Confessions Infirmes

By SylvainDuCosmos

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Je suis handicapé. C'est pas drôle. Mais en fait... Si ! À travers mes Confessions Infirmes, je vais vous rac... More

1 # Quand on a la courante et qu'on ne peut pas courir
2 # Le coup de la panne
4 # L'handicapitaine de soirée
5 # Les boules de Noël
6 # A votre se(r)vice
7 # "Allez, tout le monde debout... Là-bas..."
8 # Le jour où je me suis fait « une Gourcuff »
9 # Eyes wide shut
10 # Jeune handicapé recherche une meuf mortelle
11 # Quand il faut régler la mire avant le tir
12 # L'école pour tous
13 # Normes énormes
14 # La mule
15 # Pot-pourri d'infirmes anecdotes
16 # Le professionnel
17 # Aussi forte qu'une fourmi
18 # Gallinacé
19 # Amsterdam...
20 # ... et ses dames
21 # 8 pattes vs 4 roues
22 # La fable du faible
23 # Quand on voit deux fois au lieu d'une
24 # Quand tu veux te faire beau mais que t'es polio
25 # « Pourquoi le monsieur il roule ? »
26 # Vacances à roulettes I - Nothing Toulouse !
27 # Vacances à roulettes II - Juppé, au s'cours !
28 # Vacances à roulettes III : Handicapé GO !
29 # Ces gens-là
30 # Tournicotis, photomaton !
31 # En plein deux dents !

3 # Fast and Furious : Wheelchair Drift

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By SylvainDuCosmos

Bonjour à vous, chers amis infirmes !

L'histoire que je vais vous raconter aujourd'hui est arrivée il y a environ 15 ans. Vous allez me dire « oh, ça date ! », ce à quoi je vous répondrai « old but gold ». Pour être encore plus précis, cette anecdote, je n'en ai pas été l'acteur mais plutôt le témoin. Oulala, ça fait beaucoup de changements... laissez-moi recontextualiser tout ça.

Au mois de novembre 2001, alors que je venais d'entrer au lycée, j'ai subi une intervention chirurgicale au pied gauche. Sans entrer dans les détails, c'était une opération très lourde qui impliquait un séjour dans un centre de rééducation intensive (que nous raccourcirons par CRI) pendant quatre mois. C'est durant ce laps de temps que j'ai pu faire la connaissance de nombreux handicapés tous aussi différents les uns que les autres, et pour la grande majorité, touchés bien plus lourdement que je ne l'étais. Cela m'a d'ailleurs fait relativiser énormément de choses, notamment sur ma condition physique et sur les concepts de chance et de malchance.

Avant tout, il y a une chose importante à préciser : j'avais énormément peur d'aller dans ce CRI, car alors que j'étais moi-même handicapé, j'avais une très mauvaise opinion de mes camarades aux pathologies bien souvent beaucoup plus contraignantes. À l'époque, je marchais encore sur mes deux jambes (bien que je boitais), et je me considérais comme étant très différent d'un mec en fauteuil électrique. J'étais simplement plus chanceux. Mais là où j'avais peur, c'est que je me disais que tous ces gens qui avaient d'énormes contraintes physiques ou matérielles seraient forcément ennuyeux à mourir et probablement dépressifs et malheureux. Si ce fut le cas pour certains, c'était loin de l'être pour la majorité. Et tant mieux, car cela a donné lieu à de superbes histoires, comme celle que je vais vous narrer maintenant que j'ai posé le cadre...

Nous sommes donc à la fin du mois de novembre 2001. J'ai le pied gauche dans le plâtre et l'interdiction absolue de m'appuyer dessus pour marcher, alors je suis cantonné à me déplacer avec un fauteuil manuel. Ma pathologie touche tous les muscles de mon corps, du coup mes bras ont du mal à me pousser sur ce bolide d'infirme. Mais bon, en aucun cas je n'ose me plaindre car la quasi-totalité de mes camarades du CRI sont dans des états bien plus invalidants : maladies de Charcot-Marie, tétraplégiques, graves accidentés de la route et j'en passe... c'est durant cette période que j'ai compris tout le sens de l'expression « au royaume des aveugles, le borgne est roi ». D'ailleurs, je suis souvent sollicité pour aider untel ou untel, par exemple pour allumer la télé fixée au mur (trop haut pour des gens constamment assis, mais à quoi pensent ceux qui les installent ?), ou encore tout simplement pour enfiler une chaussette. À ceux qui se le demandent : non, je n'ai jamais aidé une de mes camarades à enfiler ses sous-vêtements, ni à les enlever. Même si pour Emmanuelle j'aurais bien... enfin bref, passons !

