Cœur Obscur [Tome 2]

By NyxMiller_

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~ L'Appel de La Lune ~ Du haut de son ciel étoilé, la Lune s'amuse aux dépens de Jasper. Mettre son âme sœur... More

| Avant-Propos |
| Chapitre 1 |
| Chapitre 2 |
| Chapitre 3 |
| Chapitre 4 |
| Chapitre 5 |
| Chapitre 6 |
| Chapitre 7 |
| Chapitre 8 |
| Chapitre 9 |
| Chapitre 10 |
| Chapitre 11 |
| Chapitre 12 |
| Chapitre 13 |
| Chapitre 14 |
| Chapitre 15 |
| Chapitre 17 |
| Chapitre 18 |
| Chapitre 19 |
| Chapitre 20 |
| Chapitre 21 |

| Chapitre 16 |

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By NyxMiller_

Silencieusement, mon regard sonde le visage du jeune guérisseur de la meute. Dans des gestes calmes et maîtrisés, il observe les fioles de la sacoche étendue sur la table du salon de Reyes et les effleure. Un petit bol, carré, reçoit quelques gouttes ici et là de telle ou telle fiole. Son bonjour sec, son regard ennuyé et sa façon dont il se comporte avec moi me restent en travers de la gorge. À moins que ce soit l'accumulation de cette sortie qui, au final, ne m'a fait aucun bien et n'a pas le moins du monde apaisé mon loup.

Agacé, en état d'alerte, il tourne en rond au fond de mon être. Si bien que je sais qu'il attend qu'une seule chose : une faille. Une seule et toute petite faille pour me prendre en traître et sortir au grand jour après m'avoir bombardé avec violence. L'odeur de Lincoln dans les parages ne le tranquillise pas, pour une fois. Et moi non plus. J'ai les nerfs. Plus qu'à raison. Parce qu'ici, dans ce cas de figure, je suis celui à être en faute. Je suis celui à avoir fait le choix de m'en aller.

Seul bémol : je suis temporairement de retour grâce à la merveilleuse idée de Carl, si ce n'est de Lincoln. Et ça n'aurait jamais dû se produire. Je ne le ressens que trop bien.

Son petit joujou entre les mains, Oliver revient vers moi et pose le bol à côté de ma cuisse. Assis sur l'îlot central, je suis bien plus grand que lui. Si bien que je suis obligé de me pencher pour qu'il accède à ma gorge. Il trempe un fin tissu dans le liquide transparent et se met à tamponner l'endroit où la belle McKenna m'a mordue. Il n'y a certes peut-être plus aucune trace, Annette a malgré tout insisté pour désinfecter et retirer jusqu'aux moindres phéromones, ou je ne sais quoi, laisser sur ma peau.

Je continue de l'observer, ayant parfaitement bien senti la sécheresse de ses actions envers moi. Mais il ne me regarde pas et se contente simplement de faire ce qu'il a à faire.

— Il reste quelque chose ?

De retour dans la cuisine, Annette abandonne ses trouvailles à proximité et s'approche.

— Non, il a bien rejeté et éliminé les effets de la morsure. Comme toujours. Jasper a une bonne capacité de régénération.

Oliver recule, remonte ses lunettes sur son nez en trompette avant d'aller jeter son tissu.

— Il est bon pour repartir. Puis pour nous revenir quand il aura un nouveau problème, conclut-il.

Les yeux clairs d'Annette se détachent de lui pour venir sur moi un court instant.

Nullement blessé de ce commentaire, mes iris fixent désormais la cheminée éteinte au bout de la pièce.

— Oliver, appelle l'aînée.

Sourd, ce dernier referme les fioles utilisées et les range. Annette s'avance. Cependant, à peine eut-il fermé sa sacoche qu'il pivote dans ma direction.

— Et bien sûr, comme tu es Jasper, les portes te seront toujours ouvertes. Comme c'est pratique, déclare-t-il, les lèvres serrées. La prochaine fois, Annette, inutile de m'appeler : il vaut mieux qu'il passe par toi que par moi.

Mon loup claque des mâchoires. Je me redresse dans une brève inspiration et roule doucement des épaules.

— À dans deux mois, voire à dans deux semaines vu le rythme auquel tu as besoin de nous, termine-t-il.

