OCTAVIA
– Bonjour Octavia...
Je lève rapidement les yeux de mon livre pour saluer Melody avant de reporter mon attention dessus, ou plutôt, prétendre que mon attention est portée sur ce livre. Parce qu'en réalité, je doute de réussir à me concentrer sur autre chose que sur cette funeste journée de vendredi pendant un bon moment.
A l'instant où j'ai posé un pied chez moi samedi, je me suis précipitée vers les toilettes pour rendre mon petit-déj, incapable de le garder. J'ai passé le reste du week-end complètement nauséeuse, à cogiter encore et encore sur ce que je devrais faire. Je n'ai pas reparler de ce que j'ai vu, mais mon père a compris le message. Heureusement pour moi, sa véritable garde commençait samedi soir, me laissant la maison pour moi seule. J'ai passé la soirée à regarder High School Musical en chantant à tue-tête les chansons de Troy. Le dimanche, je l'ai passé dans mon lit, complètement apathique.
Bon sang, comment Nate a-t-il réussi à ne pas péter un câble après avoir découvert la vérité sur moi ? J'ai l'impression de devenir folle à l'idée de savoir la vérité sans pouvoir rien faire pour l'aider. En remarque, il y a peu de chance pour qu'il soit aussi attaché à moi que je ne le suis à lui.
Je crois que je n'ai jamais passé une nuit aussi paisible que celle que j'ai passé dans ses bras... Ce qui est très inquiétant.
Et comme si cela ne suffisait pas, Ginny est absente aujourd'hui ! De toute façon, je ne me vois pas lui parler de la situation de Nathaniel. Je sais qu'elle n'est pas vraiment proche de lui, par conséquent elle garderait les pieds sur terre, bien plus que moi en tout cas, mais je suis déjà une assez grosse charge mentale pour elle, je ne peux pas lui infliger en plus la situation de Nathaniel. Je crois qu'elle serait capable de voler l'arme cachée dans le bureau de mon père et d'aller régler le problème elle-même pour être sûre que je n'ai plus à m'inquiéter pour mon beau blond.
Sentant un regard posé sur moi, je relève les yeux vers Melody qui m'observe d'un air gêné.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
– Rien-Rien ! affirme-t-elle avant de reprendre : C'est juste que... Enfin... Je t'ai vue partir du lycée avec Nathaniel vendredi...
– Oui, j'ai dormi chez lui, je réponds, bien trop préoccupée pour m'inquiéter des états d'âmes de Melody.
– Alors, tous deux, vous êtes...
– J'ai eu une journée compliquée et mon père ne voulait pas que je reste seule à la maison, Ambre a proposé que je vienne chez eux, je réponds, tel un automate.
– Donc tu passes du temps avec Ambre ?
– Je sais, c'est surprenant.
– Pas tant que ça.
Le regard qu'elle me lance serait digne de celui de la très énervante Capucine mais avant que je ne lui demande plus de détails sur ce qu'elle sous-entendait, elle disparaît de ma vue.
Enfin débarrassée de Melody, je continue de fixer ma page sans être capable d'en comprendre un mot jusqu'à ce qu'une main délicate ne m'arrache mon livre des mains.
– Tu lis quoi ? lance Castiel d'un ton moqueur : Vu comment t'as l'air concentrée, ça à l'air vachement nul.
Je lève les yeux au ciel et saute de mon banc pour reprendre mon livre des mains de Castiel. Je ne suis clairement pas d'humeur à subir ses blagues aujourd'hui.
– Eh ! Tout doux ! s'exclame-t-il. Je viens en paix !
– Qu'est-ce que tu veux ?
– Je voulais voir si ça allait, tu sais après l'histoire de vendredi... Je suppose que j'ai ma réponse.
– Désolée, je murmure. Non, ça va pas non.
Et sans lui laisser le temps de relancer la conversation, je m'éclipse. N'ayant aucune envie d'aller en cours, ou qu'on vienne me chercher pour aller en cours, je pars vers les vestiaires. Visiblement il n'y a aucun cours de sport en ce moment donc ils sont libres.
