Words from Heart - Recueil de...

By Lena_Leena

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Les mots sont comme le feu : déclenchez une étincelle et vous pouvez brûler la forêt. Ils sont ardents et inc... More

Préface
🔥 Semaine 1 : souvenir vécu
Divagations... poème sur le climat
🔥 Semaine 2 : Étoile
🔥 Semaine 3 : Distorsion
Divagations... Délit de solidarité
Et si on se rencontrait ?
Pink Lock - défi 1
Pink Lock, défi 2
Pink Lock : Je t'aime

🔥Semaine 4 : Perte

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By Lena_Leena

- Trois pas en avant... deux sur la gauche... la grenouille ne peut faire que trois pas. Non ! Le crapaud. Trois pas en avant...

Trois pas... deux pas... trois pas... La lumière au-dessus de ma tête clignote, s'éteint une seconde puis se rallume. Je n'y prête pas attention. Deux pas... mes doigts frôlent le mur rugueux en accompagnant mes déplacements. Je ressens chacune des fissures des parois qui m'entourent et, même sans les toucher, je saurais exactement où se trouve la moindre d'entre elles. Depuis tout ce temps, je connais cet endroit par cœur. J'essaie de rattraper la grenouille. Non ! Le crapaud, le crapaud bien sûr. Tout a commencé avec le crapaud. Tout est de la faute du crapaud...

- Non ! Ce n'est pas sa faute. C'est la faute de... de la grenouille. La grenouille a fait trois pas, elle aurait dû en faire deux.

Je m'arrête brusquement et me prends la tête entre les mains, essayant d'y faire taire les conversations qui résonnent en tout sens. J'ai un vertige, je fais un pas de côté, me cogne contre le lavabo et baisse les bras. Je pourrais noyer la grenouille dans le lavabo... Non ! Pas la grenouille ! Le crapaud. Je pourrais l'y noyer, l'enfoncer dedans, mais il me parle, il me parle toujours, s'il se noie il ne parlera plus. Qui me parlera alors ? Qui, qui me libéreras de ce silence brulant, qui éloignera les ténèbres pour moi ? Cette stupide grenouille ?

Non, le crapaud est coupable, bien sûr qu'il est coupable. Mérite-t-il de mourir pour autant ? Moi aussi je suis coupable... coupable de quoi ? Je ne me souviens plus. Trois pas en avant. Deux pas à gauche. Mes pieds sont couverts du sang, mon sang et celui de la grenouille. Non, pas la grenouille ! Juste mon sang. Mes ampoules qui éclatent à force de tant marcher. J'ai mal... J'ai mal ? Pourquoi avoir mal ?

- Il ne me reste que la douleur, voilà pourquoi, marmonné-je. La douleur, la douleur, la douleur... et la solitude. Mais même ça, ils ont fini par me le prendre... je ne suis jamais seul... taisez-vous... TAISEZ-VOUS !

Je cogne ma tête contre le mur, encore, encore et encore. Ils vont se taire. Ils vont se taire. Ils vont se...

Ça y'est.

Je me laisse glisser contre la paroi, m'assis par terre et tiens ma tête à deux mains. Ils se sont tus. Mais pour combien de temps ? Je dois en profiter pour cacher la grenouille. Je dois la cacher dans l'araignée... Dans l'araignée ? Non, non. Pas l'araignée. Elle pourrait fuir par la trappe... la grenouille pourrait fuir. Le crapaud aussi, mais le crapaud est coupable. Le crapaud doit rester, il doit mourir pour ses crimes ! Mais... quels crimes ? Il est avec moi depuis longtemps, si longtemps... Du sang, du sang, beaucoup de sang... mais celui de qui ? Non, non ce n'est pas le mien. Cette fille par terre, nue, qui patauge dans son sang... j'aimerais l'aider. La grenouille est à côté d'elle, elle me dit que je dois l'aider... Oui, j'arrive !

Mais c'est trop tard. J'avance d'un pas et la fille a disparu, ne reste que la grenouille. Cette grenouille si innocente... tuée par un vilain crapaud... Non ! Le crapaud n'a pas eu le choix ! Vous comprenez ? Le crapaud est... il est...

