Cœur Obscur [Tome 2]

By NyxMiller_

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~ L'Appel de La Lune ~ Du haut de son ciel étoilé, la Lune s'amuse aux dépens de Jasper. Mettre son âme sœur... More

| Avant-Propos |
| Chapitre 1 |
| Chapitre 2 |
| Chapitre 3 |
| Chapitre 4 |
| Chapitre 5 |
| Chapitre 6 |
| Chapitre 7 |
| Chapitre 8 |
| Chapitre 9 |
| Chapitre 10 |
| Chapitre 11 |
| Chapitre 12 |
| Chapitre 13 |
| Chapitre 14 |
| Chapitre 16 |
| Chapitre 17 |
| Chapitre 18 |
| Chapitre 19 |
| Chapitre 20 |
| Chapitre 21 |

| Chapitre 15 |

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By NyxMiller_

Mon regard dérive sur la grande fenêtre de cette chambre sécuritaire où les rideaux d'un joli bleu roi ondulent en silence sous le gré du vent. Après être reparti dans les méandres du sommeil, sans même m'en être rendu compte, j'ai bêtement cru que j'avais imaginé la présence de mes anciens camarades de meute à mon réveil. Elena, Rebecca et même Isaac... mais les lieux où je me trouve et leurs odeurs persistantes autour de moi comme le plus doux des parfums me disent que ce n'était pas illusoire. Elles étaient là, contre moi. Et il était là, lui aussi, sur ce fauteuil à attendre mon retour.

Seuls quelques mois sont passés loin d'eux, loin d'ici. Pourtant, j'ai la stupide impression que cela fait bien plus longtemps que cela. En si peu de temps, par ce dernier mois, il s'est passé plus de choses que je ne l'aurais cru. L'apparition des têtes à claque, le clan Aleksander, la mise à mort de Phillips, le dernier nom accessible de cette longue liste, cette balle empoisonnée logée dans mon abdomen... et le soi-disant retour d'Aleksander. Rien que cela m'a amené à l'une des soirées les plus prisées en compagnie de Carl et tout s'est enchaîné. Bailey, McKenna, ce petit con d'usurpateur... et Lincoln.

Lui, et encore lui.

Quoique je fasse, ou que je vais, je pense toujours à lui.

J'ai beau l'utiliser pour me sortir de chaque crise que provoque mon loup, cette perte dangereuse de contrôle, et me plonger dans le déni à me faire croire que je n'ai pas besoin de lui : la vérité est tout autre. Quand bien même je refuse de le croire et de l'accepter, ce pauvre type est le seul à réussir à me canaliser. Réel ou non, cela fonctionne. Et il le sait. Exactement comme il sentait les crises arrivées lors de son retour à l'approche de la guerre. Et même avant.

Assis au bord du lit, face à la fenêtre entrouverte, je baisse mon attention sur mes mains. Sur les mêmes mains qui se sont accrochées à lui, lorsque la peur m'a submergé. Ses mêmes mains qui ont tenté de le repousser pour qu'il parte loin de moi autant qu'il le peut avant que les Hayes n'arrivent et ne viennent pour achever ce qu'ils avaient si bien fait de moi, de mon corps.

Notre lien me déstabilise et me rend plus faible que je ne le croyais. L'évidence alors me frappe de plus belle : je ne peux rester avec lui. Ce serait le conduire à une mort certaine et à un enfer sans fin. Je ne peux pas saisir le cadeau de la Lune.

Si tenter en est-il un avec un connard pareil.

Je souris à cette pensée. Mais tout aussi vite, mon rictus se fane.

— C'est lui, n'est-ce pas ?

La voix de Carl, rocailleuse, me parvient du seuil de la porte. Je ne prends pas la peine de me tourner dans sa direction. Tout comme je ne prends pas non plus la peine de lui répondre et de lui demander ce à quoi il fait allusion.

Bien sûr, il a fallu que ce soit lui à surprendre cette foutue conversation avec ce démon. Et que son intelligence, ainsi que son intuition, fassent le reste.

— Il m'est arrivé d'imaginer ce que la Lune te choisirait comme compagnon, débute-il naturellement. À plusieurs reprises.

Ma tête s'oriente sur le côté, de manière à l'avoir dans mon champ de vision. Son regard noisette tombe directement dans mes yeux verts.

Appuyé sur le chambranle de la porte, il dodeline lentement du menton.

— Faible ? Moins dominant que toi ? Non, ça n'aurait pas été. Tu te serais lassé. Ou pire encore, tu aurais pris le rôle d'une gentille maman face à un bébé trop fragile pour le monde extérieur.

