Les Filles du Diable, premier...

By YannickRodari

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Randall, troisième né d'une puissante famille du royaume d'Angleterre se retrouve forcé à rejoindre les frère... More

Chapitre I : Glastonbury
Chapitre 2 : Le convoi
Chapitre 3 : Moine
Chapitre 4 : Une rose dans la nuit
Chapitre 5 : L'Épine
Chapitre 6 : Fae
Chapitre 7 : Les Anciens
Chapitre 8 : Pillages
Chapitre 9 : La grotte
Chapitre 10 : Le lac
Chapitre 11 : La croix
Chapitre 12 : La haine
Chapitre 13 : Innocence
Chapitre 15 : La Forêt

Chapitre 14 : L'Enfant

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By YannickRodari

"Poème retrouvé gravé sur un arbre non loin de l'abbaye de Glastonbury"


L'arbre le plus vieux du monde

Noyé dans la lumière immonde

D'un Dieu dépourvu de sens


Brûlera dans la colère

D'un peuple dans la misère

Leurs vies au bout d'une lance


Que leurs âmes dominent ces terres

Car seule la forêt est mère

De toutes les connaissances


Les sauvages brûleront les cieux

Les femmes les enfants, les aïeux

Car ils suivront l'Ancien


Seul demeure l'innocence

Dépourvue de toute croyance

Fuyant les horribles mains


Le dernier moine est parti

Afin de protéger la vie

Qui ramènera le bien


L'Aubépine était majestueuse, sa floraison ne semblait pas s'arrêter tandis que l'été approchait. Ses fleurs blanches et duveteuses recouvraient entièrement ses branches et les plaies qu'on lui avait infligées semblaient guérir petit à petit. Perdu dans mes pensées autant que dans ma vie, l'arbre devint mon seul repère après qu'Eric soit parti. Je devais m'en occuper chaque jour, tailler les branches malades, changer la terre et lui réciter des prières. J'en pris un soin immense tout en suivant à la lettre les notes de Oliver. Malgré tout ce qu'on pouvait reprocher à l'ancien bras droit de l'abbé, Oliver savait s'occuper de l'Aubépine. Le temps restant, je continuai à m'occuper des jardins, soigner le peu de vie qui demeurait à Glastonbury.


— Randall, mon fils. Viens par ici, j'ai à te parler.


L'abbé Henry vint vers moi alors que je m'occupais des jardins, j'eus craint qu'il vînt me blâmer pour ne pas être au côté de l'arbre, mais il en était tout autre.


— Mon fils, te voilà! J'ai une faveur à te demander. Quand tu retourneras à l'Aubépine, pourrais-tu me couper une fine branche? Pas trop longue, une coudée maximum, plus courte même. Pose-la-moi sur le bureau.


— Pourquoi mon père ? Cela ne risquerait-il pas de blesser l'arbre ?


— Non, ne t'en fais pas. Pour être franc, il s'agit d'un cadeau pour un puissant duc, contre... sa protection. Il nous enverra des hommes en échange, il est malade et seule une branche de notre joyau apaise ses douleurs. Nulle autre question n'est à poser, mon fils, apporte la-moi avant ce soir, le plus tôt sera le mieux.


J'eus de la peine à le croire, mais que pouvais-je faire d'autre ? Je terminai ma tâche rapidement, je ne voulais pas faire attendre l'abbé. Ma nouvelle chambre me convenait malgré la jalousie des autres moines. Mon sommeil s'était peu à peu réparé et je ne voulais pas noyer tous ces efforts en me faisant remplacer. Je devais être irréprochable, je me mis donc en quête de cette branche. En arrivant dans les jardins-nord, je ne pouvais m'empêcher de toujours contrôler si l'abbé me surveillait. Je jetais donc chaque fois un regard discret en direction de la fenêtre. Je ne le vis jamais finalement, la confiance qu'il me portait me sembla étrangement infondée.