Malheureusement, à peine me suis-je adossée à l'un des casiers pour souffler qu'un blond (et pas celui que je veux voir) entre.
– Et voilà la plus belle !
Oh non.
Pas lui.
– Si je m'attendais à te croiser dans les vestiaires...
– Dégage Dake, je suis pas d'humeur.
– Oh allez, souris un peu ! réplique-t-il. Je n'ai pas résisté à l'envie de rester pour te parler un peu.
– Ecoute, j'ai des problèmes plus urgents à régler alors tu peux me laisser s'il-te-plait ?
– C'est dingue, tu es encore plus mignonne chaque fois que je te vois !
– Excuse-moi mais tu n'as rien à faire ici.
NATHANIEL MON PRINCE SAUVEUR DE RELOUS JE T'AIME !
– Le vestiaire est réservé aux élèves de l'établissement.
– Encore toi ! s'exclame Dake. Mais tu suis Octavia partout ou quoi ?
– Heureusement que je suis là si c'est pour lui éviter de mauvaises rencontres.
Nath, puis-je te passer la bague au doigt là, maintenant, tout de suite ? Je suis même prête à le faire dans un vieux vestiaire pourri qui sent la sueur.
– Au moins nous aurons passé un moment tranquille au centre commercial, pas vrai ma belle ?
Je vais vomir.
– Pas parce que je l'ai voulu... je marmonne.
– Et il faut dire que le spectacle valait le coup d'œil hein !
– Tu veux dire, quand tu m'as suivi dans une boutique comme un détraqué et ouvert le rideau de ma cabine d'essayage sans mon consentement ? j'ajoute.
– Tu étais à croquer dans tes sous-vêtements rouges !
Je veux mourir.
– Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?! demande Nath avant d'analyser notre échange : Espèce de...
– Oh là, tout doux mon pote, je pensais pas à mal !
– Les gars... je soupire, n'ayant aucune envie de devoir les séparer.
– Sors d'ici tout de suite espèce de voyeur ou je préviens la directrice ! s'exclame Nathaniel. Elle n'aura pas de mal à croire ce que je lui dirai étant donné que tu rôdes dans les vestiaires.
– Ça va, pas la peine de me menacer, je m'en vais ! A plus tard peut-être Octavia.
– Pitié non, je soupire en adoptant la Nath-pose.
Avant que je n'ai le temps de le remercier (ou le questionner sur ce weekend), Nathaniel disparaît du vestiaire.
Je soupire et repars vers la cour où j'allume une clope. Je ferme les yeux pour profiter de l'air frais de l'hiver (oui, ici on est team hiver) mais une ombre me fait de l'ombre.
– Qu'est-ce que tu veux Castiel ?
– T'as l'air encore plus chelou que d'habitude, qu'est-ce qu'il se passe ?
– Ça te regarde pas.
– Allez, on est plus à une histoire pas claire près !
Je soupire et pèse le pour et le contre. Castiel peut s'avérer être un vrai con, surtout en ce qui concerne Nathaniel. Mais je l'ai aussi vu se battre à ses côtés quand il s'agissait de défendre Ginny, ou moi.
– Ça a un rapport avec le fait que tu sois parti avec la greluche en chef et son idiot de frère vendredi ?
Je ne réponds pas.
– Dans quoi tu es allée te fourrer encore ? Quelle idée d'aller dormir chez eux !
– Pour une fois, je suis d'accord avec toi... je marmonne en rallumant ma clope qui s'était éteinte entre-temps.
– Allez, raconte.
J'ai l'horrible sentiment de trahir Nathaniel rien qu'en envisageant cette idée... Et pourtant j'ai parfaitement conscience de ne pas pouvoir garder ça pour moi. La première personne vers qui je me tournerais normalement est Ginny mais elle est out, la deuxième serait Rosalya mais elle est introuvable. Castiel est certainement le choix qui blessera le plus Nathaniel mais c'est justement leur détestation mutuelle qui me pousserait à me confier.