Il grimace pour intensifier ses propos.

— Mais...

Il lève son index et m'accorde un sourire en coin qui aurait retourné l'estomac de n'importe quelle créature de la Lune.

Séduisant le papy.

À tomber par terre, y'a pas à dire.

— Un enfant de la Nuit puissant, fort et bien plus dominant que tu ne l'es ? Un alpha, qui plus est ? Voilà qui te convient bien mieux.

Si habituellement j'aurais rouler des yeux pour cette petite erreur sur celui étant le plus dominant de nous deux, je me contente de hausser les sourcils et de relever :

— « Enfant de la Nuit » ?

— Eh bien quoi ?

— C'est une créature de la Lune, le corrigé-je. Tout comme nous.

— Tout comme nous, répète-t-il avec un soupçon d'amusement.

Mon nez se renfrogne devant son air satisfait.

— Est-ce que tu es en train de te foutre de moi ?

— Moi ? Allons, qu'est-ce qui te fait croire ça ?

— Si si, je le vois à ton visage de vieux con. Là, t'as le coin des lèvres qui tressautent, dis-je en le montrant de la main.

Loin de se formaliser de mon langage, ça le pousse à l'inverse à lâcher le léger rire qu'il cherchait à me cacher. Et bien malgré moi, cela m'arrache un sourire. Je secoue la tête pour la forme, démontrant un désespoir faux pour ce vieux loup.

Son éclat se tarit calmement. Puis se décollant de l'encadrement de la porte, il s'approche de moi et contourne le lit de Reyes.

Avec douceur, il glisse une main derrière ma nuque. Et ce geste, ce simple geste, me ramène violemment des années en arrière.

Tout va bien.

N'y pense pas, n'y pense pas...

— C'est un homme très bien pour toi. La Lune a fait un excellent choix. Alors pourquoi est-ce que tu lui fais croire qu'il n'existe aucun lien entre vous ? Pourquoi t'embêtes-tu à le repousser ?

Mon visage se ferme, mes yeux le dévisagent face à ce commentaire sorti de nulle part. Il continue de se comporter comme avant, comme si rien ne s'était passé. Comme si je n'étais jamais parti.

Je repousse aussi sec son contact.

Je déteste ça.

— Je n'ai pas besoin d'avoir ton avis sur la question, Carl.

Le loup du bayou ne se formalise pas de mon action. Il soupire simplement et croise les bras sur son torse musculeux.

— Je souhaite juste ton bonheur, Jasper. Ta tranquillité. Celle dont tu as besoin et dont tu aspires.

— Tu ne sais pas ce à quoi j'aspire, Carl. Les années ont passé. J'ai grandi, j'ai changé. Alors arrête... arrête de faire ça. Tu me mets sur les nerfs, le préviens-je.

— Je le vois bien, crois-moi, que tu as grandi. Et ça me fait d'autant plus mal au cœur parce que l'image du petit Jasper que j'ai rencontré est toujours là mais bien plus vieille, je te l'accorde.

Mon cœur se serre.

— Si je continue à me comporter comme avant envers toi, de ton côté, tu es resté le même... mais avec des blessures bien plus profondes.

— Arrête ça, murmuré-je.

Je ferme les yeux, refusant d'en entendre davantage. Je ne suis plus ce petit garçon depuis bien longtemps. Je ne suis plus ce gamin en manque d'attention, d'affection et de protection.

Je suis devenu tellement plus que ça. Du sang a coulé depuis. Beaucoup, beaucoup trop de sang que je ne peux ignorer.

Carl décroise les bras puis il glisse une main sur ma joue, appelant mon regard.

— Tu as besoin de lâcher prise, Jasper. De te reposer. Laisse-moi m'occuper de cet Aleksander et de faire en sorte qu'il obéisse. Pour toi.

— Ne te mêle pas de mes problèmes, dis-je les dents serrées. Je vais m'en occuper.

— Je ne peux pas te laisser faire.

Mes sourcils s'élèvent et un rire, faux, franchit mes lèvres.

— Tu ne peux pas ?

— Tu risques de te perdre. Une fois de plus. Je vais me charger de ça et je vais m'assurer que les Hayes ne se sont pas mis en chasse.

Piqué, je me lève. Sa main retombe le long de son corps.