Une branche fine pas plus longue qu'une coudée; blesser à nouveau cet arbre me semblait mal et dangereux. Je sentais son regard inquiet, je me suis occupé de lui durant plusieurs jours et maintenant je devais de mutiler. Il me sembla le voir se rétracter pour m'empêcher de lui prendre une part de son être, mais cette sensation me parut très vite stupide. Ce n'était qu'un arbre même si tout me laissait penser le contraire. Je me sentis forcé de remercier l'Épine en m'excusant platement, je ressentis un vrai sentiment de sacrilège, j'avais vexé un Dieu qui n'était pas le mien. J'avais la nausée. Une douleur au crâne m'assommait et je fis quelques pas en arrière pour ne pas tomber inconscient. Je pouvais sentir des regards m'envahir comme une armée d'yeux que je ne pouvais voir.

Comme pourchassé par mille démons, je sortis de la chambre en fermant violemment la porte. Une fois loin de cet endroit maudit, la clarté revient dans mon esprit. Je restais une éternité contre la porte les yeux fermés et les deux mains sur mon cœur battant.


Une fois cette expérience étrange derrière moi, je me souvins de ma tâche initiale: retourner la branche à mon maître. Son bureau était fermé, mais il m'avait donné la clé qui avait rejoint mon trousseau déjà bien trop lourd. Il m'avertit malgré tout de ne jamais entrer sans sa permission sous peine de lourde punition, et je savais ce que cela signifiait.


La chambre était vide, je sentais l'Aubépine m'observer à travers la fenêtre, mais je détournai le regard le plus possible afin d'éviter la confrontation. Le soleil couchant frappait de ses rayons le bureau illuminant le tas de feuilles et de paperasse et faisait briller les pièces d'or de mille feux. Tout était si calme qu'il me sembla l'abbaye vide, l'odeur âcre habituelle de ces lieux avait envahi la pièce, mais était couverte par de la lavande. Intrigué, je jetai un œil sur le lit et je le vis fait avec trois fleurs au-dessus pour couvrir les odeurs. Je posai donc la branche sur le bureau en la mettant bien en évidence.


Mais, soudain, un bruit me glaça le sang. Comme venue des enfers, un grattement fit trembler les murs, je restai de marbre comme si tout n'était qu'un rêve, mais le bruit continua et s'infiltra profondément en moi. Je repris mon souffle et tournai la tête pour regarder le monstre derrière moi, mais rien. La chambre était aussi vide que dix secondes auparavant. Mais le grattement ne voulait pas s'arrêter, une complainte horrifique qui m'envahit à nouveau. Elle semblait venir de l'armoire. Je me retins de crier autant que possible. Était-ce l'arbre voulant me parler? Mon cœur s'efforça de continuer de battre en chamade dans ma poitrine prête à céder. Un râle démoniaque sonna et s'en fut trop. Je me précipitai hors de la chambre en claquant la porte. J'étais à bout de nerfs, je me réfugiai dans ma couche et restai tremblant en attendant les Nones. L'arbre me voulait du mal, j'en étais certain.


Lors de la médiation, je ne fis que prier, mais pas envers Dieu. Tout du moins pas envers celui qui tenait ce lieu. Vers des Dieux plus obscurs régissant des aspects du monde m'étant inconnu. Lors de mes prières barbares, je me sentis attiré vers ses entités et le remords de ne pas avoir rejoint Fae m'envahit. Au fond de moi, je voulais qu'elle survive à ses blessures, malgré tout sa mort en empêcherait des milliers d'autres. J'étais perdu.


Depuis mon premier jour ici, je savais que cette abbaye n'avait rien de saint, tout dans ses murs et dans son âme puait la charogne. Jamais je ne me suis senti en sécurité dans ce lieu et bien trop de temps avais-je passé aux côtés du Démon. Mais je ne peux regretter cette vie, car elle m'a forgé, elle m'a fondé. David est toujours à mes côtés, m'expliquant sa morale sans me l'imposer, me guidant tout en laissant le choix de mes actions. Il fut ce qui me rendit bon, trop bon au point que je puisse pardonner quiconque. C'est Tristan qui m'apprit la raison et le choix tout en me montrant que se battre est nécessaire et que le mal se trouve parfois dans le bon. Que dans chaque espoir se trouve de la peur et que dans toute haine se trouve de l'amour. Eric, mon cher frère fut celui qui m'enseigna le courage et l'honneur, une voie que je garderai au plus près de moi pour le futur. Malgré tout, une chose me manquait, je ne pouvais être l'homme auquel j'aspirais. Une pièce manquait dans le puzzle de mon âme, je me devais de la chercher, une pièce qu'aucun de mes frères ne pouvait me donner, une pièce que je devais trouver et protéger au péril de ma vie...


La nuit se faisait des plus noires, les Matines venaient d'être terminées et mes démons ne voulurent pas me redonner le sommeil. Je restai donc à contempler le plafond tout en m'émerveillant que celui-ci ne se perlait pas d'eau sale. Les cauchemars m'envahirent très vite, inondant mon esprit de femme arbre immense et grasse, dégoulinant de sève. Elle s'approcha de moi pour m'embrasser dans un baiser que je ne pouvais que refouler. La vie avec elle semblait douce et sans souci, mais l'horreur de son être me révulsait à tel point que la regarder me faisait tressaillir de dégoût. Et sous un autre angle, en plissant les yeux je vis Fae, belle comme elle ne l'avait jamais été et me tendant un bras amical. J'eus une facilité déconcertante à m'approcher d'elle malgré la terreur que me procurait la forêt ainsi que la femme arbre.

Fae m'entraîna lentement dans son monde idyllique formé de bourgeons, de fleurs et de chair à profusion. Tandis que je pénétrais dans l'obscurité de la forêt je sentis le soleil me réchauffer le dos. La chaleur était si forte qu'elle était à peine supportable, lorsque je me retournai ce n'était pas le soleil, mais l'Aubépine. Elle brûlait autant que l'astre du jour créant une lumière que seule la forêt arrivait à dissiper. Où devais-je aller ? Appartenais-je à la lumière ou à l'ombre ? Les deux me semblaient justes et bons, chacun à leur manière. L'abbaye m'offrait le soutien de mes pairs et de ma famille, une vie calme et reposante bercée dans le jour d'un Dieu au quelle j'avais dédié ma vie. De l'autre côté se trouvais l'aventure, la vie à son état le plus primitif, la chair, l'amour ainsi que Fae et son désir brûlant. Je ne pouvais me décider et je mourrais petit à petit coincé entre deux mondes... à moins que... un autre... un croisement... un autre chemin.


Le réveil fut brusque, il n'était pas encore l'heure, mais ce rêve semblait avoir duré une éternité. Je ne pus me rappeler la fin même si je savais l'avoir vu très clairement. Je me battis contre mes pensées, mais ne trouvai rien et abandonnai, laissant ce songe s'envoler au gré de mes pensées. J'essayai donc de me rendormir pour retrouver le fil perdu de mon rêve, mais il me fut impossible de me rendormir, valait-il peut-être mieux que cela reste un mystère.


Juste avant que je puisse retrouver enfin une once de repos, un bruit sourd secoua ma chambre comme si un troupeau venait de frôler l'abbaye à toute vitesse. Emporté par ma curiosité, je me levai pour aller voir. Une fois dans les escaliers tout ce que j'entendis fut des voix bien trop étouffées par l'épaisseur des murs pour que je puisse les entendre. Je m'approchai doucement tout en essayant d'être le plus discret possible et tendis l'oreille pour comprendre les lointaines conversations. Il me sembla que plusieurs hommes parlaient dans le jardin nord aux côtés de l'Aubépine, ils conversaient à voix basse et je ne pus donc pas tout entendre.


