𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES D...

By Valia-Moronoe

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À Bryvas, les miracles sont trempés de sang. Ils sont appelés Asters : ceux capables de puiser dans l'Éther... More

ASTERS
PROLOGUE
Chapitre 1 : Squat Alphecas
Chapitre 2 : Maraudeurs
Chapitre 3 : Visite
Chapitre 4 : Lucent
Chapitre 5 : Entrevue
Chapitre 6 : Hóplite
Chapitre 7 : Ficelles
Chapitre 8 : Attaques
Chapitre 9 : Soda
Chapitre 10 : Révélations
Chapitre 11 : Fahrenheit
Chapitre 12 : Accident
Chapitre 13 : Dette
Chapitre 14 : Provocation
Chapitre 15 : Enclenchement
Chapitre 16 : Proposition
Chapitre 17 : Incursion
Chapitre 18 : Service
Chapitre 19 : Questionnements
Chapitre 20 : Inattendu
Chapitre 21 : Asteropides
Chapitre 22 : Chantage
Chapitre 23 : Confrontation
Chapitre 24 : Demande
Chapitre 25 : Battle
Chapitre 26 : Approche
Chapitre 27 : Influence
Chapitre 28 : Faveur
Chapitre 29 : Intervalle
Chapitre 30 : Alerter
Chapitre 31 : Attaque
Chapitre 32 : Cineád
Chapitre 33 : Engrenage
Chapitre 34 : Accords
Chapitre 35 : Trajet
Chapitre 36 : Miroirs
Chapitre 37 : Dérailler
Chapitre 39 : Reconsidérer
Chapitre 40 : Recours
Chapitre 41 : Jonctions
Chapitre 42 : Étincelle
Chapitre 43 : Âme
MOT DE LA FIN

Chapitre 38 : Azur

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By Valia-Moronoe



VARMANTEUIL –


L'hôtel La Place, du nom du café restaurant qu'il surmontait, devait avoir été charmant au temps de sa construction, avec ses encadrements de fenêtres en brique et ses deux étages. Désormais, des fissures craquelaient l'enduit de façade, et la toile crasseuse et lacérée des stores pendait inutilement sous le soleil. Les volets de fer écarlates du café restaurant au rez-de-chaussée semblaient ne pas avoir été relevés depuis des années.

Cheveux noués sous son chapeau de paille et lunettes de soleil sur les yeux, Thélia passa à bonne distance du véhicule de l'URIAA stationné à l'extérieur. Les deux agents à son bord ne lui prêtèrent aucune attention quand elle contourna le bâtiment et franchit le portail latéral.

L'âcreté de la nicotine froide imprégnait les couloirs, mêlée aux effluves de pots de bébé. Thélia foula la moquette tâchée jusqu'à la chambre dans laquelle les services sociaux avaient installé Meesha et Belonias. Considérés comme cas complexes suite à l'incident du parc Pegasi, ils avaient été placés en structure éclatée plutôt que de prendre le risque de les renvoyer à la MECS.

Une odeur fauve d'hormones adolescentes et de repas réchauffés au micro-onde prit Thélia aux narines quand elle entra dans la pièce. Elle s'empressa d'aller ouvrir la fenêtre, puis offrit à ses cadets les choux à la crème qu'elle avait achetés en chemin. Meesha s'en bâfra en émettant des sons de délice. La dernière bouchée avalée, elle se pourlécha les lèvres, puis s'affala sur le lit superposé, sa cheville foulée étendue devant elle.

— Tu sais où est Mystès ? On arrive pas à l'avoir, geignit-elle avec inquiétude.

Thélia déposa son chapeau et ses lunettes sur la minuscule commode bon marché dont ils disposaient. Ils y avaient fourré leurs sacs sans prendre la peine de déballer leurs affaires.

— Non, il vient plus au Lucent et je peux pas le joindre non plus. J'espérais que vous auriez des nouvelles.

— C'est pas normal ! s'alarma l'adolescente. Il lui est arrivé un truc.

— Je sais. J'en parlerai à Nori mais, pour le moment, la priorité c'est d'empêcher Becrux de vous atteindre.