Seul.
C'est terrible, la solitude. On croit tous savoir ce que c'est qu'être seul. Mais la vérité, c'est qu'on ne peut pas le savoir avant d'être enfermés dans six mètres carrés, vingt-trois heures sur vingt-quatre, sans avoir entendu une seule voix depuis... si ! J'entends des voix ! Le crapaud me parle, il me parle toujours ! Depuis combien de temps ? Les jours sont devenus des mois, les mois des années et les années deviennent des décennies, petit à petit. Pourtant, ce n'est pas de ma faute. C'est la grenouille... non ! Le crapaud. Voilà. Tout est à cause de cette saleté de putain de crapaud ! Au moins une décennie, bientôt deux. Quelque chose comme dix-sept ans. Dix-sept foutues années sans le moindre contact, sans la moindre discussion, sans le moindre sourire...

- Non... non, non. C'est faux, j'ai des discussions. Je vois des gens... nous parlons... et il y a la grenouille... Non, le crapaud !

La grenouille ne parle pas, Dieu merci. La plupart du temps, elle est morte. Mais parfois, elle réapparait dans les nuits les plus sombres et, posée sur le lavabo, me toise avec ses yeux bleus immenses. Parfois, elle revient avec cette fille blonde, étendue dans son sang au milieu de la cellule, qui m'implore du regard, avec des yeux aussi bleus et aussi grands que ceux de la grenouille. Et elle veut que j'aille l'aider, et la grenouille, la grenouille me force à me lever pour aller l'aider, la grenouille, toujours la grenouille avec ses yeux larmoyants. Mais le crapaud, lui, parle tout le temps et je parle avec lui. Il me dit que rien de tout ça n'est sa faute, que rien n'est ma faute, que c'était un accident, un simple et stupide accident... mais quel accident ? Je ne sais pas, je ne sais plus, dix-sept foutues années sans contact, c'est inhumain. N'importe qui perdrait la tête...

- Non ! Je ne suis pas fou, vous m'entendez ? J'ai encore la tête... comment on dit... ? La tête droite, la tête creuse, non, non, la tête à l'envers, la tête sur les épaules... Oui ! J'ai encore la tête sur les épaules, vous entendez ça ? Je suis pas fou !

Je ne suis pas fou, je ne suis pas fou, je ne suis pas fou... trois pas en avant, deux pas sur la gauche, trois pas en avant, deux pas sur la gauche et retour au point de départ. Le matelas, le bureau, la porte, le lavabo, les toilettes et retour au point de départ. Comme une pièce si petite peut-elle contenir l'immensité des émotions qui me traversent ? Comme toute une vie peut-elle être contenue là-dedans ? Je ne suis pas fou !

Si, je suis peut-être fou. J'en sais rien. C'est quoi la folie, après tout, si ce n'est penser différemment des autres ? Dans mes instants de lucidité, je crois que je suis fou. Qui ne le serait pas ? Mais je ne l'étais pas avant. Avant, avant... Avant quoi ? Y a-t-il jamais eu un avant ? Y a-t-il jamais eu des soleils, des villes bondées, des discussions passionnantes, des rires et des larmes, de l'amour et de la baise, des contacts physiques, des nuits sous le clair de lune et des journées à la plage ? Se peut-il que tout ça ait jamais existé, un jour ? Je commence à croire que non. Non, comment se pourrait-il ? Comment pourrait-il y avoir tout ça, un tel monde vivant et énorme et magnifique et fabuleux dont je ne connaitrais que cette cellule miteuse ? C'est impossible. Le monde se doit d'être simplement ça : Le matelas, le bureau, la porte, le lavabo, les toilettes et retour au point de départ.

- La grenouille aurait dû faire deux pas... murmurai-je. C'est de sa faute... Non ! C'est le crapaud ! Le crapaud est coupable, c'est pour ça qu'il est enfermé...

Je ne sais pas. Je ne sais plus... Personne ne sait rien. Ils disent que le crapaud est coupable et qu'il a tué la fille aux grands yeux bleus. Si c'est vrai ? Ah, si seulement je le savais ! Ils disent qu'il est enfermé parce qu'il est coupable alors ça doit être vrai. Mais quand la dame vient... comment s'appelle-t-elle déjà ? Avocate. Elle dit que le crapaud est innocent. Que tout est la faute de la grenouille. Bien sûr que c'est la faute de la grenouille, elle aurait dû faire deux pas et elle en a fait trois ! L'avocate est gentille. Parfois je crois qu'elle est juste dans ma tête... elle ne vient pas souvent. C'est la seule personne à qui j'ai parlé ces dix-sept dernières années... Non ! J'ai parlé au crapaud aussi. Il m'écoute toujours.

