Chapitre 11 : La croix

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Combien de croix ai-je déjà vues, combien m'ont accompagné durant mes longues prières ? Je ne saurais le dire aujourd'hui. Au fil des années, le fait d'en voir en voir une me rendait malade, je ne pouvais m'enlever l'image du Christ pendu et suffocant alors que ses poignets et chevilles sont scellés dans le bois. Comment les chrétiens peuvent-ils faire subir telle torture à leurs ennemis ?


J'ai assisté à de nombreuses crucifixions au château, Père semblait particulièrement les apprécier. Nous étions forcés de regarder chaque clou se planter gentiment dans la chair rose et tendre du condamné. Nous devions garder les yeux ouverts jusqu'à ce que le dernier souffle ait quitté l'âme du pêcheur, son cadavre devait ensuite nourrir les oiseaux. La puanteur de la mort et difficilement descriptible, et j'ai honte de la connaître si bien.



— Ce n'est pas le fait qu'elle ait tué ces hommes Randall qui me dérange, c'est la haine qu'elle portait. Rien de bon ne peut ressortir d'une colère qui n'est pas maîtrisée. Je l'ai laissé sombrer pour qu'elle nous défende, mais c'est à notre perte qu'elle nous mènera. Le courroux du roi s'abattra sur ces terres et nous ne serons jamais assez nombreux pour les maintenir.


— N'était-ce pas ce que vous cherchiez, provoquer le roi ? Réclamer des terres et vous battre contre le royaume ? Fae n'a fait que ce qu'elle devait et sa sauvagerie a mené à la victoire.

— Fae s'est laissée porter par la vengeance, rien ne l'arrêtera. Elle détruira et massacrera toutes les villes d'Angleterre, seule la mort mettra un terme à sa soif de pouvoir.


— Sors d'ici alors ! Rejoins-la, essaie de la résonner, mon frère. Seul toi pourras la calmer.


— Je ne peux pas... Nous ne voulons pas seulement des terres pour vivres. Je dois aussi rendre justice...


— Réclamez une vengeance ?


— Non Randall ! Enfin oui... mais pas de cette manière. Seuls les hommes responsables doivent payer et ce n'est pas dans l'optique de ma sœur. Elle détruira tout sur son passage.


— Quelle vengeance Tristan, envers qui ? Faire régner le mystère m'empêche de vous aider. Je sais de quoi je suis capable et je suis prêt à me battre.


— Malgré les années que tu as passé ici tu connais encore mal ces lieux, le démon s'y trouve caché au plus profond. Et non, je ne veux pas de ton aide. Je t'en ai déjà trop demandé. Mon entreprise est bien trop importante et bien trop dangereuse, je tiens à toi autant qu'à Fae. Voilà pourquoi je suis venu ici, car moi et moi seul dois me venger. Ma sœur et toi ne devez rien faire, voilà pourquoi ses actes sont néfastes. Elle nous met tous en danger. Mon frère... je ne pourrais jamais te remercier assez pour ce que tu as fait, mais s'il te plaît, cette vengeance m'appartient.



Les corps brûlaient encore derrière les murs. Les sauvages partirent, les paysans sortirent peu à peu de leurs maisons pour venir piller les cadavres oubliés par l'armée de la forêt. Le champ de bataille fut bientôt dépouillé et seule resta l'herbe couverte de sang. Nous fîmes entrer une vingtaine de soldats ayant réussi à ressortir de la forêt indemne ou presque. L'un d'eux avait perdu une jambe et les autres semblaient si amochés que plus jamais ils ne pourront se battre. Les soins leur furent donnés, mais trois moururent dans la nuit. Personne ne pouvait trouver le sommeil à cause des gémissements horrifiques des blessés. Cette fois-ci, tous les moines étaient dehors la nuit priante ou subtilisant discrètement de l'alcool aux gardes afin de noyer leur peur dans une mer de gnôle.

Nous ne vîmes pas l'abbé cinq jours durant, mais une nouvelle charrette de fer arriva accompagnée comme à son habitude d'une dizaine de soldats. Ils avaient dû réussir à entrer la nuit où les sauvages festoyèrent. Les chants de la forêt vinrent sonner jusque dans nos murs accompagnant les cris de douleur dans une symphonie sombre et terrifiante. Trois moines se suicidèrent, épuisés de la peur et reniant leur foi pour partir d'une manière leur semblant plus digne que la gorge tranchée par des barbares. L'abbé Henry ne donna aucun ordre, nous les enterrâmes donc avec les honneurs. Car au fond de nous tous, nous comprenions leur désespoir.

Les Filles du Diable, premier cycle  : GLASTONBURYजहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें