Cœur Obscur [Tome 2]

By NyxMiller_

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~ L'Appel de La Lune ~ Du haut de son ciel étoilé, la Lune s'amuse aux dépens de Jasper. Mettre son âme sœur... More

| Avant-Propos |
| Chapitre 1 |
| Chapitre 2 |
| Chapitre 3 |
| Chapitre 5 |
| Chapitre 6 |
| Chapitre 7 |
| Chapitre 8 |
| Chapitre 9 |
| Chapitre 10 |
| Chapitre 11 |
| Chapitre 12 |
| Chapitre 13 |
| Chapitre 14 |
| Chapitre 15 |
| Chapitre 16 |
| Chapitre 17 |
| Chapitre 18 |
| Chapitre 19 |
| Chapitre 20 |
| Chapitre 21 |

| Chapitre 4 |

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By NyxMiller_

Les vibrations de mon cœur adoptent un tempo incertain, incapable de savoir s'il préfère s'isoler dans la peur que cette rumeur remonte jusqu'aux mauvaises oreilles ou la colère qu'un pauvre idiot vole ce nom mort il y a des années de cela pour jouer les apprentis héros. Si ce n'était que ça, si tout le monde en avait les capacités, les créatures de la Lune auraient d'ores et déjà été envahies par des contrefaçons suite à la disparition de leur soi-disant mantra, leur symbole. C'est tout bonnement une folie pure et dure, bien plus que ce clan de rebelles à deux sous qui distribuent de l'espoir comme si c'était de simples bonbons enrobés de chocolat.

Le secret de ces friandises ? Le milieu n'est pas fondant et doux mais mortellement acide et amer. Ils vont croquer dans une lame aiguisée aux petits soins et une jolie balle empoisonnée. Et à leur tour, ils baigneront dans le sang de leurs camarades tués par les Hayes. Je ne veux pas partir défaitiste pour eux mais aucun, j'en suis sûr, n'en ressortira vivant. Encore moins, Aila, la seconde dirigeante. Faire face aux chasseurs une fois, c'est une chose. Y faire face une deuxième fois ? Même en connaissance de cause, elle se tétanisera. Elle ne pourra que regarder la mort droit dans les yeux. On ne lui échappe pas deux fois.

Toute cette merde... ça n'a rien d'une cause noble. Cet imposteur, ce pauvre fou, qui joue et flirte avec le danger, ça ne l'est pas non plus. Ça n'a rien à voir avec la gloire de s'imposer dans le monde de la Nuit et de s'asseoir sur le trône abandonné par Apollyon. C'est un suicide organisé par deux cinglées, voire trois avec le rouquin. Et je ne les en empêcherai pas, elles seules peuvent décider de leur fin. En revanche, je ne laisserai pas faire l'homme qui revêt mon nom. Je refuse, quoi qu'il arrive, d'attirer l'attention de n'importe quel chasseur que ce soit. Si je dois le tuer pour me préserver, je le ferai sans aucune hésitation.

Si Apollyon a disparu du jour au lendemain, s'il a arrêté sa quête destructrice, ce n'est pas pour rien. Parce que si on ne peut échapper à la mort deux fois de suite, la troisième ne loupe personne. Et quand l'instinct de survie prend le dessus, quand il ne reste plus que lui face à la faucheuse, tout paraît dérisoire et sans importance que d'entendre son cœur battre, que de sentir sa poitrine insuffler de l'oxygène, que de vivre. Tout, absolument tout, prend un degré différent. Et une seule pensée bat à l'intérieur de l'être vengeur : « Je veux vivre ». Et rien d'autre.

Nonchalamment appuyé contre le bâtiment de l'autre côté de la rue du bar, je redresse le nez en voyant enfin le "nouveau" sortir du pub. Caché dans l'obscurité du lampadaire, je regarde les moutons s'en aller peu à peu de leur enclos et ne perds pas des yeux l'homme. Les mains enfouies dans les poches de ma veste, je me mets à le suivre à bonne distance.