— Pourquoi arrivez-vous si tard ? C'était l'abbé, il tentait de contenir sa voix malgré l'énervement.


— Vous n'avez donc pas entendu que le pays est en guerre, mon bon seigneur. Les Français ont repris les combats, le roi a mobilisé toutes ses troupes à la défense. En plus de ces chiens de sauvages qui avancent dans nos terres, ils risquent d'atteindre Westminster si l'on ne les arrête pas. Donnez-nous le paiement, un roi malade ne nous fera pas gagner la guerre, et votre petit commerce commence à nous agacer. Votre luxure pourrait faire tomber le royaume, mon père.


La voix du second homme n'était pas celle d'un soldat, elle était noble, teintée de grâce. Il devait être un proche du roi ou un homme haut placé, malgré tout l'abbé ne semblait pas impressionner. Il dominait la conversation.


— Puis-je vous rappeler qu'il s'agit d'un ordre du pape et je suis certain que vous savez que lui et moi sommes très proches ? Mais si toutefois vous tenez à votre honneur. Venez le chercher par vous-même, l'arme à la main, et je vous promets que l'Aubépine brûlera d'une flamme si brillante qu'elle éclairera votre ignorance. Et votre roi mourra, tout cela par votre seule et unique faute. Je vous conseille donc de respecter notre accord. Je vous donnerais seulement ce que mérite le roi, et au vu des dernières livraisons ce que je vous donne devrait amplement vous satisfaire.


— Mon père ! Les paysans sont en colère, bientôt ils se soulèveront et nous ne pouvons pas nous permettre une telle révolte.


— Ils doivent payer leurs dus d'une manière ou d'une autre et s'ils n'ont pas de grain vous savez quoi faire. Certains nous les offrent même de leur plein gré, félicitez-les pour que les autres en face de mêmes.


Le noble lâcha une expiration de défaite, l'abbé ne changerait pas d'avis quoi qu'il en dise. Je l'entendis remonter dans la charrette et partir avec toute la garnison la protégeant. Le lourd bruit du transport passant à travers l'abbaye couvrit le bruit de mes pas. Une fois de retour je me couchai, tentant de trouver une explication à ce que je venais d'entendre.


La journée s'avéra ensoleillée malgré les événements à venir. L'herbe poussait verte et les arbres avaient enfin pris leurs couleurs. Deux grosses traces de roue ayant fait un aller-retour gâchaient la pelouse bien entretenue de l'abbaye. Des travailleurs venus de tout le royaume firent le long et dangereux chemin afin de réparer les dégâts faits à l'abbaye. La chapelle désormais ornée d'échafaudage en bois semblait bien mieux guérir que les moines. Fae avait détruit l'âme même de Glastonbury.


Les prières restaient une tâche longue et fastidieuse, mais au moins je savais désormais à qui elles étaient adressées. Elles n'étaient plus destinées à Dieu. Désormais, je le savais mort, ou parti de ces lieux. Je m'adressais aux personnes qui vivaient encore dans mon cœur, je remerciais souvent Tristan pour sa sagesse et sa méfiance du monde, ainsi qu'a mon mentor pour ses conseils et pour avoir été le père que je désirais. Quelquefois à mon frère, je priais pour son retour soudain qui remettrait un peu de sel dans ma vie redevenant plate. Et, rarement, je priais pour Fae, pour des raisons que je n'ose avouer.


Je ne sais vous dire pourquoi. Mais dans toutes les histoires, lorsque tout revient à la normale, c'est à ce moment que tous les plus sombres esprits se réveillent. Et comme tout redevenait calme, je ne pus m'empêcher de sentir les changements arriver. Une tempête approchait par la mer, prête à tout détruire. Le démon arriva, grand et fier, se délectant d'un corps d'innocence qu'il allait bientôt consumer.