Depuis la couchette supérieur, Belonias intervint :

— Mystès a dit que je pouvais lâcher Khaos s'ils reviennent.

— Oui, en dernier recours, lui rappela Thélia avec une grimace. Tu as vu ce qu'il s'est passé à Pegasi.

— Adamer était là ! se réjouit Meesha avec un gloussement d'excitation.

Thélia ne put retenir un soupir de dépit. À son sens, la présence d'Adamer au parc ne constituait pas le point le plus marquant du désastre. Elle renonça néanmoins à morigéner l'adolescente.

— Tu vas être contente : on l'attend. Il vient faire le point avec nous.

L'exaltation s'empara de Meesha. Empêchée de bondir partout dans la pièce par sa cheville blessée, elle se roula sur le lit en agitant les poings, sa frimousse plissée de joie. Thélia considéra sa chevelure en piteux état. Son cuir chevelu manquait cruellement de shampoing et ses mèches coagulaient en masses rêches de nœuds, lui conférant une allure de maraudeuse.

Thélia tira de son sac à main le mince stylet d'argent prêté par Adamer. La poignée d'ébène se moulait avec douceur dans sa paume. Elle l'imprégna de son Essence, et se permit de frapper la pointe contre la commode. Elle dénicha ensuite une brosse et se pencha sous les lattes du lit supérieur pour s'asseoir sur le matelas en mousse.

— Viens-là, enjoignit-elle Meesha.

Les mèches de l'adolescente commençaient à retrouver leur lustre noir quand un discret grésillement se fit entendre derrière la porte, suivit de coups légers. Des résidus d'Éther frémissaient encore dans l'air quand Thélia ouvrit à Adamer. Comme convenu, il s'était servi de la balise qu'elle avait activée pour s'introduire dans l'hôtel à l'insu de ses collègues.

Il se présenta vêtu en civil, d'un tee-shirt et d'un pantacourt d'allure basique, mais dont Thélia identifia la facture haut-de-gamme. L'ensemble devait coûter l'équivalent de deux mois de son salaire. Sans compter sa montre et ses lunettes de soleil relevées sur son crâne.

Adamer les salua de son sourire le plus enjôleur, brandissant un sac en papier kraft duquel émanait une délicieuse odeur de poulet frit.

— J'espère que vous avez faim ! J'ai apporté le déjeuner, vu l'heure.

Meesha se releva en équilibre sur un pied, les mains plaquées contre sa bouche, ses yeux sombres arrondis d'admiration. Elle sautilla tant bien que mal jusqu'à l'agent pour recevoir sa boîte de nuggets et s'exclama quasiment à son visage :

— Keitan ! Wow, mais j'y crois pas !

— Surpriiise, rit Adamer en usant de son bras libre pour lui donner une accolade de circonstances. Kerdaphy m'a dit que vous aviez besoin d'aide, alors...

La façon dont il déformait la réalité, avec une aisance si nonchalante, fit sourciller la thaumaturge. À l'entendre, il ne faisait qu'apporter son aide charitable à une amie. Elle prit la part qu'il lui tendait par-dessus la tête de Meesha et la remit à Belonias, qui ne se décidait pas à descendre de son abri.

— Mais tu connais Thélia ? s'ébahit l'adolescente. Oh, mais oui ! Je te suis sur Díkti, j'ai vu que tu allais au Lucent. Vous vous êtes rencontrés là-bas ? Tu connaîs Mystès, alors ?

Emportée par sa fébrilité, elle lui agrippa l'avant-bras. La posture d'Adamer se tendit imperceptiblement, ses omoplates se tassèrent sur elles-mêmes avec un spasme nerveux, comme s'il réprimait le réflexe de se rétracter hors de portée de la jeune Aster. Thélia put presque voir sa peau se hérisser à son contact. Elle saisit sa cadette par les épaules afin de l'éloigner d'Adamer.

— Meesha, ça suffit, la réprimanda-t-elle.