Apollyon ne doit pas revenir.

Aucune flamme ne brûle en moi.

Le métamorphe extirpe de sa poche des clés de voiture et grimpe à l'intérieur d'une Clio après avoir salué les deux autres hommes qui l'accompagnaient. J'accorde une œillade aux alentours et saisis la poignée de la portière arrière avant de me glisser sur les sièges passagers.

La réaction de mon chauffeur ne se fait pas attendre. Prêt à râler, entre surprise et peur, il pivote dans ma direction et se fige une fois que nos regards se croisent. Devant cet échange visuel, il resserre son emprise autour de son trousseau.

- Vous...

- Démarre la voiture. Au moindre geste brusque, au moindre cri, je te tranche la gorge.

- ... Écoutez, j'ai une femme et trois merveilleux enfants. Je ne veux pas de problèmes.

- Démarre la voiture, je répète en détachant bien chaque syllabe.

Avec peine, il vient déglutir et acquiesce doucement. Il se détache de ma vision pour faire face à la route et entre difficilement les clés dans le compteur tant sa main tremble et n'arrive pas à se stabiliser.

Je détourne les yeux et patiente sagement. Le moteur s'active, les phares s'allument. Un pet bruyant semble se joindre au ronronnement du véhicule.

- Désolé, dit-il en se raclant la gorge. J'ai des gazes quand j'ai peur...

- Je ne vais pas te faire de mal si tu réponds gentiment à mes questions, je soupire. Tu peux dire à ton corps de se détendre et à ton anus de bien vouloir nous laisser nous en sortir vivant.

- Oui, oui. Bien sûr. Je vais serrer les fesses.

- Qu'est-ce que tu attends ? Conduis.

- Où allons-nous ?

- Dans un endroit tranquille et sombre, à l'écart du centre-ville. Je ne veux pas qu'on soit dérangé.

Un nouveau pet chatouille le silence. Je ferme brièvement les yeux.

Bordel, ça va être long.

- Désolé, murmure-t-il. C'est juste... l'idée d'aller dans un endroit sombre et tranquille, ce n'est vraiment pas rassurant.

Il m'adresse un regard par le biais de son rétroviseur.

- Vous n'êtes pas très rassurant non plus, précise-t-il. Vous êtes encore moins content que lorsque vous étiez dans le bar.

- Et je le serai davantage si tu ne te dépêches pas.

Piqué, il hoche vivement la tête et se rehausse sur son siège. Une main sur le volant et l'autre sur le levier de vitesses, il s'apprête enfin à quitter sa place de parking quand, sans que ni lui ni moi nous nous y attendions, les trois têtes à claques du clan Aleksander montent avec nous.

Ce coup-ci, c'est à mon tour de me crisper. Ça, ce n'était pas prévu et l'expression de soulagement du chauffeur ne m'aide pas à rendre ma présence ici anodine. J'expire une seconde fois et me redresse afin de sortir de cette foutue Clio. Je n'aurais aucun mal à le retrouver en prenant sa plaque d'immatriculation ou encore en postant son odeur, ce n'est que partie remise. Même si perdre du temps ne m'enchante guère, je n'ai pas le choix.

La main autour de la portière, le rouquin plaque la sienne sur mon torse et m'oblige à reposer mon dos contre le siège. Je baisse les yeux là où il a posé sa paume et le relève sur lui, les sourcils levés. Deux fois d'affilée.

- Si tu ne veux pas perdre l'usage de ta main, je te conseille de l'enlever.

- Tout doux, chaton. Inutile de sortir les griffes, rétorque Akram.

- Merde, vous n'avez pas l'impression que ça pue la chiasse dans la bagnole ? grimace Cora.

- Pardon, c'est moi... J'ai des gazes lorsque j'ai peur ou que je ne me sens pas à l'aise.