— Je t'ai dit d'arrêter ça, Carl. Je n'ai pas besoin de toi. Je n'ai pas non plus besoin de repos et de paix. Je vais me charger de mes putains de problèmes pendant que toi, tu restes avec ta petite famille qu'est les Campbell.

— Jasper. Tu en as besoin, cruellement. Plus que tu ne le crois. Fais-moi confiance, je te connais, essaie-t-il de tempérer.

— Je ne suis pas fait pour ces choses là, lancé-je vivement. Et tu le sais parfaitement.

— Ne pas être fait pour ça et en avoir besoin sont deux choses différentes. Écoute-moi, je veux seulement que tu restes en sécurité et que tu...

— Je te trouve très mal placé, Carl, appuyé-je, pour tenter d'avoir cette discussion précise avec moi. Lincoln, puis maintenant ça ? Ne va pas croire que tout peut redevenir comme avant pour la simple raison que j'ai accepté d'aller chercher ce faux Alek avec toi pendant 48h. Ou simplement parce que nous nous sommes retrouvés par hasard.

Je ricane sous son nez pendant que son regard noisette m'épie.

— Toi et moi, ça ne va pas plus loin. Et ça n'ira jamais plus loin que ça ne l'a été. C'est du passé. Et le passé, je ne veux plus jamais en entendre parler.

Je m'avance, plantant mes iris dans les siens afin de faire passer au mieux le message.

— Pas de complicité, pas de bons vieux sentiments entre nous. Si je suis parti, ce n'est pas pour revenir aujourd'hui. Tout s'est terminé à la seconde où je m'en suis allé.

Incapable de me stopper, ma langue se délie et parle plus vite que moi.

— Tu veux des remerciements pour tous ces bons loyaux services ? Pour m'avoir aidé tant de fois que je ne peux plus en faire le compte ? Très bien, grondé-je sèchement. Je te remercie, Carl. Je ne serais rien sans toi, aujourd'hui. Et je serais sans doute mort un nombre incalculable de fois. Mais tu sais quoi ?

Je me plante sous son nez, à tel point qu'ils s'effleurent. Et je lui ris en pleine face, à nouveau. Peu à peu, je vois son visage se verrouiller.

Mon loup, lui, baisse les oreilles et se couche dans un couinement.

— Je ne t'ai jamais demandé de jouer les sauveurs. Jamais. Tu aurais dû simplement me laisser crever à chaque fois. Parce que, putain, tu m'aurais rendu un grand service ! Ça aurait été la meilleure action que tu aurais pu faire pour moi. La meilleure d'entre toutes.

Carl me sonde une longue seconde. Il hoche finalement la tête puis il détourne le regard, une lueur blessée s'y étant allumée.

— Je comprends... Tu es à fleur de peau avec l'annonce des Hayes, avec ce que tu as subi toute la nuit dernière et la veille. Et tu as peur, de toute évidence. Ce n'était peut-être pas le bon moment pour parler de Lincoln avec toi mais pour le reste, je ne regrette pas. Je peux m'en occuper pour toi.

— Peut-être pas le bon moment ? Tu veux t'occuper de la merde pour moi ? reprends-je en haussant exagérément les sourcils. Vraiment ? T'as pas entendu ce que je viens de te dire ? Toi et moi, on n'a pas à avoir cette putain de conversation ! Tu vas t'occuper de ton propre cul. Tu n'es plus rien. Alors ne reviens pas comme une fleur dans ma putain de vie parce que tu n'as rien à y faire, craché-je. Va donc jouer les bons samaritains avec ton nouveau protégé puisque vous le plaignez tous.

En signe d'apaisement, il lève les deux mains et rehausse le regard.

— Tu es effrayé, tu as peur et c'est normal Jasper. N'importe qui dans cette situation le serait. Mais tu n'es pas seul, je suis avec toi. Tu peux me-

— Est-ce que j'ai l'air d'être effrayé ?! rugis-je. Tu essayes de te rassurer sur les raisons de mon comportement merdique envers toi parce que tu refuses de comprendre que je n'en ai plus rien à foutre de toi. Arrête de te voiler la face ! Et retourne barboter avec tes crocodiles au fin fond de ton bayou !

— Jasper ! me coupe vivement Reyes.

Sous le mouvement de recul de Carl, une boule se forme dans ma gorge et mon loup se recroqueville. Blessé pour la seconde fois en si peu de temps, le loup de la Nouvelle-Orléans se recompose rapidement une expression neutre.

Les poings serrés le long de mon corps, je me rends compte seulement maintenant que tous les muscles de mon être tremblotent. Et il n'en faut pas plus pour que les larmes m'envahissent.