Les affaires sous le bras, il s'éloigne et claque la porte derrière lui. Et une de plus au compteur, une de plus...

Un muscle de ma mâchoire tressaute.

— C'est Oliver, souffle Anne. Il a été blessé par ton départ, ça lui passera.

Sa main réconfortante sur ma cuisse m'indiffère.

— C'est bon, je le mérite. J'en ai conscience.

Elle me lorgne brièvement avant de soupirer. En silence, elle se remet au travail pour le repas de ce midi.

La bêta de la meute passe par l'ouverture du jardin. Et au vu de son regard froid, je sais que je n'y échapperai pas non plus avec elle. Le réveil, allongé à mes côtés, semble loin derrière.

— Comme beaucoup d'entre nous Annette, s'amène-t-elle la seconde suivante, une rancune rêche dans la voix.

Je conserve mon regard droit devant moi. Je ne cherche ni la confrontation ni à lui accorder l'attention qu'elle souhaite pour me lancer des piques. Mon loup ne le supporterait pas.

Je ne le supporterai pas.

— Comment a été ta balade, Jasp' ? Parce que, évidemment, c'en était une. Elle a duré dans le temps, ça, c'est clair. Mais te revoilà. Encore.

Annette délaisse sa casserole.

— Rebecca.

Elle lève la main, arrachant la parole à la blanche.

— Non, Annette, non. J'ai le droit de m'entretenir avec notre bon vieux Jasper. Je pense qu'une bonne discussion est nécessaire.

— Pas dans cet état, non.

— Je suis parfaitement détendue, parfaitement calme même.

Je clos les paupières dans une expiration.

— Pas maintenant, Rebecca, pas maintenant, souhaité-je.

Deux yeux sombres se rivent sur moi et me transpercent de part en part.

— Non, toi, ferme là. Crois-moi, t'as pas un seul putain de mot à placer pour l'instant. Je parle et tu écoutes.

Mes paupières s'ouvrent. Une fois de plus, mon regard reste focalisé devant moi. Je contrôle tout, ma respiration, les battements de mon cœur, ma déglutition : je garde un calme apparent.

Ma bête, quant à elle, se tait. Et son silence ne me rassure pas.

— Tu n'es qu'un putain de connard. T'entends ça, Jasp' ?

Souplement, je descends du plan de travail dans l'optique de quitter la pièce et de ne pas en entendre davantage. Cependant, je me retrouve incapable de faire un pas de plus, la route barrée par la louve.

— En plus d'être le pire des lâches. Je n'aurais jamais cru ça de toi, insiste-t-elle. Jamais. Je me suis retournée la tête un nombre incalculable de fois pour comprendre ton départ mais j'ai beau faire, j'ai beau essayé de comprendre, je n'y arrive pas. C'est incompréhensible.

— Rebecca, ne m'oblige pas à te mettre dehors.

— Tu t'es barré au pire moment comme le putain de connard que tu es, le pire d'entre tous, continue-t-elle, ignorant la mise en garde d'Anne.

Je baisse les yeux sur elle, faisant désormais face à son expression de colère, de dégoût et de tristesse. Tout ce que je n'aurais jamais voulu voir.

— On a subi une guerre, j'ai perdu mon bébé et puis quelques jours après, et le lendemain de la cérémonie d'unions de nos alphas, j'apprends quoi ? Que Jasper s'est tiré, la queue entre les jambes, en laissant un mot derrière lui.

Elle mange rapidement la distance qui nous sépare pour me pousser avec violence. Mon dos bute contre le plan de travail, mon loup rugit et me tiraille les entrailles.

Néanmoins, là aussi, il se tempère. Pour écouter, seulement pour écouter et nourrir sa rage.

— Un putain de petit mot, Jasper, sérieusement ?!

Jace entre par les portes fenêtres et m'accorde un regard bref, revenant assez vite sur sa compagne pleine de ressentiments.

Il ne fait rien pour l'arrêter. Et ça, ma bête le notifie.