L'adolescente plissa les lèvres en une moue de frustration, mais elle consentit néanmoins à respecter l'espace vital de son héros. Le masque d'amabilité de ce dernier n'avait pas flanché un seul instant face à ses manières envahissantes, pourtant, l'espace d'une seconde, ses paupières s'étaient étrécies sur ses yeux emplis de déplaisir.

— Merci d'être venu, reprit Thélia. Je savais pas si t'accepterais que je te sollicite à nouveau.

Adamer haussa les épaules et piocha dans son cornet de frites.

— J'ai pas résolu grand-chose à Pegasi. Je t'en dois toujours une. Dites-moi tout.

— Les agents qui surveillent l'hôtel, ils sont surtout là pour contrôler Bel et empêcher une nouvelle fugue. Est-ce que tu crois qu'ils pourront les protéger de Becrux ?

Il déglutit, la mine pensive.

— Pas longtemps. Soit les gamins vont être laissés à croupir dans cet hôtel jusqu'à leur majorité, et l'URIAA montera pas la garde jusque-là, soit ils vont être renvoyés dans une structure jugée adaptée à leur cas...

— Et Becrux trouvera le moyen de les atteindre.

— Exactement. Les services sociaux font pas le poids contre les Constellations, elles ont pratiquement qu'à se servir. Et vu le climat actuel et la démonstration de Belonias à Pegasi, Becrux sera peut-être pas la seule à essayer de mettre la main sur lui. Mais elle voulait aussi Mish-mish, non ? Tu nous caches quoi, comme Arété ?

Le surnom fit pétiller les yeux de Meesha. Elle pinça néanmoins les lèvres et se trémoussa, manifestement mal à l'aise. Ils durent attendre qu'elle eût engloutit un nugget avec qu'elle ne finisse par céder face à leur silence :

— J'ai un lien avec le guépard. Donc...

— Mais quel type de lien ? voulut savoir Adamer. Plutôt métamorphe, plutôt damatrice... ?

Meesha haussa les épaules avec une telle récalcitrance qu'elle semblait s'ébrouer pour se débarrasser de leur attention. Comprenant qu'elle ne tenait pas à élaborer, Adamer échangea un regard avec Thélia.

— Bon, et Mystès dans tout ça ?

— On a peur qu'il lui soit arrivé un truc, révéla Thélia. On arrive pas à le contacter.

Adamer inclina la tête avec étonnement.

— Toujours pas ? C'est bizarre. Il est affilié à Achernar, non ? Ça vaut le coup de leur signaler, ils auraient tout intérêt à pas négliger la disparition d'un de leur poulain, en ce moment.

— Nori va se charger de le leur faire remonter. Quoiqu'il en soit, on peut pas se permettre d'attendre de l'avoir retrouvé pour agir. Si Meesha et Bel sont pas en sécurité au sein des services sociaux, je vais les faire sortir du réseau.

Thélia ignorait d'où elle puisait l'assurance qui imprégnait sa voix et teinta ses iris et sa chevelure de pourpre. Tout comme elle s'étonna de la facilité avec laquelle elle se décida, là où elle aurait jusqu'à récemment estimé les risques trop élevés et les difficultés infranchissables.

Adamer émit un souffle amusé.

— Donc tu veux mon aide sur un truc pas très réglementaire, c'est ça ?

— Plutôt ton accord. Parce que je vais devoir neutraliser les agents, dehors.

Son aplomb parut se communiquer aux deux adolescents, qui lui renvoyèrent des expressions confiantes. Il s'agissait désormais de ne pas les décevoir.



La pastille était blanche, engravée d'un symbole indiquant ses propriétés. Dans la paume de Thélia, elle avait à peine la taille d'un ongle. Ses quelques milligrammes ne pesaient que sur sa conscience.

Plus tôt dans la journée, elle avait exposé en détails son plan à Adamer, et celui-ci l'avait validé, l'estimant suffisamment sécurisé. L'unique élément qu'elle avait passé sous silence était la pilule qu'elle s'était procurée auprès de vendeurs de rue à Mortraze.

