- Oi, Isis… Oi !
En entendant cette voix crier dans ma direction, je ne pus retenir un soupir. Je me stoppai net devant la porte menant à ma chambre, alors que j'allais y rentrer, et je me retournai vers mon interlocuteur.
- Oui, Beckman ?
- Est ce que tu te rends compte de ce que tu viens de promettre à tes amis ?
- De récupérer les deux autres garçons de notre groupe en les sauvant d'un enfer sur terre.
- Tu te surestimes un peu si tu penses y arriver.
- Je ne pense pas, je n'ai pas le choix.
Je dévisageai mon mentor longuement. Il était de nature si renfermée qu'il était difficile de savoir ses émotions lorsqu'il les cachait au plus profond de lui, mais il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'il considérait cette intrusion à Marie-Joie comme une attaque-suicide. Je devais avouer qu'il n'avait pas tort. Je n'avais pas encore de plan, et je n'avais pas réfléchi sur le déroulé de l'intrusion mais également de l'extraction, mais je ne pouvais pas me permettre de revenir sur mes paroles et d'attendre un peu plus longtemps. La Rêverie arrivait à grands pas, c'était le moment idéal, qui ne se reproduirait pas avant 4 ans. Je n'avais pas le temps d'hésiter. L'armée révolutionnaire allait bientôt passer à l'action, et si je voulais me joindre à eux pour cette "excursion" il fallait que je parte avec Sabo le plus rapidement possible.
Lorsque j'avais promis à Sorën et Noah de leur ramener nos amis, je n'avais pas trop réfléchi sur l'instant, j'étais bien trop en colère contre le Gouvernement, mais à présent, je comprenais que mes nakamas ne veuillent pas me laisser y aller, surtout Beckman.
Mon mentor me considérait à présent les sourcils froncés et les dents serrées. Après un long moment sans parole, pesant et tendu, il finit par dire :
- Une telle action sur Marie-Joie demande beaucoup de préparation, de force et de stratégie. Tu ne peux pas y aller seule.
- Je ne serai pas seule. Si les révolutionnaires acceptent que je les accompagne, tout devrait se passer sans accroc.
- Laisse-moi te prédire ce qu'il va se passer : tu vas faire ami-ami avec eux, vous allez y aller ensemble, puis une fois là-haut tu vas te séparer d'eux et partir de ton côté, ce qui te laissera seule face à de nombreux adversaires sur lesquels tu n'es même pas renseignée et que tu sois puissante ou non, à partir du moment où tu seras prise dans leur filet, tu seras en danger.
Il haussa un sourcil, tandis que je le regardai avec des yeux ronds, ne trouvant pas quoi dire.
- Je…
- Je te connais mieux que personne. Cette affaire, avec tes amis, est personnelle. Prends un peu sur toi. Ne me force pas à te rappeler ce qu'il s'est passé la dernière fois que tu as agi solo.
Je fronçai les sourcils. Il parlait d'Applenine, là ? Si c'était le cas, il n'avait pas besoin de me le rappeler. Je savais les risques que j'encourrai là-bas au moment d'agir, comme je les sais pour ce que je me suis fixé. J'allais ouvrir la bouche et répliquer, quand la voix de mon capitaine me stoppa net dans mon élan.
- Je ne te laisserai pas y aller.
Shanks, accompagné de Sabo, venait de nous rejoindre. Lui aussi avait une expression indéchiffrable, mais résolue.
- Shanks--
- Ton capitaine refuse.
Je lui jetai un regard surpris. Ne me faisait-il pas assez confiance ou avait-il peur pour moi ? Dans tous les cas, sa déclaration m'avait fait serrer les poings. Ce n'était pas par fierté, mais par frustration. Je ne me pardonnai pas d'avoir laissé mes amis d'enfance dans une situation proche de l'enfer sur terre, depuis si longtemps. Il fallait que je les sorte de là… Il le fallait absolument. Plus que n'importe quoi d'autre.
- Je ne compte pas y laisser la peau. Je veux simplement libérer mes amis.
- Chaque chose en son temps. Prends ton mal en patience, nous allons réfléchir à un plan qui nous permettra de réussir sans y laisser de prisonniers ou de morts.
- Capitaine, la Rêverie est l'occasion parfaite. En aussi peu de temps, un tel plan est inenvisageable. Si les révolutionnaires acceptent que je les accompagne, c'est une occasion en or que je dois saisir.
Mon regard se planta dans celui de Shanks. Nous nous regardions sans ajouter un mot, sans même bouger, dans un long silence. La détermination qu'il avait dans le regard ne fléchit pas. La mienne non plus.
- Vous jouez à quoi, là…
J'entendis Beckman soupirer, et je ne pus retenir un sourire. Shanks non plus. Nous finîmes par éclater d'un grand rire joyeux. On était vraiment des gamins, quand on le voulait…
- Shanks, Beckman.
