Les Aigles du Mississippi : L...

By yphirendi

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Été 1815 Ange Guérin se rend auprès de Bonaparte alors que celui-ci est sur le point de quitter la France. L... More

Présentation
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3

Prologue

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By yphirendi

8 juillet – Rochefort.

Installé à la préfecture maritime dès son arrivée, Napoléon avait accordé une entrevue aux représentants des différentes forces militaires qui stationnaient dans les environs et lui avaient renouvelé leur fidélité. Il leur avait accordé ce dernier entretien avant d'embarquer à bord de la frégate La Saale. Il hésitait cependant. Depuis qu'il avait quitté la propriété de Malmaison, il ne pensait pas recevoir autant de marques d'attachement, voire de dévotion de la part du peuple qui continuait de crier « Vive l'empereur ! » sur son passage. Ces manifestations chaleureuses le faisaient douter. Tout autant que les hommes présents à cette entrevue et qui l'enjoignaient de ne pas renoncer à la lutte. Pourtant, lui-même regardait déjà vers l'Ouest et l'Amérique où il espérait vivre enfin en paix.

Assis au milieu des généraux qui palabraient sur les conditions d'un ultime revirement du destin, l'empereur déchu paraissait sombre. Il souffrait depuis quelques jours de cette cystite qui lui laissait de moins en moins de répit. Il se sentait las et de nouveau troublé, près, pour la première fois de sa vie, de renoncer. Le manque de sommeil, peut-être, ou bien le peu d'espoir que lui accordait la situation présente ajoutait à son manque d'entrain. Comme il venait de le dire quelques instants plus tôt, résister ne ferait qu'attiser la colère des ennemis de la France. Il ne pouvait pas... il ne devait pas tenter de nouvelle action d'éclat au risque de plonger le pays dans une guerre sanglante. Cette fois-ci, ni la Prusse ni l'Angleterre ne se montreraient cléments.

La défaite de Waterloo continuait de l'accabler : tous ces morts ! Il avait espéré mourir sur le champ de bataille, telle une victime propitiatoire sur l'autel de l'empire, afin de sauver l'héritage qu'il souhaitait léguer à ses enfants et aux enfants de la France. Ses hommes lui avaient refusé ce destin et à présent, ils bourdonnaient tous autour de lui, qui pour proposer une retraite vers les colonies, qui au contraire pour foncer sur Paris et damer le pion à Fouché et Talleyrand, les ennemis jurés.

Soudain, les grandes portes du salon de réception de la préfecture s'ouvrirent à la volée et un homme à bout de souffle annonça :

« Paris a capitulé ! Louis XVIII est aux Tuileries !

Le sang de Bonaparte ne fit qu'un tour. Il se leva d'un bond et se précipita vers Bonnefoux qui tenait à la main le journal qu'on venait de lui remettre. Il le lui arracha et l'envoya voler à travers la pièce, hors de lui.

« Majesté, s'exclama le général Becker, il faut partir. Embarquez dès à présent et ordonnez qu'on lève l'ancre avant qu'il ne soit trop tard !

— Fuir ? rétorqua Napoléon, outré.

— Les Royalistes vont se déchaîner, renchérit Las Cases, compagnon de toujours. S'ils vous trouvent, vous n'êtes même pas certain de regagner Paris. »

Ils pensaient sans doute à ce qui était arrivé à Louis XVI et les conséquences de son arrestation à Varennes.

« Sortez ! ordonna Napoléon. J'ai besoin de réfléchir.

— Oui, mais pas trop longtemps », entendit-il murmurer Savary. Le duc était pâle, visiblement inquiet. Même ses hommes commençaient à ne plus y croire. Alors pourquoi lutter ? Pourquoi ne parvenait-il pas à se résigner tout à fait ?

Il resta un long moment, seul, debout près de la fenêtre qui donnait sur une rue animée en ce milieu de matinée.

On frappa de nouveau à la porte. Intrigué qu'on puisse revenir sur un de ses commandements, Bonaparte lança un « Entrez ! » cassant. Ali, son fidèle serviteur, pencha la tête dans l'entrebâillement de la porte.

« Majesté... »

Napoléon eut un geste agacé. Que diable s'obstinait-il à l'appeler ainsi ?

« Un jeune homme voudrait vous voir.

— Et tu me déranges pour ça ?

— Il est porteur d'une lettre », insista Ali qui osa entrer et s'approcha afin de lui tendre une enveloppe. Napoléon frémit : il venait de reconnaître l'écriture.

« C'est impossible ! » jura-t-il en la décachetant en toute hâte avant de la lire. Le serviteur le vit blêmir.

« Où est-il ?

— Il attend en bas.

— Fais-le monter. Et ne laisse personne entrer après lui. »

Le domestique s'inclina avant de s'exécuter. Bonaparte chercha à se donner une contenance, alors que l'émotion l'étreignait. Il relut encore la missive dont il avait reconnu l'écriture. Par-delà la tombe...

Il n'alla pas au bout de sa pensée, car la porte s'ouvrit de nouveau et il vit entrer un jeune Créole d'une vingtaine d'années. Ses cheveux frisés de nègre avaient cette blondeur particulière des îles. Sa peau dorée et ses traits, sans être grossiers, trahissaient une origine africaine. Un descendant d'esclave, de ceux qu'on appelait là-bas un quarteron ou un octavon* ; il devait admettre qu'il s'y perdait et n'y avait jamais attaché beaucoup d'importance, même si Joséphine avait essayé plus d'une fois de lui expliquer les fondements de la société des Antilles, les unions qu'on y pratiquait parfois, l'engouement des métropolitains pour les esclaves ou les métisses. Ce n'était d'ailleurs ni la présence que dégageait ce jeune homme, ni ses vêtements froissés par un long voyage, ni le regard vert un peu inquiet qu'il affichait qui interpellèrent l'empereur. Tout tenait en réalité dans le contenu de cette lettre. Joséphine, son amour perdu, dont il avait espéré retrouver la présence à la Malmaison pour ne finalement qu'y goûter son absence, Joséphine lui avait demandé de faire confiance à cet inconnu.