— Tu peux nous laisser, Carl, reprend d'une voix plus calme l'alpha de Red Moon. Je m'en charge.

Je baisse la tête. Carl ne bouge pas pendant quelques secondes. Néanmoins, il finit par le faire.

— Si c'était à refaire, Jasper, je le referai sans hésiter. Toutes ces putains de fois où tu as eu besoin de moi, je n'en regrette aucune.

Mes paupières se ferment alors que mon ouïe se concentre sur ses pas qui s'éloignent de moi, du danger que je représente. Un sanglot bouscule mes lèvres et les tremblements de mon être augmentent. La peur, la douleur passée, les cris provenant de mes songes m'empoignent et me précipitent dans la tourmente avec une violence rare. Quoique je fasse, mon passé me ronge et me colle à la peau. Tout autant que mes cauchemars.

Ça ne s'arrêtera jamais...

Vigoureusement, je suis plongé dans une étreinte familière et l'odeur de mon ancien alpha emplit mes poumons. Faible, je me cramponne à lui avant que mon poids finisse par céder sous moi.

Mais il ne me lâche pas. Il continue de me tenir précieusement contre lui, en sécurité.

— Je suis là, mon frère, murmure Reyes. Je suis avec toi...

Les battements de mon cœur hurlent tous leurs mauvais sentiments contre ma cage thoracique. Ils hurlent à m'en faire mal, à m'en rendre fou. Si bien que les larmes coulent avec plus de vigueur sur mes joues, retenues depuis bien trop longtemps. Sur les nerfs, je suis incapable de les garder pour moi.

Il y eu tant de choses en si peu de temps. Tant de rappel de ce passé en une fraction de seconde rassemblée en quelques petits mois. Et tout, tout m'est renvoyé en pleine face.

Cette flamme, celle-là même qu'a vu Aila, brûle de plus belle dans une totale contradiction avec tout ce que j'éprouve.

— Je te tiens. Je ne te lâcherai pas.

Mon buste se soulève de plus en plus vite, avec de plus en plus de difficulté à mesure que la douleur, mêlant la peur, s'agrandit et prend toute la place. En manque d'oxygène, mes doigts se crispent autour de son haut. Ma bouche s'ouvre et mes yeux s'écarquillent sous la panique. Mon loup s'agite, en proie aux alertes que tout mon corps lui transmet.

Une pression familière se propage sur mes épaules et mes omoplates. Avec plus de profondeur et de violence, elle me plonge dans ce mal-être insoutenable. La tempête au fond de moi rugit à plein poumons. Et la peur de perdre le contrôle ici et maintenant me terrifie. Impuissant, je me mets à haleter.

Vivement, je suis repoussé contre le lit, retombant non pas sur les genoux mais sur les fesses. Deux iris polaires me font face.

— Eh eh, doucement. Regarde moi, Jasper, regarde-moi.

Ses mains fraîches empoignent mon visage.

— Regarde-moi.

Un hoquet se fait entendre derrière nous. Reyes relève les yeux sur Elena, que je sens non loin de nous. En vain, je me débats contre cette tempête vorace et féroce.

Des pas précipités viennent jusqu'à nous, jusqu'à moi. Deux billes marron se joignent à celles claires. Tandis que mon regard se voit être envahi par plusieurs petites tâches noires.

— Jasper !

Son inquiétude me transperce le cœur. Et son visage se noyant de peine, plus encore.

— Je vais chercher Annette ! dit-elle brusquement.

— Il fait une crise de panique, débarque Isaac.

Grimpant sur le lit, il agrippe entre ses doigts des mèches brunes, tire ma tête vers l'arrière sans se préoccuper du tiraillement causé. Et alors que mes yeux plongent dans ses beaux yeux gris, ses lèvres se pressent brutalement contre les miennes.

Mes paupières s'ouvrent de plus belle sous la surprise, mon souffle se coupe. Comme par magie, tout se tait autour de moi. La peur se calme, la panique disparaît et la douleur retourne au fond de mon être. Ils me laissent sonné, perturbé.

Le grognement possessif de Reyes balaye la chambre. Néanmoins, il est rapidement calmé par un regard de son âme sœur. Au-dessus de moi, Isaac rabaisse son attention sur ma personne et me sourit pendant que, lentement, je respire à nouveau.

— Bon retour à la maison, Boucle d'Or, souffle-t-il.