— Mon fils te voilà, tu rangeras mes documents ce soir après les Complies, désolé de prendre ça sur ton temps de travail, c'est très important, mais le roi arrive demain et je veux que tout soit près. Mais ne tarde pas trop surtout, je ne veux pas te priver de ton sommeil.


Il brilla d'un sourire malveillant alors que je me remis à gratter la terre. Mais, déconcentré dans mon travail, ma main glissa dans le trou que je venais de faire et mon poignet céda sous le poids de mon corps. J'eus un grognement de douleur, l'abbé se retourna, mais ne vint pas m'aider. J'allai donc verser de l'eau fraîche et mis une crème pour apaiser la douleur, cela ne fit que peu d'effet. Je pus malgré tout continuer la journée sans encombre, car, écrivant de la main droite, cette blessure ne me gênait que très peu. Peu après la dernière prière de la journée, je me mis en route en direction de la chambre de l'abbé. Il avait dit vrai, tout l'endroit était dans un désordre tel que j'eus des remords de ne pas avoir commencé plus tôt mon rangement, je me mis néanmoins au travail rapidement tâchant de ne pas gâcher trop d'heures de sommeil.


Des liasses de papier gisaient dans tous les sens comme si une colère avait envahi l'abbé le transformant en tourbillon détruisant tout sur son passage. Plusieurs bourses remplies d'or trônaient aussi sur le bureau, mais je décidai de ne pas les toucher. J'essayai de remettre les documents à leur place. Mais mon poignet me faisait terriblement souffrir ce qui me fit perdre beaucoup de temps. De nombreuses fois, je lâchai une pile de documents et dus les ramasser un à un sur le sol. Le soleil s'était couché il y a déjà bien longtemps, je me maudis de tout ce repos perdu.


Je finis malgré tout par réussir à ranger la plupart de ce qui pouvait traîner, il ne restait que la couche à faire avant d'enfin pouvoir aller me poser et tomber dans un sommeil que j'avais attendu bien trop longtemps. Je voulus me dépêcher de peur que l'abbé arrive, mais un petit bout de papier s'était logé sous l'armoire. Je ramassai la feuille et ne pus m'empêcher de glisser mon regard sur l'insigne du roi qui ornait l'angle haut droit de la missive. Je savais que c'était mal, mais après tout personne ne saurait que j'eus posé mes yeux sur ce document.


Mon cher ami, il est regrettable que vous ne soyez pas satisfait de la livraison de ce mois. Malgré tout, je peux vous assurer qu'elle est propre et de bonne famille. Il s'agit d'une prisonnière française, elle ne comprendra donc aucun de vos dires ; ce qui peut vous être favorable. Nous savons que son âge ne vous convient qu'à moitié et par conséquent nous vous permettons d'en disposer comme bon vous semble. Vous n'aurez nul besoin de nous la ramener lors du prochain convoi. En espérant que notre contrat se perpétuera sur encore de longues années et je vous prie d'excuser l'arrogance du seigneur Aelfrid.



Que Dieu vous accompagne.



La fin était marquée par la signature du roi Henri VI en personne, je restai sans mots devant la missive pendant bien trop longtemps. Assez longtemps du moins pour que je n'eusse pas entendu l'arrivée de l'abbé.


— Ce crétin de Randall n'a pas fermé la porte, mais quel incapable ! brailla-t-il.


Je fus pris d'un soudain coup de panique. La lettre à la main, je me tournai rapidement et me mis dans l'armoire juste derrière moi. Je fermai la porte assez rapidement pour ne pas être vu, mais pas trop pour ne pas me faire entendre. J'étais désormais enfermé dans cet endroit clos et dans le noir. Seul un petit espace pouvait me faire voir l'intérieur de la chambre encore illuminé de quelques torches. L'abbé rentra en donnant un coup de pied à la porte et entra tout en grommelant.


— Viens ici, sale mioche !