— Tu nous as laissé comme des merdes ! Tous ! Elena et Camille ont pleuré pendant des jours, j'ai pleuré moi aussi en me disant que j'avais perdu un frère en plus de mon bébé ! Reyes s'est mis à lancer des lieutenants à ta recherche et Isaac ne faisait littéralement plus rien parce qu'il essayait de provoquer une putain de vision pour voir où est-ce que tu étais, s'il t'était arrivé quelque chose et si tu avais besoin d'aide. Et ce, pendant des semaines ! gueule-t-elle. Tu entends ça, Jasper ?!

Difficilement, elle reprend son souffle.

— Et quelques mois plus tard, on apprend que tu t'es fait tirer dessus par un chasseur. Isaac est devenu fou quand il a vu ça. Parce que, ouais, il l'a vu et l'a ressenti. Sympa, hein ? Puis maintenant, on te retrouve dans un sale état parce que tu t'es fait mâchouiller par une vampire ! Mais merde, à quoi est-ce que tu joues au juste ?! Qu'est-ce que tu cherches à faire ? À te faire ?!

Le visage neutre, je ne cherche pas à baisser les yeux ou encore à les détourner. Je la regarde, j'écoute chacun de ses mots et les subis sans l'interrompre une seule fois. Comment l'aurais-je pu ? Elle ne m'aurait pas écouté. Et je ne peux pas détromper ce qu'elle dit. Tout est vrai, tout.

Dans l'espoir de l'arrêter, de me protéger de ma colère sauvage et de ne pas sentir mon cœur me faire mal, je prononce les premiers mots sincères qui me traversent.

— Je n'ai aucun compte à te rendre, Rebecca. Aucun. Ni à toi ni à personne.

Je marque une pause afin qu'elle assimile ce dont je lui fais part.

— Je n'ai pas demandé à Reyes de me chercher. Je n'ai pas non plus demandé à Isaac de tout faire pour provoquer une vision. Et je n'ai pas demandé à ce qu'on pleure mon départ mais à ce qu'on l'accepte. Rien de plus.

Les traits de son visage se figent, aussi sûrement que son regard sombre braqué sur moi. Sa main s'élève et atterrit sur ma joue dans un son sonore avec une violence indéniable.

Mon loup montre les crocs, me donnant l'impression dérangeante qu'il fait face à un ennemi.

— Rebecca !

Annette se dépêche de se mettre entre elle et moi. Jace fait de même, impassible.

Doucement, je dirige une main vers ladite joue blessée et l'effleure.

— T'es qu'un putain de connard, la voilà la réponse, crache la bêta. Un putain de connard égoïste.

Comme pris d'un électrochoc, mon masque se fissure et un rire franc monte en moi. Insaisissable, incontrôlable et douloureux à un point inimaginable.

— Qu'est-ce que tu voulais que je fasse ? Hm, dis-moi ? réponds-je enfin.

Je hausse exagérément les sourcils. Puis je lâche la bride. Mon contrôle se fragilise, ma voix monte à son tour.

— Que voulais-tu que je fasse, Rebecca ? Que je me la ferme, que je reste dans cette putain de meute en attendant qu'une nouvelle guerre se déclare et vous emporte tous sous mes yeux ?! J'ai déjà donné, bordel ! Plus d'une fois ! Et ça, tu le sais.

De nouvelles têtes apparaissent, attirées par les éclats de voix.

Loin d'en avoir fini, j'enchaîne :

— Tu crois que je ne vous ai pas tous vu vous battre ?! Que je ne t'ai pas vu perdre le bébé et pleurer ? Que je n'ai pas vu Reyes manquer de se faire tuer par Kaeden ? grogné-je en désignant le concerner. Que je n'ai pas vu Isaac disparaître sous la glace ?

Cette fois, c'est la tête blonde que je montre. Cette même tête blonde que je refuse de pardonner, que je ne peux pardonner aussi facilement. Pas comme ça, pas comme si tout ça n'avait été rien.

— J'ai été le retrouver sur le territoire de Geralt. C'est moi qu'on a envoyé ! Et seulement moi, putain. C'est aussi moi qui ai vu sa détresse face à sa mère, poursuis-je plus dur. C'est encore moi qui ai vu son regard débordant d'espoir et de détermination pour Roseline tout en étant persuadé qu'elle n'allait pas s'en sortir ! Et je te le donne en mille, Rebecca, c'est aussi moi qui l'ai vu sauter en dehors de la voiture après qu'il m'a fait comprendre que j'allais perdre un des miens ! hurlé-je. J'ai cru que j'allais tout perdre, que j'allais vous perdre ! J'ai tout vu, rien ne m'a échappé. Chacun de mes proches a manqué d'y passer sans que je ne puisse rien faire pour aucun d'entre vous !