Le crapaud dit que l'avocate est innocente... Ou alors c'est l'inverse, je ne sais plus.
Innocent. Libération. Liberté. Caution. Réhabilitation. La dame emploie des longs mots dont j'ai du mal à saisir le sens. Il y a vingt ans, je les comprenais bien. Enfin je le croyais. Maintenant, je ne crois plus en rien. La prison à ceci de terrible qu'elle transforme les gens en monstres. Innocent, coupable, complice, tout le monde est mis dans le même panier pour finir dans le même moule : celui des malfrats, des criminels, des voleurs et des meurtriers.

On ne sort jamais de prison. Non, jamais. Même dehors, une part de nous reste toujours coincée derrière les barreaux. C'est censé être un outil pour la rééducation... mais ça, ce n'est pas de la rééducation. C'est de la torture. Dans un pays qui prône autant les droits de l'homme, tout le monde oublie vite à quel point ils sont bafoués, là, derrière les barreaux, à l'abri des regards.

Des fois je me dis que je voudrais mourir. J'ai même essayé plusieurs fois. La mort serait préférable. Ça me permettrait de sortir de là... L'isolement n'a rien à voir avec la prison classique. Je le sais, j'y étais. Il ne m'a pas fallu grand-chose, deux trois bagarres avec des détenus pour arriver dans ce trou. La première fois, j'étais sortie au bout de deux ans. Deux terribles années au bout desquelles j'ai vécu seulement avec la grenouille et le crapaud. Quand j'en suis sortie... c'était terrible, pire encore que ces journées sans voir le soleil. Il y avait du monde partout, des cris, des bousculades, de la vie, tellement de vie, des bagarres, des disputes, il ne veut pas se taire, tais-toi, TAIS-TOI ! Il a fini par se taire.

Je suis retourné à l'isolement le lendemain. « Meurtre d'un codétenu » qu'ils ont dit. Un meurtre ? Ou ça ? Il y avait juste tellement de bruit, tellement de monde... je ne savais plus comment faire. L'isolement m'avait transformé en quelque chose d'autre, comme un animal, comme un enfant sauvage qu'on jette dans la société. Dix-sept ans plus tard, quand j'entends des mots comme « libération » et « réhabilitation », je me terre au fond de ma cellule, là, cette pièce que je connais si bien et je pleure, je cris, j'ai peur, je préfèrerais mourir ! Comment reprendre part à un monde qu'on a quitté il y a plus de vingt ans ?

CLAC !

La trappe s'ouvre. Un plateau y passe. J'entraperçois une main, de la peau bronzée, comment peut-on être bronzé, le soleil est mort il y a longtemps ! J'ai envie de plonger, de saisir ces doigts, de m'y accrocher, de les sentir contre moi, battant de vie et d'énergie, de le griffer, des les faires saigner de sentir la vie qui s'en échappe...

CLAC !

La main a disparu et la trappe est close. Je tire le plateau à moi et fais le tri au milieu des légumes poisseux : pour la grenouille, pour le crapaud, pour moi et pour l'araignée. Je lui dépose sa part dans la fissure qu'elle adore autour de laquelle elle a tissé sa toile. Gentille araignée. Elle pourrait fuir par la trappe, elle... Mais comme toutes les autres, elle va finir par mourir et je la déposerais là, en dessous de cette pierre qui se soulève, avec les cadavres de ses sœurs. Pauvres et gentilles araignées. Leur monde se limite au mien. Je les plains.

Je mange en silence. Le crapaud se tient juste devant moi, par terre, et me fixe de ses yeux marrons. Ces yeux, bon sang, ces yeux ! On dirait les miens. Peut-être. Ça fait si longtemps que je ne les ai pas vus dans un miroir ! Et la grenouille, la grenouille, où est la grenouille ? Elle doit encore être morte, et quand elle revivra, elle reviendra m'implorer de ses grands bleus qui semblent hurler « ne me tue pas ! Je t'en prie, ne fais pas ça ! Je t'aime Joe ! ». Oui, j'entends ses cris, souvenirs d'un autre temps, d'un avant où j'étais libre. Oui, ça a bien existé. Joe ? Ce serait mon nom ? Ça fait longtemps, si longtemps... J'aimerais bien que quelqu'un m'appelle Joe... juste une fois.