Ses pouces caressent mes pommettes, chassant les larmes qui continuent d'y couler. La nuque contre le matelas, je ne me détache pas de son regard nuageux se tâchetant de blanc. Mes bras entourent seulement Elena après qu'elle se soit blottie contre moi.

Bientôt, le gris de ses iris est mangé par le blanc. Sa main glisse de mon épaule à mon torse, se positionnant juste au-dessus de mon cœur fou.

— Je te vois...

Mes yeux se ferment, soulagés que la panique soit tombée. À un mouvement au-dessus de moi, de ma tête, mes paupières s'ouvrent et rencontrent cette fois-ci un regard abyssal.

La position que nous avons eu lui et moi la veille me revient, aussi sûrement que ses mains sur ma peau nue. Je frissonne incontestablement lorsque l'une d'elle se pose sur ma joue.

— Laissez-nous seuls, demande-t-il.

Je sens le regard de Reyes se poser sur moi. Néanmoins, il ne dit rien et indique à tous ses loups de sortir, sans doute conscient qu'il se passe quelque chose de plus entre lui et moi. Comme il l'a toujours soupçonné.

Or, avant de s'en aller lui aussi, il glisse quelques mots :

— Prends soin de lui, Lincoln.

Et ceux-là me troublent plus qu'à raison.

La porte se referme derrière l'alpha de Red Moon. Dans un bruissement de tissu, le ténébreux vient se positionner devant moi, dos contre le mur.

— Il faut croire que je suis arrivé en retard ce coup-ci.

— Je n'ai pas envie d'en parler, dis-je d'un ton bas. Et je n'ai pas non plus besoin de toi. Isaac m'a déjà aidé.

— Nous n'avons pas besoin de parler si tu n'en as pas envie, se contente-t-il de dire.

Il fait toutefois la moue, boudeuse, puis reprend :

— Je vais finir par être sérieusement grincheux, d'ailleurs. Pourquoi tout le monde a le droit de t'embrasser sauf moi ?

— Et pourquoi, toi, tu ne le fais pas ?

Une fraction de seconde se passe avant que son regard ne se fasse plus sérieux et que toute moue boudeuse ne s'efface.

Imperceptible, je me fige, réalisant ce que je viens de dire qu'après que ce soit sorti.

— Jasper, soupire-t-il.

Il redresse la tête, celle-ci étant pressée contre le mur.

— J'attends seulement que tu me le demandes.

Son sérieux me fait froncer les sourcils autant que ma déglutition devient difficile.

Toutefois, tout aussi vite, son expression redevient boudeuse et joueuse.

— Après tout, tu m'as demandé hier de me déshabiller. Par deux fois. J'ai bon espoir de passer par la première étape.

Je me racle la gorge et détourne les yeux.

— J'étais sous l'influence de cette morsure, rien de plus, me défends-je.

— Hm hm, fait-il avec amusement.

Ses lèvres se haussent, révélant un sourire confiant.

— C'est sans doute elle aussi qui te poussait à gémir mon nom chaque fois que tu te touchais pour te soulager. C'est ça ?

Pris en faute, mes épaules se tendent. Mon cœur, lui, loupe un battement. Un regard du métamorphe à cet endroit me confirme qu'il l'a entendu.

Je me compose néanmoins rapidement d'une expression dubitative.

— Oh, tu veux dire que c'est ce que tu as cru entendre dans ton esprit plus imaginatif que réaliste ?

D'autant plus amusée, la risette se fait plus grande sur les traits de son visage dominant. Puis, me prenant en traître, il se met à gémir et à m'imiter.

— Oh Lincoln, Lincoln, c'est bon... !

Instantanément, j'envoie mon pied vers son abdomen. Toutefois, il saisit ma cheville au vol et la retient avant même que je n'aie pu l'atteindre.

— Lincoln, ah, putain, gronde-t-il, viril.

Un grognement roule dans ma gorge. Vigoureusement, je tire sur ma jambe pour la reprendre. Au lieu de quoi, ce putain d'alpha pousse mon pied vers lui si fort que je glisse et me retrouve bientôt coller à lui.

Retombé sur les coudes, le haut à moitié relevé sur mes abdominaux contractés, l'une de mes jambes est levée par ce connard et l'autre se retrouve à côté de la sienne, couchée.

Ses iris glissent sur la peau à découvert ainsi que sur la légère ouverture faite entre mes cuisses par cette position.

— Ne t'arrête surtout pas, poursuit-il dans une intonation plus suave.

Mon abdomen se contracte. Il sourit et remonte son attention sur mon visage renfrogné.

