Les affaires des autres (Laur...

By LeodeGalGal

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Quand Laura Woodward, médecin légiste, arrive à New Tren pour enquêter sur les pratiques de son homologue loc... More

Avant propos
Un instant volé
1. La morgue de New Tren
2. Le résident
3. Un Bon Samaritain dans la grisaille
4. Prise de température
5. L'homme de loisirs (1/2)
5. L'homme de loisirs (2/2)
6. Rencontres contrastées
7. De grands malades
8. Aides malvenues
9. L'antre du loup
10. Proposition intéressée
11. La neige de Snowvern
12. Jour après jour
13. Tensions dans l'église
14. L'aveu d'avant l'aube
15. L'opinion du légiste
16. Le point de vue du journaliste
17. Le jugement du curé
18. Mort à venir
19. Joyeux Noël
20. Grisaille aux marrons
21. Mises au point
22. Manque à l'appel
23. Confrontation
24. Lumière
25. Chevalier Servant
26. Convalescence
27. Un 28 décembre presque ordinaire
29. Procédure et éclats
30. Encaisser
31. L'antre du loup, de nuit
32. Les échanges nécessaires
33. Des intrus dans la morgue
34. William Willis
35. Réveillon révélateur
36. La fine équipe
37. L'antre du loup, en bonne compagnie
38. Les affaires des autres
39. Histoire de foies
40. Tous des monstres
41. Loin des yeux
42. Le silence de l'abri
43. Erreur de calcul
44. Après la nuit
45. Autour d'une salade
46. Retour aux sources
47. Aparté clandestin
48. Refuge de pacotille
49. Fouilles virtuelles
50. En porte-à-faux
51. La victime collatérale
52. Funérailles
53. Séquestration
54. Messe noire
55. Une vérité inacceptable
56. Une histoire d'antiquité
57. Effacer ses traces
58. Le poids du savoir
59. Sans conviction
60. Jeu de piste
61. Raisons et ressentiment
62. Hors jeu
63. Le coût du mépris
64. Orgueil et retombées
65. Descente aux enfers
66. Communion
67. Intervention humaine
68. Ultime repli
69. Contre-nature(s)
70. Tout est illuminé
71. Exfiltration
Et parce qu'il faut un petit mot de la fin !
Bonus : scène coupée à la réécriture

28. Crise de foi(e)

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By LeodeGalGal

Quatre sonneries, le déclic, la voix désincarnée d'un médecin légiste porté disparu, suspect du meurtre d'une femme qu'il a quittée presque cinq ans plus tôt.

Qu'elle a quitté, selon ce qu'en racontent les techniciens, pas que ça change grand-chose au fait qu'elle repose désormais sur une table d'autopsie, le regard éteint et les tripes à l'air.

Les voisins l'ont vu.

La voix de Sorvet ne veut pas s'éteindre, se répète encore et encore dans la tête de Laura, comme le refrain d'une chanson populaire dont on n'arrive pas à se débarrasser.

Enfer.


C'était une chance que Paul ne soit plus là, car Laura n'aurait pas su quoi lui dire. Assise derrière le bureau où s'installait d'habitude Ubis, les poings serrés sur les orbites, elle se repassait les événements des derniers jours en boucle, à la recherche du moment où elle aurait dû comprendre que quelque chose allait déraper et agir.

— MERDE !

Il n'y avait rien d'autre à dire. Elle avait foiré dans les grandes longueurs. Elle avait su, depuis le début, qu'elle devait garder un oeil sur lui, et elle l'avait laissé endormir sa méfiance, avec son air de bon docteur et ses affres de mourant.

Était-il seulement malade ?

Elle n'était plus sûre de rien.

Elle devait, absolument, avertir ses supérieurs à la Société. Ils le sauraient, de toute façon. Les journaux en parleraient probablement dès le lendemain. Mais on lui retirerait le dossier, c'était certain. Elle avait laissé filer le suspect, alors qu'elle l'avait entre ses mains.

Son regard retourna à la femme allongée sous son drap mortuaire. Le décès remontait à la nuit précédente. Linda était morte par strangulation, avant d'être éviscérée sur le tapis. Moins douloureux que le contraire. Difficile de placer les relations sexuelles dans la chronologie, mais ce que Laura avait retiré du vagin de la victime ressemblait davantage à du pétrole qu'à du sperme. Deux tubes à essais étaient montés au laboratoire.

En cours de soirée, Jim Morrow, le troisième inspecteur de la Criminelle, était passé la voir. Il paraissait usé, mais moins perdu que Sorvet et moins hystérique que Jill. Il reprenait le dossier, voulait savoir si Laura se sentait capable de gérer. On pouvait transférer le corps ailleurs, si elle préférait éviter d'avoir à le superviser. Elle avait refusé. Elle ne connaissait pas Linda Belarez, et à peine mieux Ubis. Elle resterait objective, détachée, efficace. Morrow parut satisfait de sa petite comédie mais lui rappela qu'elle pouvait changer d'avis.

Dans ses rêves.

C'était devenu personnel. Trop personnel, sûrement, mais tant pis.