« Majesté, s'inclina-t-il. Je me nomme Ange Guérin.

— C'est en effet ce que dit ce courrier. Comment êtes-vous entré en possession de cette lettre ?

— Mme de Beauharnais me l'a fait parvenir, ainsi qu'une autre missive, par une de ses amies, répondit le Créole d'une voix douce.

— Et vous ne me la donnez que maintenant ? s'étonna l'empereur, non sans une pointe de colère.

— C'est que... je n'y ai d'abord pas cru tout de suite et il m'a fallu du temps afin de réunir l'argent nécessaire au voyage. En vérité, Majesté, je n'ai débarqué qu'hier à La Rochelle et il m'a fallu toute la nuit avant d'arriver jusqu'ici en quémandant mon chemin. Je m'excuse d'ailleurs auprès de votre Majesté...

— Peu importe, peu importe, s'impatienta Bonaparte. Dans cette lettre, elle me parle d'une certaine Euphémia.

— Ma grand-mère, indiqua le jeune homme.

— Rafraîchissez-moi la mémoire...

—Quand Mme de Beauharnais était jeune, elle a consulté ma grand-mère, quimboiseuse réputée, pour connaître son avenir.

— Une quimboiseuse ? Qu'est-ce que cela ?

— Une sorcière, Majesté, souffla Guérin d'un air incertain.

— Et ? s'enquit sèchement le souverain.

— Euphémia lui aurait prédit qu'elle deviendrait plus que reine.

— Oh ! souffla Bonaparte. Sa prédiction était juste, admit-il en hochant gravement la tête.

— En effet.

— Et vous auriez vous aussi une prophétie à me révéler ? »

Sous les yeux de l'empereur, le Créole paraissait de plus en plus indécis. Pourtant, il brûlait de lui parler, cela se voyait. Sans doute cherchait-il un moyen de rendre ses révélations moins abruptes qu'elles ne s'annonçaient.

« On vous trahit, sire. À l'heure où je vous parle, on fait tout pour vous empêcher de quitter la France.

— Il en va de l'intérêt de mes ennemis, ce n'est guère difficile à deviner.

— On vous obligera à prendre une décision qui vous conduira à la mort.

— Rester aussi vague ne peut que me convaincre que vous êtes un charlatan, objecta Bonaparte. Joséphine aimait s'entourer de cartomanciennes et autres bonimenteurs, les sciences occultes la fascinaient. Pour ma part, j'y ai toujours vu un moyen peu honnête de soutirer de l'argent à des âmes torturées. Est-ce l'impression que je vous donne, Monsieur Guérin ?

— Non, Majesté ! se défendit le Créole.

— Alors soyez plus direct.

— Très bien. » Ange prit une grande inspiration. « Si vous montez à bord de la frégate, le commandant, partisan des royalistes, vous mentira en disant qu'il ne peut appareiller car une flotte anglaise croise au large de l'île d'Aix. »

Bonaparte considéra le jeune Créole d'un air perplexe. Si ce qu'il disait était vrai et qu'il arrivait à peine à Rochefort, comment pouvait-il connaître ses intentions ? À l'heure présente, Ali s'occupait tout juste de faire ses bagages.

« Bonnefoux nous a parlé en effet de deux frégates et trois autres vaisseaux de classe inférieure, concéda-t-il.

— En réalité, Majesté, annonça Ange avec plus de conviction, il n'y a qu'un seul navire : le HMS Bellérophon.

— Comment diable pouvez-vous savoir cela ? s'exclama Bonaparte.

— Parce que je vous ai vu monter à bord du vaisseau anglais et vous en remettre à la bonne volonté de son capitaine.

— Quoi ? rugit l'empereur, faisant sursauter le jeune homme.

— Ce n'est pas le pire, balbutia ce dernier. Vous croirez pouvoir faire confiance au capitaine, mais lorsque les Anglais vous auront arrêté, ils vous déporteront... beaucoup plus loin, cette fois-ci. Je vois une île très isolée et des conditions de détention humiliantes. Il ne suffira pas à vos ennemis de vous briser. Ils auront raison de vous. Vous ne survivrez pas longtemps à cet exil. »

Le regard peiné que lui adressa le jeune homme acheva de glacer Napoléon.

« Vous n'êtes qu'un fou, cingla-t-il.

— Je savais bien que vous diriez cela. Je ne peux vous prouver ma totale sincérité qu'en vous fournissant d'autres détails. Et j'attendrai votre verdict. Si vous ne me croyez pas, vous pourrez disposer de moi comme il vous plaira, acheva-t-il en se préparant à subir un terrible châtiment. Toutefois, si mes prévisions s'avèrent exactes, je vous révélerai le reste. En attendant d'en avoir le cœur net, je vous supplie, Majesté, de retarder votre embarquement. »

Le regard gris de l'empereur affronta celui, mordoré, du jeune Guérin. Bonaparte avait toujours eu un don pour juger les hommes et rien, dans l'attitude du Créole, ne trahissait la moindre duperie.

« Eh bien soit. Ali vous conduira en un endroit que vous ne devrez quitter sous aucun prétexte. Et je retarderai mon départ », ajouta-t-il après que le jeune homme eut hoché la tête.


* octavon : métisse ayant 1/8ème de sang Noir.

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