Je me relève. Trois pas en avant, deux pas à gauche, trois pas en avant, deux pas à gauche. Je cogne contre la porte :

- Je suis pas sorti aujourd'hui ! Laissez-moi sortir ! La grenouille est morte, mais le crapaud est innocent, je le jure !

Pas de réponse. Évidemment. Pas un seul mot qui pourrait nous tirer de notre isolement. Trois pas en avant, deux pas à gauche. Je n'insiste pas. Parfois, quand les gardiens ne sont pas d'humeur, nous pouvons rester vingt-quatre heures enfermés. Souvent, ils me laissent sortir une heure. Ils me mettent les menottes aux mains, aux pieds, me font avancer dans le couloir sombre et m'amènent à une cour isolée. Dix pas en avant, sept vers la gauche. Des appareils de musculation, un peu de végétation, des ballons et surtout, une ouverture grillagée au plafond par lequel le soleil s'engouffre. C'est à la fois merveilleux et effrayant. Et deux fois par semaine, j'ai le droit à une douche, dans une pièce un peu plus loin dans le couloir. Voilà les seuls évènements qui rythment la monotonie de mon existence depuis dix-sept ans.

La grenouille réapparait. Perchée sur son bureau, les yeux dégoulinant de larmes, elle me fixe. À côté d'elle se trouve un couteau de charcuterie, long et bien déguisé. J'entends sa voix qui m'implore de lui pardonner. Mais celle du crapaud, plus forte, ne cesse de répéter une unique vérité : elle t'a trahi. Tu dois faire quelque chose.

D'un pas en avant, je bondis sur le couteau, mais m'écrase contre l'évier, mes mains se refermant dans le vide. Le couteau a disparu et la grenouille me nargue. Une erreur, c'était une erreur. Je ne suis pas fou. Je ne suis pas fou. Je ne suis pas fou. Je ne suis pas...

Qu'est-ce que je disais déjà ?

- Hé, le taré !

- Je ne suis pas fou ! hurlé-je.

Je me figeai, mes yeux fouillant la pièce vide. Cette voix... cette voix... ce cri... était-ce dans ma tête ? Non, non, rien ne se passe dans ma tête. Tout est réel. Mais cette voix... cette voix... elle venait de l'extérieur. De derrière la porte. On me parle. On me parle. On me parle. On me parle. On me parle. On me parle. On me parle. On me...

Mais qui ? Comment ? Le crapaud rigole.

- Tais-toi ! On me parle.

- Ici, le taré.

Je vois que la trappe est ouverte. Les yeux écarquillés, je me penche et, à quatre pattes, jette un coup d'œil au travers. Je reconnais un des gardiens. Un sourire léger étalé sur le visage, il m'observe attentivement. J'entrouvre la bouche. Un gardien me parle. Un gardien.

- Le juge vient de rendre le verdict pour ton procès.

Je me fige. Procès. Juge. Verdict. Ces mots semblent à la fois pleins d'espoirs et, en même temps, absolument terrifiants. Ils me semblent lointains, si lointains. Que signifient-ils vraiment ? Voyant que je ne dis rien, le gardien penche la tête sur le côté et dans ses yeux brille un étrange mélange de compassion et de sadisme :

- Dix-sept ans que t'es dans le couloir de la mort, mon gars. C'est fini. Tout se finit demain. L'injection est déjà prête, elle t'attend. Tu vas sortir de là. Pour de bon. Parait que c'est ça la liberté, mon pote. Je l'espère pour toi.

CLAC !

La trappe est refermée et avec elle claque le résultat de mon jugement. Les États-Unis d'Amérique viennent de me déclarer coupable et mon châtiment sera la peine de mort. Je me lève.

Trois pas en avant.

Condamné à mort.

Deux pas sur la gauche.

Comment je suis censé réagir ?

Trois pas en avant.

Le crapaud est coupable. Il a toujours été coupable. Je vais le noyer dans l'évier avant demain.

Deux pas sur la gauche.

J'ai dit vouloir mourir. Pourtant, devant le fait accompli, je n'en ressens aucune joie ni aucune tristesse. Rien. Seulement le vide. Et un questionnement ultime qui sera ma dernière pensée avant que la seringue mortelle ne se plante dans ma veine :

Perdre la vie est-ce bien pire que perdre la tête ?



***

Un doliprane ?

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