Il gifla l'enfant, elle semblait terrifiée. Des larmes d'anges coulaient le long de ses joues blanches comme la lune. Le soleil n'avait pas du toucher sa peau depuis bien longtemps. Elle ne portait qu'une simple toile qui devait être un morceau de tunique de moine déchirée. Ses cheveux blonds avaient été découpés négligemment au couteau et lui tombait à peine sur les épaules. Une innocence qui me brisa le cœur luisait encore dans ses yeux, même si elle semblait avoir bien souffert. L'enfant devait avoir à peine neuf ou dix ans, cela faisait bien longtemps que je n'eusse plus vu personne de cet âge et je ne pus donc affirmer avec certitude qu'elle était si jeune. Une gifle sonna dans l'air suivi d'un râle de souffrance.

— Plus jamais tu ne m'entends ! Plus jamais ne t'avise à essayer de fuir d'ici. La prochaine fois, je t'assure que je ressors le fouet.


Le Diable se tenait devant l'ange la main levée comme pour la tuer, il l'aurait fait s'il ne voulait pas encore l'utiliser. Dans un mouvement violent, l'abbé la frappa de nouveau d'un revers de la main laissant l'enfant à terre gisant dans son sang. Le coup avait dû lui ouvrir l'arcade, car je ne pus voir son visage caché par des larmes rouges de douleur. Seuls ses yeux d'un bleu marin ressortaient de cette scène immonde. Le Diable s'avança prêt à dévorer sa victime. D'un pas lent et monstrueux, il s'avançait tel un prédateur ravi d'enfin dominer sa proie.


Je ne pouvais supporter la peine, mais le courage m'avait abandonné, je ne pouvais rien faire. Il était mon maître. Rien ne me forçait à agir, je pouvais seulement attendre la fin. Mais je devais agir. Agis ! Ne la laisse pas. Mais que faisais-tu, Randall ? Espèce d'idiot ! Ne fais rien, tu vas seulement finir pendu. Mais je ne pouvais pas tenir, mais je le devais, Eric, dis-moi quoi faire ! La voix de Tristan sonnait dans ma tête et celle de David la rejoint en un cœur insupportable. Mes propres choix pouvaient-ils condamner un être vivant, un enfant ? Qui dois-je sauver ?}Pourquoi Dieu ne m'aide-t-il pas ? Dois-je protéger l'innocence au prix de ma vie ?


Je dois faire mes propres choix, ma main glissa sur la dague de Tristan et agrippa fermement le manche. Je scellai mon sort au moment où la porte de l'armoire s'ouvrit. Je fonçai sur l'abbé, arme à la main, le poignard gravé en moi comme des runes de colère. Mes pas étaient des clés fermant les portes à une vie paisible. Chaque seconde me rapprochait de l'inévitable. Ma respiration s'arrêta, mes yeux se fermèrent, mon âme s'ouvrit. La chair se déchira laissant entrer le métal froid et juste. Je sentis la résistance de la peau dure du Diable, mais j'appuyais si fort qu'il me sembla briser des os. Je retins le monstre de crier en lui mettant la main sur la bouche et, tout en gardant les yeux fermés, attendis qu'il regagne les enfers. Mais je ne pouvais pas, il ne pouvait pas s'en sortir si facilement. Je retirai la lame et la lui replantai encore plus sauvagement, encore une fois et encore et encore jusqu'à ce que son sang inonde le monde qu'il venait de quitter. Il ne respirait plus depuis longtemps, mais je continuai. De toute ma rage, j'entaillais son corps de mille coupures pour chacun de ses péchés.

Son corps frêle, encore palpitant et chaud s'écroula sur le sol maculé, l'enfant n'avait pas fermé les yeux contrairement à moi, elle avait tout vu. Je ne pouvais pas encore reprendre mes esprits, je devais la sortir. Je pris une des bourses traînant sur la table et la fourrai dans ma tunique. La fille ne semblait pas plus apeurée qu'avant, je pouvais même sentir un soulagement dans son regard. Je pris l'enfant par la main et la tirai hors de cet endroit maudit. Sans réfléchir, je pris la torche qui éclairait le cadavre d'Henry et la jeta sur la couche qui prit immédiatement feu.


