OCTAVIA
En ce beau jour de début février, un véritable miracle se produit : j'arrive en avance au lycée ! Décidément, mon père a raison en disant que Monsieur le Délégué a une bonne influence sur moi. Ce matin, son réveil n'a pas sonné, m'imposant la lourde tâche de me rendre au café toute seule pour prendre mon petit-déj. N'ayant aucune envie d'y rester sans Nath, je me suis dit que ce ne serait pas mal d'arriver un peu en avance au lycée pour reprendre mes cours.
Sauf qu'en entrant dans la salle d'histoire, j'y trouve Kim la catcheuse penchée sur ses cours, la tête entre les mains.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? je m'inquiète immédiatement.
– J'ai vraiment de sales notes en c'moment, répond-t-elle, désespérée. Ça commence à poser problème.
– C'est à dire ?
– La directrice a convoqué mes parents, j'ai essayé de me bouger pour qu'ça change mais il n'y a rien à faire, j'suis pas douée.
– Kim... C'est peut-être pas aussi dramatique que tu ne le pense, peut-être qu'il faut juste que quelqu'un prenne le temps de revoir les cours avec toi pour te les expliquer autrement. Et puis, t'es loin d'être bête.
– Je commence à avoir des doutes là-dessus.
– N'importe quoi ! je réplique. Tu n'as peut-être juste pas une bonne méthode de travail, et puis, rappelles-toi que ce ne sont pas les notes qui définissent qui tu es.
Je médite la question un instant avant de proposer :
– Je vais voir avec Nathaniel s'il peut pas t'aider. Quand je suis arrivée, si j'ai pas coulé c'est uniquement grâce à lui. Alors s'il a pu m'aider à rattraper six mois d'absence en cours, je suis sûre qu'il pourra te transformer en première de la classe !
– J'suis pas sûre... Puis j'ai pas spécialement envie de passer du temps avec lui. On vit sur deux planètes différentes.
– Justement ! C'est la diversité qui forge ce monde, peut-être que tu as besoin d'un intello dans ta vie, et peut-être que lui il a besoin d'une catcheuse dans la sienne... Je suis sûre que c'est le début d'une grande amitié entre vous !
– Si tu le dis... Mais je me vois vraiment pas aller lui demander de l'aide.
– T'inquiète, j'en fais mon affaire !
Je lui confie mes affaires et repars vers le couloir qui commence à se remplir, à la recherche de mon blondinet préféré. L'univers semble vouloir me donner un coup de pouce puisque je sens une main familière agripper la mienne et m'entraîner vers la salle des délégués. La porte se referme derrière moi et mon dos cogne contre celle-ci alors que les lèvres de Nathaniel rencontrent les miennes.
J'entends très vite un cliquetis qui attire mon attention. Je romps le baiser et baisse les yeux sur la serrure qu'il vient de tourner.
– Tu comptes me séquestrer là ? je m'étonnes.
– Ne me donne pas des idées... répond Nath avec un sourire en coin. Je veux juste m'assurer qu'on ne sera pas... dérangé.
Ah... Melody ! Celle qui a toujours le chic pour nous interrompre au mauvais moment. Je ne compte même plus le nombre de séances de bécotage qu'elle a interrompu en trois semaines.
Je pose mes mains dans son cou et l'embrasse à nouveau. Son corps se rapproche instinctivement du mien, comme attiré par celui-ci, son pouce se glisse sous ma blouse et caresse ma peau nue et la conversation de la veille avec Rosa me revient à l'esprit.
Cette fois, c'est lui qui rompt le baiser.
– Tu m'expliques comment tu fais pour penser à autre chose alors que je t'embrasse ? demande-t-il. Moi j'arrive à penser à rien d'autre qu'à toi, c'est un peu vexant.
– Désolée... je réponds d'un air contrarié. Tu sais, le TDAH... Et puis comment tu sais que je pense à autre chose ?
– Parce que je te connais, répond-t-il en déposant un baiser sur ma tempe avec de s'écarter de moi, sans néanmoins bouger ses mains. Bon, tu m'expliques ?
– C'est juste que... hier on a eu une conversation avec Rosa et... enfin, non, c'est ridicule...
– Si cela t'inquiète alors ce n'est pas rien, répond Nath en passant une main dans mes cheveux. Allez, raconte-moi tout.
Je me dégage de sa prise et commence à faire les cent pas mais il me stoppe d'un geste sûr en saisissant ma main. Les mains liées aux siennes, je n'ai d'autre choix que de lui faire face.
– Allez, avoue !
– C'est juste que... enfin elle m'a parlé de... tu sais, l'étape supérieure...
Nath pousse un soupire avant de baisser les yeux, gêné.
Je reprends :
– Je me demandais... Puisque tu as déjà eu quelques relations...
– Relation n'est pas vraiment le terme que j'utiliserais, me coupe-t-il.
– Je peux terminer ou tu veux continuer à parler sémantique ?
– Pardon.
– Bien... Du coup, est-ce que tu... Enfin... Est déjà passé à l'étape supérieure ?
Nathaniel semble méditer sa réponse, ce qui est plutôt mauvais signe.
– Nate... je reprends en posant mes mains en coupe sur son visage. Je pense qu'après tout ce qu'on a vécu, on est plus à une révélation près.
– J'aimerais te dire qu'il s'est rien passé, commence-t-il. Que j'ai été un parfait gentleman a attendre la fille de mes rêves mais ce serait faux. Oui, j'ai déjà...
– Avec... Enfin, c'est arrivé plusieurs fois ?
– Oui, confirme-t-il. La première c'était il y a un peu plus d'un an, on était des amis de longue date et on voulait tous les deux... voir ce que cela faisait. Ça a duré quelques semaines puis j'ai préféré tout arrêter parce que j'avais peur qu'elle... Enfin j'avais peur qu'elle ressente plus que ce qu'elle prétendait. La deuxième était une fille de terminale en début d'année dernière, quelques mois avant que tu arrives, je crois qu'aujourd'hui elle est partie à L.A. pour faire des études dans le cinéma. On s'entendait bien et on a commencé à sortir ensemble mais... Je n'ai... Je n'ai jamais ressenti quoi que ce soit, enfin je l'appréciais mais il n'y avait pas...
Il ne termine pas sa phrase.
– Je garde de bons souvenirs de mes anciennes relations, et je crois qu'elles aussi mais... reprend-t-il. Mais je n'ai jamais ressenti ce que toi tu me fais ressentir.
Je lui réponds par un sourire. Une part de moi est soulagée que nous ayons cette discussion, savoir qu'il n'a pas peur de me parler de ce genre de choses est rassurant. Cela signifie qu'il me fait suffisamment confiance pour ne pas avoir peur de ma réaction.
– Et toi... Tu...
J'hoche la tête d'un signe négatif.
– J'ai eu quelques copains dans mon ancien lycée mais la plupart étaient juste des loosers qui pensaient plus à leur console qu'à moi, je réponds. Enfin, il y avait bien Tony, je l'aimais vraiment bien et ouais, j'ai commencé à l'envisager et puis...
Je baisse la tête, incapable de mettre des mots sur ce qu'il s'est passé ensuite.
– C'est pour ça que je n'ai pas lancé ce sujet avant, reprend Nath. Je ne voulais pas... enfin que tu te sentes forcée de faire quoi que ce soit.
– Et moi je veux pas que tu aies à craindre ça.
– C'est pas le cas, répond-t-il avec une détermination sans faille. Je suis prêt à attendre le temps qu'il faut, à t'entendre me dire ce que j'ai le droit de faire, ce que je n'ai pas le droit de faire. Donne-moi tes limites et tout se passera bien.
Comment fait-il pour être aussi confiant ? Je suis absolument terrifiée par ce qu'il pourrait arriver, ou ne pas arriver. Il y a trois semaines, il était aussi effrayé que moi et aujourd'hui, il est... sûr de lui.
– Et si je... et si je connais pas mes limites ?
Ses doigts effleurent ma joue alors qu'il répond avec douceur :
– Et bien on les découvrira ensemble.
Mais comment fait-il pour toujours trouver les mots justes ?
– Quand tu dis que tu ne connais pas tes limites, reprend-t-il. Est-ce que tu... enfin les as-tu tester par toi-même ?
Je fronce les sourcils avant d'écarquiller les yeux en comprenant son insinuation. Je me sens rougir et détourne les yeux.
– Jamais ? s'étonne-t-il.
– Bien sûr que non ! je m'exclame. C'est... enfin, c'est... Beurk !
Je grimace et Nath se met à rire. Puis il pose une main dans mon cou et m'attire à lui pour me donner un baiser vertigineux.
– Cela n'a rien de "beurk", souffle-t-il contre mes lèvres.
Il repose ses lèvres sur les miennes et je fais malgré-moi un pas en arrière, me cognant à la table centrale. Ses mains glissent le long de mon corps, me faisant frissonner, et passent derrière mes cuisses pour me soulever légèrement et me déposer sur la table. Je pose mes mains sur son cou et mes jambes s'enroulent autour de sa taille, comme par automatisme.
Il rompt presque immédiatement le baiser.
– Là par contre, va falloir ralentir... souffle-t-il. Sinon c'est moi qui vais avoir un... un problème technique.
– Un problème technique ? je répète avant de comprendre : Oooohhh...
– Ouais... murmure-t-il, rouge de honte. Alors tu vois, j'ai peut-être plus d'expérience mais... je me débrouille pas franchement mieux que toi.
J'éclate de rire et il finit par en faire de même, détendant immédiatement l'atmosphère.
– Mais puisque je te tiens, je reprends. J'ai un service à te demander.
– J'espère que ça n'a rien à voir avec la conversation qu'on vient d'avoir sinon on va être obligés de sécher les cours.
– Ah ouais ? je réplique avec un sourire narquois. T'es comme ça toi ? Dans la salle des délégués ?
– Eh ! proteste-t-il. Cette pièce est mon endroit préféré !
– Oh vraiment ?
– Bien sûr, c'est là que je t'ai rencontré.
Non mais il veut me provoquer une crise cardiaque, c'est pas possible.
Ne sachant quoi répondre, je dépose un baiser sur sa joue avant de reprendre :
– Je viens de croiser Kim et elle m'a confié qu'elle a vraiment du mal en ce moment avec les cours, je sais d'expérience que tu es un très bon professeur alors... Tu crois que tu pourrais lui donner un coup de main ?
– Bien sûr ! répond Nath. Je lui en toucherai deux mots à la pause de midi.
Il me lance un léger sourire avant d'ajouter :
– J'espère juste qu'elle sera une élève moins dissipée que toi.
– Eh ! je m'exclame en lui donnant une petite tape sur l'épaule. C'est pas ma faute si le professeur me déconcentrait !
– JE te déconcentrais ? s'esclaffe-t-il. Mais quelle mauvaise foi, c'est terrible !
C'est durant cet éclat de rire que la sonnerie décide de nous rappeler à l'ordre, nous forçant à abandonner le réconfort de la salle des délégués pour la salle de classe remplie de personnes plus ou moins agréables.