OCTAVIA
J'ouvre la porte de la salle des délégués et y trouve un Nathaniel plongé dans un livre. J'ignore ce qu'il lit mais cela doit être passionnant puisqu'il ne remarque même pas ma présence. Je me faufile derrière son fauteuil et pose mes coudes sur le rebord pour lire derrière son épaule. Il semblerait donc que notre petit blondinet ait un faible pour les romans policiers.
Une mèche de mes cheveux finit par se rebeller et effleure son visage qui perd immédiatement sa concentration. Il sursaute et tourne son visage vers moi, une main posée sur sa poitrine.
– Tu m'as fait peur, souffle-t-il.
– Je vois ça, je réplique avant de désigner le livre : Ça bosse dûr à ce que je vois.
– Comme tu peux le voir, répond-t-il avec un léger sourire. J'ai besoin de faire des pauses de temps en temps.
– Et pour ça tu lis... je commence en lui prenant le livre des mains : Le Dahlia Noir ?
– Quoi ? Tu n'aimes pas les romans à suspense ?
– Pas vraiment, je confirme. Je préfère quand on sait directement qui est le meurtrier et qu'on découvre au fur et à mesure comment le narrateur en est arrivé là.
– Comme dans Le maître des illusions ?
Je fronce les sourcils.
– Oui, comment...
– Le soir où on vous avez allumé l'alarme incendie, dit-il. Tu as dit que c'était ton livre préféré.
– Oh... Oui, c'est vrai ! Tu l'as lu ?
– Oui, confirme-t-il. Mais je suis désolée de t'avouer qu'Henry n'est pas mon personnage préféré.
Je pousse une exclamation faussement outrée en posant une main sur ma poitrine pour protéger mon petit cœur de ses viles paroles.
– Je trouve Richard bien plus intéressant, continue Nathaniel. Il n'est pas aussi privilégié que les autres et a totalement conscience qu'ils vont trop loin.
– Oui enfin cela ne semble pas vraiment le déranger, je note. Il aide volontiers Henry avec l'histoire des champignons.
– Seulement parce qu'il a peur qu'Henry fasse une erreur de calcul et ne se tue avec Bunny.
J'hoche la tête, pensive.
– Alors tu l'as vraiment lu...
– Bien sûr ! s'exclame le garçon, outré que je puisse douter de lui.
J'adorerais parler de ce chef-d'œuvre littéraire pendant des heures avec lui, malheureusement, le timing n'est pas avec moi.
– Dis, je reprends. Est-ce que... Est-ce que tu pourrais m'aider à réviser les cours de sciences s'il-te-plaît ?
Il me jauge du regard avant de demander :
– T'as oublié que demain c'était les examens, c'est ça ?
– Ouaip, je confirme.
– Pourquoi j'ai l'impression que tu ne viens me parler que lorsque tu as besoin de réviser ?
– Je viens te parler lorsque j'ai besoin de réviser parce que tu es un très bon professeur et que c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour passer du temps avec toi, je réponds du tac au tac avant de réaliser ce que je viens de confier.
Je détourne les yeux et me pince les lèvres, me maudissant de ne pas être capable de garder la moindre pensée pour moi. Mais au lieu d'être gêné, Nathaniel se met à rire. Je le dévisage et il se justifie :
– Ça a le mérite d'être clair, mais crois-moi, tu n'as pas besoin d'une telle combine pour venir me parler...
Il marque une pause avant de baisser les yeux en murmurant un petit :
– Parce que moi aussi j'aime passer du temps avec toi.
– Nath...
Un silence troublant s'empare de la pièce avant que je reprenne :
– Mais pour le coup, là je suis vraiment foutue pour les exams !
Il se met à rire avant de regarder sa montre et de grimacer :
– Le problème c'est que j'ai promis à Melody de l'aider.
– Oh...
– Et à Ambre aussi.
Cette fois, je ne peux retenir ma grimace de dégoût.
- Décidément, entre vous les choses ne s'arrangeront jamais... soupire-t-il.