Essoufflé, je passe une main tremblante dans mes cheveux. Je lève les bras et tourne sur moi-même, faisant face à toutes les personnes ayant rappliqué en nous entendant.

— Et tout ça pour quoi ? continué-je en arrêtant mon regard sur Isaac, les bras retombants. Pour une guerre qui aurait pu être évitée dès le début. Reyes n'aurait pas manqué de mourir, Rebecca n'aurait pas perdu son bébé, personne n'aurait été blessé et tu n'aurais pas cette putain de cicatrice sur le front.

— Jasper, me prévient Reyes. Surveille tes paroles.

— Je t'ai donné ma confiance, je t'ai protégé autant que je le pouvais Isaac. Je t'ai accueilli au mieux dans la meute, chez moi, dans ma maison. Je t'ai prêté de l'attention, une oreille à qui parlait, j'ai essayé d'être le mieux pour toi. Et c'est comme ça que tu nous as remercié ? Que tu m'as remercié ?

Les yeux gris me fuient. Collé à son alpha, il refuse d'affronter mon regard. Parce qu'il sait, il sait que j'ai raison.

Tant de choses auraient pu être évitées.

Et sa trahison brûle dans un feu ardent de douleur depuis lors.

— Je suis désolé, Jasper. C'était la seule solution viable dont j'étais sûr, chuchote-t-il. J'en ai cherché d'autres mais...

— La seule ? répété-je, ahuris. La seule ?

— Jasper, je te le demanderai pas une fois de plus, me coupe Reyes. Arrête ça tout de suite.

Mon attention se pose sur l'alpha.

— Sinon quoi ? Hein, Reyes, sinon quoi ? Je suis parti de cette meute, tu n'es plus mon alpha et plus aucun d'entre vous ne fait partie de ma famille. D'ailleurs, ce n'est pas comme si vous ne le saviez pas : depuis le début, vous saviez que je finirai par partir. Je ne m'en suis jamais cachée.

Un sanglot balaye le salon. Mon regard se tourne sur Elena, la main devant la bouche et les larmes aux yeux. Jacob vient la prendre dans ses bras, m'adressant un regard noir.

Ça ne me fait rien, ça ricoche sur moi. J'en ai eu assez, plus qu'assez.

— J'ai décidé de partir. Je vous ai laissé un mot et malgré ça, vous ne m'avez pas écouté, déclaré-je, la gorge nouée. Alors oui, Rebecca, oui. Après tout ça, j'ai bien le droit de me barrer et de me comporter comme le premier des connards. J'ai bien le droit de partir comme je le souhaite.

Mes iris dérivent sur elle sans pour autant réellement la voir.

— Et maintenant que Carl, ou Lincoln, m'a ramené ici parce que les évènements ont fait que j'en avais soi-disant besoin : vous me lancez des regards de travers, vous me faites me sentir comme une sombre merde et vous murmurez de sales choses à mon encontre. Depuis que je me suis réveillé ce matin, je n'ai pas pu courir plus de quelques mètres. Je n'ai pas pu sortir prendre l'air sans qu'aucun d'entre vous ne me lâche du regard, comme si j'étais un putain d'intrus !

— Jasper, s'immisce Jace.

Il amorce un pas dans ma direction.

— Tu as besoin de te calmer.

— Ne me demande surtout pas de me calmer, Jace ! répliqué-je aussitôt avec vigueur.

Il avance d'un pas supplémentaire, prudent.

— Jasper...

Je n'ai apporté aucune putain de guerre ! Je n'ai menti à personne ! Je n'ai pas non plus abuser de votre confiance, je n'ai rien fait de tout ce que Isaac a fait. Et pourtant, vous lui avez tout pardonné ! Comme si cette guerre avait été un jeu d'enfant, comme s'il n'y avait pas eu de blessés, de pertes. Comme si ces images n'étaient gravées dans la tête de personne. Et moi ?

Je ricane, désabusé.