— Je sais que je te fais bander, Jasper, ronronne-t-il. Depuis très, très longtemps.

Brusquement, je me retourne sur le ventre et lui envoie un coup sec en plein visage. Le grognement que j'en retire me fait sourire de satisfaction alors que je me relève souplement.

Je pivote vers lui tandis qu'il se masse la mâchoire.

— Tu sais ce qui me fait bander ? De te voir loin, très loin de moi. Oh bien sûr, il y a Barbara, l'arbre préféré d'Isaac. Tu devrais essayer, il est plus réceptif que moi.

Un sourire sombre soulève ses lèvres. À son tour, il se met debout. À pas de prédateur, il s'approche de moi. Mais je ne recule pas pour autant, il n'en est pas question.

Et mon loup est amplement en accord avec cela.

— Ce que je sais, Jasper, c'est que tu as plus besoin de moi que tu ne veuilles bien l'admettre.

À quelques centimètres de moi, il se stoppe. Sa main se hausse et effleure une mèche brune sur ma tempe.

— Tout comme je sais que tu n'es pas encore prêt à admettre, à m'avouer, que nous sommes des âmes sœurs.

Il fait une petite mine ennuyée.

— Ou que tu te touches en pensant à moi, comme la veille.

Piqué, j'élève un sourcil.

— Je prononçais peut-être ton nom parce que je sentais ton odeur mais crois-moi... je me caressais en pensant à ce démon. Au baiser que nous avons échangé. À tout ce que sa présence m'a fait ressentir. Oh putain, ça, c'était bon.

Mon loup gronde avec force son désaccord et me punit de ce rappel.

Le visage de Lincoln s'assombrit. En deux trois mouvements, je me retrouve obligé de faire plusieurs pas en arrière et je me retrouve plaqué contre la commode de Reyes. Et je n'ai d'autres choix que de me pencher vers l'arrière lorsqu'il fait de même vers moi.

Sa bouche frôle mon oreille, survolant sa pointe.

— Regarde-toi, à essayer de me provoquer et de me blesser dans l'espoir de te protéger et de détourner mon attention...

Par cette proximité, mon cœur s'emballe.

— Tu sais ce que ça montre, trésor ? Que j'ai raison plus que je ne puisse l'espérer.

Il émet un faible rire rauque. Mes entrailles se recroquevillent à ce son, mes sens en raffolent.

— Tu es putain d'adorable, Jasper.

— Lincoln, grogné-je.

— Je t'entends, souffle-t-il.

Lentement, sa main repousse quelque peu mon haut afin de glisser à l'intérieur. Sa paume se déploie sur mon ventre, celui-ci se creusant vivement à son toucher.

Dans une caresse, elle remonte jusqu'à mon torse et s'arrête sur les palpitations de mon cœur. Je déglutis avec peine pendant que sa respiration, calme, survole ma gorge.

— Mais quoique tu dises, tu ne pourras jamais me tromper sur une chose : je sais que je te fais de l'effet. Tout comme je sais que, quelque part, je te fais peur...

Mes sourcils se froncent. Son regard happe le mien, son visage ne cherchant pas à s'écarter afin de conserver une distance un tant soit peu raisonnable.

Et je ne le pousse pas non plus à le faire.

— Pour des raisons que j'explique et d'autres non. Mais ça t'excite, et ça je le sais.

Je ricane.

— Bordel, tu te montes clairement la tête.

— Trésor, trésor..., soupire-t-il en secouant ladite tête.

L'alpha baisse les yeux sur mes lèvres. Son nez frôle le mien. Face à cet appel, mon attention se baisse sur les siennes.

Ma pomme d'Adam s'immobilise.

— Lorsque je t'ai dit non hier, lorsque j'ai pris ta gorge...

Sa main glisse vers le haut, poussant mon haut à se retrousser davantage, et entoure mon cou.

— Et que j'ai fait étalage de mon aura, tu aurais dû voir ton visage... Tu as littéralement pris feu, susurre-t-il à un cheveu de mes lèvres.

J'inspire, en manque d'oxygène.

— Lincoln...

Son regard onyx me revient.

Mes mains se serrent autour de la commode, y plantant presque les griffes.

— Va.te.faire.foutre, articulé-je distinctement. T'es complètement en train de rêver.

Brusquement, il harponne sèchement ma mâchoire entre ses mains et me rapproche de plus belle de lui. Si bien que nos souffles se mêlent, qu'il lui suffirait d'un seul geste dans ma direction pour que nos lèvres se rejoignent.