Thélia prit une profonde inspiration, puis rejeta la tête en arrière pour jeter la pastille dans sa bouche. Elle l'avala à l'aide d'une longue gorgée d'eau, et la sentit à peine descendre dans sa gorge.

Après avoir enfilé la lanière de son porte gourde par-dessus le sweat qu'elle n'avait pas trouvé l'occasion de laver depuis Pegasi, Thélia quitta l'appartement. Le temps qu'elle parvienne à l'hôtel, l'effet du comprimé agissait sur son système. Sa chevelure attachée s'était parée d'un bleu azuré. L'exacte couleur dont elle aurait besoin dans les instants à venir.

Les pilules d'humeur étaient autant destinées aux non-Asters cherchant à se maintenir quelques heures dans un état émotionnel spécifique, qu'aux Asters dont l'Arété dépendait de leurs émotions. Leur usage prohibé en faisait un commerce lucratif pour les Cebalraï.

La molécule que Thélia avait avalé agissait comme un anxiolytique modéré, qui lui permettrait de rester artificiellement détendue une demi-douzaine d'heures durant. L'impression de légèreté et de flottement qui l'enveloppait émoussait en revanche sa réactivité. Son cerveau traitait les informations extérieures avec un temps de latence. Le moindre geste un peu trop brusque lui faisait désagréablement tourner la tête.

L'hôtel La Place se dressait, pareil à une masse sombre, dans le crépuscule mourant. En fait de place, un parking s'étalait à ses pieds, au bout duquel se trouvait l'accès au hall d'une gare régionale. Thélia se posta sous l'abri de bus au coin de la rue pour surveiller le véhicule de l'URIAA, toujours stationné parmi les civils. Elle envoya alors un message à Meesha, lui signalant qu'elle et Belonias pouvaient descendre. Tandis qu'elle les attendait, elle laissa aller sa tête contre le plexiglas. Son regard voguait, si bien qu'elle devait constamment le ramener vers le portail de l'hôtel. Enfin, deux silhouettes juvéniles se profilèrent sous l'éclairage des lampadaires. Chargés de leurs sacs, Meesha s'appuyant sur une béquille, ils filèrent d'un pas pressé, feignant de se diriger vers la gare.

Les portières de la voiture banalisée claquèrent bientôt, et les deux agents s'élancèrent après eux. Meesha ne leur jeta qu'un coup d'œil par-dessus son épaule. Dans la pénombre, ses iris se parèrent d'un éclat phosphorescent tout félin. Thélia aurait pu jurer qu'elle entendit le crissement du bouchon de sa gourde quand elle la dévissa.

La thaumaturge quitta l'abribus pour se rapprocher dans le dos des agents. Du bout des doigts, elle fit s'évaporer l'eau en brume bleutée, puis guida les volutes autour de leur tête. Avant qu'ils ne puissent saisir la situation, ils inhalèrent la vapeur à forte teneur narcoleptique et vacillèrent, sonnés.

Thélia réceptionna l'un des corps qui s'écroulaient avec lourdeur, les adolescents se chargèrent du deuxième, les empêchant d'heurter trop violemment le sol. Dès qu'elle eut déposé son fardeau, Meesha se jeta au cou de son aînée.

— T'as réussi ! piailla-t-elle, euphorique.

Écrasée dans son étreinte, Thélia lui frotta le dos.

— Il faut y aller tout de suite, les pressa-t-elle.

Elle délesta l'adolescente de son sac, qui les devança sur le parking. Malgré ses boitements, elle avançait comme sur ressorts, sa béquille claquant à coups vigoureux sur le bitume. Abrutie par le cachet, Thélia intégra la scène qui s'ensuivit avec un temps de retard.

Un éclair métallique cingla l'air. Longue et souple, une chaîne s'enroula autour du cou de Meesha. Elle fut fauchée en plein élan, et dérapa. Thélia vit son corps dégingandé être brutalement déjeté, avant qu'elle ne s'écrase sur le dos, les doigts crispés autour des maillons qui lui comprimaient la trachée.