— Moi, je reçois des regards en coin, des regards de travers. On me fait me sentir comme un intrus, comme une merde. Tout ça pourquoi ? Parce que je suis parti.

Je balance mes mains dans le vide.

— Tout ça parce que je me suis barré d'ici !

Un éclat de rire bombarde ma poitrine.

— Vous ne voyez pas le problème ? Isaac a été pardonné à la seconde où il a avoué son implication dans cette guerre avec la meute fantôme et son père. Vous l'avez tous pardonné comme si tout ça n'avait rien de grave.

Mon menton tremble sans que je ne puisse rien y faire.

— On aurait pu perdre tant de choses, on aurait pu être endeuillé à bien des niveaux...

— Personne n'est mort, Jasper, personne, glisse Jace. Regarde-nous, on est tous là...

— Non...

Mes yeux s'emplissent de larmes tandis que je secoue la tête.

— Non ?

— Nous ne sommes pas tous là. Rebecca a perdu son bébé. C'est un drame amplement suffisant, Jace.

La bêta tourne le dos, les épaules secouées de chagrin.

— J'ai encore toutes ces images en tête, reprends-je à l'intention de Reyes, d'Isaac. Elles ne me quittent pas, elles me hantent. Je vous revois tous, chacun d'entre vous a manqué de mourir. Et je suis visiblement le seul à ne pas réussir à pardonner Isaac pour tout ce qu'il a fait. Pour sa trahison.

Je ferme temporairement les yeux pour reprendre mon souffle.

— Je suis seulement parti. Je suis parti parce qu'il le fallait, parce que j'en avais besoin. Mais c'est à moi qu'on ne pardonne pas, qu'on en veut pour ce choix. Je n'ai causé aucun tort, terminé-je, ma voix se cassant sur la fin.

— En partant Jasper, tu nous as tous blessé, tous abandonné. Ce n'est pas que personne ne te pardonne, c'est que nous sommes simplement blessés par ton départ... Nous tenons énormément à toi.

— Vous n'écoutez pas ce que je dis..., soufflé-je.

— Alors te voir partir du jour au lendemain, juste comme ça, ça a été aussi fort qu'un coup de poignard dans le dos, poursuit-elle malgré mon interruption.

J'éclate de rire, une larme roulant sur ma joue.

— Je t'en prie, Annette. On l'a été aussi à la fin de la guerre, quand Isaac a enfin décidé de parler. Ou ai-je encore été le seul ?

— Je l'ai été, et je pense qu'on l'a tous été, répond Reyes. Moi, le premier. Mais j'ai compris ses raisons, je me suis mis à sa place. Il n'avait pas le choix.

— Bien sûr qu'il l'avait ! redémarré-je. Bordel, Reyes, c'est moi que tu as envoyé sur son putain de territoire pour aller le chercher ! C'est moi qui étais terrifié de ne pas arriver à temps et de devoir t'annoncer que son ancienne meute avait fini par le tuer. C'est encore moi qui l'a vu manquer de se faire attaquer par un putain d'ours. C'est moi qui ai... Putain. Il aurait pu parler, il a forcément eu des occasions. Pourquoi personne ne cherche à se mettre à ma place, hein... ?

Isaac relève son regard empli de culpabilité dans le mien. Doucement, il se détache de Reyes et tente un pas vers moi.

Je recule tout aussi vite.

— Ne t'avise surtout pas de me toucher. J'ai assez donné avec toi.

— Jasper, s'il te plaît, écoute-moi.

— Non, le stoppé-je.

Sa mère me fixe de ses grands yeux bleus, derrière lui. Tout comme ses frères. Comme tout le monde ici.

Mais eux, ils ont au moins le mérite de ne rien dire.

— C'en est fini pour moi. Ce soir, je m'en vais.

Les sanglots d'Elena, non loin, se font plus forts. Autant que ceux de Rebecca. Annette, de son côté, baisse les yeux sur le sol.

Jace grogne.

— Non.

Je rehausse le menton.

— Je m'en vais, quoi que vous en pensiez. Il est clair que je n'ai plus rien à faire ici.

— Tu es à ta place, réfute Reyes. Tu es chez toi ici, sur ton territoire, avec ta famille.

— Non, Reyes, je ne le suis pas, murmuré-je.