Après que nous ayons ri de tout notre saoul, nous regardant avec amusement, nous tournâmes la tête vers Sabo, qui venait de se faire entendre. Je jetai un regard curieux à mon petit ami. Il eut un bref sourire, avant de s'adresser à mon capitaine et son second.
- La sécurité d'Isis m'importe autant qu'à vous, mais elle a toute ma confiance. Elle n'a pas besoin d'un chaperon. Si elle vient avec nous, nous ne resterons pas avec elle, car nous avons notre propre mission, mais nous resterons en contact et elle pourra compter sur notre aide si elle en a besoin.
La courte pause joyeuse s'interrompt brusquement lorsque le révolutionnaire relança le sujet. Les visages redevinrent impénétrables, mais contrairement à auparavant, je pouvais voir une hésitation et un début de réflexion dans leurs yeux.
Après un long silence et un soupir, Shanks finit par se tourner vers moi et il plongea ses yeux emplis d'inquiétude dans les miens.
- Isis… tu as déjà risqué la mort de très près… je ne veux pas que cela se reproduise.
Je sentis mon cœur fondre. La façon dont il me regardait, dont il me parlait… prise d'un élan de tendresse, je m'avançai vers lui et le pris dans mes bras. Il se tendit un bref instant, surpris, mais finit par enrouler son bras dans mon dos pour me serrer étroitement contre lui.
Pas un seul mot ne fut échangé. Sabo et Beckman avaient détourné les yeux, nous laissant ce moment d'intimité. Je ferai les yeux en profitant de cette étreinte. Cela me fendait le cœur de voir Shanks aussi inquiet… il avait peur de me perdre. Il commençai à me sur-protéger du danger. Je le savais parce qu'il avait fait pareil, il y a deux ans, après que Doflamingo aie pratiquement réussi à me tuer. Il avait fallu du temps avant que Shanks n'aie plus peur de me laisser partir seule de mon côté, et c'était pour cela que la promesse de toujours revenir s'était instaurée entre nous… Promesse que j'avais trahi après ma capture récente. Je m'en voulais. Je ne voulais pas être un fardeau pour mon équipage, ni les inquiéter. Cette joie de vivre, cette curiosité insatiable de découverte, cet attachement pour chacun des nakamas… je ne voulais pas les voir disparaître pour être remplacé par la tristesse et la douleur.
- Shanks… je te le promets. Je reviendrai. En vie, entière, et avec de belles choses à raconter…
Je me défis un peu de son étreinte pour pouvoir le regarder. Je lui offris un sourire, avant de continuer.
- Et j'aurai deux amis à te présenter, à mon retour.
Mon capitaine me fixa longuement, comme cherchant quelque chose dans mes yeux. Il finit par soupirer.
- On ne peut pas te faire entendre raison, je me trompe ?
J'haussai les épaules avec taquinerie. Il tourna alors la tête vers Sabo.
- Prends soin d'elle.
- Elle n'a pas besoin de moi pour ça, Shanks-san.
Un maigre sourire éclaira le visage triste du rouquin. Il retira son bras, me laissant partir de son étreinte.
- Isis… Je t'aime.
- Je t'aime aussi.
Prise de liesse, de reconnaissance et d'affection, je déposai un baiser sur sa joue. Il se mit alors à sourire pleinement, et ce fut d'un ton joyeux qu'il s'exclama :
- Allez, hors de ma vue, au lit ! Vous avez une grande journée demain !
J'éclatai de rire et me mis au garde à vous en criant un grand "oui". Je tournai alors la tête vers le révolutionnaire. Le teint légèrement rose, il prit ma main avec timidité. Je lui offris un sourire. Tous les deux, nous partions et entrâmes dans ma chambre, laissant les deux autres hommes seuls à l'extérieur.
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Shanks couva Isiris des yeux jusqu'à ce que celle-ci eut fermé la porte de sa chambre. Il avait gardé un petit sourire au coin des lèvres, et c'est avec cette impression de félicité mélangée à de la tristesse qu'il s'éloigna, rejoignant le pont.
Alors qu'il marchait, il entendit des bruits de pas derrière lui. Beckman l'avait suivi, marchant vers lui jusqu'à être à sa hauteur. Le rouquin le laissa faire, fixant un point dans le vide droit devant lui.
- Oi, capitaine.
- ... Elle ne l'a pas pris dans le bon sens, je sais.
- Tu aurais dû t'y prendre plus tôt.
- Crois-tu que ça aurait changé quelque chose ?
Il se retourna et fit face à son meilleur ami. Celui-ci reprit son air stoïque, baissant pourtant légèrement les yeux vers le sol en fronçant les sourcils, comme en proie à la réflexion.
- ... Oui.
- Elle aime son Sabo. Son bonheur est tout ce qui m'importe… c'est pour ça que je ne peux rien lui refuser. En dépit de sa propre sécurité.
Sa voix se mourut dans sa gorge. Le sourire gravé au coin de ses lèvres disparut. Doucement et plus pour lui même que pour son interlocuteur, il murmura :
- Il ne lui arrivera rien… Il ne lui arrivera rien.