L'ensemble des patients du CRI est constitué d'enfants ou d'adolescents, et nous suivons tous des cours, comme dans une école normale mais avec des interruptions médicales pour certains élèves. Le matin est réservé à la rééducation (kinésithérapie, balnéothérapie, etc) tandis que l'après-midi est voué à l'enseignement. À partir de 18 heures, c'est la libération pour tous, jusqu'au « couvre-feu de 22 heures ». La nuit, nous sommes tous au lit. Du moins, officiellement...

Comme dans toute communauté encadrée par des règles strictes, une organisation souterraine s'est établie (en tout cas elle existait déjà lorsque je suis arrivé) et donne lieu à des activités risquées (celui ou celle qui se fait attraper par le personnel de nuit peut être sûr de gagner une punition sous forme de retenue, et d'autres choses dans le genre dont on se passe bien quand on est ado), activités néanmoins vitales pour des jeunes rebelles assoiffés d'originalité et d'aventures.

La plupart du temps, nous ne faisons que nous réunir dans les chambres des autres, des chambres clés : il y a celles dotées d'un balcon essentiel aux fumeurs, celles des détenteurs de consoles de jeux vidéo... mais parfois, à la faveur d'une pulsion d'adrénaline, un événement particulier s'organise : en cet après-midi de fin novembre, la rumeur roule de fauteuil en fauteuil sur l'organisation d'une compétition la nuit même. Des détails ? Aucun. Des partants ? Beaucoup.

C'est le soir idéal, car les infirmiers de nuit sont constitués d'un couple qui ne pense qu'à s'attraper à tout bout de champ, d'un jeune qui comprend tout à fait que se coucher à 22 heures est tout sauf envisageable pour des adolescents, et d'une dame aussi proche de la retraite que professionnelle. Une seule infirmière à gérer, c'est largement faisable.

L'un de mes compagnons de chambre (nous sommes trois), prénommé Jamal, me parle de ce qui est censé avoir lieu ce soir. Aucune raison particulière, je pense qu'il m'aime bien, tout bêtement.

Désormais impliqué dans l'organisation de l'événement, j'en connais maintenant la quintessence : il s'agit d'une course de fauteuils, précisément entre deux personnes qui ne peuvent pas se blairer depuis une sombre histoire de triche sur Counter Strike. Ils se sont lancés un duel et l'ont tous les deux acceptés, derrière quoi Arthur et Jamal ont pris en charge l'élaboration de l'affrontement. Heure : minuit. Lieu : le long couloir du RDC qui traverse le CRI depuis l'accueil jusqu'à l'ascenseur pour les dortoirs.

À 19h30, Jamal et moi décidons de descendre à la cantine pour rejoindre Arthur. Nous nous frottons tous les trois les mains (enfin, Arthur essaye, avec ses pauvres bras de tétra) et piaffons d'impatience. Selon eux, tout est prêt. Il n'y a plus qu'à attendre...

Avant l'heure H, alors que le couvre-feu est déjà de rigueur, nous commençons à descendre, groupe par groupe (ascenseur oblige) pour nous réunir ensuite dans le hall d'accueil au RDC. À minuit pile, tout le monde est présent. Nous sommes une vingtaine de spectateurs et nous décidons de nous répartir tout le long du parcours. Certes, celui-ci ne fait pas plus qu'une centaine de mètres, mais pour nous, c'est l'Olympus Mons.

Les deux grands adversaires sont sur la ligne de départ. Les mains sur les courroies de leur fauteuil manuel, ils serrent les dents et se jettent des regards noirs. Il n'y a qu'une seule consigne : respecter un maximum le silence. Pas d'encouragement, pas d'insulte, pas d'acclamation. Pour pallier à cela, les plus créatifs ont carrément apporté des petits panneaux de carton et ont inscrit le nom de leur favori dessus, voir celui qu'ils souhaitent voir perdre suivi d'un « enculé ».

La tension monte, l'électricité remplace l'oxygène (peut-être s'échappe-t-elle des fauteuils électriques ?). Et c'est le top départ donné par Jamal.

Les deux rouleurs, que nous appellerons Prost et Schumacher, se propulsent à pleine puissance et ont déjà au bout de quelques secondes dépassé la ligne des 10 m. Cependant, Schumacher semble déjà à la peine et concède quelques décimètres à son adversaire, qui lui impose une cadence ahurissante d'environ 1,70 m par seconde. Mais Prost perd à son tour en force et le pilote teuton revient finalement à sa hauteur.

