OCTAVIA
– Octavia !
Je détourne les yeux de mon casier et vois débouler Rosalya.
– Viens avec moi ! m'ordonne-t-elle.
– En remerciement à ce que tu as fait pour moi aujourd'hui, je t'emmène faire du shopping !
– Euh... je commence.
– Au cas où tu n'aurais pas compris : tu n'as pas le choix.
C'est ainsi que je me retrouve quelques minutes plus tard, tentant de faire tenir une pile de vêtements dans mes bras alors que Rosalya semble déterminée à l'idée de changer toute ma garde-robe.
– Rosa ? je demande. T'es vraiment sûre que ce soit nécessaire ?
– Bien sûr ! s'exclame-t-elle. Le look années 90 c'est démodé ! Il est plus que temps que tu tentes autre chose ! Surtout si tu veux séduire Nathaniel... D'ailleurs, c'est quoi son style de filles à lui ?
– Oh là, attends-tends-tends ! je réplique. J'ai jamais dit que... Enfin je suis pas intéressée par Nathaniel !
Rosalya se tourne vers moi et me lance le genre de regard qu'on fait à un enfant de cinq ans.
– Oh ma belle, t'es trop mignonne...
Je lève les yeux au ciel et finis par la suivre jusqu'aux cabines d'essayage où elle me prend les vêtements des mains pour les déposer sur un tabouret.
– Qu'est-ce que tu attends ? demande-t-elle. Allez ! Hop !
Surprise par son énergie et sa détermination bien différente de celle de Ginny, je tire le rideau et prend l'un des vêtements du bout des doigts. Il s'agit d'une petite robe rose bonbon qui serait surement charmante sur n'importe qui d'autre. De l'autre côté du rideau, Rosalya s'époumone :
– J'ai choisi des vêtements dont les couleurs s'accordent avec ta couleur de cheveux parce que crois-moi, il n'y a rien de pire que l'association du roux avec le rouge ! Cela jure affreusement !
– Rosa, je peux pas mettre ça ! je m'exclame en découvrant certains vêtements.
Le rideau s'ouvre brusquement sur Rosalya qui me lance un regard sévère.
– Je te demande pas de tout acheter, je te demande d'essayer autre chose que tes ensembles immondes t-shirt/jean/perfecto ! Oh et il va falloir que tu arrêtes de te lisser les cheveux ! Ils sont supers secs et je suis sûre que tes cheveux naturels sont bien plus beaux !
N'ayant d'autre choix que celui d'accepter, je referme le rideau et opte pour une robe vaporeuse noir à fleurs et un cardigan vert. L'association est très jolie et je suis sûre que cela irait très bien à n'importe quelle fille, mais sûrement pas moi... Avis que Rosalya ne semble pas partager puisque lorsque j'ouvre le rideau, Rosalya pousse une exclamation de joie.
– AH !!! JE LE SAVAIS !!
Elle se tourne vers Leigh, occupé derrière un portant, et s'écrit :
– Leigh !!!! Viens voir !
Le garçon, ne souhaitant surement pas s'attirer d'ennuis avec sa petite-amie après s'être réconcilié avec elle quelques heures plus tôt, obéit et nous rejoint.
– Tu trouves pas que ma copine est super canon ?
Leigh acquiesce et je me tourne vers le miroir de la cabine.
La tenue est très jolie et il est vrai que cela change totalement de ce que j'ai l'habitude de porter mais quelque chose me dérange, bien que je ne sache réellement identifier la chose en question.
Rosalya apparaît derrière moi et pose sa tête sur mon épaule :
– Dis-moi à quoi tu penses.
– Non rien, c'est juste que... Enfin je trouve que la robe est un peu courte...
– Elle t'arrive juste au-dessus des genoux Octavia, c'est la longueur parfaite !
– Mais tu crois pas qu'elle pourrait être un peu trop...
Je déglutis.
– ... provocante ?
Rosalya fronce les sourcils avant de s'écarter de moi pour me détailler. Une lueur passe dans son regard et elle me fait m'asseoir sur le banc à côté de nous.
– De quoi tu as peur ?
Je baisse les yeux.
