Je reprenais doucement mon souffle. J'étais satisfaite d'avoir pu dire, si ce n'est crié tout haut, ce que je pensais, et c'était avec assurance que je plongeai mon regard dans celui de mon interlocuteur.
Momonga resta immobile un court instant, encore percuté de plein fouet par ma prise de parole, mais il avait rapidement repris contenance. Il soutint mon regard. Il restait muet, mais je savais parfaitement qu'il n'en pensait pas moins. Comme il me connaissait, je le connaissais. Un lien maître-élève était loin d'être facile à effacer… Il m'avait en partie entraînée, en partie formée. Il avait toujours vu en moi un bon potentiel et m'avait souvent parlé de reprendre sa suite en tant que vice-amirale dans le futur. Mais toute cette confiance, tout cet avenir avait amorcé sa chute lorsque j'avais déchiré mes manches dans le bureau de Sengoku, pour finalement être totalement détruit par mon serment d'allégeance au plus jeune des Yonko. Je ne savais que trop ce que devait ressentir mon ex-supérieur en me faisant face : de la déception. Pourtant, pour être totalement sincère envers moi-même, le jugement qu'il portait à présent sur moi était bien le dernier de mes soucis.
Je me permis, durant un bref instant, de jeter un coup d'œil aux autres marines avant de reporter mon attention sur le vice-amiral. Momonga était un homme d'honneur, mais je ne pouvais affirmer que ce soit aussi le cas de ses subordonnés, qui n'hésiteraient sûrement pas un seul instant à nous attaquer dans le dos si nous n'étions pas assez vigilants.
Autour de nous, je pouvais encore entendre les bruits des combats et le léger crépitement des flammes que Sabo commençait à produire. Nous nous retrouvions tous les deux, seuls, contre une unité de soldats entière, mais je n'éprouvai aucune peur. Malgré mes blessures et ma défense quasi-inexistante, mon instinct me guidait. S'ils attaquaient, je pouvais toujours me servir de mes jambes et des menottes en alliant agilité et ruse. Et puis, la présence de Sabo et la puissance qu'il possédait me confortait dans l'idée que, même si j'étais réduite à l'état de demoiselle en détresse, je n'allais ni mourir ni retomber entre les mains de la Marine. Malgré tout, je préférerais être utile. Il ne me restait plus qu'à croiser les doigts, user d'intelligence et avec un brin de chance, de gagner.
Le bruit d'un katana coulissant me fit émerger de mes pensées. Mon ex-référent avait saisi la poignée de son arme et commençait lentement à la sortir, en déclarant d'une expression contrariée :
- J'aurai voulu ne pas avoir à en arriver là, mais tu ne me laisses visiblement pas le choix.
- Ça t'étonne ?
Il ne me répondit pas. Le temps des paroles était terminé. D'un geste vif, il dégaina son katana puis se précipita dans ma direction. Sabo esquissa un mouvement et commença à fondre vers notre adversaire, flammes sorties, mais les soldats l'interceptèrent à l'aide de ce qui semblait être des chaînes en granit marin, dont ils se servaient en guise de lassos. Je savais que Sabo ne risquait rien, qu'il était assez fort pour se débarrasser de ce léger souci, mais qu'il n'aura pas le temps de stopper Momonga. Je me retrouvais seule, face à un homme armé qui ne reculera devant rien. Je fronçai les sourcils et posai mon pied droit devant moi. S'il voulait vraiment se battre, je n'allais pas me gêner. J'allais faire honneur à mon nouveau mentor et montrer à l'ancien ce qu'on pouvait apprendre par des pirates.
Alors qu'il courait dans ma direction, mon adversaire se propulsa en l'air. Il arriva au-dessus de moi et commença à abaisser son katana pour m'atteindre. Je levai mes mains menottées en l'air, prête à les abattre de toutes mes forces, mais soudain, un bruit écœurant retentit et le vice-amiral fût balayé en arrière. Il tomba violemment au sol un peu plus loin. En entendant le fracas, ses subordonnés à demi-brûlés se retournèrent vers lui. Ils émirent un léger couinement de surprise lorsque le marine se redressa avec difficulté. Un léger rictus de souffrance tendait ses muscles et son costume rayé, d'ordinaire si impeccable, était à présent déchiré et nuancé d'une grande tache écarlate s'étendant de son épaule gauche jusqu'à ses côtes. Il tentait de se remettre debout, et je pus voir plusieurs fragments minces et translucides provenant de ses blessures scintiller au soleil, avant qu'il ne grimace et ne lâche par réflexe son katana pour venir appuyer sur ses blessures. Le sang coula librement entre ses doigts, les recouvrant par la même occasion, et les petits débris que j'avais aperçu semblaient en être la cause. Ils étaient venus se planter à des endroits stratégiques, assez pour causer une hémorragie, peut-être même bloquer quelques nerfs, mais sans pour autant tuer sur le coup.
Après être restée un moment stupéfaite face à ce spectacle, je fis rapidement volte-face. J'étais certaine que cette attaque avait été bel et bien intentionnelle, et je ne tardai pas à trouver d'où provenait l'offensive. Ou plutôt, de qui.
