Des nouvelles du large

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La jeune femme leva ses iris jaunes vers les cieux abandonnés. Depuis plus d'un siècle, la Lune avait disparu et personne n'avait jamais pu expliquer pourquoi. Malgré des théories plus folles les unes que les autres, cet étrange phénomène avait peu à peu perdu de son intérêt. Alors, évidemment, les humains avaient fini par oublier. Oublier qu'un jour, les nuits n'étaient pas si tristes, qu'un jour les étoiles n'avaient pas été orphelines. Oublier qu'un jour, dans l'immensité des flots assoupis, se reflétait la délicate silhouette de la déesse des marées.

Du haut de son balcon cauchemardesque, sculpté à même la falaise, elle ne bougeait pas. Isolée sur cette île abandonnée au milieu d'un océan bien trop violent, elle passait ses jours à attendre des nouvelles du large. Se montrerait-il encore une fois ? Évidemment, la réponse fut toujours positive. À son grand regret, le Soleil n'avait jamais cessé de se lever.

Lors de ses nuits de solitude, elle fixait l'obscurité, alternant entre les cadavres de navires échoués et le ciel endeuillé. Et de temps en temps, lorsqu'elle s'ennuyait trop, elle descendait l'escalier sans fin de son palais, jusqu'à atteindre l'immense plage de sable ocre. Après avoir ramassé quelques coquillages, la jeune femme aux longs cheveux nacrés allait se baigner dans les eaux sombres. Ici et là, des créatures abyssales barbotaient paisiblement. Étrangement, la disparition de l'astre nocturne les avait tous fait remonter à la surface. Dès lors, le métier de marin n'avait jamais été aussi dangereux.

Parmi eux, certains, probablement beaucoup trop, tenaient à rejoindre l'île de « la princesse perdue ». Selon la légende, félicité et trésors les y attendaient. Ici, le mythe ne rencontrait en rien la réalité, bien plus sombre et funeste.

La dame aux yeux safranés en avait vu passer des aventuriers. Certains agonisant sur la plage après une noyade, d'autres mourant d'asphyxie au contact de sa peau bien trop pâle. Autrefois, elle aurait eu de la peine pour ces malheureuses âmes rêvant d'amour et de frissons. À présent, elle n'en avait cure ; ne s'intéressant plus qu'aux dernières nouvelles du large, fixant impatiemment l'horizon en quête d'un signe de sa part.

À chaque aube, elle versait une larme et maudissait cet océan qui les séparait. Cependant, elle ne parvint jamais à haïr ce royaume aqueux. Son cœur, bien que gelé, ne pouvait se résoudre à détester tant de beauté. Sa fascination pour le monde maritime ne datait pas de son arrivée dans ce château infernal et austère. Le ballet des algues, la splendeur des coraux, l'étrangeté des poissons... Comment ne pas devenir adepte de ce spectacle ancien et changeant ?

À chaque crépuscule, tout son être se figeait de désespoir, sa peau ternissait. Ses longs cheveux iridescents semblaient alors perdre de leur éclat. Plus qu'un océan qui les séparait, un monde entier désormais. Malgré le vent violent de ces nuits estivales, la jeune femme ne se mettait jamais à l'abri. Sans l'étoile brûlante, elle sentait son sang se pétrifier, son cœur plus froid que jamais.

Comme à chaque fois que la mélancolie manquait de l'emporter, elle s'immergea dans les méandres de l'océan inhospitalier et se laissait bercer par la douce caresse des vagues. Elle ferma les yeux, n'ayant pas le courage de fixer les brillantes orphelines abandonnées aux quatre coins du firmament. Au loin, un immense tentacule surgit des profondeurs, probablement dans l'attente d'une embarcation trop téméraire. Elle n'avait jamais compris la psychologie des krakens, bien qu'elle y ait passé un certain temps. Malgré tout, ils demeuraient parmi ses créatures favorites. Régulièrement, des bancs de poissons la frôlaient, lui arrachant un rapide sourire à chaque passage. De temps à autre, une imposante silhouette passait quelques mètres en dessous de son corps frêle, sans jamais tenter de la toucher. Tant de mystères et de splendeurs. Fragilité et complexité. Son être résonnait à cette comparaison.

La « princesse » posa ses yeux sur sa robe, à la fois cimetière d'étoiles éteintes depuis longtemps et couveuse de jeunes naissantes, et fut empreinte d'une amère nostalgie. Parfois, les cieux lui manquaient terriblement, et son aimé bien plus encore. Toutefois, flottant dans l'immensité des eaux glaciales, elle était certaine d'avoir fait le bon choix. Après une éternité à veiller sur les humains, elle souhaitait enfin vivre pour elle-même. À être ignorée par son amour, si souvent éloigné qu'elle se remémorait à peine ce dernier contact ; elle avait préféré partir.

Le Soleil avait vaincu et était devenu le seul et unique maître.

La Lune joua avec les eaux sombres, les caressant du bout de ses doigts diaphanes. Il aurait suffi d'un signe de sa part pour qu'elle regagne les cieux ; pour que leur course éternelle reprenne. Cependant, les nouvelles du large n'étaient jamais bonnes et son amour, chaque maudit matin, se contentait d'offrir une nouvelle aube à l'humanité. À cette pensée, ses yeux jaunes s'assombrirent. Après un siècle, l'espoir s'amenuisait. Sans elle, le Soleil semblait beaucoup s'amuser.

La jeune femme tomba violemment dans les abysses. L'océan avait disparu, ne laissant que poussières derrière lui. Il ne restait ni krakens, ni algues, ni aucune créature vivante. Le monde maritime venait littéralement de partir en fumée. Cherchant la cause, elle sursauta à la main brûlante qui lui avait saisi le bras. Malgré la désolation qui s'étendait devant son regard, elle ne put s'empêcher de sourire. Son amour avait finalement décidé de la rejoindre. Le cœur de la déesse fondit, sa peau diaphane redevint radieuse.

« Aucun océan n'aurait dû nous séparer. »

Sur le balcon de ce sinistre château, le Soleil enlaçait la Lune. Lui aussi en avait assez de veiller sur le monde. Tant pis pour les humains et les animaux. Plus jamais l'aube ou le crépuscule. Plus jamais d'étoiles orphelines. Plus jamais d'océans ou de vide qui les séparaient.

Alors que le monde maritime se consumait, le Soleil, perdu dans les yeux de la Lune, ne vit même pas les cieux se désintégrer.

Entre ombre et lumière (recueil)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant