GINNY
– Sérieux ? je m'exclame. T'as ENCORE croisé le relou de la plage ??
– Mais oui ! répond Octavia en soupirant. Le type il m'a carrément suivi en scred dans une boutique de lingerie, j'ai été forcée de le semer, comme le petit-chaperon rouge !
– Et appeler la sécurité, ça t'es pas venue à l'esprit ?
Octavia reste interdite, me confirmant que non, ça ne lui est pas venu à l'esprit.
– Bref, reprend-t-elle. J'ai croisé Peggy en allant à mon cours de latin et apparemment, M. Faraize va nous annoncer un truc de dingue en AP tout à l'heure.
– Génial, je marmonne. Moi qui trouvais que ces derniers jours étaient trop calmes...
– Je me fous de ce qu'ils organisent ! retentit une voix à quelques casiers de nous. La dernière fois que j'ai fait quelque chose pour le lycée, mon ex s'est pointée ! Ça va être quoi la prochaine fois ? Mes parents ?
– Je me demande à quoi ressemblent les parents de Castiel... murmure pensivement Octavia.
– Ouais, fais donc ! Fais-toi virer ! réplique Nathaniel en passant à côté de Castiel pour rejoindre notre prochain cours. Cela nous débarrassera enfin de ta stupidité !
– Ce qu'ils peuvent être fatigants tous les deux...
Elle serait sûrement plus crédible sans le sourire amusé qui illumine son visage...
La sonnerie retentit, coupant court à la dispute entre Blondie et Castiel et nous avançons tous vers la salle où doit se dérouler notre cours d'AP. Il y a t-il déjà eu un cours plus inutile que l'AP au lycée ?
La situation devient d'un coup bien plus anxiogène lorsque nous découvrons la directrice elle-même aux côtés de M. Faraize (qui est donc notre prof principal, au cas où vous n'auriez pas compris). J'échange un regard avec Octavia avant de m'installer à ma place habituelle au deuxième rang près de la porte.
– Bonjour bonjour ! nous acceuille la directrice. Tout le monde est là ?
Lysandre répond à la question en passant la porte en traînant par le col son meilleur ami et enfin, la classe est au complet.
– Bien, nous allons pouvoir commencer, affirme la directrice. Nous avons comme projet d'ouvrir une nouvelle spécialité l'année prochaine mais avant cela, nous aimerions voir si un tel projet est réalisable. C'est pour quoi, puisque votre classe semble décidée à se faire remarquer, que nous avons décidé avec M. Faraize que vous serez les cobayes de cette expérience.
Génial, il manquait plus que ça.
– Ce serait pour quelle option ? demande Melody en levant la main.
– Théâtre.
– VOUS DÉCONNEZ ?
Par pitié, que quelqu'un achève cette fille avant qu'elle ne me tue de gêne.
Des rires résonnent dans la pièce tandis que notre professeur principal tente de retenir son fou-rire face à la réaction exagérée de ma meilleure amie.
– Euh pardon, se reprend Octavia avant de demander : C'est sérieux ?
– Oui Miss Rogers, confirme la directrice. Dans un mois aura lieu la réunion parents-professeurs et ce jour-là, votre classe se présentera sur scène devant tous les visiteurs. Je précise que c'est un projet obligatoire et que personne ne peut en être dispensé !
Son regard se pose sur Castiel et elle continue :
– Nous vous laisserons choisir la pièce ainsi que les costumes.
Une exclamation de joie retentit au fond de la salle et c'est, sans surprise, Rosalya qui se fait remarquer cette fois. Elle tend sa main à Octavia qui tape dedans. Elles doivent sûrement être les deux seules personnes à être enthousiastes à l'idée de réaliser ce projet.
– Hum hum... intervient M. Faraize. Je tiens à vous rappeler qu'un courrier a été envoyé à vos parents concernant la réunion.
– HEIN ?
Un bruit de chaise s'écrasant au sol retentit et, alors que tous pensent se tourner vers Castiel, c'est Nathaniel qui se fait remarquer cette fois :
– N-N-Nos parents vont y assister ?
J'échange un regard avec Octavia, cette réaction étant un tiret de plus sur la liste que tient ma meilleure amie sur la liste "parents de Nath".
– Oui ! s'exclame la directrice. Je pourrai tout leur raconter ! Comme par exemple l'histoire du vol de lapins, ou les trop nombreuses bagarres dans lesquelles vous êtes tous et toutes impliquées...
Son regard dévie vers Octavia qui lève son pouce d'un air fier.
Mais à peine le regard de la directrice éloignée d'elle, son visage se ferme et son attention se rive sur Blondie qui est passé au bleu.
– M. Boris a gracieusement accepté d'aider M. Faraize avec l'organisation de la pièce, ils vous expliquera tout en cours d'EPS... Ce qui signifie que tout le monde doit venir à ce cours...
Cette fois, je sens le regard de la directrice se poser sur moi, puis sur Octavia et nous échangeons un regard entendu. Ayant une santé défaillante (mentale pour elle, physique pour moi), nous avons obtenu une dispense à l'année de ce terrible cours, ainsi que le l'épreuve s'y rapportant pour le BAC bien évidemment.
– Afin de nous assurer que vos parents sont bien au courant de cette rencontre, voici un formulaire qu'ils doivent remplir et signer TOUS LES DEUX, insiste la directrice. Si pour quelques raisons, l'un de vos parents est dans l'impossibilité de le faire, il faudra le signaler à M. Faraize.
Ouais genre, si mon père n'est jamais rentré en partant chercher le lait à la ferme un bon matin ?
– Nathaniel, pouvez-vous les distribuer à tout le monde s'il-vous-plaît ?
Blondie obéit mais il est encore plus blanc que moi, ce que je pensais impossible !
– Il est à rendre avant la fin de la semaine, continue la directrice, inconsciente du malaise que cette nouvelle a déclenché à notre délégué préféré. Enfin, uniquement pour les élèves dont je n'ai pas contacté les parents.
Le regard de la directrice se pose sur Castiel qui la mitraille du regard avec un air de défi.
– Bien, conclut la directrice. C'est tout pour moi, M. Faraize, vous pouvez reprendre votre cours.
– Merci Madame, répond le pauvre professeur, visiblement terrifié par cette vieille folle.
Un brouhaha retentit aussitôt que la directrice ferme la porte derrière elle. J'ai l'impression que l'idée de produire une pièce de théâtre emballe plus de personnes que je ne le croyais. J'espère sincèrement qu'il n'y aura pas assez de rôles parce que je ne suis pas sûre de survivre à plus de deux secondes d'un passage sur scène. Je laisse volontiers le premier rôle à ma meilleure amie qui, j'en suis sûre, va rafler la mise.
En revanche, la réunion parents-prof ne fait pas parler en bien, elle. Personne n'a envie de voir ses parents dans le lycée, avec ses camarades de classe et encore moins, pour nous regarder reproduire une vieille pièce poussiéreuse.
– Je suis sûre d'avoir le premier rôle ! s'exclame Ambre en sortant de cours une heure plus tard. J'ai un véritable don pour la comédie ! Si vous saviez le nombre de fois où j'ai mené mon père en bateau grâce à mon talent !
– Ambre-chérie, intervient Octavia : Le seul rôle que tu pourrais obtenir est celui d'Eliza Doolitle dans My Fair Lady. D'ailleurs si c'est la pièce qu'on joue, je te promets de te laisser le rôle ! Qui sait, peut-être que tu apprendras enfin à parler correctement.
– Oh oui, parce que tu crois vraiment que toi, tu peux faire mieux que moi sur scène ?
– Le monde n'est qu'une scène où chacun de nous avons un rôle à jouer, réplique Octavia en sortant une canette de son sac. Crois-moi, tu n'auras pas celui-là !
– Ah parce que tu crois que citer Hamlet te rends meilleure que moi ?
Un fracas retentit alors que la canette d'Octavia éclate au sol. Heureusement pour nous tous, elle était encore fermée. Elle regarde Ambre sous le choc et je n'aimerais pas être à sa place en cet instant. Pour Octavia, aucun artiste quel qu'il soit n'arrivera jamais à la cheville du grand William Shakespeare.
– Ô rage ! Ô désespoir ! Ô inculte sans dignité en robe vintage !
C'est moi où elle vient de me faire un mix entre Le Cid et Better Than Revenge de Taylor Swift là ?
– Shakespeare n'a pas inventé l'expression "le monde est un théâtre" espèce d'idiote ! Il rend populaire cette expression dans l'acte II de Comme il vous plaira mais c'est une expression qui date de l'Antiquité ! C'est Platon qui l'a initié avec l'allégorie de la caverne avant que Pétrone ne transpose l'allégorie au thé-
– La ferme ! la coupe Ambre. On s'en fout que Platon ait dit un truc avant Shakespeare ! Tout ce qui compte c'est qui va avoir le premier rôle et c'est certainement pas en nous faisant un exposé dont tout le monde se fout que tu l'obtiendra.
– Oh et dis-moi Ambre, la contredit Octavia. Comment tu comptes réussir l'audition si t'as pas la moindre idée d'où est tiré le texte que tu dois jouer ?
– J'ai pas besoin d'un texte ! réplique Ambre. Mon talent naturel éblouira les juges.
– Oh oui, je suis sûre que ton langage sera bien plus impressionnant que celui de Corneille ou Tchekhov ! Tu sais quoi ? Vas-y, fais-le ! Auto-sabote toi, je veux être aux premières loges pour voir ça !
– Mais vous avez fini toutes les deux ? s'exclame une tierce voix.
Les deux filles sursautent et se tournent vers Blondie. Elles tentent de se défendre mais il les coupe jusqu'à ce qu'Ambre finisse par craquer et tourner les talons.
– Ah ! se moque Octavia en posant la main sur sa taille telle une Sharpay Evans en puissance. Elle est pas foutu de supporter mes critiques et pense qu'elle a l'étoffe d'une comédienne !