Le couloir est droit et assez large pour que les deux rouleurs soient au fauteuil à fauteuil sans danger. C'est alors que se pointe le premier danger du parcours. Le couloir est divisé en deux par une sorte de panneau d'affichage disposé le long du mur, mais avalant assez d'espace pour forcer les deux adversaires à passer en file indienne sous peine de carambolage. Mais ni Prost ni Schumacher ne veulent concéder le moindre centimètre.

Le panneau est à gauche du couloir, Schumacher au milieu et Prost à droite. Ce dernier, perfide, improvise une embardée volontaire et pousse son ennemi contre le mur, sans aucun fair-play. Il y va même de son coup de coude sur le bras de Schumacher qui, sous la douleur, lâche sa courroie et se fait distancer. Prost a gagné ce coup-ci, et les deux rouleurs passent le premier piège l'un après l'autre.

La route est parfaitement dégagée désormais, hormis la porte coupe-feu juste avant l'arrivée, maintenue ouverte par des spectateurs vaillants comme Michel. Schumacher s'enrage et passe en mode berserker et pousse de toutes ses forces, faisant retentir de terrifiants « couic couic » dans tout le couloir à cause de la sueur de ses mains sur les courroies. Ajoutez à cela les crissements des pneus qui crient et vous vous croyez à Magny-Cours.

Finalement, à quelques mètres de l'arrivée, les deux adversaires sont à la même hauteur. Ils ne se lâchent pas du regard, se défiant en permanence, si bien qu'aucun d'eux ne voit ce qu'il a devant lui.

C'est là que tout a basculé.

Prost et Schumacher s'engagent tous les deux dans l'espace ouvert des portes coupe-feu. Mais cet espace est plus petit que le couloir, si petit qu'il n'autorise pas les deux rouleurs à le traverser en même temps. Cependant, ils n'en ont rien à foutre, ils n'ont que la victoire en tête. Sans s'en rendre compte, ils se rapprochent l'un de l'autre. À ce moment-là, alors que la consigne du silence avait été plus ou moins bien respectée (quelques « gn'allez ! » s'étaient échappés), l'un des rouleurs pousse un énorme cri de douleur.

Il vient de se faire littéralement éclater les doigts entre la courroie de son fauteuil et celle de son adversaire. À pleine vitesse avec toute l'énergie dévouée à la victoire, imaginez la force de l'accident ! Mais cela ne s'arrête pas là...

Les deux personnes qui ouvraient la voie sont effrayées par le cri et relâchent les portes coupe-feu sur les pilotes. Non, ils n'ont pas eu le temps de passer, c'est une course d'infirmes, gardez ça en tête ! Les portes s'abattent sur eux si lourdement qu'ils tombent tous les deux à la renverse en gémissant. La force de fermeture des portes SI implacables qu'elle rejette les deux rouleurs et leur véhicule comme la mer rejette des algues sur la plage. Soyons clairs : je fais une « jolie » métaphore, mais le spectacle est pathétique.

Prost et Schumacher sont à terre et ne font que geindre de plus en plus fort, empêtrés dans leurs fauteuils, Schumacher avec les doigts en sang et Prost une jambe coincée dans les portes coupe-feu. Je ne peux m'empêcher de rire devant cette triste scène, mais je suis rapidement sorti de mes moqueries par mon instinct. Il y a beaucoup trop de bruit ici, cela va alerter quelqu'un. Nous essayons, Jamal Arthur et moi, de calmer les spectateurs hilares ou inquiets (enfin, il n'y en a pas beaucoup des comme ça), mais c'est trop tard : j'entends déjà la vieille infirmière dans les escaliers.

Figurez-vous des chats qui fuient un tsunami. Des chats éclopés et terriblement lents. Les Wachowski n'auraient pas eu besoin de leurs effets spéciaux pour créer des ralentis s'ils avaient tourné Matrix avec nous comme acteurs. Tout le monde tente de s'échapper, abandonnant les deux accidentés de la route à leurs malheurs. Chacun de nous se disperse, si bien qu'au final, petit à petit, nous parvenons à regagner nos chambres. La vieille infirmière est seule à pourchasser une vingtaine d'handicapés apeurés, et aussi lents que nous sommes, nous sommes trop nombreux. Au final, seul Prost, Schumacher, est l'un des abrutis qui a lâché une des portes coupe-feu seront arrêtés.

Après réflexion, nous n'aurions jamais dû faire ça. C'était dangereux et stupide. Prost a failli perdre un doigt ou deux dans cette histoire.

Mais bordel, qu'est-ce que c'était drôle...


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