Après tout, je ne peux pas gérer cette situation seule. Mes sentiments plus qu'évidents pour lui m'empêchent de réfléchir correctement. Il y a une règle simple chez les chirurgiens : on ne soigne pas l'un de nos proches. Je suppose que dans le cas présent, c'est la même chose.
Castiel déteste Nathaniel. Nathaniel déteste Castiel. Par conséquent, il sera sûrement celui qui sera le plus à même de m'aider à y voir plus clair.
– Okay... je murmure en prenant une grande inspiration. Il y a quelques mois, j'ai découvert que Nath avait des bleus dans le dos.
– Comment t'as découvert ça toi ?
– Et bien... Euh... J'ai voulu rendre son carnet à Lysandre et comme il y avait à première vue personne dans le vestiaires, bah... Bref, là n'est pas le sujet !
– Tu t'es introduit dans le vestiaire des mecs pour rendre son carnet à Lysandre ? répète Castiel, sceptique.
– Oui bon, je sais ! C'était débile ! On en a longuement débattu avec Nath, tu peux me croire !
– Bon... Et quel est le rapport avec ton teint blafard ?
Je lève les yeux au ciel avant de prendre une taff de ma clope et de reprendre :
– Je commençais à avoir des doutes à propos de... certaines choses alors mon père a fait croire qu'il pouvait pas me laisser seul vendredi après... et bien tout ce qu'il s'est passé.
– Ce qui est assez logique, confirme Castiel.
– Bon, t'arrête de me couper là ?! C'était genre super froid et super chelou comme soirée, vraiment horrible ! Et puis...
Je jette ma clope sur le sol et me penche en avant pour prendre mon visage entre mes mains.
– J'ai entendu une dispute entre Nath et son père... Et je l'ai entendu le frapper.
Aucune réaction.
Je relève les yeux et découvre Castiel... EN TRAIN DE RIRE ????
– Tu rigoles là ?! je m'exclame, scandalisée.
– Alors c'est ça, l'info du jour ? se moque-t-il. Monsieur le grand délégué s'est pris une fessée par son papounet plein aux as ? Haha ! Elle est bonne celle-là !
Le coup est parti tout seul.
Une marque rouge se forme sur sa joue avant même qu'il n'ait le temps de reprendre ses esprits.
– T'étais vraiment obligée de faire ça ?! ose-t-il se plaindre.
– T'as pas le droit de rire de ça Castiel ! je m'écris. Je sais que tu le portes pas dans ton cœur, mais là je te parle pas d'une petite gifle mais de véritables coups ! Il le bat !
– Tu en es sûre ?
Je sors mon téléphone de la poche de ma veste et lui fait écouter l'enregistrement. Le regard de Castiel s'assombrit immédiatement, comme s'il prenait enfin la gravité de la situation.
– J'ai réussi à faire parler Nath, je continue en évitant son regard. Il m'a avoué que ça durait depuis un moment.
– Ok... soupire Castiel. Désolé, je me suis toujours imaginé que même si ses parents lui mettaient la pression, cet idiot devait avoir la belle vie.
– Sérieusement Cassy ? je rétorque. Même maintenant tu peux pas t'empêcher de l'insulter ?
– Eh, c'est pas parce qu'il a des problèmes qu'il va subitement devenir mon meilleur pote !
Je me laisse de nouveau tomber sur le banc et soupire, dépité.
– J'ai un enregistrement mais on peut quasiment rien faire avec, d'autant plus que je l'ai obtenu sans l'accord des principaux concernés, je reprends. Je sais vraiment pas quoi faire, je peux pas rester là sans rien faire mais je ne peux rien faire... Et Nath m'a clairement fait comprendre qu'il ne ferait rien pour que ça change...
– Pourtant c'est à lui de gérer ça, pas toi.