Je sens que les prochaines semaines vont être longues, très longues...
Ce qui me rassure, c'est que je ne suis visiblement pas la seule à ne pas être très enthousiaste car nous avons à peine le temps de poser un pied dans la cour pour rejoindre le gymnase que Castiel nous éblouie de sa belle voix :
– Je vais finir par me casser de ce lycée !
– Bah pourquoi ça Castiel ? demande une Octavia un peu trop enjouée.
– À ton avis ?
– À cause de la pièce ?
– J'y pensais plus à ce truc... Mais ouais, EN PLUS on va devoir se farcir un texte à apprendre par coeur pour jouer une pièce complètement naze !
– Tout le monde n'aura pas un rôle, tu pourras peut-être t'occuper de la musique.
Mais il lui prend quoi à elle ?
– Qu'est-ce qu'il te prends à être aussi sympa toi ? traduit Castiel.
– J'adore le théâtre ! s'exclame Octavia en tournant les talons telle une danseuse pour se diriger vers le gymnase.
– Elle est flippante quand elle est heureuse, je marmonne.
– Elle est flippante tout le temps ! rectifie Castiel. Je suis sûr qu'on va se taper Roméo et Juliette ou une connerie de ce genre ! Et les parents seront là pour immortaliser tout ça...
Heureusement qu'il a dit ça après le départ d'Octavia ! Ce n'est pas à une réunion parents-profs que les parents de Castiel auraient assisté mais à ses funérailles.
– Ce sera peut-être pas si terrible que ça... je tente, n'y croyant pas moi-même.
– Fais chier ! continue Castiel. J'ai pas envie d'avoir mes parents sur le dos... Je suis très bien tout seul !
Voilà quelque chose que je comprends bien !
– Tu t'entends pas avec eux ? je demande.
– Je te trouve bien curieuse d'un coup...
– J'en profite avant la prochaine crise, je lance avant de cligner des yeux en réalisant ce que je viens de dire.
– T'as pas tort, répond Castiel. C'est pas mes parents que j'aime pas, c'est leur présence.
– Dis-toi que c'est juste pour quelques heures, et qu'ils seront peut-être pas là !
– Ça, j'en suis pas sûr... Avec les dossiers que la directrice a sur moi, ils sont capables d'arrêter les vols de longue distances pour rester ici et me fliquer.
Alors ça, tu peux t'en prendre qu'à toi-même.
Je retrouve Octavia quelques instants plus tard, en plein débat avec Lysandre.
– Je suis pas fan de Phèdre, dit-elle. Je la trouve super antipathique !
– Vraiment ? s'étonne Lysandre. J'aurais pensé que toi au moins, tu aimerais la plume de Racine.
– Je suis pas une adepte de la période classique, admet-elle. Mais j'avoue que Iphigénie m'a... touchée.
Le débat des deux intellos de la littérature s'arrête brusquement lorsque nous croisons un Nathaniel encore plus pensif que d'ordinaire.
– Nate ? l'interpelle Octavia en posant sa main sur son épaule. Tu vas bien ?
Je m'éloigne un peu avec Lysandre tout en tendant l'oreille pour écouter leur conversation.
– Oui, oui ! répond précipitamment le garçon en sursautant. Je m'inquiète un peu de la tournure de... que va prendre la pièce.
– T'es sûr que c'est pas plutôt à cause de tes parents ?
Il s'écarte brusquement de la rouquine et fait tomber les livres qu'il tenait en main au passage.
– Je t'ai déjà dit d'arrêter avec ça, dit-il.
S'il veut qu'elle arrête de s'inquiéter, faudrait qu'il soit un peu plus crédible.
– Alors t'as pas peur que tes parents ne viennent au lycée ?
– Bien sûr que j'appréhende ! J'ai joué dans un concert ! J'ai menti à mes parents en disant que je restais travailler plus tard au lycée pour me pavaner sur une scène ! Je n'ai pas envie qu'ils l'apprennent.
Putain mais ils ressemblent à quoi ses parents ???
– Et c'est la seule chose qui t'inquiète ?
Blondie échange un regard avec Rouquine et je suis sûre qu'ils pensent tous deux à ce qu'elle a vu dans les vestiaires.
– Non, répond Blondie. Ce n'est pas la seule chose. Mais j'essaie de me dire que jamais une amie ne me mettrait dans le pétrin avec une réflexion désobligeante.
Mais qu'il est con ma parole !
– Je ne sais pas ce que tu as imaginé, reprend-t-il. Mais crois-moi, tu te fais des films.
C'est ce que je croyais au début, mais plus il essaie de prouver que tout va bien, plus il prouve le contraire.
Nathaniel passe devant elle sans un mot de plus et Octavia se tourne pour le suivre du regard. Lorsque son regard rencontre le mien, elle comprend que j'ai entendu toute la conversation. Elle marche vers moi et prend mon bras pour m'entraîner avec elle dans le gymnase.
– On est d'accord ? demande-t-elle.
– Oh que oui, je confirme.