1) Chapitre un

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Une longue et pénible journée toucha enfin à sa fin. Avec elle, les soufflements du noiraud formaient des bulles vaporeuses dans les airs où tournoyaient quelques flocons agités. La nuit tombée recouvrait la vision des passants, la neige amorçait le bruit des pas pressés des salariés engourdis par la brise, et le seul bruit audible excepté la bourrasque de vent que le jeune homme entendait était la friction de ses paumes. Ces dernières étant tremblotantes, il regrettait amèrement d'avoir malencontreusement oubliés ses gants à son bureau de travail.

Il avait néanmoins pu se réchauffer quelque peu dans les transports publics, où l'imperméabilité de l'espace clos permettait de se revigorer l'espace de quelques précieux instants. Il affrontait désormais à nouveau le froid l'entourant et lui faisant également face, et pressa alors encore la cadence de ses enjambées. S'il continuait de marcher d'un pas aussi pressé, il arriverait sans doute chez lui dans quelques minutes, qui semblaient toujours bien trop longues quand la température se voyait être aussi basse.

Quand il franchit enfin le seuil de sa maison, il essaya de prendre la bonne clé à l'aide de ses doigts frigorifiés qui peinaient à coopérer, puis s'engouffra enfin dans un intérieur bien plus réconfortant. Après s'être déchaussé et bu lentement une tasse de café qui décongestionna ses mains, il se faufila à la salle de bain, à la quête d'un moment de quiétude bien mérité. Une fois complètement réchauffé, des habits amples à la place de son costard qui l'habillait quotidiennement, il se laissa abattre sur le canapé. Cette semaine de travail avait été particulièrement fatigante avec son lot d'imprévus. Il ressentait enfin l'exaltation d'être arrivé au bout de cette fin d'année, et mériter ainsi quelques jours de repos grâce aux vacances hivernales.

Il décida alors de visionner un classique des films d'animations, et opta pour le Royaume des chats de Hiroyuki Morita. Alors que des dizaines de félins défilaient à travers l'écran, ce fut l'un d'une toute autre trempe qui décida de lui passer un appel.

- Oya Kenma, tu sais que j'aurais déjà pu être en train de dormir ? Je me fais vieux.

- Kuro', on a seulement une année de différence. Et t'es en vacances maintenant, donc plus d'excuses pour te plaindre à longueur de journée.

- Faut toujours que t'extrapoles. Et puis, tu comprendras quand tu passeras enfin la barre des vingt-cinq ans. Ah et aussi, fais quand même gaffe avec ta rétine hein, joue pas à tes jeux vidéo dans le noir. Et ne me mens pas, tes cernes sur tes dernières photos ne dupent point.

- Kuro', tu me fatigues plus que mes écrans. Tu me le répètes depuis la primaire, faudrait peut-être songer à lâcher l'affaire un jour non ? Et je te signale que ce qui brûle mes yeux me sert entre autres de métier. Enfin bon, je t'appelle pas pour que tu me fasses la morale. C'est à propos de nouvel an.

Kuroo se repositionna, le dos plus en arrière contre le dossier de son fauteuil, et écouta attentivement. Le passage de la nouvelle année, il l'avait toujours passé en compagnie de Kenma. Occasionnellement, ses grands-parents s'y joignaient et d'autres fois, ils ne s'y rendaient que tous les deux. Fut également un temps qui lui semblait alors désormais bien loin, où il y était allé avec une bonne partie de l'équipe de Nekoma. Et cette année, il lui semblait bien qu'il n'aurait pour seul compagnon son acolyte de longue date. Peut-être qu'avec un peu de chance féerique, il recroiserait tout de même quelques visages familiers.

- Je voulais juste savoir si Bokuto venait avec nous, tu m'avais dit que-

- C'est ce qui était prévu, mais apparemment, il sera finalement à la préfecture de Tokushima.

