TW : mention de violence familiale
OCTAVIA
Je frappe doucement à la porte de Nath, ce à quoi j'entends :
– Qui est-ce ?
Préférant éviter de me prendre un vent de la taille du Texas, je choisis d'ouvrir la porte.
– Octavia ? s'étonne-t-il. Mais qu'est-ce que tu viens faire ici ?
Il enjambe sa chambre et vient fermer la porte derrière moi. Je fais un pas en arrière en réalisant notre proximité et essaie de garder les yeux levés vers lui. Je me frappe intérieurement pour les quelques pensées impures qui saisissent mon esprit car ce n'est ABSOLUMENT PAS le moment.
J'essaie de rebooter mon cerveau et réussi à bafouiller un truc du genre :
– Je crois qu'il faut qu'on parle.
– Et t'as pas trouvé de meilleur moment que le milieu de la nuit ?
Certes.
– Il fallait que... je commence, incapable de continuer ma phrase.
– Oui ?
Génial, il me facilite vraiment pas la tâche...
– Nath... je reprends, plus troublée que jamais par une trop grande liste d'événements. J'ai-J'ai entendu ta "dispute" avec ton père...
– Je t'ai déjà dit d'arrêter de te mêler de cette histoire ! Ça ne te regarde pas ! Tu ne peux pas comprendre ça pour une fois ?!
Je fais un pas vers lui et plaque ma main contre sa bouche pour l'empêcher de parler et tend l'oreille, soucieuse que quelqu'un n'aie entendu ses cris. Une fois le danger écarté, je relève les yeux vers lui et réalise que je suis une fois de plus bien trop proche de lui pour mon propre bien. Son regard est illuminé d'une lueur que je n'identifie pas et je recule vivement en réalisant que ma main est posée sur sa poitrine nue. Bien évidemment, puisque je ne serais pas moi si je ne faisais pas une connerie du genre, dans ma précipitation, je trébuche sur le bas trop grand de mon pantalon de pyjama et risque la chute. Et une fois de plus, Nate me rattrape in extremis et je me retrouve de nouveau plaquée contre lui.
– Sors d'ici, murmure-t-il froidement. Maintenant.
– Hors de question, je réponds en secouant la tête. Toi t'as peut-être décidé de faire comme si de rien était, mais moi non, je ne peux pas. C'est impossible.
Je prends sa main dans les miennes mais il ne semble même pas le remarquer.
– Ce-C'est plus compliqué que ça en à l'air, dit-il.
– Alors explique-moi, je l'implore. Nath... S'il-te-plait... N'affronte pas ça seul...
Il semble peser le pour et le contre avant de craquer. Il se détourne de moi et part s'asseoir sur son lit, m'entrainant sans s'en rendre compte dû à nos mains liées. Pour des raisons évidentes, je me contente de la chaise de bureau.
– Je ne veux pas faire de vagues vis-à-vis de mon père... Tu comprends ? Il traverse déjà des moments difficiles... C'est pour ça que je ne parle à personne de... de ce qu'il me fait.
– Tu inverses les rôles, c'est lui qui est censé te protéger, pas l'inverse, je réponds. Et quelles que soient les épreuves qu'il traverse, il n'a pas le droit de te faire vivre ça...
– Tu ne sais pas de quoi tu parles. Mon père n'est pas comme le tiens, il a toujours eu un train de vie exceptionnel, encore plus depuis qu'il a gravi les échelons de sa multinationale. Il nous a toujours comblés, ma mère, ma soeur et même moi, avant...
Ah ! Le fameux devoir de reconnaissance que les enfants doivent avoir envers leurs parents juste parce qu'ils ont fait leur job de parents ! Car bien sûr, nous devons leur être reconnaissant pour avoir pris soin de nous matériellement parlant, quitte à ignorer les dommages psychologiques qu'ils nous ont imposé...
– Avant quoi ?
– Avant que quelqu'un ne lui vole sa promotion et que tout vole en éclats. Il y a quelques temps, mon père devait être nommé vice-président de l'entreprise. Sauf qu'un jeune homme fraîchement sorti de l'université et bardé de diplômes s'est fait remarquer. Malgré l'ancienneté et les compétences de mon père, son supérieur a finalement préféré faire confiance au jeune homme.
– Je comprends pas vraiment le rapport avec toi.
– Les problèmes se sont enchaînés, le nouveau vice-président s'est senti en danger et a été assez malin pour le faire rétrograder peu à peu jusqu'à un poste tout à fait classique. En d'autres termes, mon père est coincé. Lui qui voulait atteindre l'excellence, il restera cantonné dans le même bureau jusqu'à la fin de sa carrière.
– Ok, ton père a souffert de la politique d'inclusion de son entreprise, ça j'ai compris, je commente. Mais je vois toujours pas le rapport entre ses désillusions professionnelles et ce qu'il te fait subir ?
Nathaniel soupire.
– Je... Je ne sais pas, tu veux de la psychologie de comptoir ? Je crois que mon père projette sur moi l'image de celui qui lui a volé sa promotion. Et en même temps, il voudrait que je sois comme lui, irréprochable. Même meilleur, pour que je ne me fasse jamais supplanter comme lui.
Bon. Il a conscience qu'il y a un problème, c'est déjà ça.
Le problème, c'est qu'il n'a pas identifié le bon problème.
– Plusieurs choses, je réponds. De 1 : personne n'est irréprochable, l'imperfection est le propre de l'être humain et c'est très bien comme ça.
– Venant de celle qui réussit tout ce qu'elle entreprend sans rien, c'est assez gonflé, réplique-t-il.
– Tu rigoles là ? je m'esclaffe. Je suis même pas foutu de me buter comme il faut !
Regard noir.
– Trop tôt pour les blagues sur le suicide ? je demande en grimaçant.
– Oui.
– D'accord. Reprenons. De 2 : il n'a pas le droit de passer sa frustration professionnelle et/ou personnelle sur son fils. Rien, tu entends ? RIEN ne justifie son comportement envers toi.
– J'imagine qu'il pense me protéger des échecs que lui-même à subi, répond Nate. Ça part d'un bon sentiment, tu sais...
Je quitte ma chaise et vient me mettre à genoux au pied du lit, entre ses jambes, avant de poser mes mains sur son visage.
– Nath... Je t'en supplie, il n'y a rien de normal là-dedans. Tu n'as pas assumer les responsabilités de ton père. Tu n'as pas à subir sa frustration. Et jamais, tu m'entends, jamais tu n'as à accepter un comportement pareil sous prétexte qu'il cherche à t'aider.
Il prends mes poignets dans ses mains et s'exclame :
– Si je le dénonçais, ça ne ferait que briser ma famille plus qu'elle ne l'est déjà. Mon père perdrait sûrement son travail. Déjà que nous sommes endettés, là nous n'aurions plus de maison ! Que feraient ma mère et ma sœur dans tout ça ?
– Ce n'est pas à toi de penser aux conséquences de SES actes, c'est à lui de les assumer, je le contredis. Et Ambre ? Et ta mère justement ? Est-ce qu'elle est au courant ? Est-ce qu'elle se doute de quelque chose ?
– Ambre ne sait rien, elle croit simplement être la chouchoute, celle à qui on passe tous les caprices pendant que son frère se fait souvent "disputer". Quant à ma mère... Je crois qu'elle fait simplement semblant de ne rien savoir.
Génial, elle va pouvoir créer un club avec la mienne en taule.
– Tu ne devrais pas en faire toute une histoire... reprend-t-il d'un ton qui se veut rassurant. Tous les enfants ont déjà eu à essuyer une ou deux corrections de la part de leurs parents.
