Nous arrivons à la voiture de Hailey. Je n'ai pas dit un mot depuis ma rencontre avec Matt, et je suis complètement perdue dans mes pensées. Je reste sans réaction devant la voiture.
— Tu comptes rester là combien de temps ? me lance Connor d'un air excédé.
Je lui lance un regard noir et prends place dans la voiture, sur le siège de droit à l'arrière. L'autre partie du groupe va dans la voiture de Tyler. Pour faire chier Connor, ils l'ont mis avec moi. Nous sommes accompagnés de Hailey et Ally. Cette dernière se met devant en rigolant et faisant signe à Connor, qui s'installe sur le siège à gauche en râlant. Ce mec est insupportable.
Je fais une grimace et attache ma ceinture, mal à l'aise. Les voitures, c'est pas mon endroit préféré - notons l'euphémisme. Dès que j'entre dans une voiture, encore plus accompagnée de plusieurs personnes, je pris pour en sortir le plus vite possible. Je suis crispée et garde le regard fixe sur le dos du siège en face de moi. Connor doit voir mon comportement sûrement anormal puisqu'il me fait une remarque.
— Va falloir te détendre, la nouvelle, on est même pas partis.
— Ta gueule.
Je serre la ceinture, enfonçant douloureusement mes ongles dans le tissu. J'ai mal à la tête, mal au coeur. Il faut vite que nous partions, ou je risque de sortir en courant.
— Adorable ! s'exclame-t-il en poussant un soupir.
— Commencez pas, vous deux ! cingle Ally.
— Ça n'aurait pas été comme ça si je ne m'étais pas retrouvé avec elle ! s'énerve Connor.
— Oui, ben il va falloir que tu t'y habitues. Vous allez vous voir souvent, maintenant.
« Ah, c'est bon à savoir » pensé-je en soupirant, tournant la tête vers la fenêtre. Hailey se met en route, je me raidis au son du moteur.
— Elle ne m'intéresse pas, je vais pas faire semblant, ricane le blond.
— Ça t'embête pas de parler de moi alors que je suis là ? pesté-je.
— Absolument pas.
— Tu te prends pour qui ?
— Oh ça va, je rigolais ! riposte-t-il en levant les mains.
— Super drôle.
Il ne me répond pas et je retourne mon regard vers le paysage flou qui défile rapidement sous mes yeux. Je suis fatiguée, et mes yeux se ferment tout seuls. Mais je ne veux pas. Je ne veux pas fermer les yeux, baisser ma garde, ne serait-ce qu'une seconde, je ne veux pas prendre ce risque.
Je suis toute raide et crispée sur le siège, et attends avec impatience l'arrivée à la plage. Le silence règne, et le seul son qui anime ce moment est le moteur qui chauffe. Connor tapote sur son portable et Ally regarde dehors. Je rentre ma tête dans mes épaules, ayant étrangement froid et repose ma tête sur la fenêtre, laissant mon regard se perdre dehors. J'essaie en vain de repousser les souvenirs qui me remontent en mémoire à chaque fois que je me retrouve dans une voiture. Je n'arrive jamais à les empêcher de refaire surface, alors je laisse venir. Et je retiens ma respiration, sachant très bien que ça va être dur.
— Mets plus fort j'adore cette chanson ! s'exclame Sarah avec enthousiasme.
Ma mère s'exécute et ma soeur commence à chanter. Je rigole. Elle chante tellement mal. Je regarde le paysage dehors, un sourire au lèvres. Il fait nuit, et la neige teinte joliment le contour des routes près de la falaise que nous longeons, surplombant la forêt. C'est beau. Je tourne la tête un instant, et vois ma mère articuler une phrase à mon père, l'air étrangement tendu.
— Qu'est-ce qu'il y a ? lui demandé-je.
— Rien, ma chérie, ne t'inquiète pas.
Je fronce les sourcils puis reporte mon attention sur le paysage. Je remarque que nous allons très vite, même pendant les virages. Mais ça ne m'inquiète pas vraiment.
Une minute plus tard, j'entends ma mère qui parle à mon père, cette fois réellement paniquée. Je jette un regard interrogateur à ma sœur, qui ne comprend pas non plus. La musique s'arrête, ma mère arrête la radio. Mon père prend la parole en se retournant vers nous. Il sourit, mais je vois bien que son sourire cache quelque chose.
— On a un problème avec la voiture, mais ça va aller.
— Quel problème ? demande Sarah, inquiète.
Il jette un regard à ma mère.
— Votre mère... n'arrive plus à changer les vitesses. Mais elle va essayer de reprendre le contrôle, ça doit être un défaut électrique.
— Et on ne peut pas s'arrêter ? interviens-je.
— Non, répond brutalement ma mère. J'ai essayé.
Ma soeur et moi hochons la tête en signe de compréhension et nous regardons. Je peux sentir sa peur à elle aussi. Nous savons toutes les deux qu'il ne faut pas montrer à nos parents que nous paniquons affreusement. Alors nous ne parlons pas, et ne nous quittons pas des yeux. Elle a peur. J'ai peur aussi. Très peur. Je sais que quand on perd le contrôle d'une voiture, ça ne se finit jamais bien. Et à entendre les murmures de ma mère et la voiture filer dans le vent, je sais comment ça va se finir. Je sais que cet endroit sera le dernier que je vais voir. Je sais que cette situation est la dernière que je vais vivre. Je sais que nous allons mourir. Les larmes me montent aux yeux, et je commence à pleurer. Ma mère aussi pleure. Elle croit qu'on ne peut pas le voir. Mon père, garde son sang froid, et caresse le dos de ma mère en lui murmurant des mots rassurants. Mais je perçois dans sa voix qu'il sait déjà que tout est fini. Sarah tremble en gardant ses larmes à l'intérieur. Je tends ma main vers elle, elle la prend fermement.
Quelques secondes plus tard, j'entends ma mère qui pousse un cri, puis je suis aveuglée par un éclair de lumière sur la route. Le véhicule dérape, je ferme les yeux en hurlant. Puis, j'entends un violent choc.
Je rouvre brutalement les yeux en expirant violemment, comme si je sortais d'un cauchemar. Je secoue la tête et passe mes mains sur mon visage. Je jette un regard à Connor, il soutient mon regard, mais ne dit rien. C'est surprenant venant de lui. Il me fixe quelques secondes, sans dire un mot, puis reporte son attention sur son téléphone. La voiture s'arrête. Je soupire de soulagement, et m'empresse d'ouvrir la portière et de sortir pour prendre une grande inspiration. Les autres sortent peu après. Je reprends un air naturel. Ally, Connor et Hailey viennent vers moi.
— Il faut que tu te changes ! me lance la dernière en me tendant un bikini turquoise.
Je fais la grimace puis prends le maillot de bain avant de rentrer dans la voiture. Ally et Hailey se mettent devant chaque portière pour me cacher. C'est assez drôle. Je me contorsionne pour parvenir à mettre ce maillot. Après quelques minutes de galère, j'y arrive enfin. Le maillot est un peu trop grand pour moi, j'ai l'air ridicule. Je me rhabille en soupirant et sors. L'autre partie du groupe est arrivée entre temps, et ils m'attendent tous. Je les rejoins et nous nous dirigeons vers la plage. Je reste encore un peu à l'écart, comme par réflexe.
Quand nous nous installons sur le sable, les filles se dépêchent de se déshabiller et courent vers l'eau. Je m'oblige à me mettre en maillot de bain et m'assieds sur une serviette en cachant comme je peux le maximum de parties de mon corps. Je suis mal à l'aise. Les garçons ôtent à leur tour leurs tee-shirt. Je suis obligée d'avouer qu'ils ont des corps de rêve, même cet abruti de Connor. Celui-ci me lance un regard narquois, puis part en direction de la mer avec Scott. Encore une fois, Tyler reste avec moi, et s'assied sur une serviette près de moi.
— Pourquoi tu ne vas pas te baigner ? me demande-t-il.
— Je pourrais te demander la même chose, répliqué-je.
— Je voulais rester avec toi.
— Attention, tes amis pourraient penser que tu m'aimes bien, lancé-je d'un ton moqueur.
— Ils auraient raison.
— T'es chiant, soupiré-je.
— Je sais.
Il m'accorde son plus beau sourire, et je lève les yeux au ciel avant d'observer l'océan. Les autres semblent bien s'amuser. Nous restons silencieux quelques instants, mais Tyler, comme à son habitude, brise le silence.
— C'est quoi tout ça ?
Il désigne les cicatrices sur mon corps. J'en ai sur les jambes, beaucoup sur les bras. Certaines proviennent de l'accident, les autres, de moi-même.
— Rien, lâché-je.
— C'est-à-dire ?
— Écoute, on se connaît depuis deux jours. Ne crois pas que je vais te raconter ma vie, cinglé-je un peu trop brutalement.
— J'avais deviné.
Ses mots avaient un ton de colère et je ne sais pas pourquoi, ça m'a blessée. Il se lève et fait mine de rejoindre les autres. Je ne réfléchis pas et lui agrippe le bras. Il se retourne, et me fixe.