Tout en tirant bien trop violemment le bras de l'enfant, je sortis et descendis les escaliers en toute hâte. Je croisai Stan qui me fixa, sidéré, et qui, après quelques secondes, se mis à courir après moi. L'enfant ne pouvait pas courir aussi vite que moi je la pris alors sur mon dos en essayant de ne pas la blesser.


— Randall, arrête-toi ! Je t'en prie ! Qu'est-ce qu'il se passe ? hurla le général.


Je ne voulais pas entendre les cris de Stan me courant après. Je sortis du cloître en donnant un coup d'épaule dans la porte et me retrouvai dans les jardins. Le feu avait déjà envahi une bonne partie du bâtiment et allait maintenant dévorer la chapelle. Je continuai de courir. Une fois arrivé devant la porte des caves, je posai l'enfant. Tous les gardes me regardaient sans comprendre ce qui pouvait se passer. Stan leur cria de m'attraper, mais il était déjà trop tard. Tandis que toute l'abbaye prenait feu, je fermai la porte derrière nous et la bloqua avec une table pour que personne ne nous suive. Nous traversâmes les caves et je relevai difficilement la lourde armoire qui bloquait le passage. Alors que les bruits de haches sonnèrent pour défoncer la porte, nous nous engouffrâmes dans les sombres grottes.


La danse des flammes créait des ombres qui effrayaient l'enfant. Je n'avais pas les mots pour la rassurer, je devais seulement la sortir de là. Elle tremblait, le maigre bout de tissu qu'elle portait ne la réchauffait pas assez, ou bien était elle seulement accablée par la peur. Je rapprochai ma torche d'elle en essayant de la tenir au chaud.


— Dépêche-toi, fis-je avec un geste de la main.


L'enfant se mit à genou et ramassa un bout de chiffon qui gisait sur la pierre froide et humide. La poupée que j'avais trouvée avec Tristan était restée à sa place depuis toutes ces années. Elle prit le jouet et le colla contre sa poitrine, nous étions sur le bon chemin. Je pus voir la lumière, l'enfant sembla soulagée d'enfin voir les reflets sur le lac. La lune était pleine et l'eau cristalline reflétait la splendeur des astres tel le plus beau des miroirs. Nous étions sauvés.


Une fois sortis, nous ne pouvions que nous diriger vers la forêt et ses dangers. Je savais Fae là-bas et j'eus espoir qu'elle verra le feu et nous viendra en aide. Je priais de tout mon cœur pour qu'elle m'offre son pardon.

Une fois sur la berge du lac, nous pûmes voir l'Aubépine succomber aux flammes que j'avais créées. Je la regardai brûler, lentement. Son âme mourrait peu à peu et le Dieu vivant en son bois partit en fumée. Lorsque la plus grosse branche s'écroula, je sus que Glastonbury ne se relèverait plus jamais.

Je pris alors l'enfant dans mes bras, elle semblait au bout de ses forces, et me mit à courir aussi vite que mes jambes me le permettaient. Un sifflement que je connus que trop bien passa droit contre mon oreille. Trois gardes étaient perchées en haut des falaises et faisaient tomber sur nous une pluie de flèches. Je courus le plus vite possible... mais soudain. Une douleur terrible, juste en dessous de mon omoplate me parcourut le corps. Je me mis à genou. Je sentais la chair déchirée et la douleur me traversa aussi vite qu'une pensée. Je ne criai pas, mais je souris, je souris sachant que j'avais sauvé une vie au prix de la mienne. Une larme coula le long de ma joue tandis qu'une seconde flèche m'atteignit dans la jambe droite. Je regardai une dernière fois l'enfant avant d'enfin rejoindre mes frères puis je sombrai, persuadé de mourir en homme bon.


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