Elle lui avait confié les premiers éléments qu'elle avait relevés, la strangulation, le caractère méthodique – médical, professionnel – de l'ablation du foie, au scalpel, plus que probablement, la pénétration et son résidu inhabituel. Morrow s'était montré généreux en retour : Ubis était arrivé en début de soirée, avec des fleurs, il avait bavardé un moment avec le voisin du dessous, qu'il connaissait du temps où il fréquentait encore Linda. La voisine du quatrième savait qu'ils avaient rendez-vous pour leur traditionnel dîner de fin d'année, qu'ils organisaient malgré leur séparation. Linda était impatiente, pas le moindre nuage à l'horizon. Deux autres voisins et le propriétaire de la librairie voisine avaient vu partir Ubis au petit matin, pressé.

Ça n'avait aucun sens.

Laura se redressa sur sa chaise.

Pourquoi aurait-il agi de la sorte ? En laissant ses traces partout, comme s'il voulait – absolument – qu'on sache que c'était lui le coupable ?

Était-il, vraiment, devenu fou ?

Elle ne parvenait pas à réconcilier cette démence avec l'homme qu'elle avait fréquenté toutes ces semaines.

Peut-être qu'il a un frère jumeau. Ou un clone.

Elle rit de sa propre stupidité. N'importe quoi. Merde.

Elle l'avait mal jaugé, il ne fallait pas chercher plus loin.

Son portable sonna brusquement et le nom de Sam s'inscrivit en lettres immenses sur l'écran.

Diable, de mieux en mieux.

— Tu réponds, c'est déjà ça, souffla la voix lasse du journaliste.

— Désolée... J'ai encore du boulot.

— Il est vingt-deux heures. Je t'ai récupérée à l'hôpital hier. Est-ce que... m'envoyer un message... ne serait pas, je ne sais pas... le signe d'un minimum de respect ?

Tu vois, Sam, c'est exactement pour ça que je dois rompre avec toi, le plus vite possible, maintenant, comme ça, au téléphone. Vite fait, bien fait. Désolée.

— Je suis désolée. Nous avons eu un cas... déstabilisant en fin de journée. J'ai perdu le fil. Je n'ai pas vu le temps passer.

Nouveau soupir.

— Je viens te chercher.

Ce n'était pas une question. Elle l'en détesta viscéralement.

La porte de la morgue s'ouvrit alors sur Sidney, la combinaison de relevés entrouverte sur les épaules, un sourire malin sur les lèvres. Il tenait, du bout des doigts, un sac en plastique transparent dans lequel se trouvait un gros morceau de viande rouge foncé.

Laura écarquilla les yeux et le sourire de Sidney s'agrandit.

— Dans une heure. Pas avant, dit-elle dans le téléphone.

Elle raccrocha sans laisser le temps à Sam de protester puis tendit la main vers le sac.

— C'est ce que je crois que c'est ? demanda-t-elle à mi-voix.

— Je crois que oui. »

Le foie manquant.

— Où l'avez-vous trouvé ?

— Dans la poubelle de la salle de bain.

Au temps pour le Dévoreur. Rien dans ce meurtre ne collait avec les autopsies des cas précédents. Linda était couverte de résidus divers. Elle ne flottait pas dans le Tren. Elle avait été étranglée et non abattue d'une balle. On l'avait tuée chez elle. On avait récupéré le foie.

Mais peut-être était-ce simplement parce qu'Ubis n'avait pas eu le temps de l'emmener jusqu'au fleuve. Pour une raison ou une autre. Il n'était en tout cas pas à l'hôpital, contrairement à ce qu'il avait prétendu. Ce salopard.

— Tu sais sur quoi travaillait Linda Belarez ? demanda-t-elle en se levant, le sac toujours à la main.

— Elle était avocate.

— Mais dans quel secteur ?

— Oh. Crime organisé.

Bien sûr, songea Laura. Bien sûr, bordel


Le foie en lui-même n'avait rien à révéler. Il faudrait attendre les analyses génétiques pour s'assurer qu'il appartenait bien à la victime, mais il n'y avait pas de grandes raisons d'en douter. On l'avait retrouvé sur les lieux du crime, il avait la fraîcheur, la taille et l'aspect appropriés. Laura supposait qu'on avait fouillé le domicile de toutes les victimes précédentes sans avoir jamais rien retrouvé de tel : une mare de sang sur un tapis velu et un organe aux ordures, des témoins prolixes, un signalement.

Que s'était-il passé ?

Elle fut arrachée à ses réflexions par un coup de talon porté à la verrière. Elle devina la silhouette écarlate d'un journaliste de mauvaise humeur et, déjà excédée, éteignit les néons pour aller l'affronter.


— Je suis désolé, annonça-t-il lorsqu'elle déboucha à l'air libre, et en une seconde, de son air penaud, il désamorça la crise, la privant d'un esclandre dont elle avait pourtant besoin.

Il lui ouvrit ses bras et elle accepta son étreinte, troqua la fureur contre l'apaisement. Elle sentit les larmes poindre au coin de ses paupières, le contrecoup d'un choc qu'elle avait jusque là noyé dans le travail.

Ubis avait assassiné son ex-femme et elle l'avait laissé faire.

Elle garda les lèvres serrées, ravala sa stupeur, et épongea toute trace de son trouble dans l'épaule du duffel coat de son amant. Il ne pouvait rien savoir. Il saurait pourtant. Elle se retrancherait derrière l'indispensable secret professionnel. Qu'il soit, juste là, juste maintenant, bon pour elle, ne signifiait pas qu'elle pouvait changer ses plans. Elle devait se débarrasser de lui.

Peut-être pas ce soir-là.

Quand ils atteignirent l'appartement, Sam la guida vers la flambée qu'il avait improvisée dans le feu ouvert. Elle se laissa tomber face à l'âtre, le crâne moulu par les conjectures de la journée et les muscles en compote. L'agression plus le meurtre de Linda Belarez, c'était beaucoup à porter. Elle pouvait se retrancher derrière la première pour justifier son état. Sam semblait l'avoir anticipé. C'était charmant et agaçant à la fois.

— Tu m'as l'air épuisée, murmura-t-il en glissant derrière elle.

— Je le suis. J'ai eu une grosse journée, un cas complexe... Beaucoup de triturations de méninges. Bref, j'ai besoin d'une bonne nuit, répondit-elle.

— Je ne t'ennuierai pas, c'est promis, dit-il, et il semblait sincère.

Elle se tourna vers lui et lui sourit à la lueur du feu. Il fixait les flammes mais ne dit rien. Elle l'observa attentivement. Il semblait tendu, et elle se demanda s'il avait perçu quelque chose, le début de la fin. Mais elle n'osa pas lui poser de questions.

— Je suis un peu confus, murmura-t-il finalement.

Elle chercha une idée, n'importe quelle idée, pour l'empêcher de s'exprimer, mais ne fut pas assez rapide.

— Tu m'ouvres à toute une série d'émotions dont j'ignorais l'existence. Cette angoisse, et puis, et puis... Je m'attache à toi si fort, je me sens comme... Et je sais que tu m'as dit que tu partirais. Je n'arrive pas à y croire. Je ne peux pas vivre avec toi et avec ça.

Laura fut prise au dépourvu et ouvrit une bouche ronde. C'était à la fois une opportunité et un désastre. Elle devait absolument agir avant qu'il ne trébuche davantage.

Elle ne fut pas assez prompte.

— Je m'étais interdit de ressentir ce que je ressens pour toi. C'était quelque chose... qui ne devait pas m'arriver. Je pensais avoir pris mes précautions, c'est bête. Quelque part, et je sais que c'est cynique, quand tu es... Pardonne-moi de me montrer si vain, mais quand tu es bien de ta personne, pas véritablement stupide, avec un certain charme, un peu d'argent...

Laura ne perçut aucune fausse modestie dans ses propos, au plus une gêne croissante, et elle se sentit désolée de pousser le jeune homme à la faute.

— On t'apprend que c'est toujours toi qui vas tout contrôler. Tu vas séduire et damner, tu vas toujours avoir le dessus et tandis que l'autre va se perdre dans son attirance irrésistible, tu pourras froidement évaluer les choses, froidement décider du pour et du contre, mener la barque comme tu l'entends, sans jamais te noyer... Quel mensonge...

Il se leva brusquement.

— J'ai besoin de sortir, annonça-t-il simplement.

Laura le dévisagea complètement abasourdie, mais avant qu'elle n'ait pu faire un geste, dire un mot, il était dehors. Elle resta figée devant son feu de bois, dans son appartement brusquement vide, et lâcha le soupir le plus sonore du monde. Il ne manquait plus que ça.


Sam ne rentra qu'au plus profond de la nuit. Laura avait grignoté une tranche de pain en regardant les nouvelles puis s'était assoupie dans le divan. En se réveillant, elle avait constaté qu'il n'était pas encore rentré et avait hésité à retourner chez elle. Après tout, c'était une bonne occasion d'en finir, c'était lui qui l'avait provoquée, qui l'avait plantée là, comme ça, sans autre forme de procès, après une déclaration improbable qu'elle n'était pas certaine de comprendre. Mais elle ne put s'y résoudre. Il y avait quelque chose de trop imprévisible dans sa réaction, de trop extrême aussi. Profiter de son émoi lui semblait la décision la plus lâche du monde, et elle finit par gagner la chambre. 

Elle fixa le plafond, les reflets mouvants de l'aquarium, dans une semi-conscience, jusqu'à son retour. Il entra, se déshabilla en silence, la respiration mesurée, et vint la rejoindre. Il posa une main sur son ventre et se glissa contre elle. Pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, elle le trouva glacé. Son inquiétude prit alors le pas sur son immobilité et elle posa sa main sur la sienne, dans un geste qu'elle voulait symbolique. Il l'attira vers lui, et leurs corps s'enchâssèrent naturellement. Il nicha son visage contre son épaule mais n'ouvrit pas la bouche. Elle le serra doucement contre sa poitrine, et le laissa sombrer dans le sommeil.

C'était chaque fois plus compliqué. 

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