le visage de Phoebe redevint rose et sa queue remua pour la maintenir à la surface. Le corps de Rafael d'où partaient les multiples tentacules apparu alors sur la berge du lac.
— Alors, on fait un petit somme pendant que ses amis se batte pour sa vie ?
— Rafael ? s'exclama la sirène, comprenant soudain pourquoi Devon n'avait pas pu la tuer l'année passée. Les harpies étaient impuissantes face au kraken, qui avait pour unique vocation de protéger Atalantys et ses habitants, particulièrement sa reine.
Le jeune homme s'inclina devant la sirène et se mit à rire quand soudain il perçut la détresse de Holly.
Phoebe chercha à sortir de l'eau, mais désormais transformée, elle était impuissante sur la terre ferme. Rafael la prit dans un tentacule et l'emmena avec lui. Il la déposa près de Shannon.
— Vous devez partir tous les deux, dit Holly en reniflant bruyamment. J'ai appelé les secours, ils vont bientôt arriver. Partez. Allez !
Phoebe n'était pas décidée à laisser l'amour de sa vie mourir ici, mais Rafael était plus fort qu'elle désormais, et ils avaient tous les deux besoins de l'eau pour survivre. Le kraken sortit de la propriété et alla jusqu'à la baie pour se jeter ainsi que la sirène à l'eau. Ils disparurent dans les eaux profondes de la marina et on ne les revit plus avant un long moment.
Les sirènes des ambulances retentirent bientôt dans le quartier. Holly refusa de laisser Shannon quand on l'emmena et elle resta avec lui, n'acceptant de le quitter quand lorsque les médecins emmenèrent le jeune homme au bloc pour tenter de lui sauver la vie. Quand elle s'installa dans le fauteuil près du lit de Shannon dans le coma, et que les médecins ne pensaient pas qu'il se réveillerait un jour, elle se jura de ne plus jamais le laisser et de toujours être à ses côtés, jusqu'au jour où il ouvrirait les yeux à nouveau.