– Il ne faut jamais dire jamais, je réponds. Mais il faudrait un miracle...
– Pourtant, j'aimerais bien que ma sœur et ma...
Il se stoppe d'un coup, comme s'il réalisait qu'il venait de dire quelque chose qu'il ne fallait pas avant de se plonger dans une profonde réflexion avant de soupirer et de dire :
– Je te préviens, pas de blagues, de déviation sur des sujets plus intéressants ou d'absences mentales, d'accord ?
Attendez !
Est-ce que ça veut dire ce que je viens de comprendre ?
Il ouvre son sac et en sort un classeur parfaitement rangé.
– Oh merci Nath ! je m'exclame. Tu me sauves la vie !
– Tu me remerciera quand tu auras validé tes exams.
En ce moment, je me fiche totalement de réussir ou non mes exams. Il vient de décider d'annuler son rendez-vous-révision avec Melody ET Ambre ! Pour moi !
***
– Arrête de stresser ! je m'exclame. Tout va bien se passer !
– On est sur le point de passer le SAT ! me répond Ginny, en panique totale. Rien ne va ! J'ai l'impression que mon cerveau est vide !
– T'es sûre que c'est juste une impression ? je demande.
Elle me foudroie du regard et je ne peux retenir un ricanement moqueur.
– Je te rappelle que t'es aussi nulle que moi en science !
– Pas grave, je rattraperai avec la littérature, je commente. Et arrête un peu, t'es clairement le genre de personnes à dire "oh non je me suis loupée !" et t'en sortir avec un 17, ce qui est super énervant alors arrête un peu ton cinéma !
Nous sommes coupées par l'arrivée de la directrice :
– Prenez place s'il-vous-plaît ! Posez vos sacs et portables dans le fond de la salle et ne prenez que le strict minimum !
– J'ai mal au ventre, murmure Ginny.
– Pas autant qu'Ambre dans quelques minutes, je réplique, moqueuse.
– Tu es machiavélique !
– Je sais, je réplique avant de sortir tous les stabilos dont j'ai besoin, ainsi que mes stylos aux couleurs de l'arc-en-ciel que j'aligne précieusement en dégradé de couleurs.
Monsieur Faraize passe dans les rangs pour distribuer les sujets retournés, les feuilles d'examens et le brouillon. Heureusement pour moi, j'ai le droit au brouillon bleu. J'ignore comment j'aurais fait si j'avais eu le rose ou jaune. Et non, je n'ai pas de toc !
– Ne retournez les sujets que lorsqu'on vous le dira.
Il lui faut quelques minutes pour vérifier nos papiers d'identité et s'assurer que tout va bien avant de sonner le début de l'épreuve :
– Tout le monde a son sujet ? Très bien, vous pouvez commencer !
Je retourne le sujet de français et découvre avec plaisir le sujet : le théâtre Shakespearien. Pouvait-il exister un meilleur sujet ? J'en doute ! Je lis à peine le sujet d'imagination proposé, tout le monde choisit le sujet d'imagination, si bien que les enseignants sont plus sévères lorsqu'il s'agit de les corriger. Le commentaire concerne un passage de Henri III et la dissertation traite du célèbre et très sur-côté Roméo et Juliette.
Examinez le contraste entre l'ordre et le désordre dans Roméo et Juliette. Comment Shakespeare exprime-t-il cette dichotomie qui, elle-même souligne les autres thèmes majeurs de la pièce ?
Sans aucune hésitation, je décide de traiter de la dissertation. Je note mes différentes idées sur le brouillon dans l'optique de faire une carte mentale. Dans un coin je note l'idée du blasphème dans la scène du balcon, dans un autre l'utilisation du sonnet, au milieu je note le monologue de la Reine Mab. Il y a aussi l'opposition entre la journée où la violence se déchaîne alors que la sérénité de l'amour émerge la nuit. Et bien évidemment, la fluctuation des rôles genrés de Roméo et Juliette.
Une demi-heure plus tard, je couche sur papier mon introduction, remerciant silencieusement mon incroyable talent !