À l'autre bout du lien de métal se dressait Sylvius, habillé de son pantalon cargo, cheveux de jais coiffés en arrière et iris vert ciguë étincelants d'un triomphe venimeux. Deux autres individus descendirent d'un monospace derrière lui. Belonias émit un grognement de fureur. Il esquissa un geste en avant, prêt à se précipiter vers le premier reflet disponible, mais Sylvius fit claquer sa langue contre son palais et lâcha l'extrémité de la chaîne, qui ondula en tintant pour lier les bras de Meesha derrière son dos. Impuissante, l'adolescente luttait pour s'emplir les bronches d'oxygène, les yeux écarquillés.

— Reste exactement où tu es, petit, l'intima Sylvius d'un ton suintant de fausse amabilité.

Le regard écarlate de Belonias brûlait de hargne, mais il obtempéra. Satisfait, l'hóplite allégea de quelques degrés la pression sur la gorge de Meesha, dont la poitrine se gonfla d'une brusque inhalation. Son attention se posa alors sur Thélia. Un vertige affolé s'était emparé d'elle, sans pour autant rompre la gangue chimique qui l'enveloppait. Les prunelles de Sylvius ratissèrent les mèches de sa chevelure sous sa capuche.

— Oh oh, musa-t-il. Tu t'es neutralisée toute seule, on dirait. Qu'est-ce que je t'ai toujours dit ? Le rouge est ta meilleure couleur.

Thélia glissa la main dans sa poche et la referma sur le stylet rangé dans son étui. Son Essence ruissela, absorbée par le métal. Effarée, elle lança :

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je récolte un joli pactole. Si je te connaissais pas, je te proposerais de me donner le gamin et de partager les gains, mais...

D'un geste du poignet, il souleva le corps ligoté de l'adolescente, qui ne put que se tortiller dans ses liens, et l'expédia contre l'une de ses compagnons. Thélia se plaça devant Belonias.

— Arrête ! Tu vas pas vendre des enfants ?!

— Et qu'est-ce que tu voudrais faire d'eux ? Des enfants de la rue, libres et miséreux ? Becrux est la meilleure option pour des machines de guerre comme eux.

Ces deux acolytes, une brune au carré moiré de reflet prune et un type au crâne rasé, entreprirent de traîner Meesha vers le monospace. Hors d'elle, l'adolescente ruait et les agonisant d'injures qui résonnaient à travers le parking. L'homme voulut la museler, mais elle le mordit avec hargne. Il lâcha une plainte, la main ensanglantée.

La pastille d'humeur avait beau étourdir Thélia, elle ne restreignait pas son Arété. Elle percevait toute l'eau disponible aux alentours, son flux dans les canalisations, prêt à s'évaporer sur commande. Elle manquerait d'Essence pour en manipuler l'entièreté, mais pouvait en extraire assez pour assommer le trio. Si elle parvenait à l'amasser sans que Sylvius ne le réalise...

Avant qu'elle ne pût tenter quoique ce soit, une nuée de traits argentés déchira l'air en sifflant. L'hóplonie de Sylvius jaillit de ses poches pour fuser à leur rencontre, et la multitude de couteaux de jets se heurtant aux sinuosités des chaînes produisit une série d'échos secs. Une seconde salve franchit le barrage des maillons, et le força à se jeter de côté dans une esquive précipitée. Sylvius se rétablit sur ses pieds d'une roulade, entouré par le tourbillon de ses chaînes.

L'espace d'un demi-battement de cœur, Thélia avisa le dos d'Adamer, qui venait de se matérialiser devant elle. Il avait enfilé son harnais aux allures de colonne vertébrale par-dessus sa veste.

Toutes les vitres des voitures alentour explosèrent. Un concert d'alarmes s'éleva dans la nuit. Les volées de verre brisé se muèrent en minuscules figures effilées et bourdonnantes. Incapable de réagir, elle discerna, pétrifiée d'effroi, le flou des projectiles qui fondaient sur elle.

Thélia n'avait même pas levé les bras devant son visage que les lames d'Adamer quadrillèrent l'espace autour d'elle, fracassant les créatures translucides. Les éclats plurent sans seulement l'effleurer, mais d'autres voltigeaient sur le parking. Le verre, l'acier et le titane se télescopaient de toute part.

