🔥Semaine 4 : Perte

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- Trois pas en avant... deux sur la gauche... la grenouille ne peut faire que trois pas. Non ! Le crapaud. Trois pas en avant...

Trois pas... deux pas... trois pas... La lumière au-dessus de ma tête clignote, s'éteint une seconde puis se rallume. Je n'y prête pas attention. Deux pas... mes doigts frôlent le mur rugueux en accompagnant mes déplacements. Je ressens chacune des fissures des parois qui m'entourent et, même sans les toucher, je saurais exactement où se trouve la moindre d'entre elles. Depuis tout ce temps, je connais cet endroit par cœur. J'essaie de rattraper la grenouille. Non ! Le crapaud, le crapaud bien sûr. Tout a commencé avec le crapaud. Tout est de la faute du crapaud...

- Non ! Ce n'est pas sa faute. C'est la faute de... de la grenouille. La grenouille a fait trois pas, elle aurait dû en faire deux.

Je m'arrête brusquement et me prends la tête entre les mains, essayant d'y faire taire les conversations qui résonnent en tout sens. J'ai un vertige, je fais un pas de côté, me cogne contre le lavabo et baisse les bras. Je pourrais noyer la grenouille dans le lavabo... Non ! Pas la grenouille ! Le crapaud. Je pourrais l'y noyer, l'enfoncer dedans, mais il me parle, il me parle toujours, s'il se noie il ne parlera plus. Qui me parlera alors ? Qui, qui me libéreras de ce silence brulant, qui éloignera les ténèbres pour moi ? Cette stupide grenouille ?

Non, le crapaud est coupable, bien sûr qu'il est coupable. Mérite-t-il de mourir pour autant ? Moi aussi je suis coupable... coupable de quoi ? Je ne me souviens plus. Trois pas en avant. Deux pas à gauche. Mes pieds sont couverts du sang, mon sang et celui de la grenouille. Non, pas la grenouille ! Juste mon sang. Mes ampoules qui éclatent à force de tant marcher. J'ai mal... J'ai mal ? Pourquoi avoir mal ?

- Il ne me reste que la douleur, voilà pourquoi, marmonné-je. La douleur, la douleur, la douleur... et la solitude. Mais même ça, ils ont fini par me le prendre... je ne suis jamais seul... taisez-vous... TAISEZ-VOUS !

Je cogne ma tête contre le mur, encore, encore et encore. Ils vont se taire. Ils vont se taire. Ils vont se...

Ça y'est.

Je me laisse glisser contre la paroi, m'assis par terre et tiens ma tête à deux mains. Ils se sont tus. Mais pour combien de temps ? Je dois en profiter pour cacher la grenouille. Je dois la cacher dans l'araignée... Dans l'araignée ? Non, non. Pas l'araignée. Elle pourrait fuir par la trappe... la grenouille pourrait fuir. Le crapaud aussi, mais le crapaud est coupable. Le crapaud doit rester, il doit mourir pour ses crimes ! Mais... quels crimes ? Il est avec moi depuis longtemps, si longtemps... Du sang, du sang, beaucoup de sang... mais celui de qui ? Non, non ce n'est pas le mien. Cette fille par terre, nue, qui patauge dans son sang... j'aimerais l'aider. La grenouille est à côté d'elle, elle me dit que je dois l'aider... Oui, j'arrive !

Mais c'est trop tard. J'avance d'un pas et la fille a disparu, ne reste que la grenouille. Cette grenouille si innocente... tuée par un vilain crapaud... Non ! Le crapaud n'a pas eu le choix ! Vous comprenez ? Le crapaud est... il est...

Seul.
C'est terrible, la solitude. On croit tous savoir ce que c'est qu'être seul. Mais la vérité, c'est qu'on ne peut pas le savoir avant d'être enfermés dans six mètres carrés, vingt-trois heures sur vingt-quatre, sans avoir entendu une seule voix depuis... si ! J'entends des voix ! Le crapaud me parle, il me parle toujours ! Depuis combien de temps ? Les jours sont devenus des mois, les mois des années et les années deviennent des décennies, petit à petit. Pourtant, ce n'est pas de ma faute. C'est la grenouille... non ! Le crapaud. Voilà. Tout est à cause de cette saleté de putain de crapaud ! Au moins une décennie, bientôt deux. Quelque chose comme dix-sept ans. Dix-sept foutues années sans le moindre contact, sans la moindre discussion, sans le moindre sourire...

Words from Heart - Recueil de nouvellesOnde as histórias ganham vida. Descobre agora