Le problème, c'est que Chloé n'était pas décidée à me laisser dormir. Elle se tourna vers moi, mis sa main sur mon bras et me caressa la peau avec son pouce.
- Pourquoi tu m'as ramenée ?
- T'étais limite en train de te faire violer, Chlo'.
- Et alors ?
- Me dis pas que tu m'aurais pas incendié le lendemain si j'avais laissé faire ça. Et puis, il était moche.
- Je vois pas pourquoi tu aurais le droit de te taper quelqu'un, et moi pas.
- Quoi ?
Je me redressai pour la regarder. Elle ouvrit les yeux avec difficulté.
- Je t'ai vue avec ce type. Tu l'as embrassé.
- Déjà, c'est lui qui m'as embrassée, je ne lui ai rien demandé. Et on en est resté là.
- Désolée.
- Désolée de quoi ?
- D'avoir gâché ton plan cul.
- Mais je ne voulais pas coucher avec ! Il m'intéresse même pas.
Ce qui était faux. Mais je ne pensais pas que Chloé apprécierait ce dernier point. Elle grogna, et je posai de nouveau la tête sur l'oreiller.
- Dis, tu le connais le mec ?
- Ouais, il fait tout le temps des soirées. Pourquoi ?
- T'avais l'air dépitée quand tu m'as vue l'embrasser. T'as eu des sentiments pour lui ?
- Non.
- Alors pourquoi t'étais si dégoûtée ? Pourquoi t'es partie te bourrer la gueule après ça ?
- Je sais pas. Je m'inquiétais pour toi.
- Et alors ?
- J'essayais de noyer l'inquiétude.
- Pourquoi est-ce que tu t'inquiétais autant ? J'veux dire, j'étais même pas bourrée.
Elle ne répondit pas. Son bras pesa un peu plus de poids sur le mien, elle s'était endormie. Je l'attirai doucement vers moi pour ne pas la réveiller, et lui caressais les cheveux, les yeux rivés sur le plafond. Je n'arrivais pas vraiment à comprendre ce qui s'était passé ce soir-là. Je soupirai, et fermai les yeux.
Le lendemain, je me réveillai en sursaut en entendant une douche s'actionner. Merde, ils pourraient faire des parois plus épaisses, non ? Je me passerais bien d'entendre les voisins se laver. Je me levai pour aller ouvrir les volets mais trébuchais sur quelque chose et manquais de tomber par terre. Je restais sans bouger quelques instants pour que mes yeux s'habituent à l'obscurité, puis je traversai la chambre sans encombre jusqu'à la fenêtre. Soit je m'étais faite cambrioler dans la nuit, soit je n'étais pas chez moi.
Le soleil m'aveugla les yeux. Tiens, la vue a changé... Je me tournai, et compris tout de suite. Des photos collées aux murs m'indiquaient que j'étais chez Chloé. Gênée, je m'assis sur le lit, essayant de me souvenir de la soirée. Je repris rapidement mes esprits. J'espérais que Chloé se souviendrait de la soirée, pour qu'elle puisse m'expliquer ce qu'il s'était passé quand elle m'a vue avec Steve. L'eau de la douche s'arrêta et quelques secondes après, Chloé sortait en serviette de bain. Je la fixai avec les yeux arrondis, puis détournai le regard, mal à l'aise.
- Salut, dit-elle. Tu veux utiliser la douche ?
- Non, ça va aller, merci.
- Comme tu veux.
Elle s'approcha du placard et fit tomber sa serviette. Dieu merci, elle avait pensé à enfiler un boxer dans la salle de bains. Je ne pouvais pourtant m'empêcher de faire parcourir mes yeux le long de son corps, m'attardant sur le relief de ses hanches et de son dos, puis de ses épaules. Elle s'habilla d'un jean slim et d'un t-shirt à manches courtes. Elle se tourna vers moi et me demanda ce que je voulais manger.
- De l'eau, répondis-je d'une voix blanche.
- Gueule de bois ?
- Même pas.
Elle remplit un verre et me le porta, puis elle s'assit à côté de moi et me regarda boire, ce qui était assez gênant.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- J'essayais de trouver une façon pas trop glauque pour te remercier de m'avoir prêté tes chaussures hier soir. Aussi de m'avoir sauvé des mains baladeuses d'un mec louche.
- Oh, c'est rien. Le plus dur a été de te déshabiller.
- Comment ça ? Mon beau corps ne t'a pas plu ?
- Pas dans ces conditions.
Je lui fis un clin d'oeil et elle sourit. Ses cheveux roux étaient trempés et lui dégoulinaient dans le dos. Ça n'avait pas l'air de la déranger. Bizarre.
- Je peux te poser une question ?
- Oui ?
- Je te l'ai déjà posée hier soir, mais je crois que tu étais trop défoncée pour réfléchir.