Thélia serra les dents. Sylvius et son acolyte faisaient diversion en dirigeant leurs assauts contre elle et Belonias, les clouant en place et obligeant l'agent à les défendre. Pendant ce temps, le troisième de la bande s'évertuait à faire monter Meesha à bord du monospace, seul véhicule épargné par l'Arété de la brune. Des filigranes luminescents s'étaient allumés sur les tempes de cette dernière, témoins de l'emprise qu'elle exerçait sur les oiseaux de verre. Une métaschème.

Sylvius devait être payé une sacrée somme pour être prêt à faire équipe avec d'autres Asters qu'elle, plus regardants sur le partage des gains. Dans l'œil du maelstrom de lames, de maillons et d'ailes acérées qui s'entrecroisaient à toute volée, il menait contre Adamer une lutte presque impossible à suivre des yeux. Il avait déroulé ses deux chaînes hérissées d'épines crochues. Aussi redoutables que des barbelées, elles voltigeaient en orbite autour de lui, interceptant les attaques de l'agent tout en le maintenant à distance. Adamer faisait volter ses couteaux dans l'espoir de percer sa défense mobile. Tous deux se tournaient sans répit autour, dans un déluge d'assauts flous et de pirouettes célères.

Thélia fut tirée de son inertie par un colibri cristallin qui fusa derechef dans sa direction, et fut pulvérisé devant son nez.

Ils peuvent pas m'atteindre, réalisa-t-elle. Une idée lui fouetta soudain le sang. Elle s'y cramponna sans même réfléchir. Tout ce qu'elle avait à faire, c'était d'atteindre Meesha.

Tout allait si vite. Les bruits métalliques des collisions qui se produisaient partout, à chaque instant, entre les Arété des opposants lacéraient son esprit d'éclairs bleus ignescent. Elle exécuta quelques pas hésitants vers le monospace, et l'escorte de lames suivit.

Alors, elle s'élança en courant à travers le chaos, s'en remettant pleinement à Adamer pour lui ouvrir la voie. Les effets de la pilule d'humeur inhibaient les réflexes de protection qui l'auraient pétrifié ou fait se reculer face aux morceaux de verre projetés sur elle. Tandis qu'elle se ruait vers Meesha, cerclée dans sa course par l'essaim de lames, Thélia s'empara de l'eau restant au fond de sa gourde.

Incapable de l'arrêter avec ses créations, l'Aster brune voulut se dresser en rempart entre elle et son complice. Les tracés lumineux d'infimes plumes sur sa peau la dotait d'un masque scintillant. Sous son maquillage charbonneux, ses yeux éclairés par la manifestation de son Essence étincelaient de fiel.

La thaumaturge vaporisa le contenu de sa gourde. Meesha était parvenue à refermer les dents sur le bras de celui qui l'avait saisi. Refusant de lâcher prise malgré la poigne furieuse qui tirait sans ménagement sur ses cheveux, elle fronçait une mine furibonde, les pupilles dilatées.

En quelques mouvements de mains, Thélia enveloppa la paire d'acolyte de son brouillard azuré. Ils eurent beau secouer la tête et balayer l'air de leurs bras, la brume les colla jusqu'à ce qu'ils s'écroulent, inertes. L'ensemble des oiseaux de verre churent avec la métaschème, pareil à une brusque averse de grêle.

Thélia ramena la vapeur narcotique à son état d'origine par une nouvelle série de gestes. Elle s'empressa auprès de Meesha, la libéra de la chaîne devenue inanimée, puis lui passa un bras dans le dos afin de la hisser sur son épaule. Le menton barbouillé de sang gluant, l'adolescente s'accrocha à elle. Sa tête dodelinait. En dépit des précautions de Thélia, elle avait dû inhaler une faible dose de vapeur.

Dans le coin de son champ de vision, Thélia perçut alors un mouvement flou. L'une des chaînes barbelées de Sylvius fondait sur elle. Tout son être se tendit. Encombrée du poids mort de Meesha, elle n'avait aucune marge de manœuvre. Son souffle s'interrompit.