- Nous sommes d'accord sur ce point-là, je reprends aux dires de la brune. Alors...

J'accorde un coup d'œil à la main de son collègue. Aila, assise sur le siège à l'avant, pivote vers moi.

- Eh joli brun, peut-on savoir ce que tu fais ici avec John ? Au vue de ton intervention tout à l'heure, tu n'avais pourtant pas l'air de le connaître.

- Et visiblement, notre ami ici présent ne se sent ni à l'aise ni en sécurité, ajoute Cora d'un regard calculateur.

- C'est tout à fait normal, j'acquiesce.

- Ah oui ?

- Je viens de le menacer.

Devant mon honnêteté crue, quatre paires de yeux me dévisagent le temps de quelques instants avant que l'expression des trois mousquetaires ne se ferme illico.

En une fraction de seconde, Cora dégaine son arme à feu et me pointe avec. Ben voyons, comme si j'avais le temps pour ces conneries.

- Dommage pour toi. Si tu étais resté plus longtemps, tu aurais eu connaissance qu'aucun membre des Aleksander n'est abandonné à son sort. Si un de nous est en danger, on l'est tous. Et crois-moi, le retour de sauce est du genre pimenté.

Je souris et relève la tête. Je la penche dans sa direction et appuie le flingue contre mon front sans baisser les yeux ne serait-ce qu'un moment. Sa main ne tremble pas, son regard ne défaille pas. C'est déjà un très bon signe pour elle si leur jeu du chat et de la souris se met en marche.

Car du cran, du courage, elle va en avoir besoin. Plus qu'à raison.

- Vas-y, Cora. Mets à exécution tes règles et punies moi. Montre l'exemple à ton nouveau Alek.

- S'il vous plaît, glisse John dans un énième pet, je n'aimerais pas que ma femme découvre la voiture dans un sale état...

La cheffe de clan me sonde de ses prunelles noisettes, autant que le fait Akram entre nous et Aila plus loin.

Elle esquisse un sourire en coin.

- Tu penses que je ne serais pas capable de tirer, c'est ça ?

- Au contraire, je pense que si. J'espère en tout cas que tu en as le cran parce qu'il t'en faudra pour faire face aux Hayes.

- J'en suis parfaitement consciente. Comme tous ceux qui nous ont rejoints.

- Est-ce seulement vrai ?

- Ne doute pas de ma volonté et de ma détermination à leur faire face pour les détruire.

- Permets-moi d'en douter. Crois-tu réellement que les Hayes sont les seuls chausseurs qui vous donneront du fil à retordre avant de pouvoir les atteindre ?

- Ce sont les plus terribles et les plus dangereux. Ne pense pas m'avoir en essayant de me tromper sur ça.

Je ris, une risette imposante apparaissant sur mon visage. C'est bien ce que je pensais.

Ce ne sont qu'une bande d'idiots qui veulent jouer au plus fort.

- Tu as raison. Mais si d'autres chasseurs que les Hayes arrivent à nous chasser et à nous tuer, crois-tu sincèrement qu'ils ne valent rien et ne sont pas plus dangereux qu'eux ?

- Nous sommes entraînés et nous savons dans quoi nous nous embarquons.

- Vraiment ? En es-tu si sûr ?

- Elle l'est, s'impose Akram.

- J'avais raison, s'immisce Aila dans un sourire.

Notre attention à tous s'oriente vers elle. D'une main calme et douce, elle ôte le canon de mon front et fait signe à sa collègue de ranger son arme à feu. Ce que fait cette dernière, non sans soupirer bruyamment.

- Plus qu'un survivant, tu es un combattant. Plus que les Hayes, tu as l'air d'avoir mené bataille à multiples occasions.

De ses yeux verts, elle me couvre d'un regard confiant, ce que je n'apprécie en rien. Les individus de ce genre comprennent bien trop de choses en observant simplement.

- Je te veux chez nous. Rejoins les Aleksander.

- Quoi ? Hors de question que ce connard, à la stabilité mentale douteuse, vienne avec nous.

- Je pense qu'Aila a raison, l'arrête le rouquin. Non seulement, c'est un survivant. Mais en plus, il a l'air d'avoir de sacrées connaissances.

Je pose mes iris sur l'un puis sur l'autre. J'ai beau être à la recherche de mon prochain livre, de ma prochaine aventure, il n'est pas envisageable que je reprenne mon tout premier et me remette à écrire à l'intérieur. Mon passé est derrière moi, je ne veux plus en entendre parler.

Je ne retomberai pas dans le piège de la traque, de la mort et de la vengeance. Par-dessus tout, je ne contemplerai pas leur destruction et leur échéance à tous. Plus jamais, qu'importe à qui j'ai affaire.

- Désolé les gars, je souris comme un gamin, mais ce sera sans moi. On se dit à jamais, hein ?

- Que voulais-tu à John ? Pour quelle raison l'as-tu menacé ?

La main autour de la poignée, je tourne le menton vers Aila et tombe momentanément dans le regard du chauffeur à travers le rétroviseur. Il le rabaisse aussitôt.

- Il voulait me poser des questions. Si j'y répondais, il a dit qu'il ne me ferait pas de mal.

- Quel genre ? questionne Akram.

Mon attention chute sur la pochette entre ses mains. Si je pouvais les amener à m'en dire plus, ce serait une aubaine à ne pas louper. Et ma perte de temps ne serait pas aussi conséquente. Surtout que rester dans le coin avec Red Moon dans les parages n'est pas une bonne idée. Mais c'est difficilement possible de dirigier l'idée sans paraître encore plus louche que je ne le suis déjà.

Ayant sans doute remarqué mon regard, il poursuit, m'ôtant les mots de la bouche :

- Ça fait des semaines qu'on dit qu'Aleksander est de retour. Des semaines de recherche pour dénouer le vrai du faux. C'est ça qui t'intéresse ?

- Évidemment que c'est ça, sourit Aila. C'est justement ce qui l'a fait réagir dans le bar, après tout.

- Vous avez vu juste, les trois mousquetaires, je choisis de répondre. Je veux tout savoir de son retour.

- Pourquoi ? demande Cora, méfiante.

- Pourquoi ? je répète. Pour le trouver.

- Laisse-moi te poser une question dans ce cas, rebondit Akram. Pourquoi souhaites-tu le trouver ?

Je soupire. Malheureusement, la vérité n'est pas envisageable. Alors qu'ils ont l'intention de partir eux aussi à sa recherche afin de lui mettre la main dessus pour des raisons évidentes, les miennes sont plus... sombres et corsées.

Moi ?

Juste pour lui faire fermer sa gueule une bonne fois pour toutes.

Trois fois rien.

- Comme vous, je suppose. J'ai besoin de savoir si c'est réel avant de chercher une lueur d'espoir dans le noir.

- Ça l'est, grogne avec conviction John.

- Je n'y croirais pas tant que je ne l'aurais pas sous les yeux. C'est pour ça que je vais aller le chercher.

- En voilà un projet que nous avons en commun. C'est ce que nous comptons faire en même temps que de se préparer pour affronter les chasseurs, expire Cora. Rejoins-nous va. Je peux éventuellement te laisser une petite place.

- Peut-être qu'avec plus de volonté, Cora, il te croirait.

- Ferme là, Akram. Je le pense vraiment, même si t'es un connard, précise-t-elle à mon encontre.

- Tout d'abord, je veux savoir ce que vous savez de plus sur son retour, je réplique, retenant un gloussement. Je ne veux pas vous rejoindre sans avoir un appât suffisamment conséquent à la clé.