– Être privé de sortie une semaine après avoir chopé une heure de colle c'est une correction, avoir des bleus sur le dos ou le bras ce n'est pas une correction, c'est de la maltraitance. Et vu la manière dont tu normalises ça, quelque chose me dit que c'est arrivé plus d'une ou deux fois...
– Ce n'est pas arrivé si souvent que ça...
– Que ce ne soit arrivé qu'une fois ou quinze, c'est la même chose, je réponds. Rien ne justifie qu'on fasse du mal à son enfant.
– Je suis certain que ce n'est pas non plus le but de mon père.
Je pousse un soupir en laissant tomber ma tête en avant, me cognant le front contre son genou. Je n'ai aucune idée de quoi dire pour lui faire comprendre que ce qu'il vit n'est pas normal. Moi-même, alors que les violences se sont arrêtées il y a un an, je peine à me dire que c'est moi la victime et non la responsable.
– Nath... je soupire en relevant la tête. Quel que soit le but de ton père, il n'a pas à se comporter ainsi. Ce n'est pas de la discipline ou une punition, et ce n'est, et cela ne sera jamais normal.
– Quoi que ce soit, tu n'as pas à t'en préoccuper, d'accord ?
Trop tard.
– Laisse-moi gérer ça.
– Nath...
Il se dégage de ma prise.
– Je vais me coucher maintenant, si tu veux bien. Il est tard et je tiens à être en forme demain. J'ai pris beaucoup de retard dans mes devoirs à cause de la pièce.
Sans un regard de plus pour moi, il se couche dans son lit et se met sur le côté en me tournant le dos. Je devrais faire ce qu'il me demande et partir. Mais ce garçon ne connaît que la violence, et quelque chose me dit que cette violence a commencé bien avant les problèmes professionnels de son père. Il n'est pas dans la nature humaine d'accepter de subir une telle violence à moins que l'on nous ait habitué, conditionné à cette violence depuis notre plus jeune âge.
Je repense à toutes ces fois où il semblait soucieux, anxieux, en colère et à la manière dont j'ai réussi à le calmer par un simple contact. Les mains de son père ne lui apportent que de la souffrance alors les miennes lui apporteront l'amour qu'il mérite.
C'est pourquoi, au lieu de m'approcher de la porte, je contourne le lit et m'allonge à côté de lui. Je me laisse glisser jusqu'à son dos et passe mes bras autour de lui.
Je le sens se tendre l'espace d'un instant, comme s'il était en pleine lutte contre lui-même. Mais il ne me repousse pas, et nous restons ainsi quelques minutes, immobiles. Un bleu commence à apparaître sur son épaule, et je ne peux résister à l'envie de déposer mes lèvres dessus.
Si seulement les blessures pouvaient disparaître grâce à un véritable baiser d'amour comme dans les contes de fées...
– Tu devrais y aller, murmure-t-il d'une voix rauque. Tu.. Je ne voudrais pas que mon père nous trouve comme ça.
– Je m'en fiche.
– Il pourrait s'en prendre à toi.
– Je m'en fiche encore plus.
Je ferme les yeux et reprend :
– Toi tu es resté quand je t'ai dit de partir. Alors à moins que tu me regardes dans les yeux et me dises que tu ne veux pas de ma présence, je reste avec toi.
Il ne répond pas immédiatement, pesant sûrement le pour et le contre. Mais nous savons tous deux que ce serait un mensonge. On s'est trouvé dans nos fêlures et nos détresses et la présence de l'un rassure l'autre. Je crois comprendre pourquoi Nathaniel est celui qui a dérobé mon cœur : nous nous sommes rencontrés dans le malheur et tentons tant bien que mal d'avancer. La violence est tout ce que nous avons connu et pourtant, jamais nous n'avons connu tant de douceur qu'en la présence de l'autre.
– Ta présence me fait du bien, avoue-t-il. Mais on risque de s'endormir ensemble...
Alors je te retrouverai dans mes rêves...