— Reste, dis-je.
Il se rassied lentement.
— Disons que y a certaines choses dont je n'aime pas parler, expliqué-je alors.
— J'avais remarqué... Un jour, tu m'en parleras ?
— J'en sais rien, Tyler... J'en sais rien.
Je sens sa main se poser sur une de mes cicatrices sur mon avant bras, et je me raidis en frissonnant de tout mon long. Je dégage d'abord sa main, puis croise son regard brillant. Il hoche la tête. Il a compris.
— De qui tu parlais à la fontaine ? fais-je après quelques instants de silence. La personne à qui tu ne veux pas ressembler.
Il paraît surpris de ma question, et son expression se durcit.
— Disons que y a certaines choses dont je n'aime pas parler, lâche-t-il avec un léger sourire.
J'esquisse un sourire.
— OK.
Il reste silencieux un moment, puis se racle la gorge.
— Je parlais de mon frère.
— Il ne te faut pas trop de temps pour parler, en fait, noté-je.
Il hausse les épaules.
— Et pourquoi tu ne veux pas lui ressembler ? renchéris-je.
— C'est tout ce que tu sauras pour le moment.
Je ne pose plus de questions, et Tyler se lève.
— On va se baigner.
— Non, réponds-je. Toi vas-y.
— Pas sans toi.
Je le regarde pendant une seconde. Il sourit, en me tendant une main. Je jette un regard à sa main, hésite à la prendre, mais me relève seule. Puis, je marche à ses côtés.
Je sens les vaguelettes du bord de l'eau me caresser les pieds. Les autres sont en train de s'éclabousser, Joy est sur le dos de Scott, Ally sur celui de Connor. Ils se battent et se poussent. Je jette un coup d'œil à Tyler, qui me fait un grand sourire narquois. Je n'ai pas le temps de partir en courant, il m'agrippe et la seconde d'après, je suis sur son dos. Je le frappe pour qu'il me lâche, mais il s'esclaffe et s'élance dans l'eau. Nous arrivons au niveau des autres. Je tente par tous les moyens de m'échapper, mais rien n'y fait, il appuie avec force sur mes jambes. Je continue de le taper, sans succès. Joy et Scott rient à gorge déployée, Connor également. Ally semble amusée, mais Hailey, elle, beaucoup moins. Elle affiche un sourire crispé, semblant un peu agacée. Tyler doit le remarquer, puisqu'il me laisse tomber comme une masse dans l'eau. Je crie, surprise par le contact soudain de l'eau sur ma peau. Je me relève en l'insultant. Il rigole grassement. C'est loin de me faire rire, mais malgré le fait que je déteste ça, je dois avouer que je suis plus détendue maintenant. Je lui lance un regard noir et le menace de le gifler afin de lui faire comprendre que je n'aime pas ça. Ça n'a pas l'effet escompté puisqu'il me décoche son plus grand sourire. Il s'éloigne peu après avec les autres garçons. En tout cas, il n'a apparemment plus de réticence à me parler devant les autres.
Hailey passe à ce moment près de moi et me dit quelque chose que je suis la seule à pouvoir entendre.
— Je croyais qu'il ne t'intéressait pas.
Je sursaute, et lui lance un regard interrogateur. Elle souffle, l'air déçu. Elle est jalouse ? Je lui attrape le bras.
— T'as quoi ? lâché-je.
— Je ne te laisserai pas Tyler, fait-elle d'un air énervé mais hésitant.
— J'en veux pas, t'inquiète.
— J'espère bien.
Puis elle s'éloigne elle aussi, et va parler avec Joy. Ally me rejoint.
— Elle t'a dit quoi ? Elle avait l'air énervée.
— Rien. Elle devient parano à cause de Tyler.
— Comment ça ?
— Elle croit que je vais lui voler, elle est folle.
Je ne laisse pas le temps à Ally de me répondre et retourne sur la plage. Hailey m'a énervée. Les filles possessives envers des mecs avec qui elles ne sont même pas, ça m'exaspère.
Je soupire et m'assieds sur ma serviette, observant le sable chatouillant mes pieds.
Après un long moment à regarder la mer, j'entends mon téléphone vibrer. Ça faisait longtemps que je n'avais pas entendu ce son. J'ai toujours mon portable avec moi, sans aucune raison. J'ai peut-être l'espoir idiot et absurde d'un jour recevoir un message de ma sœur, me disant qu'elle passe me chercher à la sortie du lycée.
Je regarde le message d'un air intrigué, et un violent frisson me parcourt le dos quand je le lis.
« Je sais que c'était toi tout à l'heure. Rejoins moi sur le parking. »