Aila m'observe, me jauge depuis son siège. Je laisse parler, à travers mes iris, ma détermination. Une femme de sa trempe, qui dirige une telle entreprise, il n'y a que ça de vrai pour elle.

Lentement, elle acquiesce.

- Allons chez toi, Cora.

- Chez moi ? fait-elle directement. Tu veux vraiment lui montrer ça alors qu'il ne fait même pas encore partie des nôtres ?

- Donnons-lui de quoi se mettre sous le croc pour se décider.

Une fois l'adresse de la brune donnée, le silence s'installe entre nous. Silence encore interrompu par un pet.

- John, râle Cora en ouvrant sa fenêtre.

- Pardon, je n'aime vraiment pas ce type. Ce n'est pas contre vous hein, se justifie-t-il. C'est juste que... vous m'avez quand même menacé.

- Je t'ai dit de te détendre. Et maintenant, je n'ai plus de raison de te menacer. Donc détends-toi ou je pourrai éventuellement t'y aider.

Une mitraillette me répond et déclenche le fou rire du côté des trois mousquetaires. Je me dépêche d'ouvrir ma fenêtre à mon tour.

- Ce n'est pas en lui parlant comme ça que tu vas l'y aider, ricane Aila.

Je secoue la tête et échappe un petit rire bien malgré moi.

Quelques minutes plus tard, la voiture s'avance dans une ruelle remplie de petites maisons. Elle commence à ralentir pour s'arrêter après une indication de la métamorphe. Je les lorgne, curieux. Un trait de caractère que je ne peux réfréner. Et que j'adore. Un sacré point commun avec ma petite banshee.

Je plisse le nez.

- Je pensais que vous étiez toujours en mouvement.

- C'est le cas. Je la loue pendant un mois, ensuite on repart.

- En ce moment, on recrute surtout un maximum de monde, m'éclaire Akram. Après, c'est là que le plus intéressant débutera.

La Clio garée, on sort tous de la voiture et nous nous dirigeons vers la petite porte violette. Je zieute les environs, un réflexe acquis en tant que Delta et Apollyon.

Des effluves de roses nous accueillent et font renâcler Cora.

- Ne fais pas attention, la propriétaire adore les fleurs. Il y en a un peu partout.

- Ça ne me dérange pas. Ça sent déjà meilleur que dans la voiture.

- Ce n'est pas faux, pouffe-t-elle.

- Ce n'était pas voulu, se défend John.

Le petit groupe que nous formons s'amasse devant une seconde porte. La résidante se tourne vers moi.

- C'est à l'intérieur que tout se passe. Enfin, c'est surtout là où j'ai rangé toutes mes affaires sur Aleksander. Ouvre grand les yeux, dit-elle, un rictus fier en coin.

- Comment doit-on t'appeler, au fait ?

Je jette une œillade à Akram. L'hésitation survole mon échine pendant que je joins ma main à la sienne, tendue.

Le meilleur acteur de tous les temps.

- Isaac. Je m'appelle Isaac.

- Enchanté, Isaac.

Hochant la tête, la brune appuie sa main sur la poignée et ouvre la porte. Avec une désagréable impression de déjà-vu, je pénètre le premier dans le bureau aménagé et m'arrête au milieu de la pièce. Ma respiration s'est soudainement raréfiée et mon cœur, lui, en a oublié de battre. Partout autour de moi, plus un seul pan de mur n'est visible. Tout est recouvert de divers articles, papiers, cartes et de post-it noir d'encre. Un seul nom revient à plusieurs reprises : Aleksander. Un travail allongé sur de nombreuses années, pratiquement depuis le réveil de ce meurtrier.

Les réactions de John font écho avec les miennes. Si j'ai fait en sorte d'être discret, d'être impassible au maximum, lui ne s'en cache en rien. Il hoquette de surprise et siffle de stupéfaction tandis que les trois têtes du clan de rebelles s'avancent. Les pensées en vrac, je m'approche du mur recouvert de quatre cartes différentes, détaillant différents endroits, ces dernières encerclant, en leur centre, une autre du monde notant les endroits où Apollyon s'est arrêté. Où je me suis arrêté pour traquer les chasseurs les plus sanglants.