Derrière nous se tenaient quatre personnes, dont trois habillés de blanc. L'un tenait un arc en main, l'autre, d'apparence mi-humaine mi-féline, montrait ses crocs, et la dernière, la seule femme parmi leur groupe, avait encore des éclats translucides en main. C'était elle. C'était cette femme qui venait de blesser Momonga et je ne pouvais retenir un regard écarquillé en regardant le trio, puis en reportant mon regard sur la quatrième personne, un jeune homme à la peau bronzé, aux cheveux blonds coupés courts, portant des lunettes noires et armé d'un katana totalement blanc.
Mon sang ne fit qu'un tour. Je me sentis blêmir. Je l'avais pourtant vaincu… et j'étais certaine que les autres avaient également été battus. Ils devraient être en ce moment même en prison, et pourtant… Qu'est ce faisait ici Every et ses trois sbires ?
Je fronçai les sourcils. Ces quatre-là n'étaient pas n'importe qui. Ils étaient jusqu'à présent les officiers d'une pirate puissante et membre de la Pègre. Ils avaient sûrement dû profiter de l'agitation provoquée par la bataille pour s'échapper de leurs cellules, mais je ne comprenais pas pourquoi ils étaient venus jusqu'ici, au lieu de s'enfuir. Je n'étais sûre de rien. La seule chose dont j'étais à présent certaine était que j'étais prise en tenaille entre deux camps qui ne m'inspiraient aucune confiance.
Every fit un pas en avant, le visage stoïque. Parmi l'unité de Momonga, ainsi qu'entre Sabo et moi, il n'y avait plus aucun bruit. Toute notre attention s'était tournée vers les nouveaux venus. Le groupe de marines s'était figé, Momonga restait immobile à se vider de son sang et Sabo avait suspendu ses offensives envers les soldats pour se retourner. Every s'avança vers nous et me contourna sans m'accorder le moindre intérêt. Soudainement, il m'attrapa par les poignets en prenant soin de ne pas toucher les menottes. Je voulus me dégager mais il me tint fermement, fixant avec attention la serrure de mes entraves. Il leva son index en l'air. Avec les capacités de son fruit du Démon, son doigt passa de la chair à une forme liquide métallique, qui se métamorphosa jusqu'à avoir l'apparence d'une clé en plomb lisse. Le second de Gyn plongea la clé dans la serrure et après un bref déclic, les menottes tombèrent au sol dans un fracas assourdissant.
Je restai bouche bée à fixer l'homme qui venait de me libérer. Libre… J'arrivai à peine à assimiler que mon ancien ennemi venait de défaire mes menottes, me redonnant mes capacités et mon Haki. Je sentais petit à petit quelques forces m'envahir, et bien que je restai très amochée, ces petits ajouts pouvaient faire une grande différence. Je pouvais à nouveau me battre de toutes mes forces et tout donner pour sortir d'ici le plus rapidement possible.
Après avoir contemplé l'état de mes poignets endoloris, je releva la tête, prête à remercier Every, mais celui-ci ne me laissa pas le temps d'ouvrir la bouche. Il me lâcha brutalement. Sans ajouter un mot, il fit volte-face, se retournant vers Momonga et s'approchant de lui.
Une main vint se poser sur mon épaule. En tournant la tête, je me retins d'amorcer un coup de poing en voyant l'officier au fruit du Démon de type Zoan soudainement un peu trop proche de moi. Prenant sûrement modèle sur son supérieur, il resta de marbre, se contentant de me regarder droit dans les yeux.
- Tiens. Fais pas n'importe quoi avec.
D'une main, il me tendit un amas de ferraille. Non… Ce n'était pas un amas, mais les longues et fines tiges qu'il me donnait pouvaient y faire penser. Il s'agissait de deux objets en métal, deux magnifiques saï. Ils brillaient encore, témoignant du métal neuf qui les constituaient. Des lanières en cuir rouge recouvraient les poignées. Ils étaient soigneusement ouvragés, mais je ne pus m'empêcher de froncer les sourcils. Ils étaient splendides, mais malgré tout, ils étaient beaucoup trop acérés, l'un muni d'une pointe blanche que je reconnus comme étant du plomb blanc et l'autre arborant un bout légèrement plus sombre que le reste de sa lame, témoignant de la présence de granit marin dans cette pointe. Ces saï n'étaient pas de simples armes destinées au combat, mais bien des outils pour tuer sans même lutter.
Je serrai les dents et levai les yeux vers l'officier qui venait de m'offrir les lames, bien décidée à m'insurger.
- Tu tues ou tu es tuée. La vie ne nous laisse pas d'autre choix.
Alors que j'allais ouvrir la bouche, la voix ferme d'Every m'avait brutalement interrompu. Le jeune homme s'était retourné vers moi. À travers ses lunettes, j'arrivai à deviner le regard perçant qu'il me lançait actuellement et je fronçai les sourcils, prête à soutenir son regard, mais à nouveau, il me coupa en plein dans mon élan, en déclarant d'un ton m'interdisant toute réplique.
- La violence fait partie de la piraterie.