— On va en discuter mais pas avant que tu ne te sois calmé.

— Je pars, Reyes.

— Je sais ce que tu es en train de faire. Et crois-moi, je ne te laisserai pas faire. Je te l'ai déjà dit, on en a discuté.

— Je ne te laisse pas le choix.

— Si c'est qu'il veut, alors laissez-le faire.

Mon regard se tourne sur Carl. Néanmoins, il ne me regarde pas. C'est bien le seul à ne pas le faire.

Vicieusement, mon esprit me renvoie le moment où je l'ai blessé plus tôt, dans la chambre.

— Non, grogne Reyes. Il n'en est pas question. Il ne part pas pour les bonnes raisons.

Il reporte son regard polaire sur moi.

— Jasper, écoute-moi, pas en tant qu'alpha mais en tant que frère.

— Je suis désolé, Reyes. Je ne peux pas. Je ne peux plus.

Je m'écarte d'un pas. J'adresse un regard circulaire à la pièce.

— Ça aurait été au moins un plaisir de vous revoir tous une dernière fois.

Sans attendre, je tourne les talons et je sors par les portes fenêtres du salon.

Je ne me retourne pas, j'avance. Je n'entends ni le cri de Rebecca ni celui déchirant d'Elena.

— Je t'en prie, Jasp', ne me laisse pas ! hurle-t-elle, retenue par un des siens. Ne me laisse pas encore une fois !

Brièvement, je ferme les yeux alors que mon loup crie d'agonie tout en sachant que nous faisons le bon choix.

Il ne souhaite plus se noyer dans la rage. Plus maintenant. Pas face à cette décision définitive.

— Ne m'abandonne pas, je t'en supplie !

Je ne fuis pas seulement par peur, Reyes.

Je suis déjà perdu.

Et il n'est pas question que je vous emmène avec moi dans ma déchéance.


— Emmène-moi avec toi.

Au milieu du salon de l'ancien pavillon que j'ai occupé tant d'années, je détache mon attention du sapin de Noël trônant encore fièrement dans un coin. Une montagne de cadeaux m'attend à ses pieds depuis des mois maintenant. Des cadeaux que je ne mérite pas un seul foutu instant, pour tant de raisons que je ne saurais pas par où commencer.

Mes sourcils se haussent pendant que je me tourne de moitié vers l'entrée, vers l'un de mes plus grands regrets. Le regard franc, la posture droite, Isaac affronte le mien sans détour.

Je n'ai pas su le protéger.

Je n'ai pas su l'aider.

— Je peux t'être utile. Et tu le sais.

La porte ouverte derrière lui amène le reflet de la Lune à venir se refléter sur le parquet.

J'ai fait en sorte d'être isolé le restant de la journée, le temps de récupérer pleinement. Émotionnellement et physiquement pour pouvoir partir. Mais de toute évidence, il a su me trouver avant le grand départ.

— Va-t-en, Isaac.

— En fait, je viens. Je ne te laisse pas vraiment le choix non plus.

Pour appuyer ses dires, il lâche le sac de sport qu'il tenait à ses pieds, sûrement rempli d'affaires en tous genres.

Je pivote complètement vers lui. Face au compagnon de Reyes, je conserve une expression ferme, un regard neutre et un langage sec. L'inverse de tout ce que j'ai pu lui montrer durant ces trois mois.

Pour le punir. Et pour me punir.

— Crois-moi, tu es la dernière personne que j'ai envie d'avoir à mes côtés.

— Encore mieux alors, dit-il en tapant dans ses mains. Nous y allons ?

— Tu restes ici, Isaac.

— Je viens, insiste-t-il. Que tu le veuilles ou non, tu vas m'avoir au cul. Parce que tu auras beau partir sans moi, je te retrouverai. Je te retrouverai toujours.

Je marque une pause. Puis je dédaigne.

— Très romantique mais je reste sur le non.

Je saisis les clés du pavillon et m'approche de la banshee. Incapable de faire autrement, elle esquisse un pas vers l'arrière et ne lutte pas contre son mouvement de recul. Comme cette autre fois, suite au jour de cette courte séquence de torture avec les trois métamorphes dans le salon. Je ne m'en formalise pas et fais comme si je n'avais pas fait attention.