Aussi bien que je poursuivais ma quête de destruction et que je traquais mes ennemis, je l'étais moi-même en réalité. Et pendant tout ce temps, je n'avais rien remarqué. Mis à part quelquefois mais à côté de tout ça, c'est tellement... ridicule.

- Je crois que j'ai été une des premières à rencontrer Aleksander avant qu'il ne devienne une légende et que son nom ne se répande partout, commence Cora en se positionnant à ma gauche. Je m'en souviens comme si c'était hier. Ma meute était en train de se faire attaquer par des chasseurs, on perdait contre eux et j'étais trop jeune pour me confronter à eux.

Je baisse la tête et l'oriente vers elle, surpris d'entendre une confidence de ce genre. Même si l'épreuve a dû être traumatisante pour elle, je ne vois aucune peur, aucun mal-être, à me faire part de cette partie de son existence. Elle est simplement... pleine de reconnaissance pour l'homme qu'elle recherche avec tant de détermination.

Elle hausse une épaule et s'oriente dans ma direction, les mains agitées par son monologue.

- Et puis, il y a eu ce loup magnifique qui a débarqué de nulle part. Mon dieu, inspire-t-elle d'excitation, j'aurais tellement aimé l'avoir filmer pour vous montrer à quel point c'était... à couper le souffle. À quel point il était à couper le souffle. Il était d'une telle rapidité que le suivre du regard était presque impossible.

- Vraiment ? s'extasie John.

- Je te jure, John ! Il allait et venait comme s'il ne faisait plus qu'un avec le vent ! Rapide, fort, sans pitié. Son pelage beige s'était rapidement teinté de sang mais il avait l'air d'en avoir rien à foutre : il continuait sans s'essouffler. Et c'est grâce à lui, grâce à Aleksander, que nous avons pu nous en sortir.

- Il est incroyable, glisse John, presque rêveur. J'aimerais un jour pouvoir le rencontrer. Ce n'est pas la première histoire que j'entends sur lui, sur le fait qu'il a sauvé telle ou telle famille.

- Et nous le rencontrerons ! promet Cora. Je n'ai pas fait toutes ces recherches pour rien. On lui doit tous des remerciements. On doit lui montrer comment nous, le monde de la Nuit, sommes reconnaissants pour tout ce qu'il a fait.

Mes sourcils se sont naturellement froncés face à toutes ces paroles dénuées d'intelligence. Tout ça, je l'ai fait pour moi et pour personne d'autre. J'ai traqué, tué, pour ma propre satisfaction personnelle. Je l'ai fait pour m'approcher un peu plus à chaque fois de mon seul et unique objectif : les Hayes. Par vengeance, ni plus ni moins.

Face à la carte, ma mâchoire se contracte. Leur reconnaissance est erronée, fausse et empoisonnée. Elle n'a pas sa place.

Je ne la mérite pas.

- C'est pour ça que tu le cherches aussi, Isaac ? amorce Akram. Il t'a sauvé, lui aussi.

- Comme la plupart de ceux qui ont intégré le clan, approuve Aila. Son nom en a sauvé plus d'un et, pour d'autres, ils ont une histoire assez similaire à celle de Cora : il les a indirectement sortis d'un mauvais pas.

Mon regard passe sur les pays dans lesquels j'ai été. Il se compte sur les doigts d'une main et, jusqu'ici, la dirigeante des rebelles a un sans-faute. Je n'aime pas spécialement ça néanmoins, je dois reconnaître qu'elle n'a pas chômé et a su reconnaître chacun de mes passages, que ce soit également dans les villes. C'en est effrayant, elle est douée. Pas assez cependant pour comprendre que le retour de son idole est faux, qu'elle a affaire à une pâle copie.