Un éclair d'excitation me poignarde dans le dos.

— Jasper.

Ses iris vont d'un œil à l'autre. Confiant, sûr de lui, il embrasse ma pommette, m'obligeant à fermer l'un d'eux.

— Pourquoi est-ce que tu ne me repousses pas, hm ?

Ma respiration se suspend. Il se met à sourire.

Comme si de rien n'était, il se recule puis il remet bien mon survêtement sur mon torse.

— Je crois que je connais déjà la réponse.

Avant de quitter la pièce, il baisse sciemment le regard sur mon entrejambe. Je fixe, de mon côté, la fenêtre en face de moi, la mâchoire serrée.

Putain, je bande.

Je suis en feu.


Un coup bref dans la salle de bain de Reyes, le visage rougi par l'eau glacée dont je me suis aspergé à plusieurs reprises, je me sèche vigoureusement avec une serviette. Lorsque je me décide enfin à sortir de la chambre, la température de mon corps est radicalement descendue et l'excitation n'est plus qu'un souvenir honteux. Je suis à bout de nerfs, un rien peut visiblement me faire réagir. Et ça n'a strictement rien avoir avec ce connard. Absolument rien.

Les énergies d'hier sont encore bien trop présentes en moi, de toute évidence.

Sortir au grand air ne me fera que le plus grand bien par conséquent. Me balader dans le territoire apaisera en même temps mon loup, qui plus est. Des mois sans avoir ne serait-ce qu'un pourcent d'une forêt aussi somptueuse que celle-ci, ce serait stupide de ne pas en profiter. Que ce soit sur mes deux jambes ou sur mes quatre pattes. Et cela me donnera un goût du bon vieux temps avant le grand départ, de quoi m'emplir les poumons d'air frais et de courage. Un vrai départ définitif. Vraiment définitif.

En bas des escaliers, je passe le couloir de l'entrée pour atterrir dans le salon ouvert sur le jardin. Je croise la route de l'aînée de la meute pile à ce moment-là. Son regard malicieux et curieux rencontre le mien.

Elle et ses maudites oreilles traînantes...

Je jette une œillade à la montagne de linge qu'elle porte, l'air de rien.

— Besoin d'aide ?

— Si tu veux bien m'aider à étendre tout ça, ce serait parfait.

— Les sèche-linges ne fonctionnent plus ? dis-je en tendant les mains pour porter avec elle.

Néanmoins, je suis vite chassé par une claque sur le dos de l'une d'elles. Si je fais semblant d'avoir eu mal, je ne peux retenir un sourire.

Pendant que nous sortons par les baies vitrées ouvertes, et que nous nous dirigeons vers un coin tranquille ayant été visiblement aménagé pour ça, Annette râle et répond aussitôt :

— En effet, et crois-moi que c'est un vrai calvaire. Tout ça parce qu'Elena et Jacob se sont battus dans notre laverie et notre sécherie. Ces mômes ne sont pas foutus de se tenir une seconde !

Je ricane.

— Que veux-tu ? Elena a eu le meilleur des professeurs, me vanté-je. Hors de question qu'elle ne se laisse faire.

Elle me coule une œillade en coin et dépose son panier sur l'herbe fraîche.

— Oh, parce que tes entraînements menaient forcément à l'étape où les affaires sont arrachées et jetées au sol pour un autre type de combat ?

Un drap entre les doigts, je me redresse illico et tire une tête de six mètres de long.

Mes paupières se plissent.

— Je lui ai seulement appris ça pour déstabiliser son adversaire. Pas pour... ça !

Dégoûté, je grimace et secoue la main.

— Non, non, je vais aller la voir. Puis j'irai voir ce petit con pour lui remettre les idées en place !

Annette me lorgne d'un regard à la fois affectueux et moqueur.

— Quel papa poule. Regarde-toi, à peine de retour que tu veux déjà donner la correction à ce pauvre gamin.

Je me renfrogne.

— Elena peut trouver largement mieux que ce loup a petite bite.

— Ne t'en fais pas, je suis du même avis.

— Nous sommes d'accord.

Tous deux, nous dodelinons du menton.

Je me racle la gorge peu de temps après, étendant le drap sur une des ficelles tendues entre deux arbres éloignés l'un de l'autre.

— Et donc... Ils ont... ?

— Par la Lune, non ! balance la louve blanche. Je suis arrivée à temps. Et crois-moi, Jacob a senti ses fesses chauffées après ça.