Je n'ai pas pour habitude de me laisser prendre au piège aussi facilement. Personne n'a encore vu mes failles derrière mon masque. L'idée qu'une fille qui m'était encore inconnue la semaine dernière les découvre me terrifie.
D'un côté, j'ai l'intuition que Rosalya est une personne de confiance.
C'est pourquoi je craque et finis par relever ma manche gauche. Le regard de Rosalya s'assombrit immédiatement et sa main se pose sur sa bouche.
– C'est toi qui... commence-t-elle.
J'hoche la tête, sentant ma gorge se serrer.
– C'était il y a bientôt six mois, c'est cicatrisé maintenant mais j'ai pas trouvé un seul tatoueur qui accepte de la recouvrir tant que je suis pas majeure.
– Lysandre s'est fait tatoué il y a pas longtemps, affirme Rosalya. Je te donnerai son adresse si tu veux.
Je lui souris, sincèrement soulagée par cette nouvelle. Mais je n'ajoute rien, posant un regard envieux envers les vêtements choisis par Rosalya.
– Raconte-moi tout.
Et à mon grand étonnement, je l'ai fait. Il y a eu beaucoup de larmes, aussi l'une que l'autre, des insultes et des cris. Mais je dois admettre qu'en parler m'a fait énormément de bien. Rosalya a donné à Leigh une grande partie des vêtements qu'elle avait pris et en a choisi d'autres dans un style différent, plus sage mais tout aussi joli, et j'en suis ressorti le cœur allégé. Je doute qu'une séance shopping suffise à chasser mes démons, mais le corset invisible qui me compresse depuis des années a commencé à se desserrer.
***
– Je peux savoir pourquoi il y a un achat de 500 euros qui est passé hier soir ? demande mon père sans lever les yeux de sa tablette.
– J'ai fait du shopping, je réponds.
– Tu as fait du... commence-t-il avant de se stopper en levant les yeux vers moi.
Je triture mon gilet avant de baisser les yeux. Rosalya m'a fait promettre de venir au lycée dès le lendemain avec l'une des tenues investies hier soir. J'ai donc opté pour la robe à fleurs que j'ai essayée, qu'elle a trouvé dans un autre modèle, m'arrivant cette fois aux chevilles, que j'ai associé à un gilet vert sapin et mes Doc Martens.
– Je ferais mieux d'aller me changer... je murmure en voyant mon père n'avoir aucune réaction.
– Non surtout pas ! réagit-il enfin en se redressant. Tu es très jolie comme ça. Et puis ce serait dommage de gâcher autant d'argent en laissant tes nouveaux vêtements dans ton placard.
Je pince les lèvres, ne sachant quoi répondre, avant d'avancer vers la cuisine pour me servir un thé.
– Donc... reprend-t-il. Tu as été faire du shopping ?
– Ouiap, je réponds en hochant la tête.
– Avec Ginny ?
– Non, avec Rosalya, je réponds. C'est une fille que j'ai rencontré il y a quelques jours. Je l'ai aidée à se réconcilier avec son copain hier alors en échange, elle m'a emmené faire les boutiques et elle m'a acheté une superbe veste oversized à carreaux vert foncé.
– Tu devrais jouer les Cupidons plus souvent, commente mon père.
Je souris légèrement avant d'ajouter :
– Elle m'a également donné l'adresse d'un tatoueur...
– Octavia... me préviens mon père.
– Pa' ! je m'exclame. Tu m'as dit que tu y refléchirais après la rentrée ! J'ai de supers notes, je me suis fait des amis et j'ai encore jamais été viré de classe ! Enfin presque jamais... S'il-te-plait...
Il soupire et finit par abdiquer :
– Très bien, va te renseigner. Mais je veux être présent lors du rendez-vous, c'est clair ?
– Ce n'est pas moi qui ait un emploi du temps de ministre !
Mon père lève les yeux au ciel avant de répondre :
– Tu viens de claquer 500 euros sans me prévenir, si j'étais toi, j'éviterais de jouer à ça.
– C'est toi qui m'a dit de me servir de ta carte en cas de besoin !
– Rappelles-moi de ne plus jamais dire ce genre de conneries !
– Langage !
Nous échangeons un regard et éclatons d'un rire commun.