L'une de ses soeurs s'étant mariée cette année, Bokuto avait finalement modifié ces plans, et s'était déplacé dans une autre région du Japon pour les retrouver. Avec son emploi hebdomadaire chargé, il avait décidé de passer davantage de moments familiaux durant la quinzaine de jours qui suivrait. Si Kuroo avait déjà pu rencontrer une des deux aînées de l'ancien de Fukurôdani, - qui était tout aussi énergique que son frère -, l'autre était apparemment plus calme et davantage autoritaire. Un jour prochain, il espérait peut-être la croiser, afin de voir si les descriptions rocambolesques de l'ailier concordaient réellement avec son profil.

- Alors c'est pas que je suis content qu'il ne s'avère pas dispo mais -

- Mais un peu quand même ? Ok il est dynamique, mais il est hyper consciencieux !

- Je sais, je ne critique pas ton " bro". C'est juste que le coach Nekomata fait le passage de cette année à Tokyo, pas à Miyagi. Du coup je m'étais dit qu'on pourrait aller au temple avec lui ?

Kuroo arqua un sourcil. Habituellement, son ancien superviseur passait effectivement les fêtes hivernales à Miyagi, endroit d'une bonne partie de sa jeunesse, où y était restée une majorité de son entourage. C'était en partie une des raisons qui les avaient poussés à l'époque à se défier lors de guerres des poubelles, et il était surpris qu'il ait décidé de rester à la capitale pour cette fois-ci. Après tout, ce n'était pas parce qu'il avait passé un certain âge qu'une routine annuelle devait s'installer. Et encore moins quand on s'appelait Nekomata Yasufumi. Puis, un élan de lucidité le traversant, une question lui apparut.

- Attends, mais comment ça se fait que t'aies le numéro de notre ancien coach toi ?

- Parce qu'il est un abonné fidèle de Kodzuken. Tu vois, au final, c'est moi le plus sociable des deux, ne t'en déplaise.

Kuroo grogna.

- Fais pas genre, avoue t'es content, ajouta le plus jeune.

Kuroo ne put s'empêcher d'esquisser un léger sourire sincère. Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas revu le vieil homme, et ce n'était pas pour lui déplaire de saisir l'opportunité de le côtoyer à nouveau durant l'espace de quelques précieuses heures. Nekomata l'avait aspiré à opter pour du volleyball plutôt que du football, et désormais, il en vivait. Baisser les filets pour les moins aguerris, donner l'envie même aux moins endurcis de participer à ce sport figurait parmi les philosophies qu'il avait appris grâce à cet homme. La bannière de l'équipe, «Restez ensemble » lui avait valu d'en équivaloir une de sa propre fabrique. «On est le sang, on s'écoule sans encombre et on fait circuler l'oxygène pour que le cerveau puisse bien fonctionner ».

Kenma, qui de prime abord n'avait pas la carrure pour s'avérer être titulaire, était pourtant devenu un pilier de leur équipe. Et cette façon de voir et concevoir un domaine sportif compétitif sans négliger l'aspect humain avait donné l'envie à Kuroo de propager cette vision sportive à d'autres vétérans de volleyball.

Alors, pouvoir passer un moment en sa compagnie paraissait être une des meilleures choses qui s'offrait à lui.

- Ça marche. On se retrouve en fin d'aprèm du premier janvier du coup ? N'empêche, c'était bien pratique quand on habitait le même quartier. Surtout que y a de la glace maintenant, ça ralentit.

- Kuro', faut vraiment que t'arrêtes d'être nostalgique pour un rien. En plus on habite à peine à vingt minutes de l'autre. Bon je te laisse, j'ai un live sur twitch que je dois bientôt commencer. Bye bye.

Et c'est ainsi que Kenma laissa un Kuroo déconcerté par la désinvolture de Kenma malgré le fait qu'il aurait déjà dû y être complètement habitué depuis le temps. Puis, se rappelant que son ancien partenaire Yaku disposait aussi de cette spécificité quant à ne pas s'émouvoir des vestiges du passé, il se décida plutôt d'apprécier la bonne nouvelle de cette soirée.

Il prit la télécommande posée sur la table basse et appuya sur le bouton permettant de continuer la lecture du visionnage de son film. Bien au chaud dans son doux foyer, il laissa la nuitée l'envelopper petit à petit au travers du paysage luxuriant que lui offrait un des Ghibli de sa tendre enfance. 

Voeux silencieux [KuroShou]Where stories live. Discover now