Puis tout se brouilla. Une masse les heurta de plein fouet et les enserra dans un étau. L'Éther crépita autour d'elles. Thélia fut prise d'une vague nausée. Complètement figée, elle rassembla peu à peu ses perceptions.

Son front était collé à un autre. Un souffle se mêlait au sien.

Elle rouvrit les paupières, qu'elle avait fermées par réflexe, et capta le reflet ambré d'un iris. La pression qui la comprimait appartenait aux bras d'Adamer. Ils ne se trouvaient plus à côté du monospace, mais à l'autre bout du parking, sous le rempart des lames dressé au-dessus d'eux.

"Personne ne pourra te rejoindre plus vite que moi."

L'agent rapatria son hóplonie alors qu'il reculait le visage. Le regard que Thélia lui découvrit la cloua sur place. C'était un regard qui ne la voyait pas vraiment, fixe de concentration, uniquement animé par l'instinct combatif. Ses traits étaient tendus en un faciès déterminé. Aucune trace de la chaleur solaire qui le caractérisait. Rien que le fil froid et affûté d'une volonté sans failles.

Rajustant sa prise sur Meesha, elle articula d'un ton sidéré :

— T'es vraiment rapide.

Le son de sa voix parut tirer Adamer de son état d'absorption. La lumière revint sous ses paupières. Un sourire crâne étira ses lèvres.

— Parce que t'en doutais ? répliqua-t-il avec un clin d'œil.

Ce retour à son attitude habituelle permit à Thélia de retrouver ses esprits. Elle s'écarta de lui et pivota, à la recherche d'une tignasse blanche et d'une peau ocre. Bélonias traversait déjà le champ de véhicules endommagés et de tessons qu'était devenu le parking. Parvenu à leur hauteur, il saisit la main de l'adolescente et l'examina d'un air anxieux.

— Elle va bien, lui indiqua Thélia avant de s'adresser à Adamer. Et Sylvius ?

Ses deux complices gisaient toujours près du monospace, mais lui n'était nulle part en vue.

— Il vous a attaqué pour me forcer à prioriser votre sauvetage et en a profité pour se tailler, expliqua l'agent avec une pointe de réprobation. Je vais faire un tour du quartier pour voir si je peux encore le rattraper. Restez pas là. On se retrouve après, d'accord ?

Là-dessus, il disparut au milieu des traînées argentées. Groggy par les effets conjoints du cachet et de la retombée de l'effervescence, Thélia guida ses deux cadets à travers les rues. Ils prirent les directions opposées à la poignée de passants curieux qui observaient la scène à bonne distance, et veillèrent à se fondre autant que possible dans l'obscurité.

Au bout de quelques minutes de marche, ils gagnèrent un parc composé de pelouses et d'étangs, dont les haies et arbustes denses offraient de nombreux recoins relativement protégés des regards. Thélia installa Meesha sur un banc couvert par un dais de branchages. L'adolescente revenait lentement à elle. Belonias se jeta dans ses bras avec un souffle de bonheur, et ne la lâcha plus. Tandis qu'elle prenait place à leur côté, Thélia reçut un message d'Adamer les avertissant qu'il reviendrait après avoir géré la situation avec les autorités arrivées sur les lieux. Le nez dans les crins ivoirien de Belonias, Meesha demanda :

— Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ?

— On va vous trouver un abri. On laissera pas Becrux vous approcher.

Sans l'action de la pilule d'humeur, un lilas peiné aurait coloré ses mèches. Ils venaient définitivement d'être arrachés au semblant de vie stable qu'ils avaient pu mener jusqu'à présent.






Nouvelle opération risquée de Thélia... contrariée par Sylvius !

J'ai adoré décrire tous les Arété dans ce chapitre, j'espère que c'était clair.

Pour celles qui avaient des prédictions sur l'intrigue de Meesha et Bélonias, est-ce que ce déroulement s'en approche ? x)

Des idées pour la suite ?

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