Je les plaque contre son torse dans un tintement, ne lui adressant rien d'autre qu'un regard froid.

— Une fois, pas deux.

Une lueur de culpabilité brille furtivement dans ses yeux gris.

Tandis que je le dépasse et m'éloigne, je le sens se tourner dans ma direction.

— Aleksander.

Sans surprise, je me fige. Pris au dépourvu, je lui accorde à nouveau mon attention. Toute mon attention.

— Ou Apollyon, je ne sais pas trop à vrai dire, marmonne-t-il. Tu préfères lequel ?

— Isaac ? l'appelé-je, méfiant.

Fier et confiant, le loup blanc hausse un sourcil et me sourit.

— Tu sais, mon truc. J'ai eu la petite antenne qui s'est allumée lors de notre bref baiser.

Sciemment, je jette un œil à son entrejambe sans pouvoir m'empêcher de le taquiner. Et comme je m'y attendais, il rougit illico et plaque ses mains sur cette dernière.

Je peine à contenir un sourire railleur.

— Enfin, pas cette antenne-là. L'autre.

— Et donc ? Que t'as dit ta petite antenne, dis-moi, le relancé-je.

— Je sais qui tu es. Du moins, j'ai mis du temps à aligner les informations que je recevais parce que cette vision était vraiment, disons, spéciale. Et peut-être aussi parce que je n'arrivais pas à croire que tu étais...

— Aussi mauvais ? Aussi sombre ? Évidemment, lâché-je dans un ricanement dédaigneux, c'est loin de la lumière que je t'ai donnée.

— Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Loin de là même.

Je le balaye du regard une seconde puis je soupire bruyamment, préférant revenir au sujet principal plutôt que d'en entendre davantage. Inutile d'être blessé par ce qu'il pourrait penser de moi maintenant qu'il sait.

— Pourrais-tu juste en venir au fait ?

— Je t'ai vu baigner dans une mare de sang. Chouette, hein ? Dans une vraie, et non dans du colorant rouge, blague-t-il avant de reprendre son sérieux. Puis il y a eu des corbeaux dans le ciel par millier : pour signifier les Hayes, sans aucun doute. Et parmi tout ça, tu étais là, debout. Tu avais le regard de ton loup, et tu étais torse nu.

Il baisse les yeux sur ledit torse.

— Je t'ai déjà vu, hm, sans haut quand tu coupais du bois...

— Et que tu me matais ?

— Oui, c'est ça. Fin, non !

Il grogne et hausse les épaules, assumant ce fait évident.

Beau gosse, le Jasper.

— Ce que je veux dire par là, c'est qu'il y avait des choses en plus que je n'avais pas vu toutes les autres fois. Des cicatrices, des tatouages et le sceau des Hayes...

Je reste silencieux, le cœur calme et lent. Mais pourtant au bord des lèvres.

Parce que j'en ai honte. Immensément honte.

— La prophétesse Hestia nous a dit que nous reconnaîtrons Aleksander par une marque qu'il porte.

Il eut un sourire triste.

— Et quoi de mieux que leur symbole ?

Pour me protéger, je me détache de sa foutue compassion et continue :

— La première fois que nous nous sommes rencontrés, tu n'avais pratiquement aucune connaissance de notre monde. J'imagine donc que Reyes te l'a dit ? expiré-je, ennuyé.

— Oh ! s'exclame-t-il, sous le choc. Le sale petit con ! Il le savait et il ne m'a rien dit. Plus de sexe jusqu'à nouvelle ordre, crois-moi.

Il ronchonne dans sa barbe. Et malgré la mise à nue de mon âme, un éclat de rire manque de s'échapper et de se faire entendre.

— Annette alors ?

Cette fois, sa mâchoire se décroche.

— Elle aussi ? Quelle bande de traître, renâcle-t-il. La meute est au courant sauf moi, c'est ça ?

— Pas exactement, non. Ils étaient les seuls à l'être. Apparemment, je dois en compter un de plus à présent.

— Donc c'est vrai ?

Ses yeux s'illuminent et s'ouvrent en grand. Je conserve la bouche close, perplexe devant son visage émerveillé. L'opposé de ce que j'ai pu imaginer.