À la sensation des regards posés sur moi, je me détache de la carte et les tarde d'un bref coup d'œil. Je me dirige vers un autre pan de mur.

- C'est à toi de nous raconter ta motivation, ton histoire si tu n'as pas compris la question, râle Cora.

- Hm. Il ne m'a pas sauvé.

- Alors quoi ?

- Il m'a tué, je soupire en me penchant vers quelques post-it.

Beaucoup sont surtout des questions qui attendent une confirmation qu'elle ne peut pas dénicher par elle-même puisque je suis le seul à détenir les réponses. Elle n'a pas besoin de moi, en revanche. Elle sait exactement où elle met les pieds et où elle va, ça devient par ailleurs étonnant qu'elle ne m'ait pas encore mis la main dessus. Autant dire que la disparition d'Apollyon lui a posé une sacrée colle. Et heureusement pour moi. Elle aurait réussi à me trouver, j'en suis certain.

C'est assez amusant de paraître devant elle avec nonchalance alors que je suis littéralement le fruit de ses recherches. Toutefois, ce qui ne l'est pas serait de lui annoncer que son mantra est mort là où s'est arrêté sa course-poursuite avec lui. Tant de travail réduit à néant. Ça me ressemble plus que cette soi-disant reconnaissance méritée.

- Je te demande pardon ?

- C'est bien la première fois que j'entends ça, répond Aila à la suite de Cora.

- En quoi t'a-t-il tué ?

Le sérieux d'Akram attire mon attention. Cora me dévisage comme si je venais de révéler que le père Noël n'existait pas. En gros, elle est à deux doigts de me faire flamber après m'avoir arrosé d'essence.

Je suis le mieux placé pour le savoir, après tout.

C'était moi le père Noël de l'an dernier pour les enfants de Red Moon.

- Comme nous tous, non ? Il nous a tué en nous abandonnant.

Leur dire la vérité est, encore une fois, difficilement envisageable. J'ai été mon propre assassin, noyé sous mon besoin de vengeance, sous mon besoin d'arrêter les démons de hanter mes nuits. Au final, ça n'a rien changé. Ils sont toujours là, à murmurer sans cesse à mon oreille.

En tout cas, la réponse semble leur plaire. À croire que traîner avec Isaac a fait déteindre son inconscience sur moi. Cora m'administre un vigoureux coup dans l'épaule.

- Ne t'inquiète pas, Isaac. Je suis sûr qu'il y a une raison cachée derrière son départ. Passons aux choses sérieuses, maintenant.

Rabattant ses courts cheveux vers l'arrière, la cheffe se met devant un des murs et me le présente de la main. La mine concentrée, le regard animé par la volonté de continuer son but, elle m'expose tout depuis le début sous la demande d'Akram et pointe différents articles à mesure qu'elle avance sur sa réflexion. J'en apprends plus que ce que j'espérais, le premier lieu où il est volontairement apparu et le dernier où il a été aperçu.

Ça fait des semaines que ce chien est sur le terrain à nous mettre en danger. Des semaines où rien n'est parvenu à mes oreilles jusqu'à ce soir. Il ne me reste que des chances très minces que les chasseurs les plus influents n'aient rien entendu. Apparemment, ma doublure ne s'est attaquée qu'à des petits groupes insignifiants et a fait quelques apparitions à des soirées prestigieuses. Sans surprise. D'après les trois mousquetaires, il faut bien se remettre dans le bain d'une manière ou d'une autre. J'ai préféré me taire et récupérer toutes les informations dont j'avais besoin. Le grand Apollyon en train de se couler douce à une soirée ? Ben voyons. 

Après avoir été voir ma dernière proie, après avoir fini ma liste, il ne me restera plus que toi.

Alors tiens-toi prêt, Aleksander.

Apollyon te fera face pour la toute dernière fois.

******

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