– C'est pour ça que vous avez tous répondu présents vendredi pour m'aider à gérer ça ?
– Décidément, vous vous êtes bien trouvés tous les deux, marmonne Castiel.
J'arque un sourcil avant de secouer la tête, je me poserai des questions sur la signification de cette phrase plus tard.
– J'imagine que tu peux toujours appeler un numéro d'urgence pour ce genre de trucs, non ? Ça t'est pas venu à l'esprit ?
– Bien sûr que si ! je m'exclame. Mais... Il faut plus de preuves pour enclencher une enquête et... Et Nath me pardonnera jamais si je fais ça.
– Nath te pardonnera jamais de m'en avoir parlé alors au point où t'en es.
– CASTIEL....
– C'est bon ! J'arrête !
Je soupire et passe une main dans mes cheveux avant de prendre mon sac et de sortir une carte de mon portefeuille. L'avantage quand on est une gamine à problème, c'est qu'on a tous les contacts nécessaires pour gérer ce genre de situation.
– Tu veux que je reste avec toi ?
– Non, c'est bon, je vais me débrouiller.
– Arrête ta comédie, tu trembles comme une feuille.
Il soupire et s'assit à côté de moi sur le banc. J'hésite sincèrement à appeler ce numéro. Je m'apprête à foutre en l'air ma relation avec Nath, lui qui a toujours été là, j'ai l'impression de le trahir et une part égoïste de moi a terriblement peur de sa réaction. Mais j'ai vu trop de choses dans ma vie pour rester insensible. Comment pourrais-je me regarder dans un miroir si je me contentais de compatir à son sort ? Il n'a cessé de me répéter que tout allait bien mais c'est faux, je doute même qu'il sache ce que signifie "aller bien". C'est sur cette idée que je finis par composer le numéro.
Comme je m'en doutais, mes preuves sont insuffisantes. Il faut de véritables preuves, et pour en obtenir, une assistante sociale doit venir en recueillir. On m'a répété à plusieurs reprises que j'ai eu la bonne réaction et que mon rôle s'arrête là mais j'ai du mal à y croire. En raccrochant, j'ai l'impression d'être directement responsable de l'implosion de la famille de Nathaniel, et je suis intimement convaincue que rien ne pourra effacer la boule qui se forme dans ma gorge.
– Alors ? demande Castiel.
– Ils vont envoyer une assistante sociale pour observer et obtenir des témoignages, je réponds d'une petite voix qui ne me ressemble absolument pas.
– Parce qu'ils croient vraiment que le père va avouer qu'il cogne son fils ?
– C'est justement le problème avec le système, je réponds. Pourquoi si peu de personnes sont punis pour maltraitance ? Si Nathaniel ou sa mère ne parlent pas, j'aurais trahi sa confiance et en plus j'aurais empiré la situation...
– Retiens ce que je vais te dire, parce que ça n'arrivera pas souvent, répond Castiel. Mais tu as fait ce qu'il fallait. Maintenant, c'est à Nath de décider de s'en sortir... Il me semble que tu vois de quoi je parle. Quand tu as eu à faire ce choix...
– J'ai fait une tentative de suicide, je le coupe.
– Vraiment ? demande Castiel. Est-ce que tu voulais vraiment y passer ?
Ce type m'énerve au plus haut point ! Il est trop perspicace.
– Je voulais juste que ça s'arrête, je confie. Et c'est la seule solution que j'ai trouvée.
– Un appel à l'aide... confirme Castiel. Et aujourd'hui, tu penses que ça valait le coup ?
Mes doigts effleurent la cicatrice désormais cachée sous l'encre noir et je me surprends à répondre :
– Oui.
– Bien, répond Castiel. Tu as fait ce qu'il fallait pour survivre, et aujourd'hui, tu as peut-être empêché Nath d'en arriver au même stade. Alors ne culpabilise pas parce que tu viens peut-être de lui sauver la vie.