Il se reprend dans un gloussement

— Bien sûr que c'est vrai, je l'ai vu.

Je le sonde du regard.

— Inutile de préciser que tu ne dois le dire à personne ?

— Évidemment. Alors, on va démonter la gueule aux Hayes ?

Je fronce les sourcils, le laissant sautiller sur place et mettre des coups de poings dans le vide.

Je soupire, pinçant l'arête de mon nez entre mes doigts.

Ne pas rire.

Surtout pas.

— Isaac.

— Oui ?

— Non. Toi, tu restes ici.

Il arrête aussitôt son cirque.

— Il n'est pas question que je te laisse y aller seul, tranche-t-il, implacable.

— Qu'importe, je ne vais pas chercher les Hayes dans tous les cas. Je vais seulement finir de m'occuper de mon mini faux moi et faire en sorte qu'il dise à tout le monde que je ne suis pas de retour. Simple.

Je me détourne dans l'optique de sortir et de reprendre ma route.

— C'est trop tard, Jasper.

Mes yeux reviennent instantanément sur lui.

— Je ne sais pas encore comment ni pourquoi mais ils viendront, souffle-t-il, inquiet. Et avec moi, avec mes visions, je peux faire en sorte que tu gagnes contre eux... Je peux voir tout ce que tu veux, je peux au moins essayer.

Je pince mes lèvres l'une contre l'autre et le fixe un moment. Je craque et pose la question qui me brûle les lèvres :

— Qu'as-tu vu exactement, p'tite Banshee ?

Toute mon attention est rivée sur lui et son expression, mélange de tristesse et d'inquiétude.

Il ferme les yeux.

— Mort. Je t'ai vu mort. Seul contre eux, tu ne peux rien, Jasper...

Ses iris anthracites cherchent les miens. Cette annonce pèse lourdement sur mes épaules et, paradoxalement, elle m'allège considérablement d'un poids que je ne pensais plus porter. Aussi fou soit-il, bordel, oui elle me rend léger en dépit de la peur que leur nom a provoqué dans la demeure de la célèbre vampire.

Je sais depuis mon départ du territoire que mon temps est compté d'une manière ou d'une autre. Cependant, j'ignorais que ce serait les Hayes qui finiraient leur travail...

Mon loup, et moi-même, pourront trouver le repos.

Enfin.

— Je ne veux pas te perdre.

Il comble la distance et attrape mes poignets.

— Je suis désolé pour tout... Laisse-moi me faire pardonner en venant avec toi. Laisse-moi te remercier pour tout ce que tu as fait en t'aidant dans cette guerre.

— Non, Isaac, refusé-je. Il n'est pas un seul instant envisageable que tu viennes avec moi.

— Jasper...

— Au revoir, Isaac.

Je détourne les yeux puis je coupe tout contact. Néanmoins, à peine ai-je posé un pied à l'extérieur que mon corps ne veut pas faire un pas de plus, que je me sens retourné en arrière.

Vigoureusement, je le saisis par les épaules et le prends dans mes bras, la mâchoire serrée. Il m'entoure avec fermeté tandis que je me gorge de son parfum, les yeux clos.

Putain de Banshee de merde.

— Prends soin de la meute pour moi. Et dis à Reyes que je suis désolé de ne plus pouvoir tenir ma promesse...

Lorsque je me détache de lui, cette fois, je ne reviens pas en arrière. Je rejoins Suzie devant la bâtisse, où elle a gentiment été laissée par Carl. Mes pas n'ont jamais été aussi confiants vers mon départ définitif, vers ce quoi je vais désormais. Ce livre inachevé que j'ai fermé il y a des années trouvera sa fin, je n'ai plus le choix de le reprendre au bout du compte.

Je grimpe à l'intérieur et expire longuement, passant mes mains sur mon visage. Ma nuque retombe contre l'appuie-tête.

— Il faut une fin à tout, n'est-ce pas... ?

— Hm, je suis plutôt du même avis. Tout comme il y a un commencement, il est nécessaire d'avoir une fin.

Un violent sursaut m'échappe. Vif, je me tourne, le poing levé. À la vue de Lincoln, je me stoppe et me paralyse de la tête aux pieds.

Il me sourit de son air sombre.

— Enchanté, Aleksander...

Merde.

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