Dans une expression satisfaite, je tourne la tête vers le village moderne de Reyes où quelques Lieutenants passent en trottinant sous les directives d'un supérieur. Si mon regard allait naturellement poursuivre sa route, il n'en fait rien en remarquant que toute leur attention est rivée sur moi. Cela attire suffisamment la mienne pour que mon loup fasse de même, les babines retroussées dans un grognement.

Sans scrupule, les métamorphes me dévisagent, zéro sourire aux alentours. Tout le contraire de ce dont j'avais le droit avant de partir et cela, nous nous en rendons compte. Ce que ma bête n'apprécie en rien.

Je me détourne d'eux dans un soupir.

— Si tu veux, tu peux aller la voir, reprend plus doucement l'aînée. Tu lui as beaucoup manqué, tu sais.

— Je ne pense pas qu'elle ait très envie de me voir, refusé-je. Je sais comment elle est... et son comportement envers moi serait juste. Je l'ai laissé, comme ça, sans rien dire.

Je me mords l'intérieur de la joue puis je me penche pour saisir un nouveau tissu humide. À juste raison, Elena aurait tous les droits de me repousser et de me frapper.

Mais je reste sur mes positions. Mon départ est l'une de mes meilleures décisions. Et le restera.

Pour leur bien à tous.

— Fais-moi confiance, vas-y.

Je la tarde d'un regard hésitant. Et tandis que je m'apprête à refuser une seconde fois, la vieille louve me coupe.

— Sois tu te barres, soit tu te prends la fessée du siècle Jasper.

Surpris, un rire bouscule mes lèvres. Je lève les mains en signe de reddition et recule de quelques pas.

Néanmoins, en vérité, j'ai très envie de la revoir. Une toute dernière fois.

— Oh non, s'il vous plaît, je ne veux pas sentir les terribles mains d'Annette, la louve à la fessée d'enfer ! m'exclamé-je soudainement.

Elle rit de bon cœur et me jette un torchon.

— Allez, je ne veux plus te voir !

Tout sourire, je tourne les talons et m'éloigne du coin d'herbe aménagé. Bientôt, mes pieds foulent les dalles du village avec un certain empressement.

Mon regard croise celui de Monsieur Spoke à la première maison que je dépasse. Un chic type ultra chiant, mais un chic type quand même.

— Bonjour, Spokie ! Vous allez bien ?

Il grogne puis crache à mes pieds à mon passage. L'étonnement possède mon visage au point où je m'arrête et que je le regarde retourner chez lui en ruminant. Vigoureusement, il claque la porte derrière lui.

Les sourcils froncés, mon sourire diminue. Toutefois, je reprends mon chemin pour rejoindre l'habitation de l'aînée. Les vieux et leur tempérament, décidément. Néanmoins... partout où je croise mes anciens camarades, je ne rencontre que des visages fermés, des regards noirs et des messes masses que je fais mine de ne pas entendre.

Apparemment, mon départ n'a plu à personne. Et ça, ils me le font bien sentir. Jacob sort justement du pavillon de ma petite protégée. Aucune odeur de sexe, les cheveux toujours en place, le regard encore alerte : bien. Rien à signaler.

À ma vue, il marque un arrêt avant de me barrer la route.

— Laisse-la tranquille.

Je hausse les sourcils et un gloussement me vient.

— Je te demande pardon ?

— Laisse Elena tranquille. Elle n'a pas besoin de te voir, encore moins si tu comptes repartir avec la queue entre les jambes comme un putain de lâche, dit-il, acerbe. Crois-moi, elle est mieux sans toi.

Il passe à côté de moi et me rentre dedans sans ménagement. Je me retourne et le saisis fermement par l'épaule.

— Fais attention à qui tu t'adresses, Jacob.

Il me repousse, levant à son tour les sourcils.

— Tu n'es plus mon delta. Tu n'es plus rien ici, non ? Ce n'est pas ce que tu voulais ?

Il renâcle et repart. Et ce coup-ci, je ne cherche pas à le retenir.

Mon attention s'oriente sur la maison de la louve blanche. Je la fixe peut-être pendant deux bonnes minutes, ou peut-être plus longtemps avec les martèlements de mon cœur en fond. L'hésitation déjà présente me gagne avec plus de poigne, avec plus de plomb.

La mâchoire serrée, je ferme les yeux. Je finis par tourner les talons. Je ne compte pas rester et encore moins revenir, lui infliger une quelconque retrouvaille illusoire serait une torture. Pour elle, comme pour moi.

Il a raison.

Ce petit con a raison.

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