- Vas-y.
- Pourquoi ça t'a autant déplu que Steve m'ait embrassée ?
Chloé a tourné la tête et haussé les épaules, et je l'ai vue rougir. Elle n'a pas répondu. Je finis mon verre d'eau en silence.
- Bon. Je ferais mieux de te laisser, alors.
Je me levai.
- Non ! Thalia je suis désolée.
- Hé, y'a pas d'mal. Juste que t'as une sale gueule de bois et qu'il vaut mieux te laisser décuver dans ton coin. Tu me parleras quand t'en auras envie. Salut.
Quelque chose se brisa dans son regard, mais c'était sûrement la fatigue. Je sortis de sa chambre et dévalai les escaliers pour traverser la rue. Je m'arrêtai à une pharmacie prendre des anti-douleurs car en vérité, ma tête me faisait atrocement mal. Je rentrai ensuite dans ma chambre U, avalai un cachet et filai sous la douche.
Lorsque j'en sortis, il était presque midi. Je ne savais pas à quelle heure j'avais quitté l'appart de Chloé, mais j'avais du passer une bonne vingtaine de minutes sous l'eau. Je décidai d'avoir la flemme et j'enfilai mon pyjama, c'est-à-dire le t-shirt large, et rejoignis mon lit avec un sandwich au poulet. Je n'avais pas envie de cuisiner, pas envie de sortir, je voulais juste rester au calme. Et j'avais soif. Très soif. Je bus à même la bouteille, de toute façon, j'habitais seule, non ?
Je saisis mon téléphone pour faire un tour sur les réseaux sociaux. Cinq demandes d'amitié : Aubrey, Laura, Steve, Zack et Chloé. Je les acceptai et fis un tour sur le profil de Chloé. Sur sa photo de profil, Chloé était à tomber par terre. Ses yeux bleus ressortaient sur le cliché, et elle souriait de son air si pur et réconfortant. Je mis un pouce bleu et quittai l'application.
J'hésitais entre lire un peu, regarder une série ou dormir. Mon livre et mon ordinateur étant rangés dans l'armoire, à l'entrée, je décidai de faire une sieste.
Je fus réveillée par le vibrement de mon téléphone sur le carrelage. Je le pris dans mes mains, maladroitement, et regardai qui pouvait bien m'appeler en plein milieu de l'après-midi. Ce qui, en fait, n'avait rien d'anormal. Le nom de Chloé s'affichait et je décrochai.
- Allo ?
- Salut, je peux venir te voir ?
- Attends, tu pleures ?
- Thalia, je peux oui ou non ?
- Oui, bien sûr. Mais qu'est-ce qu'il se passe ?
- Quel bâtiment ?
- Le C. Sonne au numéro 17 du troisième étage, je t'ouvrirai la porte, et t'auras qu'à monter.
- Ok.
Elle raccrocha. Je fis les quatre-cent pas dans la pièce en attendant d'entendre la sonnerie de la porte d'entrée. Qu'est-ce qui pouvait lui prendre autant de temps ? Finalement, la clochette stridente envahi mes oreilles. "C'est Ch.. Chloé." j'appuyai sur le bouton pour déverrouiller la porte. Je me remis à marcher de long en large dans la pièce en attendant qu'elle atteigne ma chambre. Deux coups furent tapés à la porte et je l'ouvris d'un coup sec.
Chloé, en larmes, se jeta dans mes bras. J'étais atrocement mal à l'aise, je ne savais pas ce que j'étais censée faire. Je la serrai contre moi et sentais son corps se soulever au rythme de ses sanglots.
- Hé... Qu'est-ce qu'il se passe Chlo' ? chuchotai-je.
Pour toute réponse, elle me serra plus fort contre elle. J'avais envie de fermer la porte, mais je ne pouvais pas bouger. Je passais la main dans son dos, c'est ce que les gens font, dans les films. Mais on n'était pas dans un film, et Chloé ne se calmait pas. Je sentais son petit corps tout fragile entre mes bras, et je ne savais même pas quoi faire. Elle s'étouffa dans ses larmes. Je m'échappai de son étreinte, fermai la porte et remplis un verre d'eau pour le lui donner. Elle eut un peu de mal à le porter à ses lèvres tant ses mains tremblaient, mais elle finit par boire et ça l'aida à se calmer.
- Tu sais si t'as pas envie de parler, on peut juste s'allonger et regarder un film, ou sortir, ou...
- Tu sais, à cette soirée... Le gars... Hier... Quand je me suis énervée...
- Oui ?
Ses larmes se mirent à couler de nouveau sur ses joues. Je lui posai une main sur l'épaule.
- Qu'est-ce qu'il y a Chlo' ?
- Je crois que je t'aime.